L’enjeu des visites pastorales : un système bénéficial favorable Mgr Conen de Saint-Luc
Le régime bénéficial est un thème d’étude assez récurrent des travaux d’histoire des diocèses et des carrières ecclésiastiques. Plus récemment, Georges-Henri Pérès s’est intéressé au système bénéficial du Vannetais au milieu du XVIIe siècle, et a même étudié son évolution entre 1654 et 1665.
Pour mieux comprendre le système d’acquisition des cures en Haute-Cornouaille, commençons par en rappeler les fondements. Tout d’abord, le bénéfice ecclésiastique. Ou plutôt les bénéfices ecclésiastiques, car ils sont multiples, aussi bien dans leur nature que dans leur nombre. Le bénéfice est le « revenu attaché à une fonction ecclésiastique, tiré de biens appartenant à l’Église (dîmes, terres, rentes, …)206 ». Le revenu est bien lié à une fonction ecclésiastique : pour le percevoir, il y a une contrepartie, celle d’exercer une charge sacerdotale, généralement un ministère. En fait, un bénéficier acquiert des droits sur une certaine portion des biens ecclésiastiques, et cela à titre viager . Un prêtre exerçait son ministère en vertu d’un titre qui n’avait pas forcément un caractère bénéficial, ou plus simplement qui n’était pas un bénéfice. Par conséquent, il ne rapportait concrètement aucun revenu car il n’était lié à aucun bien mais recevait des émoluments de la paroisse.
A l’échelle de la paroisse, il n’y a qu’un bénéfice ecclésiastique important à pourvoir : il s’agit de la cure, c’est-à-dire le revenu acquis au titre de la direction spirituelle exercée par le curé (ou le recteur dans la péninsule bretonne) sur ses paroissiens, c’est donc un bénéfice à charge d’âmes, comme les évêchés par exemple. Pour le commun des prêtres, cela correspond à l’échelon suprême à atteindre dans une carrière ecclésiastique ; la cure constitue alors l’aboutissement de celle-ci, c’est le « comble des ambitions » pour un prêtre qui obtient en plus d’un logement une autorité relativement indépendante. Au XVIIIe siècle en Bretagne, les cures, comme l’ensemble des
bénéfices, ont un « patron » qui peut être aussi bien ecclésiastique que laïque. Le patron d’une cure est dit « présentateur » à la cure, il lui revient donc de droit de proposer le candidat de son choix à la cure vacante. Au sens littéral du terme, il « présente » son candidat à la nomination, celle-ci étant effectuée par le collateur de la cure. Le collateur est la personne, clerc ou laïque, qui, en vertu de son pouvoir, nomme le candidat à un bénéfice ecclésiastique si elle le juge convenable. La collation est la concession d’un bénéfice vacant « faite gratuitement, par celui qui en a le pouvoir, à un clerc capable de le posséder» ; elle se traduit par l’obtention de lettres de provisions.
Une question, qui peut paraître insignifiante, est pourtant déterminante pour l’évêque de Quimper : à qui revient la présentation de la cure (ou rectorie en Bretagne) de telle ou telle paroisse du diocèse ? En d’autres termes, qui est le présentateur de chaque paroisse ? Le graphique suivant permet de saisir la répartition du patronage des cures en Haute-Cornouaille sous l’épiscopat de Toussaint Conen de Saint-Luc.
Répartition du patronage des cures en Haute-Cornouaille à la fin de l’Ancien Régime
Un patronage de l’évêque étendu
Regardons d’abord l’intéressé : l’évêque de Quimper détient le patronage de cinq bénéfices curiaux, ceux de Carnoët, de Pleyben, de Plouguernével, de Berrien et enfin de Landeleau ; il en est donc pourvu de la collation pleine et entière puisque c’est lui qui y choisit et nomme les candidats aux bénéfices. Cela fait très peu pour un évêque qui se veut chef d’un diocèse pourvu d’un corps de recteurs qui lui soit docile et obéissant, qui applique ses directives pastorales localement. Pour la paroisse de Landeleau, il est précisé que « l’Évêque seul » détient le droit à la présentation. Pourquoi une telle précision ? En fait, Landeleau est en principe une prébende du chapitre cathédral de Quimper, en tout cas elle l’était sous les prédécesseurs de Mgr Conen de Saint-Luc. Selon Jean-Louis Le Floc’h, il a donc existé une convention, dont il ne reste aucune trace, entre l’évêque et le Chapitre de Quimper pour que le premier devienne l’unique présentateur à la cure en question et que le recteur en soit le décimateur. Une autre paroisse du Centre Bretagne est sujette à interrogation, celle de Berrien. Le patron était « olim un chanoine » – « « autrefois » un chanoine » – et est « nunc l’Év[êque] », le mot latin nunc signifiant « maintenant », « à présent ».
