Le bruit sismique
Origines du bruit sismique
Dans le domaine des hautes fréquences (c’est-à-dire au-dessus de 1 Hz) le bruit est dominé par des sources locales, souvent anthropiques. L’origine du bruit est donc spécifique à chaque cas (une route et le passage de véhicules, une usine et le fonctionnement de pompes…). Dans les fréquences plus basses (périodes de 1 à 30 secondes), il est admis que le bruit microsismique est dominé par les ondes de gravité océanique, c’est-à-dire la houle. Le bruit sismique est donc sensible aux tempêtes océaniques. Ce dernier présente ainsi certaines caractéristiques saisonnières et déterministes (Campillo et al. 2011). Le pic de période de 7 secondes aurait pour origine les interactions non linéaires des vagues océaniques qui provoquent des variations de pression sur le fond des océans (Longuet-Higgins 1950). Le deuxième « pic », moins marqué, à 14 secondes, serait quant à lui la signature des vagues océaniques. Ces pics sont appelés « pics microsismiques primaires et secondaires » et sont tous deux liés à la houle océanique.
Le bruit sismique : ondes de surface ou ondes de volume ?
L’essentiel du bruit étant généré en surface, les ondes de surface (ondes de Rayleigh ou de Love) dominent dans le bruit (Friedrich et al. (1998)), et par conséquent elles se retrouvent majoritairement dans ses corrélations (Campillo et al. (2011)). Toutefois, Roux et al. (2005) démontrent la présence à la fois d’ondes Rayleigh mais aussi d’ondes P dans les corrélations de bruit enregistré par des stations sismiques spatialement proches (moins de 11 kilomètres de distance) en Californie. En outre Poli et al. (2012) ont mis en évidence les discontinuités du manteau terrestre à partir d’ondes de volume, par des corrélations de bruit ambiant.
L’interférométrie sismique passive
Principe des corrélations de bruit
Aki (1957) a ouvert la route vers les techniques de corrélations de bruit puisqu’il fut le premier à utiliser cette méthode pour imager le sous-sol. En interférométrie, le principe est de corréler les signaux reçus par deux capteurs distincts R1 et R2, et provenant d’une source S ou d’une multitude de sources. Dans l’expérience ci-dessous, deux capteurs X1 et X2 sont placés dans une distribution aléatoire de sources de bruit ambiant, décorrélées entre elles. Les signaux enregistrés en X1 et en X2 sont présentés, ainsi que leur corrélation.
On constate que la corrélation donne deux maxima, correspondant aux parties causales (temps positifs) et acausales (temps négatifs) de la fonction de Green correspondant à la réponse du milieu qui serait mesurée en un récepteur si une source active était située à la place du deuxième récepteur. Le temps de propagation entre X1 et X2 est bien sûr de 100 dans cette expérience, d’où les positions des maxima. Cette méthode permet ainsi de retrouver la fonction de Green du milieu dans lequel les deux capteurs sont plongés. On obtient donc, par simple corrélation de deux signaux enregistrés, des informations intrinsèques au milieu étudié. C’est pourquoi elle a été appliquée dans divers domaines de la physique.
Aspects théoriques : conditions requises pour faire de l’interférométrie sismique passive
Nécessité de l’équipartition
Afin de pouvoir reconstruire la fonction de Green entre deux capteurs par corrélation des signaux qu’ils reçoivent, il est nécessaire que la condition d’équipartition soit remplie. C’est-à-dire qu’en régime diffusif, obtenu lorsque l’onde subit plusieurs évènements de diffusion (c’est le cas des ondes de la coda), le champ d’ondes est constitué de tous les modes possibles de propagation. Par exemple, en espace libre, les modes possibles sont les ondes S et P. Dans ce cas, équipartition signifie que le champ d’ondes est constitué d’ondes se propageant dans toutes les directions et avec toutes les polarisations possibles, ceci de manière équitable (chaque direction et chaque polarisation a un poids égal dans la moyenne).
