Le blé, matière première au cœur de l’Histoire 

Le blé, matière première au cœur de l’Histoire

Pour comprendre l’intérêt d’une géopolitique du blé, il faut d’abord être capable de replacer cette céréale dans un temps plus long. Ceci permet de se rendre compte à quel point l’agriculture, dont le blé est une composante centrale, est au cœur de l’Histoire de l’humanité.
Alors que certains produits peuvent se dévaluer avec le temps ou même disparaître, le blé traverse les époques en se montrant fondamental et irremplaçable. Pour autant, il faut se rappeler que, sur le temps long, l’histoire du blé est lacunaire, puisque des statistiques commerciales précises ne sont tenues que depuis le XX e siècle. Cette première partie sera l’occasion de montrer, au regard de l’Histoire, trois caractéristiques qui sous -tendent la géopolitique du blé : il s’agit d’une ressource stratégique et mondialisée depuis longtemps (3.1.1), qui a toujours été au cœur d’enjeux de pouvoir (3.1.2) et qui a fait l’objet de constructions de stratégies importantes, ce qui démontre la centralité de son rôle (3.1.3).

Historiquement, une ressource stratégique et mondialisée

Il s’agira ici de nous essayer à une courte histoire du blé. Celle-ci n’a bien évidemment pas pour objectif d’être exhaustive et cette première sous-partie a pour prétention de poser des bases historiques pour la suite de notre démonstration. Effectivement, pour parvenir à différencier le blé d’autres matières premières elles-mêmes au cœur d’enjeux géopolitiques , il est utile de comprendre l’importance qu’a pu revêtir cette céréale dans un temps plus long. En effet, alors que le pétrole ne se montre indispensable pour l’Homme que depuis le siècle dernier, le blé possède une profondeur historique avec laquelle l’énergie fossile ne peut rivaliser. Pourtant, alors que des analyses du marché pétrolier sous le prisme de la géopolitique sont légions, on ne peut pas en dire autant de celles relatives au blé, une céréale pourtant mondialisée, comme nous allons le voir, depuis deux millénaires. Il va donc falloir tenter, par une rapide histoire des origines de l’agriculture, de montrer en quoi le blé peut être perçu comme un ciment civilisationnel. Nous nous demanderons ensuite depuis quand le blé est une céréale mondialisée pour enfin nous poser la question de son rôle, plus spécifiquement, pour la France.

Aux origines : le blé, ciment civilisationnel ?

L’agriculture est apparue avec la révolution néolithique, à l’est du bassin méditerranéen grâce à un réchauffement et une humidification climatique, aux alentours de 9000 av. J.-C. Dans le Croissant fertile, les céréales à paille comme l’orge et le blé et certaines légumineuses sont sélectionnées par les premiers agriculteurs. Les débuts du modèle agraire et pastoral marquent alors le début d’un nouveau modèle civilisationnel pour l’humanité. Pierre Blanc rappelle que c’est en parallèle de l’invention de l’agriculture que se développent les premières techniques de conservation des denrées alimentaires, en particulier les silos de stockage souterrains (Blanc, 2014, pp. 23-38). L’agriculture s’est ensuite développée dans le reste de l’Europe au gré de l’accroissement des populations et de leur migration vers l’ouest. Le blé est donc une céréale d’origine moyen-orientale. On peut estimer que le commerce de denrées agricoles est apparu avec l’émergence de gros villages, donc à une échelle très locale. Ce commerce permet les débuts de l’urbanisation aux alentours de 3000 av. J.-C., selon Pierre Blanc : « l’agriculture permet de dégager des surplus alimentaires et de libérer une partie de la population qui peut alors se consacrer à d’autres activités pour couvrir indirectement ses besoins alimentaires. Le commerce agricole a vu ses distances progressivement grandir au gré des migrations de populations et de l’apparition des civilisations » (Blanc, 2014, pp. 23-38).
Prenons pour exemple la civilisation minoenne, située en Crète (2000 à 1250 av. J.-C. ) et qui s’approvisionnait certainement en céréales en Égypte. Des liens commerciaux entre les deux civilisations ont été attestés par l’archéologie, qui confirme la présence de vases minoens en Égypte et « d’objets d’art » égyptiens en Crète. Nicolas Grimal rappelle d’ailleurs que « pour les Égyptiens, les partenaires [commerciaux] sont les Minoens. […] Il n’est pas illogique de considérer que les Égyptiens ont conservé comme interlocuteur un Etat avec lequel ils avaient une tradition d’échanges fructueux, et dont ils appréciaient les produits » (Grimal, 1995, p. 14).
Outre les objets que l’archéologie a pu identifier, on peut penser que les denrées agricoles occupaient une place de choix dans cette relation commerciale. L’Égypte, d’ailleurs, a très tôt développé la culture des céréales et même la panification : « Après l’unification du pays au IV e millénaire sous le règne du roi Narmer, l’agriculture irriguée s’est en effet fortement développée profitant de la gestion des crues dont la force déterminait chaque année la largeur du territoire agricole, et partant sa capacité productive. Cette utilisation des eaux du Nil a ainsi très tôt conditionné la stabilité de l’Égypte et semble-t-il déterminé sa puissance ». (Blanc, 2014, pp. 23-38).
Le développement d’un commerce à l’échelle du bassin méditerranéen est à dater à partir du premier millénaire av. J.-C., sous la civilisation phénicienne . Les cités de Phénicie sont alors dotées d’une flotte capable de voyager dans le bassin pour y fonder divers comptoirs commerciaux. A ce moment, les traités commerciaux pullulent entre les cités indépendantes et concernent des céréales, de l’huile, du vin ou encore du bois. Ces réseaux d’échange vont s’intensifier durant toute l’Antiquité et, s’ils ne concernent pas uniquement les céréales, cellesci occupent une place de choix en cequ’elles contribuent à la sécurité alimentaire de cités en constante croissance démographique.

