Introduction et cadre de notre questionnement
L’objectif de ce chapitre est de se poser concrètement la question du besoin de planification pour la ville durable à partir de l’exemple du déploiement des véhicules électriques. Il peut pourtant sembler paradoxal de choisir le cas du véhicule électrique pour aborder la question de la planification. Au contraire l’intuition première est même plutôt que ces nouvelles technologies vont nous permettre de tout changer, c’est-à-dire, dans le domaine qui nous concerne, le problème des externalités environnementales issus des moteurs thermiques, en nous permettant de ne rien changer, c’est-à-dire les modes de vie individuels et les fonctionnements des systèmes urbains. La planification urbaine, pour sa part, cherche à penser en prospective le changement des villes et à formuler des stratégies d’aménagement et d’allocation du sol urbain, en particulier à travers des documents d’urbanisme. Le déploiement des véhicules électriques et hybrides rechargeables (VEVHR) en remplacement de véhicules thermiques ne pose donc pas à priori de question spécifique à la planification spatiale. La relative absence d’analyse de cette question dans la littérature se confirme par la recherche bibliographique présentée ci-dessous (Encadré 1). Pourtant, plusieurs arguments incitent à ne pas faire l’économie d’une telle réflexion. D’une part il est clair que les innovations technologiques ne sont pas une solution suffisante pour la mobilité durable. Ne nous faisant parcourir qu’une partie du chemin, elles doivent donc prendre part à des stratégies et combinaisons d’actions, aux côtés de la planification urbaine et des instruments économiques, dans un paradigme de la mobilité renouvelé à l’aune du développement durable (Banister, 2008 ; 2011). D’autre part, elles s’inscrivent de fait dans des villes en mouvement, qui réinterrogent sans cesse leur avenir et elles font partie de cette réinterrogation.
Le déploiement de l’électro-mobilité dans une ville en mouvement : un effet systémique de long terme à prendre en compte
La nécessité de l’articulation entre les politiques de transports collectifs et le changement à la marge de la flotte automobile, c’est-à-dire le remplacement progressif des véhicules thermiques par des véhicules électriques ou hybrides rechargeables, sans changement ni d’usage ni de la mobilité en général, n’apparait pas directement. En effet ce renouvellement peut parfaitement s’inscrire dans le modèle dominant actuel, il n’en serait que le prolongement, passant par un « verdissement » de l’automobile. Le scenario d’électrification des voitures s’inscrit facilement « into a conventional engineering-led approach to urban transport planning » observent Driscoll, et al. (2012), et non dans le paradigme de mobilité durable tel que formalisé par Banister (2008). Les auteurs observent que « Far from representing a break from the existing path dependencies [..], “The Future Is Electric” storyline may mainly serve to reinforce the dominant rationality-governing mobility planning » (Driscoll, et al, 2012).
On peut en effet imaginer sans difficulté l’arrivée à la marge de véhicules dit bas carbone sur les routes des agglomérations dans les prochaines années, en même temps que le prolongement des politiques de transports collectifs. De cette façon on diminue les émissions sous deux angles simultanément (on favorise le mode le plus efficace énergétiquement, les transports en commun, et on améliore l’efficacité – en tout cas en énergie finale – des voitures). C’est une façon naturelle de penser la situation. Mais c’est en imaginant la massification de ce déploiement à moyen et long terme que l’on fait ressortir une possible contradiction ou un possible paradoxe, comme le note aussi un travail du Certu (Clément-Werny, 2010). En effet la seule stratégie de déploiement de masse à moyen-long terme de VEVHR par simple renouvellement de la flotte, si tant est qu’elle soit effectivement réalisable, impliquerait implicitement la reconduction du modèle actuel de mobilité urbaine et la place de la voiture qui y est réservée, modèle qu’il s’agit justement aujourd’hui de questionner et de renouveler pour tout un ensemble de raisons économiques, sociales, territoriales et environnementales (Conseil d’Analyse Stratégique, 2010). La nécessité d’articulation provient simplement de l’idée que demain n’a aucune raison d’être comme aujourd’hui, et qu’il faut choisir et préparer les changements futurs.
