De l’importance du CaCO3
Le CaCO3, acteur majeur du façonnage de notre planète
Le carbonate de calcium (CaCO3) constitue un des composés fondamentaux impliqués dans la construction de notre planète. C’est un cristal très simple qui existe sous deux principales formes géométriques : trigonale (calcite) ou orthorombique (aragonite). La calcite tient son nom du mot grec chalix, signifiant « chaux », elle est le minéral le plus abondant de la terre, représentant 4% du poids de la croûte terrestre. La calcite se présente sous plus d’un millier de formes différentes et une de ses originalités est sa solubilité qui, contrairement à la majorité des cristaux, augmente avec une baisse de la température. La précipitation de CaCO3 remonterait à -3.5 milliards d’années, c’est-à-dire près d’1 milliard d’années après l’émergence de la vie. A ces époques anciennes, la précipitation de CaCO3 devait être impossible spontanément à cause des conditions de sous-saturation en ions calcium [Ca2+] de l’ordre de 10-6 M (Kempe et Kazmierczak, 1994), mais aurait pu être possible, en partie sous l’action d’organismes photosynthétiques, appelés stromatolithes (Walter, 1983). Ce phénomène, par son ampleur, aurait participé à un stockage du dioxyde de carbone (CO2) fort dans l’atmosphère primitive et à la modification de la composition chimique des océans. Notamment pour l’océan une baisse de pH de 1.5 unités entre -4 et -1 milliard d’années a été estimée par Kempe et Kazmierczak, (1994). Ces modifications dans un paléocéan primitif, induites par la formation d’un grand réservoir de CaCO3, auraient permis le développement et le maintien de conditions propices à la vie (hypothèse du « soda ocean » proposée par Kempe et Degens, 1985).
Dans l’océan moderne (Ca+2 de 10-2 M), les conditions de sur-saturation de surface en CaCO3 sont a priori propices à l’existence de sa précipitation chimique. Cependant, la précipitation du CaCO3 dans l’océan depuis plus de 600 millions d’années est intrinsèquement liée à la vie, car celle-ci a lieu presque uniquement à travers le mécanisme de biocalcification (revue de Westbroeck et al. 1994). Ce contrôle biologique de la calcification se fait grâce à l’action de petits organismes marins qui se sont diversifiés au fil des âges, tels que des cyano-bactéries, du phytoplancton (coccolithophoridés), du zooplancton (foraminifères), mais aussi des organismes benthiques (coraux, éponges, vernaculaires). De nos jours, les traces de l’activité de ces petits organismes font partie intégrante du paysage, tel que les falaises calcaires (eg : Etretat en Normandie, France) issues des coccolithophoridés ou les récifs coralliens (eg : la grande barrière de corail d’Australie), témoins de l’ampleur colossale des forces géologiques mises en jeu à travers la précipitation du CaCO3. Le CaCO3 est donc un composé unique qui relie la biologie à la géologie, et qui fait partie simultanément de 3 grands règnes : minéral (le cristal), végétal (coccolithophoridés) et animal (zooplancton, squelette des vertébrés).
Le rôle du CaCO3 océanique dans le climat
Le CaCO3 océanique est un acteur majeur des conditions chimiques et biologiques régulant le climat de notre planète. Cette régulation est effectuée principalement à travers les interactions possibles et multiples entre le CaCO3 et le CO2 de l’atmosphère (CO2atm), principal gaz à effet de serre. Le pouvoir d’absorption du CO2 par les océans est fonction de nombreux paramètres : les facteurs hydrologiques (température et salinité) qui modifient la saturation du CO2 en solution; la circulation de masses d’eau (eg : remontées et formation d’eaux profondes) qui favorise les échanges entre l’océan de surface et l’océan profond. Enfin, la chimie du DIC, dite système des carbonates, modifie doublement le pouvoir d’absorption du CO2 en surface, mais également dans l’océan profond. Ce système des carbonates dissous fonctionne comme un équilibre chimique des différentes formes du DIC, constituées à 90% par les bicarbonates (HCO3- ), à 9% par les carbonates (CO3 =). Le CO2, seule forme de DIC échangée avec l’atmosphère, représente uniquement 1%. La production (ou précipitation en surface) et la dissolution (en profondeur) du CaCO3 modifient cette chimie à cause de leurs interactions avec les trois formes de DIC. La précipitation d’1 mole de CaCO3 en surface de l’océan absorbe 2 moles de HCO3- en échange d’une mole de CO2 (cf. Eq. 0.1). Cette précipitation s’accompagne ainsi d’une baisse de 2 moles équivalentes d’alcalinité totale (AT), à cause de la charge négative du HCO3- qui intervient dans l’équation de formation du CaCO3. La dissolution du CaCO3 produit l’effet inverse sur le système des carbonates, diminue le CO2 et augmente l’AT. Cette dissolution se produit dans des conditions de sous-saturation du CaCO3, qui dépendent des concentrations de CO3 = et de Ca2+, mais également de la température, de la pression et surtout de la nature du CaCO3 (aragonite ou calcite). Ces quatre paramètres conduisent à définir une profondeur vers 4000 m, appelée profondeur de compensation des carbonates (CDD), au-delà de laquelle le CaCO3 se dissout.