En effet, la présentation à la cure berriennoise relevait, sous les prédécesseurs de Mgr Conen de Saint-Luc, du Chapitre. Si l’évêque précise une telle information, c’est non seulement, évidemment, pour se souvenir de ce changement de présentateur, mais aussi parce qu’il doit se satisfaire d’avoir mis cette cure dans son escarcelle.
En regardant notre diagramme circulaire, l’on voit que la majorité des cures revient à « l’alternative » (40 au total). Pour mieux appréhender la pratique de l’alternative, il faut d’abord revenir aux sources du particularisme breton en matière de pratiques bénéficiales. Avant le rattachement de la province bretonne au royaume de France en 1532, les diocèses bretons appartenaient à une région d’obédience pontificale. Or depuis le concordat de Bologne de 1516, l’Église de France était en quelque sorte d’« obédience royale » : c’est le gallicanisme. Les juristes de cette doctrine, attachés aux droits de l’Église gallicane en France, avaient pour leitmotiv que dans toute province devait être appliqué le droit du royaume quelque soit sa date d’annexion. Malgré cela, la situation bretonne reste inchangée avec le roi Henri II qui, en 1549, reconnait les droits du Pape en Bretagne, notamment en matière de pratiques bénéficiales. Il y a donc une partie du royaume de France soumise au Concordat, une autre sous la houlette pontificale et dont la Bretagne fait partie ; en résultent des exercices particuliers en matière de distribution des bénéfices entre la Curie romaine et la péninsule bretonne. Première chose importante à retenir : une partie des bénéfices est à la collation et du pape et de l’évêque diocésain. Cela se peut grâce à la règle générale de la partition des mois encore appelée la règle des huit mois apostoliques. Selon celle-ci, toute cure devenu vacante suite au décès du recteur est à la collation pontificale si la vacance a lieu dans un des huit mois du pape, les deux premiers mois de chaque trimestre. Par conséquent, les bénéfices curiaux qui deviennent vacants lors des quatre autres mois reviennent à la collation de l’évêque. Il y a donc bien une bipartition du patronage des cures même si elle est assez aléatoire et peu égalitaire. Devons-nous aussi préciser que, si les évêques sont censés faire passer un examen approfondi aux candidats au poste de recteur (prescription tridentine qui est restée lettre morte dans la plupart des diocèses), le pape fait passer un concours à Rome aux candidats bretons avant d’accorder un bénéfice-cure.
A côté de cette règle générale de la partition mensuelle, dite de mensibus, il y aussi le cas particulier de la règle de alternativa ou de l’alternative. Il s’agit en fait d’une dérogation pontificale, accordée par l’intermédiaire d’un indult, à l’évêque d’un diocèse ; ce dernier dispose ainsi de la collation des cures venant à vaquer lors des mois pairs de l’année, alors que le pape ne détient plus que les mois impairs. Cette règle tend vers un certain équilibre entre nominations épiscopales et nominations papales. Ceci dit, tous les évêques ne disposaient pas de l’alternative, avantage certain pour ceux qui la détiennent par rapport à la règle générale. Mgr Conen de Saint-Luc fait partie de ces gens-là au regard des nombreuses paroisses haut-cornouaillaises dont le présentateur est « l’alternative ». Gardons en mémoire que l’alternative s’applique uniquement en cas de mort d’un bénéficier : la démission d’un ecclésiastique à la tête d’une paroisse n’entre pas dans la logique de partition de l’année en mois pairs et impairs ; dans ce cas précis, c’est l’évêque qui est tenu, à tout moment de l’année, d’exercer ses droits de plein collateur. Même si une bonne part des évêques du XVIIIe siècle détenaient l’alternative, sa réception et son utilisation (ou « application ») au quotidien impliquait, en théorie, des conditions strictes à respecter de la part de l’évêque. Non seulement l’ordinaire du diocèse, pour jouir des mois pairs, devait résider dans son diocèse et être présent dès le commencement de chacun d’entre eux, mais en plus, même s’il est présent dans son diocèse au début du mois et au moment de la vacance de la cure, il ne peut guère s’absenter entre ces deux moments. Dans la pratique, cette logique est peu appliquée, notamment quand l’absence épiscopale apparaît urgente ou nécessaire. L’indult d’alternative prend en fait la forme d’étrennes à l’endroit des évêques qui appliquent une des prescriptions fondamentales du concile de Trente qui leur est adressée, la résidence, même si cette dernière était un devoir. Voilà un élément qui met en lumière la stricte résidence de l’évêque cornouaillais, modèle en la matière. Dans le cas où l’alternative est mise en place dans un diocèse, le pape, comme dans la règle des huit mois apostoliques, choisit le nouveau recteur parmi les candidats ayant été reçus au concours organisé au préalable à Rome à cet effet.