On peut à ce stade faire une analogie avec le secteur électrique. Aujourd’hui le développement à la marge des énergies renouvelables ne pose pas de problème particulier car il s’insère dans le modèle dominant. Mais si ce développement se massifie jusqu’à atteindre une part significative de la production alors des difficultés apparaissent, d’ordre structurel (forme du réseau de transport et distribution, articulation entre l’intermittence des nouvelles sources et moyens de production de base ayant un impact sur leur fonctionnement technique et, in fine, leur performance économique) et se pose alors la question de la stratégie générale à adopter à long terme. Si on ne voit pas forcément à court terme la nécessité de réfléchir plus en avant à l’articulation entre ces deux types de production, à long terme la réflexion sur le modèle global de production paraît indispensable. De même, le déploiement significatif des véhicules bas carbone interroge la pertinence de la stratégie globale en termes d’efficacité économique du système mais aussi en termes de forme de réseau. Les problèmes structurels qui peuvent se poser s’ils ne sont pas anticipés, touchent à la forme et au partage du réseau de voirie pour les différentes formes de mobilité, à l’efficacité économique entre des offres qui peuvent se concurrencer mais aussi à l’impact sur la forme du territoire. Le caractère systémique de la ville implique qu’il faille aller au delà d’un scénario d’économie de l’énergie avec simple substitution de technologie pour les véhicules particuliers. Les villes ne sont pas des objets inertes, terrains de jeux impassibles des nouvelles technologies de transport, comme elles pourraient être représentées dans des travaux énergétiques à un niveau macro. Le déploiement des VE se fait dans des villes en mouvement. Il est donc nécessaire de s’intéresser à la question du déploiement des nouveaux véhicules propres et des nouvelles mobilités en prenant davantage le point de vue de la ville. La question de la cohérence de long terme pose une question de planification urbaine.
Un besoin de coordination entre politiques locales de mobilité et politiques industrielles nationales
Dans les agglomérations françaises, la réflexion sur la ville de demain et la mobilité urbaine s’inscrit dans la lignée des politiques des dix dernières années qui ont agit en faveur d’une augmentation de l’usage des transports en commun et des modes doux et d’une stabilisation voire d’une baisse de l’usage de la voiture. Les Plan de déplacements urbains , institués par la loi LOTI (1982), et renforcés par les lois Laure (1996) et Solidarité Renouvellement Urbain (SRU) (2000) ont d’ailleurs explicitement pour rôle d’assurer, entre autres, « la diminution du trafic automobile » et le « développement des transports collectifs » sur leur périmètre. Les objectifs poursuivis sont de diminuer les externalités négatives provenant des voitures en milieu urbain (bruit, congestion, espace consommé), de requalifier les zones urbaines denses (Faivre d’Arcier, 2008), et ce d’autant plus que le phénomène d’étalement urbain s’est souvent doublé d’une perte d’attractivité des centres urbains, de réduire les impacts environnementaux de la mobilité urbaine (polluants locaux et gaz à effet de serre) et de réaffirmer la fonction sociale du transport en commun (Faivre d’Arcier, 2008). Cette vision de la mobilité va de pair avec des principes d’urbanisme (loi SRU) favorisant la reconstruction de la ville sur elle-même et le renouvellement urbain. Cette ambition de développer les transports en commun a été renforcée par le Grenelle avec l’objectif de construire 1500 kilomètres supplémentaires de transport en commun en site propre en 15 ans, objectif très ambitieux qui ne sera probablement pas atteint (Réseau Action Climat, 2010 et Certu, 2010a) en partie du fait des contraintes financières (Certu, 2010b) mais qui est néanmoins soutenu par les investissements de l’Etat (800M€ entre 2009 et 2011).
