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Apparition du phénomène au Handball
Au cours de son article paru dans l’ouvrage « Loisir et société » Bernardeau-Moreau nous détaille les prémices de la professionnalisation de ce sport. Le commencement se situeraient dans un premier temps, au milieu des années 80, avec l’accession de Daniel Costantini à la tête de l’équipe de France et de Claude Tapie, alors financier, à la tête du club de Créteil. Dans un second temps, un élément sera source d’une brusque accélération dans ce processus de professionnalisation, il s’agit de l’instauration de la Ligue Professionnelle de Handball en 2004. Dès lors, le cas Tapie se généralise dans les clubs, car l’accession à la ligue professionnelle requiert un budget d’entrée qui va fortement conditionner la structure des organisations sportives, les poussant à une rationalisation managériale. Les clubs désormais gérés tels de petites entreprises, doivent en plus de l’aspect sportif, considérer la gestion, la rentabilité et l’efficacité administrative. La performance managériale est donc revue à la hausse. Là où l’on trouvait auparavant des bénévoles, se substituent désormais des experts et spécialistes rémunérés ayant un niveau de compétence, une charge de responsabilité et un devoir de résultat accrus. De nouveaux métiers se créent même constamment, citons les webmasters ou community manager qui n’existaient pas il y a dix années de cela dans de telles structures et qui nécessitent des qualifications très particulières. La formation et le niveau de qualification du corps dirigeant et administratif est au plus haut au sein des instances sportives où jadis le bénévolat amateur faisait force.
La performance est de mise. Certes, le changement est sans pareil d’un point de vue administratif, mais pas seulement. Dans l’aspect sportif, le sportif et l’entraineur aussi vivent cette professionnalisation, car c’est avant tout une performance sportive que l’on veut faire prévaloir. Le rapport affectif, voire paternel qu’entretenaient souvent les athlètes avec leurs entraineurs et structures d’entrainements s’amoindri. Car on aspire ici aussi à une notion d’efficacité. Mais l’efficacité, tout comme expliqué précédemment, sera signifiée par un contrat qui définira un niveau de compétence, de responsabilité et un devoir de résultat attendu. Car ceux-ci sont, au même titre que les autres, à présent des employés entretenant une relation de subordonné auprès de leur employeur, le président du club. Ils sont eux aussi tenus à la performance et doivent ainsi que tout employé, justifier de leur salaire.
La monétisation, mère de la professionnalisation
Ce que Bernardeau-Moreau met finalement en exergue dans son analyse des clubs professionnels du handball français, c’est que les rouages de la professionnalisation se distinguent dès l’apparition d’un facteur précis. Ce dernier qui pourrait être incarné par le concept de performance ou de formation, se matérialise en réalité avec la notion de monétisation. La professionnalisation, induite par le souhait d’atteindre des objectifs, nécessite une rationalisation de l’organisation des clubs, qui ne s’établit que sous le coup de la salarisation des effectifs auparavant bénévoles.
L’instauration de salaires requiert alors la justification de son attribution que les nouveaux employés légitiment alors via des formations passées et une performance professionnelle reconnue. Ici, tout comme dans le milieu médical dépeint par Dussault, il devient alors inconcevable, dans l’entendement commun, d’attribuer ces positions à une population autre que celle d’experts. La configuration interne des clubs s’apparente, par ailleurs à s’y méprendre, à de vraies entreprises, si l’on considère qu’ils peuvent employer entre 5 et 6 salariés à temps plein à des postes très spécialisés tels que directeurs administratifs et financiers, chargé markéting ou encore de communication. Rien d’étonnant au fait que ces premiers, soient chaque année plus nombreux à revêtir le statut d’entreprise commerciale.
Toute cette précédente analyse représentative des clubs de la Ligue Professionnelle de Handball est transposable, à peu de choses près, aux autres clubs de ligues majeures du sport français. Cependant, les clubs amateurs ne sont pas absents de ce phénomène de professionnalisation. A moindre échelle, la professionnalisation se traduit par l’accession d’un ou deux salariés à des postes permettant une gestion optimale et l’allègement des responsabilités qui y incombent aux bénévoles. Pour tous, la salarisation et par conséquent la transformation de responsabilités bénévoles en obligation salariale, incarne la professionnalisation. Pourtant, le bénévolat a toujours subsisté et reste le chaînon indissociable à la densité du tissu associatif français. Mais malgré quelques dizaines d’années de professionnalisme, ce rapport salariés/bénévoles au sein d’une même organisation peut s’avérer complexe.