Ensuite, Larose et al. (2005 et 2006) rajoutent des diffuseurs dans le milieu, le rendant ainsi hétérogène. Les sources sont toujours disposées en arc-de-cercle et n’entourent toujours pas les deux capteurs A et B. Les signaux reçus en chaque capteur sont maintenant des signaux complexes et de longue durée, de plus de 300 fois la période centrale du signal, ce qui témoigne d’un régime de diffusion multiple ; ces signaux sont des codas. La corrélation réalisée à partir du début de ces codas (50 fois T0) reçues en A et en B ne permet toujours pas de reconstruire la fonction de Green. Seulement une partie du front d’onde cylindrique apparaît. Si maintenant on utilise la partie tardive de la coda, de 50 à 300 T0, le tracé de la fonction de corrélation en 2 dimensions à un instant donné permet de reconstruire un front d’onde cylindrique quasiment parfait. Dans cette partie de la coda, la diffusion multiple domine.
Ainsi, en conclusion, la diffusion multiple a compensé la distribution asymétrique de sources et permet de retrouver quasiment parfaitement le front d’onde. Donc l’approximation de la fonction de Green par la corrélation est meilleure lorsque le milieu considéré contient de multiples diffuseurs. La présence de diffuseurs et de diffusion multiple compense le manque de sources ; aux temps longs dans la coda, la symétrie est restaurée et la fonction de Green peut être reconnue de nouveau dans les cartes de corrélation.
Les applications de l’interférométrie
Les différents domaines d’application
-Héliosismologie : les chercheurs travaillant dans ce domaine furent les premiers à utiliser les corrélations de bruit pour caractériser un milieu (ils ont effectué des corrélations du mouvement aléatoire de la surface du soleil, Duvall et al. 1993).
-En acoustique ultra-sonore, Weaver et Lobkis (2001) et Lobkis et Weaver (2002) ont établi la possibilité de retrouver la fonction de Green d’un champ diffus dans un bloc d’aluminium par des corrélations. Ils ont en effet montré que le bruit thermique pouvait être utilisé à la place de la mesure directe d’un pulse/écho entre les deux points considérés. Les travaux de Derode et al. (2003) étendent ces résultats aux milieux ouverts et diffusants ; Weaver et Lobkis s’étaient en effet placés en milieu fermé et non absorbant.
-Acoustique sous-marine : Roux et Kuperman (2004) ont montré qu’il était possible de retrouver des fronts d’onde cohérents et déterministes à partir de mesures de bruit ambiant dans l’océan.
-Sismologie : Campillo et Paul (2003) réalisent des corrélations de signaux issus de différentes stations sismiques du Mexique, et reconstruisent des ondes de Love et de Rayleigh ; la comparaison entre les données mesurées et les fonctions de Green simulées fait apparaître une très grande similitude (figure 16). Shapiro et Campillo (2004) réalisent un travail similaire sur des stations sismiques des Etats-Unis, et montrent que les ondes de Rayleigh se propageant en surface peuvent être ainsi reconstruites.
-Tomographie : Shapiro et al. (2005) réalisent des cartes de dispersion (c’est-à-dire des cartographies de vitesse de groupe) en Californie à partir de corrélations de bruit sismique ambiant.
Ritzwoller et al. (2011) ont réalisé également une tomographie des Etats-Unis, et utilisent la méthode de tomographie d’eikonal à partir d’ondes de Rayleigh, basée sur la théorie des rais, qui modélise les rais courbes. Mordret et al. (2013) a quant à lui utilisé la tomographie de Helmoltz à l’échelle d’un réservoir pétrolier, ou encore Zigone et al. (2014) ont réalisé une tomographie de la Californie à partir d’ondes de Love et de Rayleigh.
-Sismologie de la Lune : Larose et al. (2005) ont réalisé des corrélations de bruit sismique enregistré lors de la mission Apollo 17 sur la Lune. Cela leur a permis de reconstruire une onde de Rayleigh. La source de bruit sismique présent sur la Lune serait la chaleur induite par les rayons du soleil sur celle-ci. Cela laisse présager la possible analyse de bruit sismique, même en l’absence de séismes, dans le cadre éventuel de l’étude d’une planète extraterrestre.
-Prospection : contrairement aux applications citées précédemment, la prospection utilise l’interférométrie sismique active (les cas précédents se situent en effet dans le cadre de l’interférométrie sismique passive puisque ce sont des bruits sismiques ou bien des codas qui sont utilisés). Dans ce cas des corrélations sont utilisées pour faire par exemple de la source virtuelle .
