La première impulsion
C’est donc sans surprise que le premier artisan politique d’une reconnaissance institutionnelle de la danse contemporaine en France soit un homme du sérail politique, proche du pouvoir, dont le parcours s’inscrit en faux parrapport aux instances chorégraphiques académiques.
Il est ici question de Michel Guy, proche du président Pompidou. Ce dernier aurait vu « d’un bon œil que son ami Michel Guy soit nommé administrateur général de l’Opéra de Paris » . Pour des raisons de maîtrise budgétaire, Michel Guy ne sera pas nommé à la tête de l’immense institution parisienne, mais à la tête d’une autre, plus modeste : le Festival d’Automne dont les missions aujourd’hui encore affirment une posture résolument défricheuse.
C’est sous la présidence de Valery Giscard d’Estaing, alors que Michel Guy est nommé secrétaire d’Etat à la Culture, que la danse contemporaine reçoit son soutien le plus décisif : « entre 1974 et 1976 […] il poursuit une action résolue en faveur de l’avant-garde artistique » . Les formes chorégraphiques innovantes trouvent donc grâce aux yeux de l’institution dès les années 1970, et les deux courants de la danse contemporaine sont représentés dans le milieu français : alors que Jack Lang programme l’immense artiste expressionniste allemande Pina Baush dans son festival de Nancy en juin 1977, la préférence de Michel Guy va au courant américain, et il en programme dans son festival d’Automne à Paris de grandes figures comme Merce Cunninghamou Trisha Brown. D’après ses propres paroles, l’ambition est clairement d’opérer une « greffe » de la danse moderne américaine sur le milieu français : « Les Etats-Unis sont incontestablement les maîtres de la danse moderne […] j’espère qu’un jour il y aura une école française modernecomme il y a une école classique. En attendant, il faut donner à nos danseurs la possibilité d’apprendre ici même, à longueur d’année, la technique américaine enseignée par de très grands maîtres.»
Institutionnalisation et structuration du champ en quelques dates
Les « tutelles », car dans le cas de la danse contemporaine il s’est effectivement agit d’accompagner la croissance d’un secteur, ont développé et mis en place un cadre institutionnel solide et productifqui reste aujourd’hui encore au cœur des pratiques professionnelles (où l’essence des revendications est d’ordre purement économique et se tourne régulièrement vers les pouvoirs publics –comme la danse académique dans les années 1960).
Si Michel Guy a étéle premier promoteur institutionnel de ladanse contemporaine en France, Jack Lang a lui aussi défenducette esthétique. A l’image de leur rivalité, quand le premier défend le courant des modernes américain, le second prend le parti des expressionnistes allemands. C’estau début des années 1980, avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir et le doublement des crédits à la politique chorégraphique que l’institutionnalisation du secteur prend forme :
• 1982 | Les professionnels du secteur souhaitent la mise en place de cadres institutionnels propres à la danse depuis plusieurs années. Avec la nomination de Maurice Fleuret à la direction de la délégation de la musique, de l’art lyrique et de la danse, la danse obtient une « division » distincte dans l’organigramme ministériel.
• 26 avril 1984 | Le ministre Jack Lang instaure la notion de « centre chorégraphique national » au cours d’une conférence de presse. Ce réseau devient le « volet essentiel de l’intervention du ministère de la culture dans les années quatre-vingt»
• 1985 | la création des centres chorégraphiques nationaux est entérinée par la publication d’une note d’intentions en faveur de la politique chorégraphique intitulée « Nouveaux Pas Pour la Danse»
• 1987 | une délégation à la danse est crée au sein des services centraux du ministère
• 1998 | création du centre national de la danse ayant pour enjeu le développement de la « culture chorégraphique » dans l’ensemble du corps social (avec la création d’un musée de la danse et d’une bibliothèque). Ses trois missions principales sont la formation et le service aux professionnels, le soutien à la création et à la diffusion et la valorisation du patrimoine existant en danse contemporaine.
Publication la même année d’une charte de missions de services publics pour le spectacle vivant qui place au cœur des missions de production et de diffusion de l’art vivant la notion de « résidence » d’artiste sur le territoire. Redéfinition organisationnelle du ministère, la danse réintègre une direction plurisectorielle.
• 2007 | la danse apparaît de nouveau dans l’organigramme ministériel comme section distincte mais sans budget propre.
