Le béton, un matériau poreux et visqueux
Généralités sur le béton et l’eau qu’il contient
Le béton est un matériau composite constitué d’un liant, souvent une pâte de ciment durcie, qui agglomère plusieurs types de granulats (gravillons et sable). Ces derniers constituent le squelette rigide du béton (60 à 75% du volume dans un mètre cube de béton). Le liant nécessite de l’eau pour faire sa prise, ce qui fait qu’un béton est constitué d’environ 10 à 20% d’eau en volume. Pour obtenir ou améliorer certaines propriétés rhéologiques, mécaniques ou hydrauliques, des adjuvants ou additions peuvent être ajoutés au mélange.
L’eau intervient à toutes les étapes de la vie d’un matériau cimentaire. Elle joue un rôle fondamental dans la fabrication du béton, en conférant à celui-ci les propriétés rhéologiques d’un liquide (permettant sa mise en œuvre dans les coffrages). Une fois le béton fabriqué, l’eau n’ayant pas été employée dans la réaction d’hydratation va se retrouver en excès dans les pores du matériau. A plus long terme, cette eau va être impliquée dans le vieillissement du matériau via les phénomènes de retrait, fluage, réaction au gel-dégel, pénétration d’agents agressifs, etc.
(Baroghel-Bouny 1994) distingue quatre types de liaison entre l’eau et la pâte de ciment hydratée :
• L’eau chimiquement liée : celle qui rentre dans la composition des hydrates.
• L’eau adsorbée : elle se fixe aux surfaces solides, sous l’action des forces de liaisons de type Van Der Walls ou électrostatique.
• L’eau capillaire : elle remplit le volume poreux au-delà des couches d’eau adsorbée et est séparée de la phase gazeuse par des ménisques. Elle obéit aux lois de la capillarité (Jurin, Kelvin-Laplace, etc.).
• L’eau libre : elle se trouve dans les macropores et n’est pas soumise aux forces d’attraction des surfaces solides et n’est plus influencée par les forces superficielles. Elle peut être assimilée à un cas particulier de l’eau capillaire et est la première à migrer lors du séchage.
Dans ce mémoire, nous emploierons les termes « teneur en eau », « humidité » ou «saturation » pour désigner la quantité d’eau présente dans le béton (voir le glossaire).
Le séchage du béton en condition quasi isotherme
Dans cette section, nous allons aborder une description très succincte des phénomènes impliqués dans la dessiccation des matériaux cimentaires, en mettant en avant le modèle simplifié que nous utiliserons par la suite. Des développements plus complets sont disponibles dans (Mainguy 1999; Bažant 2001; Benboudjema 2002; Sellier and BuffoLacarrière 2009; Hilaire 2014). Le séchage du béton, c’est-à dire la perte progressive d’eau du matériau créée par un déséquilibre thermodynamique avec son environnement, est un phénomène complexe qui a une influence prédominante sur les déformations différées. Cette complexité est due en grande partie à l’étendue de la distribution des tailles de pore dans la pâte cimentaire et au fait qu’il s’agit d’un matériau non saturé en eau. Ce caractère multiphasique et cette disparité dans les formes et dans les volumes de vide vont se traduire par différents mécanismes de transport et d’interactions entre l’eau, le gaz et la phase solide. Généralement, l’eau se présente dans la pâte de ciment à la fois sous forme liquide et gazeuse. Le transport de l’eau au sein des pores du béton va dépendre du transport convectif (par perméabilité), de la diffusion, de l’adsorption-désorption (des molécules d’eau sur les grains solides) et de l’évaporation-condensation .
Le retrait et le fluage du béton
Rapide aperçu des aspects phénoménologiques
Suivant une description conventionnelle (Neville, Dilger, and Brooks 1983), les déformations différées du béton sont séparées en quatre composantes :
• Deux composantes indépendantes du chargement :
o Le retrait endogène, associé à l’auto-dessiccation et à la prise. L’eau n’est pas échangée avec l’environnement, mais elle est consommée par les réactions chimiques dans le béton. Ceci se traduit par une baisse de la teneur en eau du béton à masse constante, associée à une diminution du volume global du matériau. Le retrait endogène n’est pas d’un intérêt primordial pour la surveillance des enceintes de centrales nucléaires. En effet, il est d’une amplitude modérée et il ne se manifeste quasiment plus au moment de la mise en tension des câbles de précontrainte, plusieurs années après le coulage du béton. Nous négligerons donc le retrait endogène dans la suite de cette étude.
o Le retrait de dessiccation, qui est associé à son séchage par échange d’eau avec l’environnement extérieur. Le mécanisme qui engendre le retrait macroscopique accompagné d’une perte de masse.
• Deux composantes de fluage, c’est-à-dire de déformation différée sous charge :
o Le fluage propre, qui est la part de déformation différée sous contrainte en l’absence d’échange hydrique avec l’extérieur.
o Le fluage de dessiccation, qui comprend la part de fluage total non comprise dans le fluage propre, lorsque la structure peut échanger l’eau qu’elle contient avec son environnement.
La modélisation simplifiée du retrait de dessiccation
Des descriptions plus détaillées et des discussions plus argumentées sur les phénomène de retrait de dessiccation dans les matériaux cimentaires sont disponibles dans (Benboudjema 2002; Hilaire 2014).