Dans le même temps, l’Etat a aussi des objectifs ambitieux concernant le développement des véhicules électriques et hybrides rechargeables avec un objectif annoncé de 2 millions de véhicules électriques et hybrides rechargeables sur les routes françaises en 2020 (Plan national du 1er octobre 2009) et près d’un milliard d’euros de soutien pour la recherche et la production par des prêts bonifiés et des subventions (Michaud, 2010). Le plan national prévoit aussi l’acquisition par l’Etat et les grandes entreprises privées de 100 000 véhicules électriques d’ici à 2015, et le maintien jusqu’en 2012 du super bonus (5000 euros) pour l’achat d’un véhicule émettant moins de 60g de CO2/km. L’Etat a aussi signé une charte tripartite avec les constructeurs et les collectivités locales avec comme engagements : pour les constructeurs à commercialiser 60 000 véhicules en 2011-2012 sur le marché français, pour les collectivités à « mettre en œuvre le déploiement d’infrastructure de recharge publique dès 2011, si les conditions techniques et réglementaires suffisantes sont réunies », pour l’Etat à préciser les modalités de soutien au travers du Grand emprunt, recueillir et partager les connaissances en matière de modèles économiques, rassembler toutes les informations pertinentes dans un livre vert et pour les constructeurs à commercialiser les véhicules nécessaires. Le livret vert a été publié en avril 2011, il rappelle l’importance du déploiement des VEVHR pour les politiques de réductions des émissions de gaz à effet de serre et vise à servir de guide pour les collectivités locales pour la mise en place des infrastructures de recharge dans les espaces publics, qui est de leur responsabilité. Il contient un volet technique présentant les différentes technologies pour la recharge et les recommandations de l’Etat, et un volet économique et juridique, s’intéressant aux modèles économiques disponibles et aux conditions de leur mise en place. Le livre vert a bien un aspect planification, mais il ne concerne que l’organisation du déploiement des infrastructures de recharge. Il mentionne toutefois, dans les conditions à satisfaire pour obtenir le soutien financier de l’Etat, le besoin de cohérence avec « les autres enjeux de mobilité et d’aménagement à l’échelle de la ville ou de l’agglomération (transports en commun, auto-partage ou libre-service, parkings mutualisés…) ». Le Plan Automobile (Ministère du redressement productif et ministère du travail, 2012), présenté par les ministres A.Montebourg et M.Sapin, confirme ces orientations (en particulier le Bonus) et poursuit la démarche de l’Etat. Ce plan est clairement dans le registre de la politique industrielle (comme la nature des deux ministères le laissait présager), la question de la mobilité, en particulier urbaine, n’est pas vraiment associée à la réflexion stratégique.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 Le besoin de planification, une illustration par le véhicule électrique.
1. INTRODUCTION ET CADRE DE NOTRE QUESTIONNEMENT
2. LE DEPLOIEMENT DE L’ELECTRO-MOBILITE DANS UNE VILLE EN MOUVEMENT : UN EFFET SYSTEMIQUE DE
LONG TERME A PRENDRE EN COMPTE.
3. UN BESOIN DE COORDINATION ENTRE POLITIQUES LOCALES DE MOBILITE ET POLITIQUES INDUSTRIELLES
NATIONALES.
4. SE PARTAGER L’ESPACE URBAIN ET CONSTRUIRE LA VILLE DURABLE : UN BESOIN DE PLANIFICATION.
4.1 Une question d’aménagement.
4.1.1 Le partage de la voirie.
4.1.2 Quelle stratégie pour les places de stationnement ?
4.1.3 La planification des infrastructures de recharge.
4.2 Les transports pour « construire » la ville durable
4.2.1 Le transport pour construire l’intercommunalité.
4.2.2 Le transport pour construire l’espace urbain
4.3 Les incitations et l’articulation entre territoires.
4.3.1 Quels signaux proposer aux habitants des agglomérations ?
4.3.2 Les questions à l’échelle des aires urbaines
4.3.3 Quelle articulation entre territoires ?
4.3.4 La coordination avec les acteurs privés.
5. UN BESOIN D’ANALYSE ECONOMIQUE POUR LA PLANIFICATION : COMMENT TROUVER LES CONDITIONS
ECONOMIQUES D’UNE TRANSITION VERS UN MODELE DE MOBILITE DURABLE ?
5.1 Le besoin d’une vision de long terme pour garantir les équilibres financiers.
5.2 Penser le financement de la mobilité d’une manière globale
5.3 Réduire les externalités : mais à quel coût ?
5.3.1 Les coûts des batteries et les hypothèses sur nos véhicules.
5.3.2 Niveau d’émissions.
5.3.3 Coût d’abattement brut.
5.4 Les politiques de mobilité questionnées par leur contenu en emplois
5.4.1 Croissance verte et emplois.
5.4.2 La question des niveaux de qualification
5.4.3 Délocalisation, exportation et balance commerciale
6. CONCLUSION.
Chapitre 2 Pourquoi fait-on de la planification ?