• 31 août 210 | circulaire ministérielleportant sur « les labels et réseaux dans le spectacle vivant »en France, dont les annexes établissent des cahiers de charges pour chaque labels, dont celui de « centre chorégraphique national ».
Au delà des repères temporels et institutionnels posés, l’observation de ces différentes interventions publiques dans le champ chorégraphique contemporain permet d’apprécier la structuration de celui-ci. Il n’est plus à démontrer que les choix du ministère en matière de découpage administratif sont programmatiques tant ils organisent la manière de penser le champ.
D’un point de vu général, il est à noter que deux visions administratives sont possibles : d’une part le regroupement des arts vivants dans une optique transversale du secteur permettant de saisir les enjeux globaux et propre à définir une vision d’ensemble ; d’autre part la sectorisation par secteur professionnel et par esthétique propre à répondre aux revendications des champs professionnels et à en assurer la reconnaissance institutionnel. Deux visions qui ont chacune leur légitimité, qui favorisentoù la transversalité ou l’esprit de chapelleetpermettent soitla diffusion de l’hybridité soit l’apparition de courants forts d’arts vivants reconnaissables (et donc exportables).
D’un point de vue plus resserré sur le champ, « l’organisation du ministère scinde donc le secteur chorégraphique en deux ensembles : d’un côté, les troupesrattachées à des structures du monde lyrique ; de l’autre l’ensemble des activités de création, de diffusion et d’enseignement s’exerçant à l’extérieur des maisons d’Opéra. ». Au sein de cette indétermination, le ministère affine certaines catégorisation, aujourd’hui structurelles pour le secteurchorégraphique : les catégories de subventions découpent le champ professionnel en trois grands ensembles. D’abord les troupes de ballets de danseurs de formation classique puis dans un second temps les compagnies indépendantes (dont les aides sont encore hiérarchisées en trois niveaux ) et les compagnies installées en centres chorégraphiques nationaux.
Cette structurationva de paire avec une plus grande autonomie des échelons territoriaux, portée par une dynamique interne au champ culturel de déconcentration qui donne aux DRAC une plus grande autonomie, et par une dynamique de politique générale de décentralisation qui donne aux pouvoirs publics locaux une place plus grande dans la définition de leurs politiques. Malgré le faible nombrede décentralisationsproprement culturelles, la dynamique générale de montée en capacité des acteurs locaux a donné aux collectivités territoriales des envies et des aptitudes à la gestion d’affaires culturelles sur leurs territoires. De sorte que s’instaure dans cettegestion le modèle partenarial EtatCollectivités décrit et analysé par Guy Saez. La coopération entre les services de l’Etat (centraux et déconcentrés) et les collectivités territoriales est nécessaire à la cogestion des activités culturelles sur l’ensemble du territoire, cette structuration politique amène à l’instauration d’un système de contractualisation généralisé que l’on observe très bien dans le secteur chorégraphique où pendant plus de vingt ans se sont créés les centres chorégraphiques « nationaux », véritables outils de politique nationale comme nous l’avons vu, par simple convention entre partenaires. L’instauration de ces centres repose donc sur des bases mouvantes qui sous couvert d’autonomie et de liberté laissée aux collectivités territoriales ont su développer un certain autocratisme et un flou obscur quant aux décisions présidant aux carrières artistiques et professionnelles dans ce secteur.
Dilemmes de politique culturelle
Le dilemme organisationnel ici évoqué entre liberté laissée aux différents échelons institutionnels et nécessaire harmonisation des situations labellisées sur le territoire national, n’est pas le seul à se poser à la puissance publique. D’autres éléments relevant de choix politiques sont à étudier. Le modèle observé ici est la résultante de plusieurs stratégies d’action –dont la première (et non la moindre) est donc le choix d’une dynamique partenariale entre les différents échelons de pouvoirs publics.
Raymonde Moulin a « identifier les principaux dilemmes de choix auxquels se trouvent confronter les politiques artistiques » dans le cadre d’un « Etat-mécène » devenu « Etatprovidence » après la seconde guerre mondiale. Ces « politiques artistiques » sont de deux ordre : les politiques redistributives, et les politiques distributives. Les premières concernant l’emploi artistique et les secondes le soutien à la création. Pour ce qui est des politiques d’aide à l’emploi artistique –politiques redistributives « fondées sur un principe égalitaire » –« le problème est de répondre à la revendication de sécurité des artistes sans porter atteinte à leur conception de la liberté créatrice ».