Assurément l’alternative était une énorme bouffée d’air pour l’évêque de Quimper. En effet, en plus des cinq cures dont il est le « patron », il a le droit de nommer un mois sur deux, chaque année, les candidats aux 40 cures soumises à l’alternative. Et encore, si ce n’était que cela… Mgr Conen de Saint-Luc dispose en outre d’un second « avantage ». Une trentaine d’années avant son accession au siège épiscopal quimperois, il y eut une réforme dans l’organisation du concours pour les cures vacantes dans les mois apostoliques. Désormais, les bretons qui le passeront n’auront plus à faire des centaines de kilomètres jusqu’à Rome pour le passer, car il se déplace dans les diocèses de la péninsule bretonne. C’est le 1er octobre 1740 que le pape Benoit XIV décide cela, suite aux plaintes d’évêques qui mettaient en avant les inconvénients d’un examen dans la péninsule italienne. Le souverain pontife concède ensuite un « indult perpétuel pour le concours en Bretagne » qui est accordé dans une bulle pontificale. C’est à partir de 1741 que chaque diocèse a son propre concours. Ceux-ci, ouverts seulement à leurs diocésains, sont encadrés par des examinateurs choisis par l’ordinaire du diocèse. L’avantage de ce changement de lieu d’examen réside dans l’éloignement de Rome. Le pape ne pouvant être présent, c’est l’évêque qui fera connaître à ce dernier le prêtre sorti du concours qu’il estime le plus capable d’exercer la charge de recteur. Les provisions seront alors remises à ce dernier par simple « signature » papale. Après cette explication d’ensemble, l’on se rend compte que l’évêque de Quimper a la mainmise sur près de 45 cures haut-cornouaillaises sur 57 puisque, en plus d’être le présentateur à cinq rectories et aux cures vacantes lors des mois pairs de l’année (l’alternative), c’est à lui de « présenter » au pape les sujets sortis du concours qui lui semblent être les meilleurs à prendre possession des cures vacantes lors des mois impairs de l’année. En bref, pas moins de 79 % des cures haut-cornouaillaises reviennent à sa présentation, soit quatre sur cinq, ce qui est loin d’être négligeable. Cependant, il n’est pas l’unique présentateur aux cures de la région, qui compte notamment un patron laïque local.
Un patron laïque local : le baron de Rostrenen
Parmi ces patrons de Haute-Cornouaille, il y a le seigneur de Rostrenen, plus précisément le baron, présentateur à la cure de Kergrist-Moëlou. Ce patronage seigneurial local sur la cure kergristoise remonte à la fin du XVe siècle. A l’origine de cela, un miracle de l’année 1300 : celui d’un rosier, émergeant d’un buisson d’aubépine, qui fleurit en plein hiver et qui montre ainsi son plus beau costume d’été, coloré. S’en suit la découverte d’une statue de la Vierge par un habitant de la paroisse centre-bretonne à l’endroit même où les fleurs ont vêtu leur plus bel apparat lors de la saison froide. Peu à peu, une population conséquente afflue pour contempler l’image mariale qui fait suite au miracle. Cette sculpture de bois, qui donnera ensuite naissance au pèlerinage rostrenois de Notre-Dame du Roncier, est transférée à la chapelle du château de Rostrenen en attendant la construction d’un lieu de culte digne de ce nom et donc prompt à accueillir plus de monde. En effet, au fil des ans, les miracles se succèdent un à un, et de plus en plus de dévots y accourent. Un baron de Rostrenen prit alors l’initiative de construire un nouveau temple apte à recevoir la dévotion. A la fin du XVe siècle, Pierre IX, baron du Pont-l’Abbé et de Rostrenen, soumit au Pape sa demande d’ériger la chapelle Notre-Dame de Rostrenen en collégiale et en paroisse. En effet le seigneur de Rostrenen de l’époque, qui se serait senti pénétré d’une grande dévotion selon Jeanne Baudry, se propose de compléter le financement de la collégiale sur ses deniers propres. En 1483, le Pape délivra une bulle au seigneur lui permettant l’érection de la collégiale rostrenoise. Il mit de plus l’église de Kergrist-Moëlou sous la dépendance de la collégiale et instaura un doyen à la tête de la seconde, ainsi que six chanoines prébendés, à qui le sire de Rostrenen s’engageait à fournir une somme d’argent annuelle. En échange, Pierre IX, à l’origine de la fondation, et ses descendants en ligne directe eurent le droit de présenter les candidats à la dignité de doyen et aux canonicats. Et s’est ainsi maintenu pendant environs trois-cents ans le patronage des barons de Rostrenen sur les dignités canoniales de la collégiale, jusqu’au contemporain de Toussaint Conen de Saint-Luc.