|
Table des matières
Introduction générales
PARTIE 1 : Contexte et motivations
1 Introduction
2 Pré-requis
2.1 Équation d’onde
2.2 Ondes sismiques
2.3 Ondes de volume
2.3.1 Ondes de surface
2.4 Fonction de Green
2.5 La coda sismique
2.6 Le bruit sismique
2.6.1 Origines du bruit sismique
2.6.2 Le bruit sismique : ondes de surface ou ondes de volume ?
3 L’interférométrie sismique passive
3.1 Principe des corrélations de bruit
3.2 Aspects théoriques : conditions requises pour faire de l’interférométrie sismique passive
3.2.1 Nécessité de l’équipartition
3.2.2 Position des sources et rôle des diffuseurs
3.3 Les applications de l’interférométrie
3.3.1 Les différents domaines d’application
3.3.2 Différents types de signaux à corréler
3.4 L’interférométrie sismique passive
3.4.1 Intérêt des corrélations dans le domaine de la sismique passive
3.4.2 Applications de l’interférométrie sismique passive
4 Le monitoring sismique
4.1 Intérêts et motivations
4.2 Principe du monitoring sismique
4.3 Les différentes méthodes de monitoring
4.3.1 La méthode du streching
4.3.2 Méthode des doublets ou « Moving Window Cross Spectral Analysis » (MWCSA)
4.3.3 Le monitoring dans l’exploitation pétrolière
5 Traitement des enregistrements de bruit avant corrélation
5.1 Premiers traitements
5.2 Normalisations dans le domaine temporel
5.2.1 Normalisation à 1 bit
5.2.2 Méthode du seuil d’écrêtage
5.2.3 Détection automatique et suppression d’évènements
5.2.4 Normalisation par la moyenne glissante de la valeur absolue
5.2.5 Normalisation itérative « water-level »
5.3 Normalisation dans le domaine spectral ou blanchiment
5.4 Sommation
5.5 « Débruiter » les signaux : la méthode des curvelets
PARTIE 2 : Interférométrie ultrasonore et substitutions de fluide à l’échelle du laboratoire
1 Objectifs
2 Méthodes conventionnelles de mesure des constantes élastiques au laboratoire
3 Principe de l’étude et dispositif expérimental
3.1 Dispositif expérimental
3.2 Protocole
3.3 Justification de la procédure expérimentale
3.3.1 Pourquoi utilise-t-on un filtre passe-haut ?
3.3.2 Pourquoi somme-t-on les corrélations ?
3.3.3 Pourquoi s’intéresse-t-on au spectre de la somme des corrélations ?
3.3.4 Identification des pics de résonance
3.3.5 A propos du code d’inversion
4 Validation de la procédure expérimentale
4.1 Validation des logiciels utilisés, dans la gamme de fréquence d’intérêt
4.2 Reproductibilité de l’expérience
4.3 Validation des résultats de l’inversion
5 Résultats
5.1 Résultats dans l’aluminium
5.2 Résultats dans le plexiglas
6 Suivi de substitutions de fluides dans des roches poreuses par interférométrie ultrasonore
6.1 Résultats dans les roches sèches
6.2 Résultats dans les roches saturées
6.2.1 Comparaison entre roche sèche et roche saturée
6.2.2 Résultats de l’inversion pour les roches saturées
6.2.3 Comparaison entre roches saturées d’eau et roches saturées d’éthylène glycol
6.3 Interprétation physique et comparaison avec les prédictions de la théorie poroélastique
6.3.1 Théorie poroélastique statique conventionnelle
6.3.2 Lien entre les modules poroélastiques et les modules d’ondes des roches sèches et saturées
6.3.3 Effets perturbateurs dus à la présence de défauts mécaniques et à la viscosité du fluide saturant
7 Conclusion
PARTIE 3 : Suivi des propriétés élastiques d’un champ d’hydrocarbures soumis à injections de vapeur
1 Introduction
2 Système d’acquisition de données
3 Les données
3.1 Etude fréquentielle
3.2 Alternance jour/nuit
4 Traitement des données
4.1 Temps de sommation des signaux
4.2 Processus pour calcul des corrélations
5 Etude des variations temporelles de vitesse
5.1 Analyse des corrélations : transformée en curvelets puis méthode des doublets
5.1.1 Utilisation de la transformée en curvelets
5.1.2 Utilisation de la méthode des doublets
5.2 Résultats
5.2.1 En utilisant des stations réparties tout au long de la ligne
5.2.2 En utilisant des stations situées au voisinage du puits injecteur
5.2.3 Etudes des variations de vitesse en choisissant pour référence une période pré-injection
5.2.4 Interprétation des résultats : noyaux des sensibilité
6 Conclusion
Conclusions générales