Une céréale au cœur d’enjeux de pouvoir

Nous avons vu, sous l’éclairage du temps long, à quel point les céréales pouvaient être au centre des préoccupations à la fois de la population et de leurs dirigeants. Ici, nous nous demanderons comment le blé peut être au centre d’enjeux de pouvoir, quand bien même cette question a déjà pu être esquissée dans notre précédente partie. Il s’agira ici de traiter d’exemples plus récents. Ceux-ci peuvent constituer une « géopolitique du blé » du XXI e siècle. Commentcette céréale, inscrite dans un marché mondialisé assez largement piloté par des acteurs privés, peut se retrouver au cœur d’enjeux de pouvoir ?

Existe- t – il une « arme verte » ?

Plusieurs éléments sont à garder à l’esprit avant d’aborder cette question. La Terre comporte plus de sept milliards d’habitants, près d’un milliard d’entre eux ne mangent pas à leur faim et la population mondiale continue de croître. La sécurité alimentaire est liée à la sécurité globale.
De ce point de vue, celui qui serait capable de posséder une « arme alimentaire », ou « arme verte », aurait en main un grand moyen de puissance. « L’alimentation peut ainsi devenir une arme économique, une arme politique ou une arme de guerre, avec des effets immédiats sur la sécurité alimentaire des populations, l’économie des pays et donc sur la stabilité politique et sécuritaire des États. […] Pour transformer [l’alimentation] en arme, il suffit de raréfier etconcentrer l’offre tout en profitant d’une demande dispersée et non organisée » (Rivoal, 2015).
On comprend vite qu’une fois manipulée par un producteur agricole en situation de monopole sur un marché, l’alimentation peut devenir une arme dévastatrice. La raréfaction des denrées agricoles peut se payer en vies humaines pour l’État visé, qui serait alors plus enclin à effectuer des concessions politiques diverses. « Contrôler l’offre est assez simple, il suffit de bloquer physiquement ou légalement l’accès à la nourriture pour créer sa rareté. La demande étant par nature dispersée , l’alimentation devient vite une arme qui, puisqu’elle est essentielle à la survie des individus, a pour conséquence directe la mise en danger de vies humaines. Utilisée à grande échelle, l’arme alimentaire peut être d’une efficacité plus redoutable que les armes de guerre à proprement parler » (Rivoal, 2015).
Nous nous intéresserons donc ici à envisager l’agriculture comme une probable arme géopolitique, en ce qu’elle peut servir des rapports de force à différentes échelles. Notre premier exemple portera sur les États-Unis. Nous l’avons rapidement évoqué, ce pays s’est érigé au cours du XX e siècle comme une puissance agricole incontournable. Une partie substantielle de cette puissance repose sur la production de blé tendre. La figure 1 montre bien l’évolution positive de la production de blé dans ce pays et de ses exports vers le monde.
Ce qui nous intéressera dans cette partie, c’est la possible utilisation du blé comme d’une arme géopolitique pour les États-Unis, ce pays devenu un géant agricole à la sortie de la seconde guerre mondiale. La production nord-américaine a effectivement été dopée durant le conflit et, lors de sa résolution, permet au pays de dégager de gros volumes à l’export, notamment vers une Europe meurtrie qui affirme ses besoins . D’autres régions commencent également à importer de plus en plus : c’est le cas en Asie, en Afrique ou au Moyen-Orient. Pour la campagne 1946-47, les États-Unis exportent 11 millions de tonnes (Abis, 2015a, p. 75) et dominent largement la planète blé avec le Canada, l’Argentine et l’Australie. A eux quatre, ces pays placent 22 millions de tonnes de blé sur les marchés internationaux au début des années 1950.