Néanmoins, le carnet épiscopal stipule que le seigneur de Rostrenen est aussi présentateur à la cure de Kergrist-Moëlou. Comment expliquer cela ? Et comment comprendre pourquoi, dans ce même cahier épiscopal, Rostrenen est une succursale de la paroisse de Kergrist-Moëlou, alors que nous venons de dire que c’est l’église de Kergrist-Moëlou qui entrait par la suite dans la dépendance de la collégiale et paroisse de Rostrenen ? En fait, les deux éléments ne sont pas totalement contradictoires. L’on constate que le doyen du chapitre de Rostrenen et le recteur de Kergrist- Moëlou sont une seule et même personne : il s’agit d’un certain Jean-Paul Collet, nommé à ces deux fonctions en 1779. Le doyen de la collègiale rostrenoise devient donc ipso facto le recteur de Kergrist-Moëlou. Par ce biais, le baron de Rostrenen possède le patronage de la cure kergristoise puisque c’est lui qui propose son candidat à la tête du chapitre local, également recteur à Kergrist- Moëlou. Mais ce dernier chef de paroisse n’est pas tout à fait comme les autres, il se distingue par son rectorat dit « primitif et privilégié». Sous l’Ancien Régime, le terme de « curé primitif » (« recteur primitif » en Bretagne) désigne le clerc ou la communauté religieuse qui possède le patronage d’une paroisse et qui en nomme le desservant, ce dernier étant généralement « vicaire perpétuel »251. Si nous prenons à la lettre cette définition, le recteur primitif de la paroisse de Kergrist-Moëlou est la collégiale de Rostrenen, communauté religieuse canoniale. Sauf qu’il est marqué noir sur blanc dans le carnet de Mgr Conen de Saint-Luc que le présentateur à la cure de Kergrist-Moëlou est le seigneur de Rostrenen… Quelle explication à cela ? En fait, la collégiale est bien le recteur primitif de Kergrist-Moëlou mais par l’intermédiaire de son doyen, nommé par le seigneur de Rostrenen, présentateur au doyenné du chapitre et à la cure de Kergrist Moëlou.
Les patrons ecclésiastiques
Parmi ces patrons, l’un d’entre eux se démarque par le nombre de cures sous son escarcelle : l’abbaye pluriséculaire de Landévennec. Elle a la mainmise sur trois bénéfices curiaux : Lothey qui est un prieuré de l’abbaye, Landrévarzec et Edern. Ce n’est pas un hasard si ces trois paroisses proches entre elles se situent à une faible distance de l’abbaye : la plupart des communautés religieuses qui ont un droit à la présentation sur des cures l’ont dans des paroisses à proximité d’elles, ce qui est le fruit d’une appropriation déjà ancienne. Ainsi Landévennec exerce son influence sur une région bien déterminée. Le patronage de l’abbaye sur ses trois paroisses doit dater du Moyen Âge, période où les séculiers ne sont pas en nombre suffisant pour occuper les cures ; les communautés religieuses prennaient l’habitude de les desservir et d’en attribuer une portion à l’abbaye. La présentation aux trois cures sus-citées est donc restée dans les mains de l’abbé de Landévennec jusqu’au XVIIIe siècle. En fait, lors de la dernière décennie d’Ancien Régime, l’abbé de Landévennec est Toussaint Conen de Saint-Luc lui-même… En 1780, par une bulle du 8 novembre, le pape Pie VI nomme l’évêque de Quimper abbé de Landévennec. Selon Jean-Louis Le Floc’h, l’évêque de Cornouaille devenait plus précisément abbé commandataire de Landévennec et par voie de conséquence présentateur aux cures réservées à cet abbé. Étrangement, Mgr Conen de Saint-Luc ne précise nullement son droit dans son carnet et il y écrit que le présentateur des trois cures relevant de l’abbaye est bien « l’abbé de Landevenec ». En même temps, il a répertorié les présentateurs des paroisses de Haute-Cornouaille en 1779, soit un an avant sa nomination, il n’a donc pas dû actualiser son carnet par la suite. Sans doute ne l’a-t-il pas fait pour savoir à quelles cures la présentation lui revenait en tant qu’abbé de Landévennec. Ne pouvant administrer directement l’abbaye, il mit cette dernière, par procuration, en possession d’un prieur, et cela dès 1780. En 1781, il réunit même la mense abbatiale de Landévennec à sa mense épiscopale ; il le fit en raison des charges financières de son diocèse.
