Le Brevet et l’Industrie Pharmaceutique
Depuis Arrow (1962b) l’activité d’innovation est souvent appréhendée comme la production d’une information. Celle-ci présente en effet les caractéristiques des biens collectifs : la non rivalité (son utilisation par un individu ne restreint pas celle des autres) et la non excluabilité (il est impossible d’exclure un utilisateur de son usage même si celui-ci ne participe pas au financement). Les innovations pharmaceutiques, qui prennent généralement la forme de connaissances difficilement appropriables en l’absence d’un environnement réglementaire fort, illustrent particulièrement bien cette similitude de l’innovation avec les biens collectifs. Le brevet, en tant que titre de propriété industrielle sur l’innovation, confère à son titulaire un droit exclusif d’exploitation. Il vise ainsi à corriger l’inefficience du marché vis-à-vis des innovations. Ce titre a une durée limitée, généralement 20 ans, voire 25 dans certains cas, lorsque la durée des phases de développement ne permet pas de recouvrir les coûts de la recherche durant la période d’exclusivité usuelle. Pour obtenir un brevet, toute invention doit remplir trois critères : la nouveauté (novelty), l’inventivité (non obviousness) et l’applicabilité (industrial applicability).
Une importance cruciale pour l’innovation
Comme nous l’avons vu, les frais à consentir pour innover dans l’industrie pharmaceutique sont particulièrement élevés. Contrairement aux investissements nécessaires pour innover, les coûts liés à la reproduction sont très bas (Grabowski, 2002). Cette différence entre le coût de la production et le coût de la reproduction expose fortement l’industrie pharmaceutique aux problèmes de “passagers clandestins” (“free riders”) sur les efforts consentis en R&D. En effet, d’autres firmes que l’innovateur peuvent reproduire un princeps sans en assumer le coût de la découverte (c’est à dire la R&D) et cela d’autant plus facilement que le médicament est un bien souvent facilement reproductible. Ainsi le coût marginal d’un médicament est très fortement décroissant de sorte que, dans le coût total, la part de la production est quasiment négligeable en comparaisons avec celle la conception et du développement. Selon les enquêtes de l’US Congressional Budget Office (1998) puis de Reiffen & Ward (2005), les produits génériques ne coûtent qu’un à deux millions de dollars à développer ce qui, par rapport au coût total d’un nouveau princeps (situé aux environs de 800 millions de dollars en 2001), apparaît tout à fait négligeable. Nous le verrons plus loin, les coûts des génériques n’ont cependant pas toujours été aussi faibles. Des choix politiques ont facilité leur essor et ce dernier a ensuite fortement contribué au besoin vital des laboratoires de trouver rapidement un nouveau princeps à introduire sur le marché après l’expiration d’un brevet. Ce contexte, spécifique à l’industrie pharmaceutique, conduit certains observateurs à conclure que le brevet d’un médicament a autant de valeur pour son propriétaire que le princeps lui même, notamment parce que la valeur de l’innovation dans l’industrie pharmaceutique est surtout informationnelle (type de molécule, combinaison chimique, effet thérapeutique). Ainsi, pour Lehman (2003), président et directeur général de l’Institut International de la Propriété Intellectuelle (IIPI), “The pharmaceutical industry is one of three technology-based industries in which the patent virtually equals the product. The others are the chemical industry (including agricultural chemicals) and the biotechnology industry, whose innovations span the spectrum from engineered plant varieties to human pharmaceutical therapies.”