Approche réglementaire du retrait de dessiccation
La distinction des différents retraits dans les codes et règles de calcul est apparue à la fin des années 90 (AFNOR 1999), suite notamment aux travaux de Robert Le Roy (Le Roy 1995) sur les Bétons à Hautes Performances (BHP). L’Eurocode 2 (AFNOR 2007), l’ETC-C (règles de conception pour les réacteurs EPR, (AFCEN 2010)), le Model Code 2010 (CEBFIP 2010) ainsi que le projet CEOS.fr (« Comportement et Evaluation des Ouvrages Spéciaux – Fissuration – Retrait », (Francis Barré et al. 2016)) ont repris la décomposition associée à l’Équation 4. Dans ces documents, la cinétique de séchage est supposée monotone, et provient d’un ajustement sur des essais de retrait concernant une gamme assez large de formulations de béton. A titre d’exemple, la loi proposée par le projet CEOS.fr est la suivante :
??(?) = ???1 ∙ ????0 (???) ∙ ???(??) ∙ ???(? − ??) .
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Table des matières
Introduction
1 Etat de l’art sur les déformations différées du béton, la surveillance des enceintes à EDF et la mesure in situ de teneur en eau du béton
Le béton, un matériau poreux et visqueux
Généralités sur le béton et l’eau qu’il contient
Le séchage du béton en condition quasi isotherme
Le retrait et le fluage du béton
La surveillance des enceintes, objets et méthodes
Définition de l’enceinte de confinement, fonction de sûreté et critères de surveillance
Capteurs et systèmes d’acquisition utilisés par EDF
Gestion et exploitation de la mesure
Aperçu d’autres approches prédictives supervisées
Quelques tentatives pour suivre la teneur en eau d’ouvrages en béton sur de longues périodes
Panorama des grandeurs mesurées pour estimer la teneur en eau du béton
Les premières expérimentations d’EDF (1980-2000)
Les expériences scandinaves
La mesure de perméabilité in-situ comme indicateur de saturation en eau
La mesure de permittivité diélectrique par réflectométrie dans les domaines temporel ou fréquentiel
Conclusion sur l’état de l’art
2 Estimation approchée de l’information apportée par la mesure de teneur en eau
Dans quel but mesurer la teneur en eau sur un ouvrage déjà ausculté ?
Fondements de la méthode
Calcul de la matrice de covariance des paramètres d’un modèle recalé sur des mesures
Lois simplifiées de retrait et de fluage
Sensibilités du modèle simplifié et incertitude de la prédiction en fin d’exploitation de l’ouvrage
Sensibilités du modèle simplifié
Estimation de l’information apportée par la mesure de perte de masse et de l’incertitude associée
Evaluation de la perte de masse par des capteurs disséminés dans la structure
Modélisation numérique du séchage du béton par différences finies
Sensibilités de la perte de masse et de la teneur en eau locale aux paramètres du modèle de séchage
Incertitudes sur la prédiction de la perte de masse d’une section d’ouvrage selon la distribution spatiale des mesures de teneur en eau
Bilan de l’approche simplifiée d’estimation de l’incertitude-cible pour la teneur en eau
3 Proposition d’un modèle dédié à la surveillance de la teneur en eau des enceintes de confinement
Principe de la démarche
Bref aperçu de la maquette VeRCoRs et capteurs retenus pour l’étude
Objectifs de la maquette
Description de la maquette et de son dispositif de surveillance
Capteurs retenus pour l’étude
Sélection des variables explicatives
Traitements préalables
Classification Hiérarchique Ascendante (CAH)
Analyse par Composantes Principales (ACP)
Comparaison des séries chronologiques
Modélisation des déformations par régression multilinéaire
Critères de l’analyse
Modélisation de P1_ET et P3_EV avec les variables retenues
Capacité à prédire les déformations
Apport d’un terme complémentaire en logarithme du temps
Proposition d’une loi Teneur en Eau – Temps (TET)
Bilan : un modèle Teneur en eau – Temps – Température (TETT) adapté à la surveillance des enceintes
4 Détermination d’une incertitude-cible de mesure de teneur en eau dans le cadre de la surveillance des enceintes
Présentation de la démarche
Définition d’un critère pour choisir l’incertitude cible et principales étapes de traitement
Maquette digitale de référence
Rappels sur la méthode de Monte Carlo appliquée à l’estimation et à la propagation des incertitudes
Méthodes d’inversion des modèles utilisés
Résumé de la démarche
Propagations d’incertitudes dans les différents modèles
Propagation des incertitudes dans le modèle de séchage
Propagation des incertitudes dans les modèles mécaniques
Conclusion sur la propagation de l’incertitude de teneur en eau dans le modèle de surveillance d’enceinte
Etudes complémentaires de l’influence de la teneur en eau sur le recalage des modèles
Impact d’un modèle non physique de séchage sur la déformation finale
Influences relatives des termes de fluage propre et de dessiccation de la loi TETT
Conclusion sur l’incertitude cible pour une mesure de teneur en eau
5 Conclusion et perspectives
Récapitulatif des travaux réalisés
Conclusion
Perspectives
6 Références