De ce problème, les gouvernements français se sont bien emparés pour le secteur du spectacle vivant en proposant un système plutôt performant d’indemnisation des périodes chômées. Sur ce point,nous revenons plus bas sur les utilisations du système qui peuvent elles, poser quelques questions.
Par ailleurs les pouvoirs publics ont a définir les ayants droit du système « sans recourir à la définition d’un statut d’artiste », de là est posé clairement qu’il n’est pas de « statut d’intermittent » et que l’ouverture de ces droits n’est en rien équivalente à une entrée dans la vie artistiques professionnelle : il est autant d’artistes non intermittents que de professionnels intermittents du spectacle non artistes.
Pour ce qui est des politiques de soutien à la création artistiques les questions posées sont plus délicates. Elles sont contenues dans l’alternative présentée par Raymonde Moulin : « Dans le cadre des politiques distributives d’aide à la création, le dilemme est celui de l’égalitarisme et de l’élitisme. La politique à visée sociale implique le partage à peu près égal de la manne publique entre tous les prétendants à l’exercice d’une activité artistique. Cette politique s’appui sur une conception pluraliste et relativiste de la qualité des œuvres La politique à visée patrimoniale est une politique sélective, assumée comme tellepar des responsables administratifs qui se réfèrent à une hiérarchie des valeurs élaborée par des spécialistes. » .
Dans le cadre des politiques artistiques mises en place dans les années 1960 –1980 en soutien à l’art contemporain, faire appel aux spécialistes dans la désignation des valeurs à soutenir s’est avéré une nécessité. Remarquons ici, et nous le développerons plus tard, que ceci n’est pas sans poser de problèmesdans le cadre d’un art dont la valeur s’établi dans l’immédiateté et dont les acteurs fixant les prix et les reconnaissances institutionnelles sont en même temps les acteurs du jeu économique et professionnel.
L’analyse proposée par Raymonde Moulin abouti à une typologie distinguant deux modeles d’intervention de l’Etat : le ‘saupoudrageégalitaire » –ou « éparpillement » des subventions –sans choix esthétiques majeurs ; et la « promotion de la modernité / soutien à l’excellence ».Les outils de mise en place de l’une ou de l’autre de ces dynamiques sontla réglementation et la fiscalité.
Pour ce qui est de la danse contemporaine, les politiques artistiques ont d’abord résolument penché pour une dynamique « élitiste » reposant sur la mise en place d’outils au service de l’excellence –ce qui dans un art refusant tout acte définitionnel n’est là encore pas sans poser quelques soucis quant aux méthodes de hiérarchisation. Cette dynamique reste à l’œuvre bien que les centres chorégraphiques nationaux aient aujourd’hui obligation de chercher à s’ouvrir à différents vents (accompagnement des amateurs, des jeunes artistes, travail avec les habitants d’un territoire, etc.).
D’après Raymonde Moulin, « il n’existe sans doutes aucun exemple historique d’une société qui soit parvenue à surmonter de façon parfaite l’antinomie de la liberté de création et de la liberté du créateur. Peut-on […] « soutenir sans influencer », « inciter sans contraindre », « subventionner sans intervenir » […] ? ».
Analyse du cadre administratif posé
Le modèle institutionnel repose sur deux fondements principaux : un afflux massif de fonds publics en 1981/1982 hors de tout cadre règlementaire institué et une structure institutionnelle bricolée, inspirée de ce qui existait déjà pour la danse, soit les troupes de ballet classique. Si ce modèle a su rapidement répondre aux ambitions d’émergence et de consolidation de la présence de la danse contemporaine sur le territoire français, il est également la matrice de « la crise » à l’œuvre dans le secteur.
Le Prince et l’Artiste
D’après Muriel Guigou la « cristallisation des centres chorégraphiques nationaux trouve son origine dans leur structure rigide basée sur la figure d’un chorégraphe-directeur. Cette auteure est particulièrement attachée aux valeurs de création collective défendues par les modernes et déplore que les cadres institutionnels de la danse contemporaine s’en éloignent et promeuvent comme dans les institutions académiques l’autorité du chorégraphe –et par suite la marginalisation de la place desdanseurs. Il apparaît rapidement que l’ambition d’« inciter sans contraindre » est une fable :les cadres proposés par les pouvoirs publics structurent nécessairement les pratiques –dont les autorités politiquesne sont d’ailleurs pas absentes.