Plusieurs études ont plus directement (et moins radicalement) mis en évidence l’importance du brevet pour la pharmacie (pour une étude portant sur le rôle du brevet dans le développement des produits pharmaceutiques et leur accessibilité voir Grabowski, 2002). Taylor & Silberston (1973), Mansfield (1986), Levin et al. (1987) ou encore Cohen et al. (1997), pour ne citer qu’eux, trouvent avec plusieurs secteurs et sur différentes périodes, que l’industrie pharmaceutique est finalement celle où le brevet a le rôle incitatif le plus important (c’est à dire que le brevet y remplit le mieux son office). Dans certains cas il est apparu que les dépenses de R&D de l’industrie pharmaceutique auraient été réduites de plus de 64% en l’absence de la protection du brevet contre une réduction de seulement 8% pour les autres industries ayant aussi recours au brevet (Mansfield, 1986). Pour Cohen et al. (2000), l’industrie pharmaceutique, qui voit dans un brevet fort l’incitation première à l’activité de R&D, est celle qui a le plus recours aux brevets pour protéger ses inventions. Il n’est d’ailleurs pas rare de constater que les marchés financiers prennent en considération tout ce qui peut affecter la validité d’un brevet dans leurévaluation des perspectives financières des firmes pharmaceutiques. Dans une certaine mesure, cela confirme bien que la valeur commerciale d’un princeps dépend largement du brevet qui le protège. Dans le cas du procès en cours sur le brevet du Plavix (1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel), les analystes financiers n’ont d’ailleurs pas caché que “ce litige constitue un élément clef de la valorisation du groupe pharmaceutique [Sanofi-Aventis], qui souffrirait s’il venait à perdre l’exclusivité de son brevet sur ce produit très lucratif ” (voir le Financial Times du 01/09/2006 parmi de nombreuses autres sources faisant le même constat). Les firmes pharmaceutiques sont donc vraisemblablement parmi les plus sensibles aux expirations de brevets sur un plan économique.
L’Évolution des dépôts de brevets aux États-Unis
Le rôle du brevet s’est fortement accru ces dernières décennies, notamment et surtout aux États-Unis (Hall, 2005). Un nombre important de changements législatifs sont ainsi apparus dans les années 1980 et la valeur juridique du brevet s’en est trouvée renforcée (Kortum & Lerner, 1999). Ces changements législatifs ont augmenté la capacité des déposants à imposer leurs brevets, à la fois par l’intermédiaire de la création d’une cour d’appel spécialisée dans les litiges relatifs aux brevets, et par l’intermédiaire de divers changements procéduraux (Hall, 2005). La cour spécialisée dans les brevets qui a été créée aux États-Unis en 1982 est alors plutôt favorable aux détenteurs de brevets (Merges, 1992). L’ensemble de ces événements a favorisé l’augmentation des dépôts de brevets aux États-Unis. L’intensification des dépôts de brevets se retrouve dans tous les secteurs mais plus particulièrement dans ceux de la pharmacie et des biotechnologies.
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Table des matières
I Introduction Générale
Introduction
1 L’Industrie Pharmaceutique
1.1 Quelques chiffres
1.2 Caractéristiques du secteur
2 Le Brevet et l’Industrie Pharmaceutique
2.1 Une importance cruciale pour l’innovation
2.2 L’Évolution des dépôts de brevets aux États-Unis
3 L’Évolution du Cadre Réglementaire
3.1 Les stratégies des laboratoires face à la concurrence des génériques
3.2 L’utilisation stratégique du brevet
4 La Maturation Technologique du Secteur
4.1 Nouveaux enjeux : la conception rationnelle des médicaments
4.2 L’essor des biotechnologies au travers des brevets
5 L’Innovation Radicale Comme Point de Vue Pertinent
II Propension et Persistance à Innover
Introduction du chapitre II
1 Revue de la Littérature
1.1 Le Brevet et le médicament
1.2 La Propension et la persistance à innover
1.3 Brevets et citations
2 Données et Méthodologie
2.1 Bases de données
2.2 Variables dépendantes et explicatives
2.3 Propension à innover
2.4 Analyse dynamique
2.5 Méthode d’estimation
3 Résultats
3.1 Propension à innover
3.2 Dynamique de l’innovation au niveau de la firme
3.3 Extensions
Conclusion du chapitre II
III Les Déterminants des Fusions et Acquisitions dans l’Industrie Pharmaceutique
Introduction du chapitre III
1 Revue de la Littérature et Hypothèses
1.1 L’Hypothèse de l’Innovation Gap
1.2 L’Hypothèse de la Capacité d’Absorption
1.3 L’Hypothèse du Portefeuille de Brevets
2 Présentation des Données et de la Méthodologie
2.1 Bases de données
2.2 Méthodologie empirique
3 Présentation des Variables Indépendantes
3.1 Variables financières
3.2 Variables de recherche et développement
3.3 Variables relatives aux brevets
3.4 Autres variables de contrôle
4 Résultats
4.1 Statistiques descriptives
4.2 Résultats de l’analyse par le modèle de durée
4.3 Synthèse des résultats de base
4.4 Robustesse des résultats
4.5 Différenciation de la taille des firmes et des périodes d’analyse
Conclusion du chapitre III
Conclusion Générale
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