Vivre la professionnalisation, un rapport salarié/bénévole complexe
Une association sportive, malgré son statut à but non lucratif, peut tout à fait engager des salariés. Elle est alors soumise au code du travail comme tout organisme employeur. Le salariat en association s’effectue sous quelques impératifs que sont, entre autres, la prestation de travail que l’employeur s’engage à fournir et que l’employé s’engage à effectuer, la rémunération contre prestation et le lien de subordination entre l’employeur et l’employé. L’employé, en dehors de son travail, a le droit d’être un acteur bénévole de l’association dans laquelle il travaille. Cependant, cette situation présente un risque pour l’association puisque celle-ci doit alors dissocier clairement sur le contrat, ce qui relève des fonctions du travailleur et que ce qui relève du rôle de bénévole, les horaires de travail doivent être clairement identifiées et respectées. Faute de quoi, l’association se risque à être pénalement punie pour travail dissimulé et d’être tenue de payer salaires et cotisations sociales dues (Associathèque, sd). Il semble alors théoriquement très périlleux pour les associations d’engager des salariés qui s’investiront ensuite à titre personnel et non plus professionnel dans la vie sportive de l’organisation, à titre bénévole. Pourtant, en pratique, la réalité est tout autre.
Caroline Chimot et Manuel Schotté, deux enseignants chercheurs respectivement des universités de Reims et de Paris 10, se penchent sur cette réalité du terrain. Ils ont en outre analysé la relation bénévole/salarié dans des organisations sportives de type fédération ou comité olympique dans des travaux intitulés « Travailler dans une organisation sportive. Entre engagement passionné et investissement professionnel » (2006), publiés dans la revue « Regards Sociologiques ». Ce rapport et cette distinction bénévole/salarié est complexe. Alors que dans ces institutions sportives, les comités directeurs et bureaux sont communément occupés par des bénévoles élus, les commissions de fonctionnement administratif et/ou financiers rassemblent quant à elles bénévoles et salariés. Les élus auxquels incombent la structuration des fédérations, malgré un statut de bénévole, se rendent disponible pour cette tâche près de 20 heures par semaine. Ce premier élément questionne alors l’investissement escompté pour un membre rémunéré. Les éléments de réponse ne se font pas attendre : la majeure partie des salariés, mimant le taux d’investissement des autres membres de l’organisation, dépassent largement les clauses de leurs contrats en termes de temps et d’investissement. Nombre d’entre eux travaillent jusque tard le soir, sont souvent en déplacement la semaine et le weekend, etc.
Chimot et Schotté illustrent alors ce qu’ils appellent le déni du travail rémunéré propre aux instances sportives françaises. En effet, dans les mœurs des inconditionnels, il semble aller de soi que tout individu engagé dans une organisation sportive ne compte point ses heures et donne de sa personne sans restriction. Celui qui dérogerait à ces impératifs tacites se verrait reprocher de manquer de dévouement en vertu de l’engagement total et du désintéressement, devenu à priori, propre aux valeurs sportives.