Outre les congrégations religieuses, des membres du Chapitre cathédral de Quimper ont un droit à la présentation dans certaines localités de Haute-Cornouauille. Parmi les plus éminents, le chantre du Chapitre, autrement appelé Grand Chantre, qui est le présentateur à la cure à Merléac273. Un autre haut-dignitaire du Chapitre, l’archidiacre du Poher, est le patron de la cure de Plonévez-du-Faou, sa prébende. Il s’agit d’Alexandre-Hyacinthe Du Laurents de la Barre, en fonction depuis l’année 1762. La paroisse de Spézet était aussi une des prébendes du Chapitre de Cornouaille : celle-ci était donc affectée à un chanoine prébendé qui a le droit d’y présenter son candidat en cas de vacance. L’évêque ne donne pas son nom, il se contente d’écrire « un chanoine ». Même chose concernant la paroisse de Glomel : le rédacteur du carnet écrit que c’est « le chapitre» qui en est le patron (le droit de patronage est donc ici collégial).
Une paroisse de la tournée haut-cornouaillaise, Briec, fait l’objet d’un contentieux entre l’évêque de Quimper et le Chapitre. Il nous est difficile de déterminer qui en est vraiment le présentateur. En effet, Mgr Conen de Saint-Luc écrit seulement que « le chap[itre] prétend l’être ». Dans le récapitulatif de la table alphabétique, il note comme présentateur « le chap[it]tre ou l’Ev[êque] », ce qui montre bien que le différend n’est pas réglé. Le recteur de Briec, un certain Jean-Baptiste Chevalier, a été nommé en 1773, avant le 1er mai de cette année, date de consécration de Toussaint Conen de Saint-Luc au siège de Saint-Corentin. Il donc dû être nommé par le Chapitre, pendant la vacance du siège épiscopal. Jean-Baptiste Chevalier est resté à la tête de la paroisse jusqu’au décès de l’évêque, en 1790281, ce qui ne nous permet pas de savoir qui aurait choisit son
successeur en cas de décès ou de départ du recteur.
Il peut y avoir aussi des patronages extérieurs à la province. Les chevaliers de l’ordre de Malte, anciennement appelé ordre de Saint-Jean de Jérusalem, ont ainsi un pied en Haute- Cornouaille par l’intermédiaire de deux commanderies locales : Maël-Pestivien et La Feuillée. Leur commandeur en est le patron : l’évêque l’appelle le « commandeur du Paraclet282 ». La commanderie de La Feuillée a probablement été fondée dans la première moitié du XIIe siècle par les ducs de Bretagne. Puis, à partir de la fin du XVIe siècle jusqu’à la Révolution, huit commanderies originellement indépendantes sont regroupées en une seule et qui porte le nom de La Feuillée284. Le candidat présenté par le seigneur-patron de la paroisse ne prendrait, selon Guillotin de Corson, que le statut de vicaire (curé en Bretagne, rappelons-le), le même commandeur étant considéré comme curé primitif (ou recteur primitif)285. Dans la décennie 1779-1788, il y eut deux commandeurs successifs à la tête de La Feuillée. Le premier, Louis-Georges-Henri Le Jumeau des Perrières, y resta 5 ans jusqu’à sa mort en 1780286. Le second, Alexandre-Louis-Hugues de Freslon de la Freslonnière, fût le dernier des commandeurs, de 1781 à 1789287. L’évêque de Quimper le désigne sous la dénomination de commandeur « du Paraclet », c’est-à-dire de la commanderie de Saint-Jean du Paraclet ou « Palacret ». Le Paraclet, uni à la Feuillée au XVe siècle, était dès cette époque le lieu de résidence privilégié de certains commandeur. C’est pour cette raison que l’évêque de Cornouaille a présenté le commandeur par son lieu de vie, le manoir de Paraclet en la commanderie du même nom, elle-même rattachée à la commanderie feuillantine.Les présentateurs laïques ne sont représentés que par un seul homme, le seigneur de Rostrenen, patron de la cure de Kergrist-Moëlou. Cette situation n’a rien d’extraordinaire. En effet, en Bretagne, la plupart des cures et des canonicats ont des patrons ecclésiastiques, réguliers ou séculiers, tandis qu’il y a majoritairement des patrons laïques à la tête des chapellenies300. Pour preuve, dans le diocèse de Vannes, au milieu du XVIIe siècle, 1 % des cures est sous patronage laïque.