L’importance de ces régulations du CaCO3 océanique vis-à-vis du CO2atm avait été initialement proposée pour avancer dans la compréhension des changements climatiques aux échelles Glaciaires-Interglaciaires (10 milliers d’années). Elles sont résumées dans un modèle conceptuel adapté de Broecker et Peng (1982 ; Fig. 0.2).
Lors des époques glaciaires la température aurait été 6°C en moyenne plus faible (Petit et al. 1999) que celle des époques interglaciaires (tel que celle dans laquelle nous vivions au début de l’ère industrielle, 1800). Cette température serait due à un effet de serre réduit par des concentrations en CO2 plus basses de 80 à 100 ppm par rapport aux époques chaudes (ou interglaciaires). Cela aurait induit directement ou indirectement une baisse du niveau des mers de 100 m (Lambeck, 1990) ; une dynamique de l’océan plus intense (avec par exemple des apports en nutritifs plus importants) ; des apports plus importants de poussières ou aérosols désertiques (en provenance par exemple du Sahara ou de Patagonie) ; une plus forte productivité primaire ; et un apport plus faible des carbonates et du calcium par les fleuves du à la formation de glaciers réduisant la surface des continents lessivés par les précipitations. Ce plus faible apport en provenance des continents aurait entraîné, en périodes glaciaires, une baisse des concentrations de calcium et de carbonates et donc de la préservation du CaCO3, principalement dans l’océan ouvert. Les traces dans les sédiments tendent à suggérer que le réservoir de CaCO3 aurait été effectivement plus faible durant ces époques glaciaires (Francois et al. 1990). Mais, la quantité de CaCO3 dissoute et donc la chimie des carbonates de l’océan profond, régulant le pouvoir d’absorption de l’océan profond vis-à-vis du CO2, reste inconnue. Cette quantité dissoute aurait été plus importante durant les époques glaciaires (puisque la dissolution était plus forte). Mais d’un autre coté, elle aurait pu être plus faible puisque la quantité CaCO3 produite en surface aurait été réduite, notamment à cause d’un plateau continental plus réduit. Durant les époques interglaciaires, l’étude des sédiments marins et les récifs corraliens suggèrent une augmentation du réservoir de CaCO3 avec une dominance de l’aragonite propre aux producteurs côtiers comme les coraux (Milliman, 1993). Les conditions d’AT mais aussi celles du DIC du passé ne sont pas connues. Les modifications du pouvoir d’absorption vis-à vis du CO2 de l’océan, dépendant à la fois de la production et de la précipitation du CaCO3 associé à ces variations d’AT et de DIC, restent de grandes inconnues. La connaissance de la précipitation du CaCO3 en surface et de sa dissolution dans l’océan moderne ouvert est une étape indispensable à la définition des conditions océaniques régulant le pompage (biologique et chimique) du CO2atm par l’océan. Ces conditions sont indispensables pour pouvoir remonter à une estimation comparative du rôle véritable de l’océan lors des climats passés. Cet aspect inorganique du cycle du carbone est rarement pris en compte dans les modèles 3D incluant la vie marine et estimant le rôle de l’océan dans les évolutions climatiques (IPCC).
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Table des matières
Introduction générale
Partie I – ECHELLE DE LA CELLULE
Chapitre 1 Qui est Ehux ? Sa stratégie de vie
Chapitre 2 Rôle des apports en fer sur les blooms d’E. huxleyi
Chapitre 3 La déplétion de NO3, un facteur d’apparition de blooms visibles par satellite
Partie II – ECHELLE DE L’OCEAN GLOBAL
Chapitre 4 Qu’est ce qu’un bloom ? Les prévoir
Conclusion générale
Références bibliographiques
Liste des tableaux et des figures
Liste sigles
Tables des matières
Annexe