Une analyse d’entretiens semi directifs de 24 présidents et leurs salariés respectifs de différents clubs dans l’agglomération bordelaise, met en exergue le rapport des salariés avec leur club employeur et les antécédents qu’ils partagent. Anne-Lise Hinnewinkel (sd), enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux 2 à l’origine de cette démarche, nous resitue dans le cadre socio-économique de la professionnalisation des clubs amateurs. Cette dernière fut initiée, ou du moins fortement accentuée aux cours des dix dernières années, par la mise en place des contrats aidés de l’Etat. La finalité était de restructurer le tissu associatif français, le recrutement d’un salarié qualifié permettant ainsi le soutien et le « pilotage » des bénévoles dans leurs actions. On pourrait alors imaginer ces salariés distants et conservant un lien strictement professionnel avec la structure qui les accueille. Pourtant il en est tout autrement, en effet les entretiens révèlent que : tous entretiennent un lien affectif avec le club ; on relève plusieurs fois l’emploi du terme de propriété « mon club » qui revient au cours des entretiens ; le lien est jugé plus important quand le salarié est le seul de la structure, ou s’il travaille avec moins de deux autres salariés ; qu’un nombre relativement faible de ces travailleurs sont étrangers au club. La majorité entretenait avec le club, un lien antérieur à la position tenue à présent, certains entretenaient même une relation amicale avec le président avant l’obtention du poste. En effet, nombre d’entre eux étaient sportifs, voire bénévoles au sein de cette même structure. Le sentiment d’avoir été favorisé et d’être redevable au président de club se perçoit de nombreuses fois. Présidents, tout comme salariés reconnaissent avoir une vision assez floue de la frontière entre le bénévole et le salarié et ne pas pouvoir définir clairement qui est supposé faire quoi du fait de son statut. Prenant part dans la vie du club depuis de longues années, pour la plupart, les employés légitiment leur soutien à l’association sur leur temps hors-contractuel. Certains pourtant, indiquent être gênés par le fait de se déplacer en dehors des créneaux horaires, pour être présents aux compétitions le weekend par exemple. Cependant, ces réserves ne sont pas accompagnées d’actes, puisqu’ils se plient aux demandes du président pour les raisons précédemment citées. En outre, les réticents comme les acharnés à l’ouvrage pensent d’une manière unanime que leur engagement personnel sur leur temps libre est une étape incontournable pour tenter de pérenniser leur poste.
A partir du recueil d’autres entretiens menés par M. Falcoz et E. Walter (2009), une ambivalence sur la perception des rôles et les attentes escomptées pour un salarié au sein de clubs amateurs se dessine. Dans un premier temps, allant dans le sens d’Hinnewinkel, on considère que tacitement le bénévolat est requis lors de l’accession à un poste de salarié. On prône « l’esprit club » et est entretenue cette vision de la disponibilité sans faille et au service du club permettant à terme une évolution, ou du moins une implantation durable, dans ce secteur socialement convoité. Cependant dans un second temps, on observe une méfiance de la part de présidents ou de personnels dirigeants et bénévoles d’un club vis-à-vis du salarié. L’employé est mis sous pression et est considéré comme nonchalant, voire profiteur. Cela si sous réserve de recevoir un salaire, on estime qu’il fournit moins de travail que le font les bénévoles, n’est pas constamment présent tant qu’il y a des bénévoles, etc. Les salariés, malgré eux, souffrent du handicap d’être rémunérés. Handicap, car au lieu d’éprouver un sentiment d’émancipation du fait de leur revenu, ils éprouvent en réalité un sentiment d’appartenance et de devoir envers la structure employeuse. Le devoir de prouver que l’on est investi et qu’au-delà de ça, que l’on est capable soi-même d’actes gratuits. Pourtant, certains membres bénévoles, malgré une implication importante de la part du travailleur rémunéré, qu’ils encouragent et suggèrent fortement, se méfient du potentiel de ce dernier. En effet, celui-ci, qualifié et très présent au sein de l’association possède parfois plus d’influence que le président et que les autres membres du bureau. On craint une mainmise sur le club. Les présidents se sentent en danger et certains affirment tenir à l’œil leur(s) employé(s) et exigent être au courant de toute décision avant d’être adoptée. On peut expliquer ce comportement du fait de la longévité du personnel bénévole et dirigeant au sein d’un club. Ces derniers vivent une vie hors professionnelle qui leur fait atteindre une position sociale centrale qu’ils n’occupent pas forcément durant leur vie professionnelle. Cette position sociale est totalement liée à leur activité de dirigeant au sein de l’institution à laquelle ils ont tout donné. Ils n’ont donc pas ou peu de ressources à faire valoir en dehors de l’institution, ce qui explique leur fort attachement (Chimot et Schotté). Les salariés quant à eux, sont qualifiés et ont une mobilité qui n’a pour limite que leurs compétences et réputation. Ils possèdent une liberté que les présidents ne possèdent pas. Ces derniers par conséquent appréhendent le fait qu’une présence excessive et les qualités de gestion d’autrui leur portent préjudice et fasse « exploser » leur autorité et légitimité à présider.