A première vue, cette répartition des patronages facilite le gouvernement de la Haute- Cornouaille d’un point de vue administratif et pastoral ; la part du lion revient à l’évêque qui a en sa possession plus de huit cures haut-cornouaillaises sur dix. Rosie Simon-Sandras, qui ne prend certes pas en compte le système de l’alternative dans son analyse, affirme que les évêques « n’ont pas un très grand rôle dans l’attribution des bénéfices » : ce n’est pas le cas de Toussaint Conen de Saint- Luc à la fin de l’Ancien Régime. Il faut cependant faire attention, l’évêque n’est pas « un super patron », car 15 % des bénéfices sont à la présentation d’autrui. Bien qu’elle soit très faible, cette « dispersion » de la présentation aux cures peut contraindre le déploiement de la pastorale épiscopale dans le diocèse, le prélat ne pouvant choisir comme il l’entend l’ensemble des recteurs de Haute-Cornouaille. L’évêque, généralement collateur des paroisses, devra, bon gré, mal gré, accepter les candidats présentés par d’autres patrons au moyen d’un visa ; ces présentations s’effectuent par tout un système de clientèle et de recommandations. Mgr Conen de Saint-Luc risque ainsi d’avoir comme collaborateur de son action pastorale un clergé hétérogène un corps de recteurs disparate, même après examen de ses bonnes moeurs et de ses qualités intellectuelles. Tel est l’enjeu de ce système bénéficial de Haute-Cornouaille.
Le rapport origine citadine/origine rurale
En tout, sur les 456 prêtres nés dans le diocèse, vingt-six sont d’origine « citadine », soit presque 6 % des prêtres originaires. En enrichissant ce chiffre de celui des bourgs – au sens de « bourgade » – ou des « petites villes » (Rostrenen42, Pont-Croix, Audierne, Locronan, Douarnenez), l’on a alors un résultat de trente-sept prêtres d’origine urbaine, ce qui correspond à 8 % de l’ensemble. Ce sont donc les paroisses rurales qui permettent au clergé de Haute-Cornouaille de se renouveler dans sa très grande majorité ; ce poids du monde rural dans le recrutement des prêtres semble être, selon Jean Quéniart, « assez caractéristique » des provinces du nord-ouest de la France. Pourtant, le même Jean Quéniart écrit en 1978 que la « sur-présentation du clergé d’origine urbaine est partout évidente » dans un pays qui compte 80 à 90 % de ruraux. Aussi affirmait-il que le pourcentage de prêtres d’origine rurale dans le diocèse de Coutances, au début comme la fin du XVIIIe siècle, qui est de 70 à 75 %, est un pourcentage maximum. La Haute-Cornouaille dépasse largement ce taux avec ses 92 ou 94 % de ruraux selon qu’on inclue ou non les prêtres de grosses bourgades dans le calcul. Certes cette région n’est qu’une partie d’un diocèse – une grosse partie, tout de même –, mais il faut quand même tenir compte de la réalité des chiffres et de ce qu’ils signifient pour un si vaste territoire. Évidemment, il faudrait étudier la Cornouaille dans son entier à la même époque : elle comprendrait ainsi plus de prêtres d’origine urbaine puisque les villes se situent surtout en Basse-Cornouaille. Les conditions d’instruction préalables à l’entrée au séminaire et la constitution du titre clérical qui requiert une certaine aisance financière n’ont pas dû décourager ceux qui aspiraient à une carrière dans les ordres.
Haute-Cornouaille
Le nombre de prêtres du carnet originaires de Cornouaille est si important qu’il masquerait presque ceux qui sont d’origine extra-diocésaine.
Les prêtres d’origine extra-diocésaine
Pour pouvoir quitter son diocèse d’origine, dans le but d’exercer sa prêtrise sous l’autorité d’un autre évêque, un ecclésiastique doit préalablement obtenir une autorisation en bonne et due forme de son évêché d’origine : c’est l’exeat. Celui-ci est délivré soit par l’évêque, soit par l’un de ses grands vicaires. Il fallait aussi obtenir une permission d’exercice du nouveau diocèse, en tout cas si ce dernier est celui de Quimper.
