Le “burn-out” ou “épuisement professionnel” est un phenomène d’origine professionnelle révélant la rupture de l’équilibre entre un individu et son environnement de travail. Initialement défini comme un « état d’épuisement vital » par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans sa 10ème révision de la Classification Internationale des Maladies (CIM) (1), l’épuisement professionnel est depuis 2019 décrit dans la 11ème révision de la CIM comme un « syndrome résultant d’un stress chronique en milieu de travail qui n’a pas été géré avec succès». Il y est caractérisé par trois dimensions (2), semblables aux trois dimensions du Maslach Burnout Inventory (MBI).
Le MBI, est un outil de recherche qui a été élaboré en 1981 par Maslach et Jackson afin de mesurer le burn-out au sein de populations d’étude (3). Il est de nos jours considéré comme l’outil de référence dans ce domaine (4) alors que de nombreux autres outils sont disponibles dans ce même but (5–7). Le MBI évalue le burn-out selon trois dimensions : l’épuisement émotionnel (EE), la dépersonnalisation (DP) et le manque d’accomplissement personnel (AP) (8). La dimension de l’EE est caractérisée par une perte d’énergie et un sentiment d’épuisement et de fatigue. La dimension de la DP, aussi appelée “cynisme” est plutôt interprétée comme un sentiment de détachement vis-à-vis du travail, avec perte de l’idéalisme et effet de retrait. La dimension de l’AP est décrite comme un manque d’efficacité professionnelle conduisant à une diminution de la productivité et à une incapacité à faire face (9). Bien que très souvent étudié, il n’y a toujours pas de consensus établi, ni sur l’outil à utiliser pour l’évaluation du burn-out, ni même sur la façon de le définir clairement au travers du MBI. C’est une des raisons pour lesquelles l’évaluation et la comparaison des taux de prévalence du burn-out semblent encore à ce jour hasardeuses. Cette problématique a été exposée par Doulougeri et al. en 2016 (10), en constatant que parmi les auteurs utilisant le MBI, il y avait cinq approches principales pour définir le burn-out. Dans une revue systématique de la littérature de 2018, conduite à l’échelle mondiale par Rotenstein et al. (11), ce sont 47 définitions différentes du burn-out qui ont été identifiées parmi les études évaluant le burn-out au moyen du MBI. Il apparait ainsi que certains auteurs utilisent une définition tridimensionnelle, aussi parfois assimilée au « burn-out sévère » (12,13), et pour laquelle il doit exister une association entre un fort EE, une forte DP et un faible AP. Pour d’autres auteurs, l’association de scores en dehors des normes dans au moins deux dimensions est suffisante pour définir le burn-out selon une approche qui sera décrite comme bidimensionnelle. Pour encore d’autres auteurs, une approche unidimensionnelle définissant le burn-out à partir d’une seule dimension anormale est utilisée. Parmi ces définitions unidimensionnelles, certains auteurs prennent en compte un score anormal dans n’importe quelle des trois dimensions, tandis que d’autres se limitent à la présence d’un fort EE pour considérer un fort risque de burn out. En 2016, Leiter et Maslach (9) ont identifié cinq profils de burn-out dits “latents”, chacun tenant compte des trois dimensions du burn-out selon différents modèles d’association de leurs scores : épuisement professionnel, désengagement, surexploitation, inefficacité et engagement. Les profils d’épuisement professionnel et de l’engagement ont été présentés comme des profils à l’inverse l’un de l’autre, le premier avec des scores anormaux dans chacune des trois dimensions du MBI, le deuxième avec des scores normaux dans les trois dimensions. Les trois autres profils, présentés comme intermédiaires, affichaient une tendance vers la présence d’un score anormal dans une dimension spécifique (DP pour le profil désengagé, EE pour le profil surexploité et AP pour le profil inefficace).
Notre étude comporte un certain nombre de limites. Tout d’abord, le fait que nous ayons limité l’inclusion des études à celles utilisant un même outil (le MBI) à certainement permis aux études sélectionnées de gagner en homogénéité. Cependant certaines versions adaptées et validées du questionnaire du MBI existent et ont été utilisées par les auteurs (versions traduites, seuil des scores adaptés selon les populations, etc.), sans effet certain sur l’hétérogénéité: soit cela a aidé à réduire l’hétérogénéité liée aux caractéristiques de la population, soit celà a créé une hétérogénéité méthodologique. En ne prenant pas en compte les adaptations du questionnaire du MBI éventuellement effectuées par les auteurs, et en analysant indistinctement les données collectées avec les MBI-HSS et MBI-GS, il semble persister une certaine hétérogénéité parmi les études sélectionnées. De plus, le MBI est un questionnaire auto-rempli et les études transversales incluent leur population sur la base du volontariat, aussi il se peut que les répondants soient plus exposés au risque de burn-out que les non-répondants.