Le point observé ici est le plus révélateur de cette matrice d’action, il est donc aussi le plus délicatà traiter, il s’agit de la nomination des directeurs de structure.
Dans un premier temps, jusqu’en 2010, aucune procédure précise de nomination n’était établie : « le processus d’attribution de subvention décrit pour les compagnies indépendantes, est opaque pour les CCN. Il est indiqué au cours d’un rapport qu’un chorégraphe et un élu doivent « se choisir » mais plus loin que la Direction de la Danse joue un rôle important » . Ici sont évoqués en mêmetemps les liens étroits entre centres chorégraphiques nationaux et pouvoirs locaux, comme le rôle prépondérant des services ministériels dans les procédures.
Le texte aujourd’hui établi reprend les grandes lignes des procédures en pratique depuis les origines de l’outil centre chorégraphique national, sans entrer dans les détails des procédures. Cette absence de formalisation règlementaire n’est significative que par la position politique qu’elle traduit, car dans les faits les acteurs concernés maîtrisent les rouages et aucune lacune d’information n’est observable. Position politique donc, assez finement traduitepar Patrick Germain –Thomas.
Le vague est entretenu par une gestion très intéressante de l’information en matière de nomination des directeurs de structures. Ces procédures sont couvertes d’un silence assourdissant : « comment se fait-il qu’aucune indication ne soit donnée à propos de la nomination de ces chorégraphes, au moins dans le Bulletin officiel, ce qui est l’usage pour les autres domaines artistiques ? Cette situation de non-information dans les documents émanent du ministère ne répond pas aux valeurs et aux normes du système démocratique » . Cette « non-information » – peut-être moins vraie à l’heure des réseaux sociaux et de l’information en temps réel –répond donc à d’autres enjeux que l’impératif pourtant puissant de démocratie.
Malgré une volonté de façade de formalisation des relations entre les centres chorégraphiques nationaux et les pouvoirs publics, les approximations restent de mise et il semble que l’action ministérielle ne soit pas prête à renoncer à l’outil des nominations comme acte politique fort. Muriel Guigou pointe la formalisation des cadres de référence des labels « centres chorégraphiques nationaux » comme une condition de dépassement de la « cristallisation »qu’elle observe. Cette « définition officielle » du label adepuis été donnée mais cela n’empêche en rien les procédures de rester caligineuses.
Une tentative de définition officielle du label « centre chorégraphique national »
Ces centres chorégraphiques sont dit « nationaux » quand ils ont longtemps été l’expression de particularismes inter-personnels à travers le territoire national –les difficultés rencontrées par l’Association des centres chorégraphiques nationaux (ACCN) à représenter les dix-neuf centres chorégraphiquesdisent assez les disparités et les particularités revendiquées de chaque structure. Depuis août 2010 cependant, le ministère de la culture a tenté une définition uniformisant les missions ; le corolaire du flou initial et de la liberté laissée à chaque chorégraphe de mettre en place sur son territoire les missions relevant à la fois de son appétit propre et des intérêts des pouvoirs publics avec lesquels il a contracté a obligé la centrale a opérer un choix vingt-six ans après l’instauration de l’appellation « centre chorégraphique national » : soit il nie certaines particularités mettant par là fin à certaines expérimentations, soit il établi un label parapluiecomme somme de l’existant.
Les centres chorégraphiques nationaux, un modèle essoufflé
Les centres chorégraphiques nationaux ont été pensés comme outils uniques de la politique chorégraphique en France. Comme toute institution très en vue, ils attirent nombre de critiques.
Certaines limites du modèle viennent directement de son étendue : les centres chorégraphiques nationaux semblent voués à absorber toute nouvelle compétence, tout nouvel enjeu apparu dans le secteur chorégraphique, d’où que cela ne vienne. Or ces institutions, bien qu’établies confortablement dans le paysage culturel français, n’ont pas des ressources illimitées. Que l’essoufflement se fasse ressentir au niveau des budgets ne permettant pas la mise en place d’actions à tous les niveaux de la production des œuvres du directeur, aux projets de territoire en passant par l’accueil d’artistes ou de chercheurs en résidence ; ou au niveau des équipes qui bien que très investies n’en demeurent pas moinsn’avoir des journées de 24h uniquement, le modèle se trouve aujourd’hui face à sa propre finitude. Cette critique là est faite par le secteur lui-même et trouverait certainement résolution dans une augmentation des budgets –solution qui si elle ne règle jamais complètement les questions posées, peut ici en épuiser une grande partie.