Cependant une catégorie de personnel rémunéré dans les clubs peut faire prévaloir son avis et engager des négociations quelconques avec plus de facilité. Il s’agit de ceux possédant un capital sportif important, c’est-à-dire un niveau sportif conséquent ou une expertise reconnue (M. Falcoz et E. Walter). Ces salariés sont pour la plupart du temps des entraineurs, voire de bons athlètes encore en activité plutôt que des employés administratifs.
Faits troublants ; certains bénévoles exigent ou parfois bénéficient de compensations de toutes natures. Comment définir alors ce qu’est un salarié, un salarié faisant du bénévolat et un bénévole ? La distinction demeure de moins en moins claire. En effet, d’une part nous avons certains salariés ne possédant pas ne serait-ce qu’un contrat de travail (Hinnewinkel). D’autre part, nous avons des bénévoles recevant des compensations alimentaires de type panier-repas, kilométriques pour les frais de déplacement, voire même des compensations sous forme d’indemnités pour les gratifier d’interventions ponctuelles dans le fonctionnement de l’association (Tribune Fonda). La limite entre salariés et bénévoles est alors on ne peut moins nette.
Ce tableau, qui se veut être le plus complet quant à la définition, la manifestation et la mise en pratique de la professionnalisation des organisations sportives a pour objet l’identification de son terme contraire que sera la déprofessionnalisation. Cette manœuvre est nécessaire car la littérature actuelle ne nous offre pas de définition ou de description conforme à ce propos pouvant ici nous convenir. Cependant, on notera l’emploi de ce terme et même sa définition propre à des secteurs divers.
Dussault, qui nous proposait dès 1985 sa définition de la professionnalisation des services médicaux et notamment de l’aide à la personne aura dans le même temps dénoncé la déprofessionnalisation de ce même phénomène. De manière générale, la déprofessionnalisation ne peut faire suite qu’à une tendance à la professionnalisation. Ce premier se manifeste alors quand la situation de professionnalisation s’affaiblit considérablement, cesse d’exister ou se mue de façon majeure ; on se retrouve alors dans une situation identique à celle précédant la professionnalisation ou alors dans une situation nouvelle. De façon spécifique chez Dussault, la déprofessionnalisation se manifeste par une baisse de la confiance de la population envers les services médicaux et le développement d’alternatives thérapeutiques. En pratique cela s’exprime de diverses manières, des consultations plus dense de chiropracteur ou de naturopathe, aux accouchements à domicile avec la seule présence d’une sage-femme, jusqu’au retour de la médecine douce avec l’emploi de plantes thérapeutiques.
Si en quelques mots, la professionnalisation fait état de l’émergence d’un personnel rémunéré et qualifié au sein d’une association sportive et d’un statut associé parfois troublé par la présence de bénévoles ; la déprofessionnalisation, son contraire, fait alors état de l’émergence de bénévoles au sein d’une organisation sportive troublant parfois le statut des salariés. Le terme organisation sportive est volontairement employé, car ici, la situation sera observée du sein d’une entreprise et non d’une association. Il convient de préciser qu’un processus de déprofessionnalisation ne peut intervenir que dans un secteur d’ores et déjà professionnalisé, ce qui sera alors ici le cas puisque nous parlerons d’une entreprise. Si nous devions faire écho à la définition de Dussault, dans ce cas nous aurions probablement à faire à un affaiblissement conséquent de la professionnalisation jusqu’alors observée dans ce secteur. La déprofessionnalisation, bien qu’étant l’opposé du terme professionnalisation ne possède pas un fonctionnement et des problématiques internes foncièrement différentes de celles traitées dans cette partie comme nous le verrons plus tard. La différence majeures résidera dans le fait que les bénévoles de l’entreprise sont parfois tout autant qualifiés que les salariés des associations évoquées ici et sont, par conséquent loin d’être des bénévoles ordinaires s’investissant dans leur club. Leur présence soulève donc un questionnement.