Bien que recommandée pour les méta-analyses (33), la méthode d’évaluation de la qualité des études n’est pas consensuelle parmi les chercheurs. Le fait que nous ayons utilisé la version adaptée de l’échelle de Newcastle-Ottawa, un outil parfois controversé (94,95) pourrait avoir en partie induit en erreur nos estimations de méta-prévalences. Cependant, en utilisant l’évaluation de la qualité des études pour le classement de ces études (et non pour leur inclusion ou exclusion), cet effet pourrait en être réduit. (94). Ceci étant, notre évaluation de la sensibilité n’a elle révélé aucune étude influente parmi celles incluses dans la métaanalyse du burn-out, confortant ainsi nos résultats.
Un autre point à signaler correspond au fait que les méta-analyses des taux de prévalence sont particulièrement susceptibles d’inclure des études présentant de grands échantillons qui pourraient donc avoir plus de poids sur l’estimation de la méta-prévalence que les études ayant de petits échantillons (96). Aussi il reste préférable que la métaprévalence ne soit interprétée qu’en termes de fréquence, et non de variation (97). Ce biais potentiel peut également être minimisé en effectuant une double transformation arc-sinus et en utilisant le logiciel MetaXL, considéré comme un outil d’amélioration pour la réalisation de méta-analyses de prévalence puisqu’il permet de prendre en compte la qualité des études par le biais d’un modèle d’effet de qualité (96).
En sélectionnant l’Europe comme zone géographique d’étude, nous avons choisi d’explorer un secteur à la fois vaste mais néanmoins maitrisé afin d’apporter des données intéressantes sur la prévalence du burn-out chez les médecins de cette zone géographique n’ayant pas encore été explorée sous la forme d’une méta-analyse sur le sujet. Le secteur géographique étudié a également été restreint afin de diminuer l’hétérogénéité liée aux différences prévisibles entre les diverses populations lorsqu’on considère de vastes zones géographiques. Il apparait évident que d’un pays européen à un autre des différences entre les populations existent, entraînant ainsi une persistance de l’hétérogénéité. Une étude récente (98) a examiné le ressenti en termes de burn-out de personnes de différente nationalité afin de déterminer si ces personnes expérimentaient ce phénomène différemment d’un pays à un autre. Il a été mis en évidence que les questions culturelles et celles liées au pays font l’objet de recherches limitées dans la littérature scientifique. Il a également été montré que les facteurs culturels peuvent jouer un rôle dans le développement d’un burn-out. Dans notre étude, nous n’avons pas examiné la façon dont les différentes zones géographiques européennes peuvent influer sur les taux de prévalence du burn-out.
D’autre part, notre étude présente également des points forts. En limitant l’inclusion des études à celles ayant mesuré le burn-out à l’aide du MBI et en classant au préalable les articles sélectionnés selon la définition dimensionnelle du burn-out fournie par les auteurs, nous avons été en mesure de contourner l’absence de consensus sur la méthode d’évaluation du burn-out afin d’effectuer une méta analyse fiable sur ces taux de prévalence, même si une certaine hétérogénéité demeure. Notre étude est également renforcée par l’inclusion d’une proportion importante d’études impliquant un grand nombre de sujets et par le fait que nous ayons réalisé des analyses d’hétérogénéité, d’asymétrie et de sensibilité. Concernant le test I2 (estimation de l’hétérogénéité statistique), une précision doit toutefois être apportée dans le cadre de son interprétation : lorsque les études incluses dans les méta analyses augmentent avec le nombre de sujets, le I2 augmente lui aussi parallèlement (99).
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Table des matières
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
MATÉRIEL ET MÉTHODE
Stratégie de recherche
Sélection des études
Méthode d’évaluation du burn-out
Extraction des données et analyses
RÉSULTATS
Caractéristiques des études
La méta-prévalence du burn-out selon la définition tridimensionnelle
La méta-prévalence du burn-out selon la définition bidimensionnelle
La méta-prévalence du burn-out selon la définition unidimensionnelle
Méta-prévalence de l’EE, de la DP et de l’AP
Tests d’hétérogénéité, d’asymétrie et de sensibilité
DISCUSSION
Critiques de l’étude
Résultats de l’étude
La méta-analyse des trois dimensions du MBI
Problématiques et perspectives
CONCLUSION
ANNEXE
RÉFÉRENCES
ABRÉVIATIONS
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