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Table des matières
Introduction
I – Le cadre historique et géographique du carnet de Mgr Conen de Saint-Luc
A) Le cadre historique et temporel
1) Réforme catholique, réforme du clergé
2) Mgr Conen de Saint-Luc, évêque réformateur
B) L’aire géographique couverte par le carnet
1) La tournée de Haute-Cornouaille : un territoire étendu
2) Les lacunes du carnet de Haute-Cornouaille
II – Le carnet de Mgr Conen de Saint-Luc : un document en partie étudié
A) Le contenu du carnet
1) Les paroisses et les prêtres de Haute-Cornouaille
2) Le carnet de Haute-Cornouaille, un aide-mémoire
B) Les moyens de l’évêque pour se repérer dans son carnet
1) Un système de renvoi bien huilé
2) Retrouver et reconnaître les prêtes dans le carnet
3) Des interrogations
C) Une source partiellement inédite
III – Le carnet de Mgr Conen de Saint-Luc : un document rare et exceptionnel parmi les sources de visites pastorales
A) L’étude des visites pastorales
B) Les sources de visites pastorales de la Haute-Cornouaille et leur critique
1) Le croisement du carnet de Haute-Cornouaille avec d’autres sources
2) Les carnets d’évêques et celui de Mgr Conen de Saint-Luc
C) L’historiographie du Centre-Bretagne, du clergé et de l’action épiscopale
Problématique et annonce du plan
PARTIE I – La Haute-Cornouaille : visites pastorales, prêtres, carrières ecclésiastiques
Chapitre 1 : la visite des paroisses de Haute-Cornouaille sous l’épiscopat de Mgr Conen de
Saint-Luc
I – La visite épiscopale des paroisses de Haute-Cornouaille
A) L’organisation des visites de la la tournée épiscopale
B) L’itinéraire emprunté par l’évêque de Quimper
C) Les conditions de la visite
II – La situation matérielle des paroisses de Haute-Cornouaille
A) L’état des bâtiments du culte
B) Le mobilier des églises de Haute-Cornouaille
C) Les ornements des églises
D) Les autres aspects de l’inspection épiscopale
III – L’enjeu des visites pastorales : un système bénéficial à la faveur de Mgr Conen de Saint- Luc
A) Un patronage de l’évêque étendu
B) Un patron laïque local : le baron de Rostrenen
C) Les patrons ecclésiastiques
D) Bilan récapitulatif
Chapitre 2 : les prêtres
I – L’origine géographique des prêtres de Haute-Cornouaille
A) Les prêtres d’origine diocésaine
1) L’origine paroissiale des prêtres natifs de Cornouaille
2) Le rapport vocation/population en Haute-Cornouaille
3) Le rapport origine citadine/origine rurale
B) Les prêtres d’origine extra-diocésaine
1) L’origine des prêtres « étrangers »
2) Les carrières des prêtres « étrangers » et les raisons de leur présence
II – Ordinations sacerdotales et milieu de vie des prêtres
A) Le nombre des ordinations
B) L’âge d’ordination
C) Le milieu de vie
1) Le milieu familial
2) La résidence des prêtres dans leur paroisse
Chapitre 3 : les carrières et les migrations sacerdotales
I – Devenir recteur en Haute-Cornouaille
A) Le concours pour les cures
B) Résignation et permutation des cures
C) La nomination par un patron ecclésiastique, laïque ou épiscopal
II – Curés et autres prêtres
A) Les curés de paroisse et de trève
B) Les autres prêtres
1) Les « prêtres habitués »
2) Les desservants de chapelles
3) Les fonctions salariées
III – Les migrations sacerdotales
A) Mgr de Conen de Saint-Luc, maître des déplacements de son clergé
B) Les prêtres de Haute-Cornouaille : entre stabilité paroissiale et migrations diocésaines
1) Un clergé de Haute-Cornouaille d’une indéniable stabilité
2) Des prêtres haut-cornouaillais mobiles
3) Les migrations extra-diocésaines en Bretagne
C) Les carrières des prêtres natifs de l’enclave francophone du diocèse
1) Les prêtres ne parlant pas ou sachant mal le breton
2) Les prêtres francophones ayant appris le breton
3) L’ensemble des prêtres de l’enclave francophone
PARTIE II – Le clergé de Haute-Cornouaille : qualités, compétences, comportement
Chapitre 4 : l’échelle d’appréciation épiscopale sur le personnel ecclésiastique
I – Le postulat de Mgr Conen de Saint-Luc : le modèle du « bon prêtre » tridentin
A) Avoir des talents
B) Posséder cinq qualités essentielles
C) Autres qualités et défauts
II – L’image que l’on donne de soi : santé, caractère et apparence physique
A) L’état physique des prêtres : âge et santé
B) Le caractère et l’apparence physique des prêtres
1) Le caractère
2) Le paraître des prêtres : vêtement et morphologie
III – Les prêtres de Haute-Cornouaille : des meilleurs aux plus mauvais
A) Une très grande majorité de sujets de qualité
B) Les prêtres de qualité moyenne et inférieure
C) Les changements de qualité de prêtres (1779-1788)
1) La qualité fluctuante de prêtres du carnet
2) Les jeunes prêtres, une évaluation au sortir du séminaire en adéquation avec la note de l’évêque ?