Le bénévolat, de la culture du don de soi au profit personnel
Dans cette partie nous nous pencherons sur les bénévoles de l’entreprise : leur quotidien, leur motivation, etc. Nous aurons un aperçu de la vie au sein de l’entreprise. Aperçu qui ne saurait être complet si l’on omettait d’inclure les salariés. En amont cependant, il parait essentiel d’aborder le système au sein duquel une telle situation peut se produire.
Une autre notion du bénévolat
Un système australien qui nous échappe
Alors qu’il nous parait insolite d’observer la présence de bénévoles travaillant au sein d’une entreprise, il n’en est que plus curieux de constater que leur nombre et horaire cumulés est bien plus important que celui des salariés. Cependant pour comprendre cette situation, il convient de resituer ces éléments dans leur cadre environnemental et culturel.
Ce cadre est australien, à près de 16.000 kilomètres de la France métropolitaine, peu étonnant donc de discerner des différences dans leurs us et coutumes. Par ailleurs, ces différences, notamment sur le système de bénévolat, certains australiens le vantent, pensant faire exception dans le domaine. Voici pour exemple, un extrait de l’ouvrage « Volunteering : why we can’t survive without it » de Mélanie Oppenheimer (2008) qui souligne cette différence, qu’elle estime tout d’abord de culturelle : « Alors qu’elle décrivait le nombre interminable de tâches à remplir par les bénévoles dans son école locale, un membre de l’audience s’exclama « je ne comprends pas. Je ne comprends pas le bénévolat – pourquoi les gens le feraient – d’où est ce que ça vient ? » Originaire d’Europe (Allemagne pour être précise), cette cultivée et intelligente trentenaire voulait obtenir une réponse pour quelque chose qu’elle ne comprenait clairement pas, quelque chose qui, pour autant qu’elle puisse être concernée ne faisait pas parti de son environnement culturel ».1
Ce que l’allemande ne pouvait à priori pas comprendre, c’est le fait que des personnes s’investissent gratuitement dans des corps de métier ou des structures à priori complètement professionnalisées, régies par des salariés. Ici, le professorat. Pourtant, comme le cite Oppenheimer, les bénévoles sont présents partout, ils font « tout » : du management, de l’administration, des prévisions budgétaires, des levées de fonds, de la vente, des sites internet, rédigent des rapports, enseignent, soignent, conduisent, construisent, etc. Nombres d’offres bénévoles s’apparentent par ailleurs à des offres d’emplois rémunérées compte tenu de la disponibilité et des compétences spécifiques requises.
Pourquoi font-ils cela ? S’investissent-ils vraiment plus bénévolement que nous ne le faisons en France ? Est-ce culturel ?
Pour savoir, si les Australiens s’investissent plus que les Français, laissons parler les chiffres officiels. D’après l’institut majeur du mouvement bénévole en Australie, 6,1 millions de la population australienne aurait endossé le statut de bénévole dans l’année (2010). En France, les chiffres de France Bénévolat font état de 12,7 millions de bénévoles au cours de l’année 2014. Ces statistiques brutes, qui à priori donnent l’avantage aux Français, sont pourtant faussées par la population près de trois fois plus importante de ceux-ci.2 De manière plus comparable, on estime alors que le bénévolat s’élève à près de 25,8% de la population du côté australien contre 19,7% du côté français, soit une différence de près de 3,9 millions de bénévoles pour une population identique. Le constat est sans appel, bien plus d’australiens s’investissent bénévolement. Le bénévolat contribuerait par ailleurs chaque année, à près de 200 milliards de dollars3 (soit 126 milliards d’euros) de l’économie australienne.
L’héritage britannique, une vision partagée
Quant aux interrogations liées à la culture et aux motifs, un premier élément de réponse nous est donné par Maud Simonet (2011), qui contredit la littérature australienne se targuant d’être unique dans le genre, en nous affirmant qu’il y a une culture particulière du bénévolat propre aux pays de l’ancien empire britannique. Elle admet, cependant que depuis leur rupture avec l’empire, les ex-pays colonisés4 ont alors indépendamment remodelé leur mode de fonctionnement et culture, notamment celui associé au bénévolat et créé leurs propres spécificités. Néanmoins, ils émergent tous d’un système qui fut commun. Simonet nous propose une piste en mettant en exergue le fait qu’à la différence de la France, ces pays ont une implication de l’Etat, qui remonte à la gérance britannique, qui est moindre dans nombre de domaine et qui appelle, à priori, à plus d’engagement et de citoyenneté de la part de la population.