Le blé, base de la sécurité alimentaire pour les États

Forts de nos argumentations depuis le début de ce travail, nous pouvons affirmer que le blé représente la base de la sécurité alimentaire pour de nombreux États. En effet, la consommation de cette céréale s’est largement étendue dans le monde pour finir par être demandée sur tous les continents.
Cet état de fait s’illustre notamment dans le bassin méditerranéen. Il a toujours été un espace de conflictualité très hétérogène, et surtout au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : des conflictualités (politiques, communautaires, territoriales), des contraintes géographiques (manque d’eau et de terre, climat difficile), des dynamiques de développement peu soutenables (démographie, urbanisation, système rentier) (Abis, Sadiki, 2016, p. 31). Sur le plan alimentaire, ces régions sont dans une situation de dépendance croissante. Même si les productions nationales sont en augmentation, elles restent insuffisantes face aux rythmes démographiques. En 1970, on y comptait 250 millions d’habitants, soit deux fois moins qu’aujourd’hui. L’Égypte, par exemple, fait partie des plus grands importateurs mondiaux de blé et, avec 11 millions de tonnes chaque année (cf. 2.1), un quart des biens importés par ce pays sont des denrées agricoles. Pour les céréales, notons que deux tiers des besoins algériens proviennent de l’importation, la moitié pour l’Égypte, et un tiers pour le Maroc (Abis, Sadiki, 2016, p. 36). « S’ils ne représentent que 3% de la population mondiale, les pays arabes méditerranéens, du Maroc à la Syrie, ont concentré en moyenne depuis le début du XXI e siècle entre 15 et 17 % des importations annuelles mondiales de céréales » (Brun, 2019). Cette dépendance aux marchés internationaux rend ces pays extrêmement vulnérables aux probables crises géopolitiques qui peuvent influer, d’une manière ou d’une autre, sur le prix des denrées agricoles et leur disponibilité. Évidemment, l’approvisionnement en céréales (et en blé) représente une préoccupation de premier plan pour les gouvernements de ces pays méditerranéens. La stabilité des villes de ces pays dépendent, au moins en grande partie, de lasécurité alimentaire des populations. Ces pays souffrent pour la plupart de stress hydrique, ce qui n’aide pas leur agriculture à se développer comme elle le devrait. Sur les 33 pays menacés par le manque d’eau à l’horizon 2040, 14 sont situés en Méditerranée et au Moyen-Orient. C’est le cas, par exemple, du Maroc ou de l’Égypte qui dépend à 95% de l’extérieur pour ses approvisionnements en eau (Brun, 2019). Il est en outre intéressant de constater que, dans certains de ces pays comme l’Algérie , c’est bien l’État et non pas des acteurs privés qui assurent l’achat de céréales depuis l’étranger, signe de l’importance stratégique de cet approvisionnement. C’est également le cas, plus loin, de l’île de Cuba, où les décideurs politiques mettent un point d’honneur à assurer la sécurité alimentaire de leur population grâce à la mondialisation des denrées agricoles (Denieulle, 2019).
Les cas de pays dépendant du commerce extérieur pour nourrir leur population sont nombreux et seront développés plus loin dans ce travail (cf. 2.1). Ils illustrent surtout le fait que les denrées agricoles, dont on a vu que le blé est une composante majeure, sont au centre des préoccupations des dirigeants qui se doivent d’assurer la sécurité alimentaire de leur population pour, in fine, assurer la sécurité et l’intégrité de l’État. Cet état de fait est vrai à la fois dans la Grèce antique pour la cité d’Athènes que pour l’empire Romain ou pour l’Égypte du XXI e siècle. Nous en revenons à ce que nous avancions au début de cette partie. Là où certaines matières premières peuvent se dévaluer ou voir leur usage disparaître dans le temps, le blé et les commodités agricoles, elles, restent indispensables et inévitables.

