Le cadre institutionnel définit la socialisation scolaire comme le fait d’apprendre ensemble

Cadre institutionnel, contexte d’étude

Le cadre institutionnel définit la socialisation scolaire comme le fait d’apprendre ensemble 

La thématique du vivre ensemble a toujours été très présente dans les programmes de l’école maternelle, en 2002, 2008, et en 2015, mais a connu de nettes évolutions depuis 2002. Le Bulletin Officiel spécial du 26 mars 2015, consacré au programme d’enseignement de l’école maternelle , est très clair à ce sujet. La socialisation n’est pas un préalable aux apprentissages. L’objectif s’éloigne du vivre ensemble, la socialisation scolaire relève désormais de l’apprendre ensemble. Pour l’enfant, il s’agit de penser avec les autres, de réinterroger ses propres conceptions, d’évoluer par la rencontre avec les autres. Dans la partie introductive des programmes de 2015, avant d’aborder les 5 grands domaines d’apprentissages, le deuxième paragraphe « Une école qui organise des modalités spécifiques d’apprentissage » souligne le fait que l’enseignant doit « favoriser les interactions entre enfants », notamment à travers des projets, et « créer une communauté d’apprentissage ». Chaque élève doit ainsi apprendre à écouter et respecter le point de vue de l’autre. Dans cette même partie, le troisième paragraphe, intitulé « Une école où les enfants vont apprendre ensemble et vivre ensemble », met en avant le fait qu’il s’agit d’un « enjeu de formation central pour les enfants ». On peut distinguer plusieurs objectifs qui doivent guider l’enseignant. Tout d’abord chaque enfant doit apprendre à se connaître, se construire, puis s’affirmer comme une personne à part entière, singulière, qui a confiance en lui, en ses capacités, aidé en cela par le regard bienveillant de l’enseignant. Fort de ce cheminement, il peut alors porter un « regard positif sur les différences » entre lui et les autres. L’enfant est incité au quotidien à coopérer, à s’aider, à partager, à échanger, il s’agit d’un véritable apprentissage des règles et des codes du travail collectif.

Il y prendra progressivement plaisir en constatant ce qu’on peut réaliser à plusieurs, en trouvant sa place dans le groupe, en prenant des responsabilités.« Échanger et réfléchir avec les autres » représente aussi une partie importante du domaine Langage oral dans les programmes. Les élèves sont invités à expliquer, questionner, porter de l’intérêt à ce que les autres pensent et disent, afin de mieux comprendre, résoudre des problèmes plus complexes, prendre des décisions ensemble. Apprendre à travailler ensemble est bien un enjeu majeur du cycle 1, ce cycle fondamental pour la réussite de tous. Apprendre à l’école, c’est apprendre avec les autres.

Parallèlement, « l’école maternelle occupe une place privilégiée pour offrir aux enfants une fréquentation de la langue de l’écrit, très différente de l’oral de communication. L’enjeu est de les habituer à la réception de langage écrit afin d’en comprendre le contenu. L’enseignant prend en charge la lecture, oriente et anime les échanges qui suivent l’écoute » . Les albums de jeunesse leur permettent dans un premier temps, grâce à une familiarité avec les scènes racontées d’en saisir facilement le sens. Puis en les choisissant progressivement plus longs, plus complexes et plus  éloignés du quotidien des enfants, ils pourront alors s’intéresser et s’ouvrir à de nouvelles notions, et alors « se construire des images mentales à partir d’histoires fictives, relier des événements entendus et / ou vus dans des narrations ou des explications, lors de moments d’apprentissages structurés ».