C’est par ailleurs sans surprise que nous retrouvons ces pays groupés au classement des pays les plus généreux établie par la CAF (Charities Aid Foundation), une association caritative internationale. La CAF édite chaque année le World Giving Index où sont répertoriés chaque année 135 pays selon trois critères5: le don de sa personne (quantité d’heures de bénévolat), le don d’argent aux associations caritatives, la bienveillance (capacité à aider un inconnu lambda ayant besoin de notre aide).
Ce classement, tout critères confondus et consultable en Annexe 1, place les Etats-Unis en 1ère position (ex aequo avec la Birmanie), le Canada en 3ème, l’Australie en 6ème et le Royaume-Unis en 7ème position. La France, hors classement se situe seulement à la 90ème position. Pour ce qui est du classement plus spécifique relatif au temps donné à titre bénévole à une association les Etats-Unis et le Canada se classe en 5ème position, l’Australie en 16ème, le Royaume-Uni en 33ème et la France en 55ème position.
Exemple des Etats-Unis
Force est de constater que ces pays ont un rapport différent avec l’acte que représente le bénévolat. Simonet, qui dans son ouvrage « Le travail bénévole : Engagement citoyen ou travail gratuit ? » parce qu’elle étudie l’émergence des programmes de bénévolat français, se penche sur le système américain. Ceci car elle le considère comme une référence, dans le sens où le volontariat y est bien plus développé et possède une plus longue histoire. Elle nous illustre quelques spécificités d’outre-Atlantique. Notamment, celles des parcs de New York qui rassemblent un groupe incroyablement varié de travailleurs. En plus d’employés municipaux, les parcs de New York sont entretenus, entre autres, par des associations de voisins. Certains vont même jusqu’à organiser des après-midi nettoyage, plantation et jardinage pour les salariés d’entreprises qui viennent à titre bénévole, bien sûr, nettoyer les parcs de la ville. Nombres d’entre eux viennent avec leurs enfants pour transmettre, disent-ils, ces valeurs citoyennes. Ils perpétuent ainsi l’engagement bénévole de la population.
Exemple du Canada
Pour la réalisation optimale de l’analyse de l’entreprise QSM Sports, des entretiens ont été menées avec deux bénévoles. Voir Annexe 3 et 4. Par chance, l’un des bénévoles, Kevin, est d’origine canadienne. Ayant lui-même été longuement bénévole dans son pays pour un centre de sport d’hiver à but lucratif, puis directeur de ce même type de structures faisant appel aux bénévoles, il nous livre son expérience. Le bénévolat, il l’a tout d’abord commencé car il trouvait cela plaisant. Il aime la neige, il aime skier, pourquoi ne pas aider en faisant ce qu’il aime surtout si c’est pour des entreprises qui méritent d’exister et qui ne le pourraient sans le soutien de bénévoles. Il prend son rôle très au sérieux et s’investi de plus en plus. Il nous explique que quand il y a des descentes d’enfants, il est fondamental pour un groupe de huit jeunes d’être encadré d’un instructeur salarié, en tête de file et d’un autre instructeur, le bénévole, en queue de file. La sécurité est de mise et l’entreprise ne pourrait se permettre à elle seule de financer deux instructeurs par groupes. C’est donc tout naturellement que les budgets sont établis avec l’idée prérequise qu’un instructeur sur deux sera bénévole. Il nous le certifie, la survie de nombres de ses organisations dépendent de la présence de bénévoles. Pour s’assurer de l’assistance des bénévoles des contreparties sont instaurées, comme la délivrance d’un pass illimité à la piste de ski par exemple. Le bénévolat, cela semble naturel à Kevin, il conçoit par ailleurs, de se réinvestir dans une cause quelle qu’elle soit ou auprès d’une association dès qu’il aura trouvé un emploi avec plus de stabilité, tant que c’est pour aider des gens qui en ont besoin.