D’autres critiques sont moins liées aux moyens mis en œuvre qu’aux objectifs et aux cadres d’action définis. Il s’agit d’une part de vices propres à la constitution du système institutionnel. Dès 2004, Muriel Guigou relève « les signes d’un nouvel académisme » qui pour elle sont pleinement liés aux contraintes de production et aux modèles de domination induits par le cadre institutionnel. Elle situe les sources d’une « crise des centres chorégraphiques nationaux » dans la place d’autorité conféré au chorégraphe – directeur : « quand l’Etat finance la danse, c’est un chorégraphe qu’il soutien ». Dès lors c’est sur la valeur des noms des créateurs –n’étant plus reconnus comme tel que les chorégraphes quand les premières expériences de nouvelle danse française s’attachaient à mettre en avant le groupe et la place de co-auteurde chaque danseur en tant qu’individualité créative –que se constitue la valeur d’une compagnie.
Ainsi l’institutionnalisation des compagnies de la nouvelle danse française en centres chorégraphiques nationaux serait à l’origine de modifications d’ordre esthétique permettant à certaines notions dénoncées dans l’académisme de réapparaitre dans le milieu de la danse contemporaine des années 1990 : l’autorité du chorégraphe réinstaurée aurait aboutie à la réaffirmation de la notion de style (contrairement aux intensions initiales de la danse moderne qui cherchait non une forme mais un processus de création chaque fois renouvelé) et de celle de répertoire. Pour l’auteure, « nous ne sommes plus très loin de la codification stylistique figée de la danse académique transmise de génération en génération. A part que, pour la danse contemporaine, ce n’est pas un code commun à tout un courant de danse mais le style individuel d’une personne.
». Cette place du chorégraphe –directeur dont les modalités de nomination et de perpétuation à la tête d’une institution savent rester floues –a induit petit à petit une accusation de fermeture des institutions sur elles-mêmes, que les centres chorégraphiques nationaux tentent de pallier par divers stratagèmes d’ouverture (à l’étranger, à la jeune génération chorégraphique, aux habitant, etc.), qui sont loin de toujours convaincre.Il est toutefois possible de nuancer l’importance du rôle de l’institution en prenant en compte d’autres paramètres tels que l’effet de génération qui sépare aujourd’hui les chorégraphes de leurs danseurs, ou l’appétit des artistes pour des recherches personnelles. Ceci posé, le modèle par sa puissance normative, la distance chorégraphe –danseurs, comme le titre de « directeur artistique » accordée au chorégraphe, s’est aujourd’hui largement répandu dans le secteur. D’autres éléments systémiques sont cloués au pilori par l’auteure comme « l’obligation à produire » et la démultiplication des missions du chorégraphe devenu chorégraphedirecteur. Selon Muriel Guigou, ces obligations sont à l’origine d’un désinvestissement dans l’acte créateur et un renoncement aux valeurs profondes de la création, ce que Laurence Louppe appelle « le travail de la danse » soit la création de protocoles de recherche d’une matière gestuelle, et non pas l’installation rémunératrice d’un « style » voir d’un « répertoire »(notion qui n’a qu’une dizaine d’années dans le secteur de la danse contemporaine et qui semble encore très problématique). Ce que d’autres auteurs affirment également.
Les mécanismes du marché et le jeu des acteurs
Ce qui est ici énoncé comme vrai pour les arts plastiques peut également s’entendre pour les autresformes de l’art « contemporain ». Laplace qu’occupent aujourd’hui les mécanismes marchands dans les relations entre acteurs et dans les contraintes de production artistique dans le domaine subventionné de la danse contemporaine est l’élément le plus étonnant de cette exploration professionnelle initiale. Plus que la contradiction apparente avec les ambitions esthétiques et politiques premières du courant chorégraphique moderne, l’infiltration et le noyautage du secteur de la danse contemporaine par des mécanismes de marché hyper concurrentiels et ultra-libéraux pourraient avoir des répercutions sur les relations interpersonnelles de travail et sur les perspectives d’avenir du champ.