La construction de stratégies céréalières

On l’a vu, le blé est une matière première au cœur d’enjeux stratégiques et géopolitiques. Rien d’étonnant, donc, à ce que des stratégies céréalières puissent être mises en place pour faciliter le développement des filières agricoles. Cette partie se propose d’analyser deux exemples parmi ces nombreux autres : celui de la Politique agricole commune européenne et la réémergence des céréalicultures de la mer Noire.

La Politique agricole commune, fondation de la construction européenne

Resituons-nous à la sortie de la seconde guerre mondiale pour comprendre la mise en place de la PAC. Comme nous l’avons vu plus tôt, à ce moment, l’Europe se repose sur les importations pour assurer sa sécurité alimentaire. Très vite, l’idée s’impose d’une « construction européenne » prenant pour base l’agriculture. Prévue par le traité de Rome de 1957, c’est en 1962 qu’est véritablement décidée la mise en œuvre de la PAC, pour les pays fondateurs du marché commun . Dans ce cadre, l’Europe agricole qui se dessine se donne pour objectif de reconstruire un continent meurtri par le conflit qui a pris fin. « La PAC est en quelques sortes le troisième pilier d’une stratégie de reconstruction associant l’énergie (EURATOM ) et l’industrie avec le charbon et l’acier (CECA ) » (Abis, Pouch, 2013, p. 30).
La PAC repose principalement sur des mesures de contrôle des prix et de subventionnement, l’objectif visé étant la modernisation et le développement de l’agriculture sur le continent et, in fine, l’autosuffisance alimentaire. Les marchés sont régulés grâce à la mise en place de prix minimums, la préférence communautaire est instaurée, des droits de douane élevés sont créés pour les produits agricoles venus de l’extérieur de l’Europe, et les exportations européennes sont subventionnées. En 1980, les six pays membres de la CEE ont quasiment doublé leur production de blé, et doublé leur rendement par hectare. A la fin des années 1970, la CEE parvient même à parvenir à exporter régulièrement du blé, signe de la réussite de la PAC.