Le contexte d’étude 

À l’âge de notre sujet d’étude, soit à quatre – cinq ans, l’égocentrisme est tout à fait normal. G. Duclos nous précise que l’enfant est alors centré sur son point de vue, il est préoccupé par ses seuls besoins et désirs immédiats . De plus, « les enfants de cet âge ne coopèrent pas vraiment, ils font surtout des coopérations ». Mais c’est la période fondamentale pendant laquelle se construisent les habiletés prosociales, qui précèdent la socialisation. Ces habiletés doivent être enseignées, à travers des activités et projets collectifs, qui nécessitent partage, communication, collaboration, écoute et compréhension de l’autre. L’enfant à cet âge a besoin des autres, d’entretenir des relations privilégiées avec un ami pour forger son identité. Si les conflits sont bien entendu inévitables, il s’agit alors d’apprendre comment les résoudre, par l’expression entre autres de ses besoins et sentiments .

La mission de l’école maternelle de socialiser les enfants est reconnue dans les programmes et instructions officielles de l’ensemble des écoles du monde francophone (Tunisie, Québec, Suisse, Belgique, France…). L’école est un lieu de socialisation dans lequel l’enfant fait l’expérience de la collectivité et fait l’apprentissage des relations avec les autres . Selon G. de Vecchi , au sein d’un groupe se produisent de multiples échanges et se construisent les savoirs. Par la stimulation positive qu’il procure à l’enfant, par la richesse des interactions, le groupe est « catalyseur de motivation et de plaisir ».

Un travail de groupe en maternelle commence dès que l’on réunit deux élèves pour une même activité avec un but commun. Pour G. de Vecchi, il s’agit bien d’un travail de groupe et non en groupe, autour d’une tâche commune, il doit y avoir engagement collectif. Le travail proposé doit présenter une résistance, un certain niveau de difficulté, de complexité. Pour le réaliser, le groupe se trouve dans la nécessité de s’organiser, de coopérer.

Pourquoi donner cette importance au travail de groupe en maternelle ? D’une part, c’est dans la confrontation avec d’autres élèves que la personnalité du jeune enfant se forge, en découvrant d’autres modes de pensée, d’autres façons de faire que ce qu’il a pu observer dans son milieu familial. D’autre part, G. de Vecchi souligne l’importance du choix effectué par l’enseignant de la situation pédagogique, une situation problème qui doit créer un conflit sociocognitif pour permettre l’apprentissage « dans le groupe, et grâce au groupe ». Ainsi, l’enfant « se construit avec les autres, en comptant sur les autres et pour les autres ». Ce même point est mis en avant dans l’ouvrage Comment l’enfant devient élève : « Devenir un élève, c’est apprendre avec les autres pour se construire soi-même ». Au sein d’un groupe et à l’occasion d’une réflexion collective, l’enfant exerce sa pensée avec celle des autres, en se confrontant aux autres. Il accomplit son travail en relation avec celui des autres, il ne peut penser son travail sans penser à celui des autres.

L’enfant apprend en faisant, c’est ce qu’exprime P. Meirieu par « Faire pour apprendre », néanmoins pour que l’activité scolaire et le savoir qui s’y rapportent soient efficients, les élèves doivent penser ce qu’ils font. D’où l’importance que les élèves entrent en contact, interagissent, débattent pour entrer dans le savoir en se questionnant. Attention cependant, le travail de groupe est un moyen nécessaire à la réussite des apprentissages, une condition, mais pas un objectif en soi.

Travailler ensemble au cycle 1, cela s’apprend 

L’entrée à l’école maternelle représente une rupture importante sur le plan psychologique pour l’enfant, il s’agit du « passage des interactions familiales aux interactions didactiques » . L’enfant se trouve bien souvent démuni face à ce nouveau type de relations, d’échanges, de rencontres, avec les enseignants, comme avec ses camarades. À l’école, comme le mentionne J. Fortin , l’enfant doit apprendre à s’adapter à d’autres enfants, « à des modes de penser et d’agir plus ou moins différents de ceux de la famille ». L’école est aussi un lieu de vie collective, dans lequel l’enfant apprend à partager, à faire ensemble, ce qui présente des contraintes, ce qui peut générer des frustrations, des conflits… Pour ces raisons, l’enfant ne peut être livré à lui même, l’enseignant doit l’accompagner dans ces apprentissages.