1. DEFINITION DE LA PLANIFICATION URBAINE.
1.1 Les origines.
1.2 Pourquoi a-t-on besoin de planification ? La cohabitation du plan et du marché
1.3 La prospective.
1.3.1 Penser le futur : la prospective
1.3.2 Qu’est ce que la prospective ?
1.3.3 Le rôle de la prospective
1.3.4 Prospective et planification
1.4 Les méthodes de la planification : une place centrale pour l’économie.
1.5 Notre définition de la planification.
2. LA PLANIFICATION ET LE PLAN : QUELQUES EVOLUTIONS HISTORIQUES.
2.1 Le master plan
2.2 L’après guerre français : une période particulière pour l’urbanisme et la planification
2.3 L’affaiblissement du plan et de la planification.
2.3.1 Le rejet progressif du plan.
2.3.2 Affaiblissement de la planification traditionnelle en France 84
2.4 Les évolutions récentes en Europe.
2.4.1 La planification stratégique et l’urbanisme de projet
2.4.2 Le développement durable à la relance de la planification.
3. CONTEXTE JURIDIQUE ET INSTITUTIONNEL DE LA PLANIFICATION DE LA LOI SRU
3.1 Le contexte français.
3.2 La loi Solidarité et Renouvellement urbain (SRU) de 2000.
3.3 Le SCOT
3.4 Le Plan Local d’Urbanisme.
3.5 Les Plans Climat Energie Territoriaux.
3.6 Le besoin de cohérence.
3.7 La prospective dans ce nouveau contexte.
3.8 Perspective générale.
3.9 Cette nouvelle planification est-elle efficace ?
4. CONCLUSION.
Chapitre 3 Le manque d’analyse économique dans la planification par les SCOT
1. L’EFFICACITE DE LA PLANIFICATION EN QUESTION.
1.1 Capacité à agir sur un périmètre adapté.
1.1.1 Le choix du périmètre
1.1.2 PLU et SCOT dans le périurbain.
1.2 Capacité à porter une stratégie
1.2.1 Nature de la stratégie.
1.2.2 Le défi d’une stratégie sur le temps long.
1.3 Structure institutionnelle : la nécessaire faiblesse de la gouvernance des SCOT
1.4 Capacité à traduire cette stratégie dans les faits : la difficile prescription.
1.4.1 La réforme du Grenelle : plus de précision pour plus de prescription.
1.4.2 Quel est véritablement l’objet principal de la planification ? Un processus au-delà du texte.
1.5 Capacité à articuler transport et urbanisme
1.6 La difficulté à problématiser la ville durable et gérer les conflits.
1.7 Des explications à trouver du côté du droit de l’urbanisme.
1.7.1 Clarté et simplicité
1.7.2 Philosophie des outils de politique publique
2. LA FAIBLE PLACE DE L’ECONOMIE.
2.1 Capacité à connaître et maitriser les logiques économiques à l’œuvre
2.2 Une logique d’ensemble a-économique.
2.3 Quelle maitrise des mécanismes de fabrique de la ville ?
2.3.1 Les mécanismes en jeu.
2.3.2 La question foncière.
2.4 Les coûts de l’urbanisation : une comptabilisation impossible en l’état actuel des connaissances, un indice fort de l’absence de pilotage économique territorial.
2.4.1 Un état des lieux des connaissances.
2.4.2 Deux exemples d’analyse des coûts des équipements publics et des dépenses communales
2.4.3 Les effets de seuil.
2.4.4 Quelques enseignements
2.4.5 Les coûts de la centralité.
2.4.6 La question des systèmes de solidarité.
3. COMMENT EXPLIQUER LE MANQUE D’ANALYSE ECONOMIQUE ?
3.1 Une planification en reconstruction
3.2 Le métier d’urbaniste.
3.3 Les agences d’urbanisme.
4. ANALYSE DES DOCUMENTS DU SCOT DE GRENOBLE.
5. CONCLUSIONS ET FORMULATION D’UN CAHIER DES CHARGES POUR L’ANALYSE ECONOMIQUE
Conclusion
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