Chapitre 5 : les fonctions et les devoirs du clergé
I – Les fonctions incombant à la charge sacerdotale
A) La célébration des offices
B) L’administration des sacrements
C) La tenue des registres paroissiaux
II – La pastorale tridentine : prédication et instruction
A) La prédication
1) Le prône et le prêche
2) Les stations et les missions
B) L’éducation religieuse et profane des enfants
1) Le catéchisme
2) Les petites écoles
III – La formation permanente du clergé
A) Les études
B) Les conférences ecclésiastiques
C) La retraite annuelle
Chapitre 6 : le comportement et la discipline du clergé
I – La conduite et les moeurs
A) La conduite
B) Les moeurs
II – Ivresse et ivrognerie des prêtres
A) Le vocabulaire employé par Mgr Conen de Saint-Luc
B) Une échelle d’appréciation épiscopale basée sur différents paramètres de gravité (quantité, fréquence, espace et moment de l’enivrement)
C) Le scandale généré par les prêtres alcoolisés
D) Repérer l’ivrognerie et la corriger : les résultats
III – Les autres écarts de conduite
A) Les querelles
B) Irrespect et indiscipline envers la hiérarchie diocésaine
C) Les mauvaises distractions et activités
PARTIE III – L’évêque de Quimper et la Haute-Cornouaille : administration d’une périphérie et répression de l’indiscipline ecclésiastique
Chapitre 7 : L’administration d’une périphérie : la Haute-Cornouaille dans le diocèse de Quimper
I – L’administration de la Haute-Cornouaille
A) L’administration directe : les visites pastorales des évêques de Quimper
B) L’administration indirecte : les délégués de l’évêque sur place
1) Les vicaires généraux
2) Les autres proches collaborateurs de l’évêque
3) Les recteurs
II – Une institution centrale en Haute-Cornouaille : le petit séminaire de Plouguernével
A) La fondation du petit séminaire de Plouguernével
B) Les dirigeants du petit séminaire et de la paroisse de Plouguernével : des disciples du Père
Maunoir
C) Le petit séminaire de Plouguernével au XVIIIe siècle : une maison d’enseignement pour jeunes clercs
Chapitre 8 : les prêtres fautifs : de la réforme à la mise à l’écart
I – Réformer le clergé : les méthodes
A) Prévention et rappel à l’ordre
1) Surveiller et interroger
2) Avertir et menacer
B) Les méthodes d’encadrement et de recadrage des prêtres
1) Le rôle primordial des recteurs
2) L’envoi au séminaire
C) Réprimer l’indiscipline ecclésiastique : l’interdiction d’exercice
1) Les raisons et les formes de l’interdiction
2) La durée et la fréquence de l’interdiction
3) Le rôle des délégués épiscopaux
II – La mise à l’écart des prêtres indociles
A) Bannissement et isolement
1) Le bannissement du diocèse
2) Isolement et enfermement
B) La procédure de lettres de cachet : le cas d’un prêtre accusé avec raison
1) La procédure d’enfermement de Christophe Le Roux à Lanmeur
2) Le transfert de Christophe Le Roux à l’hôpital Saint-Méen
C) La procédure de lettres de cachet : le cas d’un prêtre accusé à tort
1) La tentative d’enfermement d’Yves-François Le Millin
2) Le zèle d’un évêque dupé pour enfermer un prêtre calomnié
Vers la Constitution civile du clergé …et vers le Concordat
Conclusion générale
Sources
Bibliographie
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