G. De Vecchi nous le dit, « apprendre à travailler en petits groupes n’est pas inné ». Cela demande un travail important, cela correspond à un véritable projet qui doit être clairement énoncé au groupe classe pour qu’il le partage. Il précise également qu’il n’y a pas une méthode unique pour enseigner aux élèves à travailler en groupe. Il existe « une palette de possibles », à chaque enseignant de choisir ce qui s’adapte le mieux à ses objectifs et à sa classe. La littérature de jeunesse peut donc tout à fait tenir ce rôle. M. Bolsterli présente la même idée. Elle explique que ce qui touche à la socialisation de l’enfant ne peut faire l’objet d’un champ disciplinaire à part entière et qu’en même temps cela ne peut se développer naturellement, sans aide. Elle indique donc que cela n’aura du sens pour l’enfant qu’à travers la mise en œuvre de diverses activités et contenus. J. Fortin va dans le même sens en énonçant que la socialisation est « un processus permanent », qui s’exerce au quotidien dans l’ensemble des interactions entre les enfants. La démarche qu’il propose pour mieux vivre ensemble à l’école est d’alterner réflexion et action, réflexion à partir de thèmes évoqués dans les albums de jeunesse, débats, échanges d’avis et opinions, et d’activités centrées sur les mêmes notions. J. Fortin présente la littérature comme un support majeur à la vie en collectif à l’école.

Une recherche menée dans des écoles genevoises (années 2000) auprès d’élèves de cinq – six ans a cherché à savoir de quelle manière ils estiment apprendre le mieux . Il a été demandé aux élèves, en particulier (après d’autres questions), de choisir ce qu’ils préféraient, le type de support qui leur permettait d’apprendre le mieux. Les deux propositions étaient les suivantes : « écouter beaucoup de contes et d’histoires » ou « écouter quelqu’un qui nous explique des choses ». Les réponses ont été nettes, 78% des enfants ont choisi la deuxième proposition, soit un support écrit, plutôt qu’un mode de transmission orale par un adulte. Cela tend une nouvelle fois à confirmer que la littérature de jeunesse peut jouer un rôle important dans l’apprentissage du vivre ensemble. M. Bolsterli l’analyse de cette manière : « L’usage des récits pourrait être une forme de réponse àcertaines des questions de l’enfant, en respectant son désir d’apprendre, son besoin de comprendre le sens de la vie et le monde qui l’entoure ».

Les apports de Piaget

L’enfant de quatre – cinq ans, sujet de notre étude, est au quatrième stade de développement selon la classification établie par Piaget . Ce stade correspond aux enfants d’âge entre deux et sept ans. À cet âge, l’enfant fait désormais preuve de « sentiments interindividuels », c’est-à-dire qu’il a des échanges affectifs avec d’autres personnes. Les sentiments qu’il éprouve pour ces personnes sont élémentaires, sympathie et antipathie les composent ! Mais il éprouve à cette période également les premiers sentiments moraux, qu’il ressent très fortement, la justice et l’injustice, qui sont associées pour lui à des actions, des décisions en référence aux normes de bien et de mal, à l’obéissance à une règle. La fonction symbolique vient enrichir son intelligence verbale, c’est essentiellement une fonction évocatrice. « Grâce à elle, l’enfant devient capable d’évoquer une situation absente par l’intermédiaire d’un signifiant » . Ses nouveaux moyens à disposition sont le langage, mais aussi l’image mentale (que Piaget définit comme une représentation intériorisée), l’imitation (différée), le dessin.