La (ré)émergence de la mer Noire

Nous l’avons vu précédemment : dans l’Antiquité, les rives de Pont-Euxin (la mer Noire) constituaient le grenier à blé privilégié de la cité d’Athènes. Plus récemment, dans le dernier tiers du XIX e siècle, la Russie assurait encore la moitié des exportations mondiales de blé. Après une relative absence sur les marchés céréaliers, les pays dits « de la mer Noire » effectuent depuis peu un retour fracassant dans les exportations mondiales. Leur retour vient concurrencer les deux pôles dominants de la seconde moitié du XX e siècle que sont les États-Unis et le continent européen. Cette évolution constitue un réel tournant au XXI e siècle et a totalement bouleversé l’organisation et les rapports de force dans la planète blé.
On peut discerner dans cette région une vraie stratégie de long terme au sein de laquelle l’agriculture tient une place de choix. Pour la Russie, tout d’abord. Le pays a fait de la région méditerranéenne une priorité géopolitique. C’est le concept de la « Grande Méditerranée » qui comprendrait le Moyen-Orient et la région de la mer Noire. Dans cette vision géopolitique, le commerce des produits agricoles est l’un des moyens utilisés par la Russie pour installer son influence dans la région.
Dans la décennie 1990, la Russie n’a jamais pu exporter plus de 3 millions de tonnes de blé.
Depuis les années 2000, elle a placé 10 millions de tonnes sur les marchés lors de six campagnes sur dix. La politique agricole russe est définie par un plan de développement mis en place depuis 2013 et pour sept ans. « Il mobilise 230 milliards de dollars d’investissements pour la modernisation des équipements agricoles, l’amélioration des structures d’exploitation, la promotion de l’élevage, le développement des industries de transformation, le renforcement des chaînes logistiques et divers outils de soutien aux exportateurs » (Hervé, 2019). L’objectif est d’atteindre 125 millions de tonnes de céréales produites en 2020. En 2016, la production agricole atteignait 90 milliards de dollars et générait, grâce à l’exportation, 20 milliards de dollars. « La Russie déclare fournir déjà plus d’une centaine de pays, et souligne que son blé est désormais la base de l’approvisionnement alimentaire de l’Égypte ou de la Turquie. De nombreux marchés émergents, en particulier en Afrique et en Asie, sont dans le viseur. Moscou mobilise également sa diplomatie économique vers certains pays d’Amérique latine (Équateur, Brésil, Chili, Mexique, Venezuela), qui cherchent à s’approvisionner ailleurs qu’aux États-Unisou en Europe et se tournent de plus en plus vers les blés de la mer Noire, avec un intérêt marqué pour l’origine russe » (Hervé, 2019). Le recul du rouble accroît d’ailleurs la compétitivité des céréales russes à l’export, qui viennent concurrencer directement les grains produits en Union européenne. Il est marquant de constater que les sanctions décidées par l’Occident contre la Russie à partir de 2014 ont aidé au développement massif de l’agriculture russe. Celles-ci ont forcé Moscou à mettre un point final à ses importations agroalimentaires en provenance de l’Europe, à diversifier ses partenaires commerciaux et à redévelopper son appareil producteur afin de pouvoir satisfaire les besoins alimentaires de sa population (Hervé, 2019).
Depuis 2005, on constate également que, au-delà de la productivité dopée de la Russie, les blés russes ont vu leur qualité augmenter, ce qui a constitué une concurrence directe aux blés français. L’augmentation du taux en protéine du blé russe a permis à cette origine de venir bousculer les positions françaises et européennes sur les marchés nord-africain et moyenoriental. « Ce retour de la Russie se mesure à l’aune des parts de marché qu’elle détient aujourd’hui dans le secteur céréalier de la région. Le Moyen-Orient reçoit le tiers des exportations de céréales russes, avec, de loin, pour premier client mondial, l’Égypte suivie par l’Arabie saoudite et l’Iran. […] Parmi les pays arabes méditerranéens, outre l’Égypte, la Tunisie et le Maroc sont également des clients importants, tandis qu’en Europe méditerranéenne, l’Italie, l’Espagne et la Grèce constituent ses débouchés privilégiés » (Riabko, 2014).
Ces performances ont été rendues possibles par une amélioration de la chaîne logistique, comme nous l’avons évoqué plus tôt. Dans le cas russe c’est la région de Rostov, située autour de la mer d’Azov qui débouche sur la mer Noire, qui affiche un dynamisme renouvelé au niveau commercial. Pour moitié, les exportations qui y partent sont constituées de produits agricoles.
Des travaux sont prévus dans cette région pour améliorer le transport ferroviaire, mais aussi de stations portuaires.
Cette nouvelle donne commerciale augure de nouvelles visées géopolitiques pour le géant agricole russe. En 2013, des discussions entre Moscou, Kiev et Astana ont abouti à la signature d’un accord qui les lie dans un « pool céréalier commun », représentant 21 % de la superficie mondiale de blé. Les perspectives ouvertes par un tel accord ont pu être qualifiée de probable « OPEP des céréales » autour de la mer Noire (Abis, 25/11/2013). L’objectif : peser toujours davantage sur les marchés mondiaux et attirer plus d’investisseurs. Les trois pays se sont même engagés à la création d’une structure ayant pour objectif la gestion de l’ensemble des exportations céréalières. « En 2013, le pool a répondu à un appel d’offres marocain, en proposant des prix plus attractifs (moins de 15-20 euros la tonne) que ceux de leur concurrent principal, la France » (Riabko, 2014). Était également en projet le fait de penser une logistique transnationale commune pour l’acheminement des céréales, un peu de la même manière que la Chine et ses « nouvelles routes de la soie ». Toutefois, ces discussions ont été mises en pause par l’émergence de désaccords politiques entre Moscou et Kiev à partir de 2013 avec la guerre du Donbass.