C’est un truisme dans le secteur que d’affirmer les artistes « exploités » par les « personnels renforts » (administrateurs et producteurs) qui s’étant mis à l’abri des aléas de l’activité (en CDI donc)usent et abusent de la précarité associée à l’imagerie de « la vie d’artiste ». Beaucoup de guillemets sont ici nécessaires car si les pratiques observées répondent en grande partie àce schéma, il s’agitde questionner les« préjugés normatifs » sur lesquelles elles reposent, ainsi que d’observer le cadre qu’elles produisent. Cette partie de notre analyse de l’expérience de stage développel’idée que les rapports de domination instaurés entre les activités de production / diffusion / administration et de création artistique s’appuient sur et renforcent des croyances collectives. Dans un mouvement de va et vient permanent l’imaginaire commun engendre des pratiques singulières qui à leur tour renforcent la sensation d’appartenance « au monde du spectacle » –sentiment indispensable et sans cesse réactivé par de multiples procédés dont le plus anecdotique mais non le moins révélateur serait sans doutes l’interdiction d’utiliser la couleur verte dans les documents administratifs relatifs à une production de spectacle.
La visée de cette partie est d’ouvrir la boite noire des process de production de valeur à l’œuvre, prenant en considération à la fois les procédures techniques de production d’une pièce chorégraphique dans un secteur « en crise » et les jeux d’acteurs qui sous-tendent ces mécanismes de marché. Ces processus sont quelque peu obscurs et une observation de stage ne peut suffire à en épuiser la complexité.
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Table des matières
AVANT –PROPOS
NOTE METHODOLOGIQUE
INTRODUCTION
DE QUOI LA DANSE CONTEMPORAINEEST-ELLE LE NOM ?
PARTIE I/. CONSTRUCTION ET ESSOUFFLEMENTD’UN MODELE
A/. CONSTITUTION D’UN SECTEUR PROFESSIONNEL DE LA « DANSE CONTEMPORAINE » EN FRANCE, PAR VOLONTE POLITIQUE
1. LES ORIGINES DE LA « NOUVELLE DANSE FRANÇAISE »
2. INSTITUTIONNALISATIONET STRUCTURATION DUCHAMP EN QUELQUES DATES
3. DILEMMES DE POLITIQUECULTURELLE
B/. ANALYSE DU CADRE ADMINISTRATIF POSE
1. LE PRINCE ET L’ARTISTE
2. UNE TENTATIVE DE DEFINITION OFFICIELLE DULABEL « CENTRE CHOREGRAPHIQUE NATIONAL »
3. LESLIMITES DU SYSTEME MIS EN PLACE
PARTIE II/. LES MECANISMES DU MARCHE ET LE JEU DES ACTEURS
A/. LA MANNE PUBLIQUE STRUCTURE LE « MARCHE SUBVENTIONNE » DE LA DANSE CONTEMPORAINE
1. UN MARCHE DESEQUILIBRE 33
2. DES STRATEGIES DE RATTRAPAGE DU DESEQUILIBRE ECONOMIQUE SONT MISES EN PLACE
B/. LES « MODALITES DE CONSTITUTION DES VALEURS ARTISTIQUES CONTEMPORAINES»
1. UN PROCESSUS COMPLEXE
2. DES STRATEGIES DE MEDIATISATION
3. … SOUTENUES PAR DES CROYANCES PARTAGEES
PARTIE III /. LE CADRE DE PRODUCTION CREE LES CONDITIONS DE SA PROPRE
LEGITIMITEET DE SA DURABILITE
A/. DU RECOURS A L’INTERMITTENCE DANS LES RESSORTS DE LA PRODUCTION CHOREGRAPHIQUE
1. ROLE DE L’INSTITUTION CHOREGRAPHIQUE
2. ROLE DES POUVOIRS PUBLICS
3. LES « EFFETS PERVERS »
B/. LE CONSTAT DE RAPPORTS DE DOMINATION A L’ŒUVRE
1. LA PLACE DE PRODUCTEUR
2. LA FERMETURE DU CHAMPCULTUREL INSTITUTIONNEL A L’INNOVATION ET AUX JEUNES ARTISTES
3. STRATEGIES CONCURRENTIELLES
C/. L’ANOMIE DU « MONDE » DE LA DANSE CONTEMPORAINE, UNE LIBERTE ?
1. LE REFUS DES NORMES EQUIVAUT-IL A L’ACQUISITION DE LA LIBERTE ?
2. DEPASSEMENT DES PARADOXES A L’ŒUVRE DANS L’ART CHOREGRAPHIQUE
CONCLUSION
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