Ces deux aspects sont fondamentaux pour notre étude, car ils éclairent le comportement de notre sujet en collectivité, ce qu’il ressent, ce qu’il peut éprouver et d’autre part Piaget met en évidence la nouvelle capacité du jeune enfant à se créer des images mentales, et ainsi le rôle de l’enseignant de le nourrir pour l’aider dans cette construction et cette nouvelle compréhension du monde qui l’entoure. Pour Piaget, l’intelligence et l’affectivité sont indissociables dans tout comportement humain, il n’y a selon lui pas de mécanisme cognitif sans élément affectif, et réciproquement. De plus, « l’affectivité intervient constamment dans les opérations de l’intelligence pour les stimuler ou les perturber ». Ces éléments nous intéressent tout particulièrement car ils sont en jeu dans tout travail de groupe.

Apports de la littérature de jeunesse

Développement de l’estime de soi 

G. Duclos définit l’estime de soi comme la « conscience de la valeur personnelle qu’on se reconnaît dans différents domaines » , c’est-à-dire avoir conscience de ses propres qualités et habiletés. Il s’agit d’un « ensemble d’attitudes et de croyances qui nous permettent de faire face au monde », car nous connaissant bien, nous savons sur quels points forts nous pouvons nous appuyer, et quelles faiblesses nous devons compenser. L’estime de soi se construit pour grande partie entre trois et six ans, ce qui correspond exactement à la période de l’école maternelle.

Comme nous l’avons vu, les programmes instituent très clairement l’école maternelle de la mission du développement de l’estime de soi de chaque élève, en l’aidant à la construire et à la consolider pour qu’elle perdure. C’est un rôle fondamental, car c’est ainsi que l’élève pourra s’identifier comme faisant partie d’une communauté, d’autre part cela va définir également son rapport au savoir. Selon M. Bolsterli qui cite Fèvre, la lecture de récits et albums en classe permet cette construction car « les personnages et leurs actes évoquent autant d’aspects de la personnalité de l’enfant qui peuvent alors, par identification, intégrer une image d’eux-mêmes supportable ou même enviable ». (Fèvre (1999), Contes et métaphores). Grâce à ces lectures, l’enseignant permet à l’enfant de développer son identité, en lui faisant découvrir mondes imaginaire et réel. Il s’agit de se construire dans la connaissance et le respect de l’autre, de ses différences, se construire une image de soi-même positive, engagée, condition indispensable pour pouvoir apprendre. Un enfant possédant une certaine confiance en lui sera plus enclin au travail de groupe. Conscient de ses capacités, il pourra les mettre au service des autres. Ainsi, comme le dit G. de Vecchi, le groupe n’est alors pas la somme mais la « multiplication des connaissances et compétences de chacun », grâce aux nombreuses interactions en jeu.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Cadre théorique
1.1 Cadre institutionnel, contexte d’étude
1.1.1 Le cadre institutionnel définit la socialisation scolaire comme le fait d’apprendre ensemble
1.1.2 Le contexte d’étude
1.1.3 Travailler ensemble au cycle 1, cela s’apprend
1.1.4 Les apports de Piaget
2.1 Apports de la littérature de jeunesse
2.1.1 Développement de l’estime de soi
2.1.2 Éducation à la citoyenneté
2.1.3 La littérature de jeunesse, mais pas seulement !
2. Cadre d’expérimentation
2.1 Les travaux de Jacques Fortin
2.2 Les paramètres de mesure
2.2.1 Le questionnaire – sa conception
2.2.2 Réponses obtenues au début de l’étude, mi-janvier 2017
3. Expérimentation en classe
3.1 Étude des albums
3.1.1 Moi, j’aime aider
3.1.2 Ma carte d’identité
3.1.3 Je connais tes qualités
3.1.4 Semblables et différents
3.1.5 Les disputes
3.2 Conception de l’album de la classe
3.3 Activités annexes à l’activité littéraire
3.4 Résultats et observations
3.3.1 Réponses obtenues aux questionnaires fin mars 2017
3.3.2 Observations des comportements des élèves
4. Analyse, prise de recul
4. 1 Les apports positifs de l’expérimentation
4.2 Les manques, les modifications à apporter
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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