La France, acteur de premier plan dans un marché inégal et concurrentiel

Nous avons pu rapidement esquisser le fait que la planète blé était, par nature, inégale et en proie à de nombreuses luttes, à la fois économiques et géopolitiques. Cette partie se propose de développer ces points, tout en gardant à l’esprit que la France reste encore un acteur de premier plan au sein de ce marché mondialisé et concurrentiel. Nous allons donc, dans un premier temps, nous attarder sur la structure de ce que nous appellerons la « planète blé », entre inégalités et dépendances chroniques (3.2.1). Par la suite, nous évoquerons le fait que le commerce de blé est l’objet de luttes incessantes (3.2.2). Finalement, nous réfléchirons à la manière dont se positionne la France au sein de ce marché : les blés français sont-ils vraiment « pour les pains du monde », selon la formule consacrée au salon de l’agriculture ? (3.2.3)

La planète blé : inégalités et dépendances

Comme le laisse penser le titre choisi pour cette sous-section, nous aborderons ici l’organisation de la planète blé selon deux constantes que sont les inégalités d’une part et les dépendances chroniques d’autre part. Il s’agira, par l’analyse de ces deux éléments, de mieux comprendre en quoi l’agriculture et plus précisément le commerce de blé peut être un secteur stratégique et à la composante géopolitique forte

Des luttes commerciales incessantes

Le commerce de blé se situe dans un marché mondialisé surtout occupé par des acteurs privés, désireux de réaliser des bénéfices. Il en résulte, à l’échelle du monde, un marché instable à plusieurs niveaux. Dans cette partie, nous tâcherons de comprendre comment le blé passe du champ de l’agriculture vers l’assiette du consommateur en passant par le marché mondial avant de prendre pour exemple plusieurs tensions géopolitiques et géoéconomiques reposant sur le commerce de denrées agricoles.

Entre la fourche et la fourchette, un marché instable

Entre la fourche de l’agriculteur et la fourchette du consommateur, les denrées agricoles doivent passer par un marché mondial instable. Nous allons tenter, ici, d’en comprendre les principaux ressorts.
Quelques éléments de définition sont d’abord nécessaires pour bien comprendre le cadre de ce dont nous allons parler ici. Il va nous falloir comprendre pourquoi et en quoi les marchés mondiaux sont particulièrement instables. Tout d’abord, il faut comprendre que les produits agricoles s’inscrivent dans des « marchés à terme », dont les quatre principaux sont situés à Chicago (Chicago Board of Trade (CBOT) et Commodity Mercantile Exchange (CME)), à Atlanta (Intercontinental exchange (ICE)) et à Sao Paulo (Bolsa Mercantile & de Futuros (BMF)). Un marché à terme est un « marché dérivé d’un marché physique sur lequel on échange des « contrats à terme ». Un contrat à terme est un engagement à livrer ou à recevoir une marchandise standard dans des conditions elles-mêmes standardisées (échéance, lieu de livraison). Un marché à terme est donc un marché « papier » où l’on échange des promesses de vente et d’achat, 98 à 99% de ces promesses étant dénouées avant la livraison ou la réception effective » (Charvet, 2018, p. 50). Sur ces marchés sont négociés des achats de marchandises standardisées à des dates ultérieures. Le premier marché de ce type est d’ailleurs le Chicago Board of Trade, uniquement dédié aux denrées agricoles.
Sur ces marchés à terme, les denrées agricoles sont des « commodités ». Il s’agit de « produits aux standards reconnus par tous les opérateurs, ce qui autorise leur commercialisation sur les marchés à terme. La qualité étant connue, la négociation ne porte plus que sur le prix (ndlr : il s’agit de la spécificité d’un marché à terme). Les produits concernés doivent être aisément stockables. Blé, maïs, soja, sucre, café et cacao sont des commodités agricoles. Cuivre, nickel et pétrole sont des commodités non-agricoles » (Charvet, 2018, p. 50).
Pour les matières premières agricoles, le fonctionnement du marché à terme pose différents problèmes. Déjà, une financiarisation excessive. Des spéculateurs, qui n’auront jamais la main sur les produits agricoles sur lesquels ils spéculent, contribuent certes à assurer la liquidité du marché et à prendre en charge les risques à la place des opérateurs qui, eux, ont un produit physique à acheter ou à vendre. Mais il en résulte que ces marchés ont tendance à exagérer les fluctuations de prix. Les traders spéculent en effet sur des prix agricoles à court terme, ne suivant que de très loin la réalité des marchés agricoles (Charvet, 2018, p. 51).

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Table des matières
Introduction
1. Le blé, matière première au cœur de l’Histoire 
2. La France, acteur de premier plan dans un marché inégal  et concurrentiel
3. Diplomatie et marché : quelles articulations ? 
Conclusion du chapitre académique

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