Que l’on parle des États-Unis, du Canada ou bien sûr de l’Australie, des conceptions différentes permettent d’envisager que pour diverses raisons, des postes normalement rémunérés ou des institutions de professionnels puissent fonctionner avec des bénévoles. Cela explique, en partie, pourquoi le cas de QSM Sports peut exister sans outrance. Cependant dans nombres de lectures ou de témoignages, on retrouve constamment cette notion d’aide à la société, de citoyenneté, de partage, etc. Toutes ces valeurs qui véhiculeraient un certain bien-être aux auteurs d’actes gratuits. Pourtant sur ce dernier point, nous sommes loin de la réalité qui pousse les jeunes bénévoles à s’investir autant dans la petite entreprise.
L’équivalence française
Le constat dégagé ci-dessus est bien loin d’être marginal et inconnu en France. Cependant la manière diffère. A titre d’exemple vécu cette même année, je pourrais citer le bon tiers de ma promotion de Master 2 Management du Sport qui s’engagea bénévolement au Meeting d’Athlétisme de Mondeville. Certes, il est probable que certains d’entre eux l’aient fait pour l’amour du sport. Cependant on ne peut oblitérer, la coïncidence, aussi grande soit elle, faisant que cet événement se tenait seulement deux mois avant les débuts de stage, alors que seul un nombre infime d’étudiants était assuré d’en avoir un. Quel moyen plus idéal que celui-ci pour booster son CV en seulement quelques jours en justifiant d’une personnalité active et investie.
Les élèves de la promotion Master 2 Management du Sport, sont loin d’être uniques dans cette situation. C’est ce que Sébastien Fleuriel (2008) s’applique à nous démontrer sur un échantillon d’une quinzaine de jeunes femmes, affectées au poste d’hôtesse du club France, parmi les 45.000 bénévoles des Jeux Olympiques d’Athènes en 2004.
Ces dernières ayant déboursées les frais de voyage et de logement donnaient qui plus est de leur temps à un, voire deux postes (représentant alors l’équivalent de deux journées de travail) chaque jour. Là aussi les motivations sont quasi toutes semblables : trouver un emploi durable dans le domaine du sport, de l’événementiel ou de la communication.
Ce que ces jeunes femmes espéraient, c’est un transfert de « capital symbolique ». Ce dernier reposant exclusivement sur la notoriété et le symbole fort que représentent les Jeux. Ce transfert se ferait alors valoir sur le marché de l’emploi dans le sport relativement hermétique. On voit que par leur démarche elles ne cherchaient qu’à se différencier, voire à battre la concurrence en se munissant d’une expérience supplémentaire dans un événement de prestige.
Cependant, les plus audacieuses ne cherchaient ni bataille, ni différenciation, elles voulaient précéder la concurrence avant même que d’éventuelles offres ne soient publiées. En effet, durant ce type d’événement où l’atmosphère est décontractée, les hôtesses sont en contact avec les sportifs de haut niveau mais aussi avec le « gratin », c’est-à-dire des chefs d’entreprises, des sponsors majeurs, des hommes politiques, les représentants des plus grandes instances sportives, etc. Ne se déplaçant sans leurs CV sur elles, ces jeunes femmes sont à l’affut de la moindre opportunité et n’hésitent pas à réclamer des lettres de recommandations ou de faire part de leur disponibilité à divers acteurs de ces jeux, avec l’espoir de rester à l’esprit de ces personnes en cas de vacance d’un poste.
L’efficacité des démarches des bénévoles participants à un événement sportif avec comme finalité de l’insertion dans ce milieu peut être remis en cause. Non pas d’une manière certaine et avec l’appui de statistiques de grande échelle comme police d’assurance, mais de manière plus superficielle en se référant au sondage de cette quinzaine d’hôtesses. L’hypothèse provient du constat suivant : plus d’un tiers d’entre elles déclaraient vouloir travailler dans le milieu sportif, alors qu’elles avaient déjà cumulé au moins deux événements de renommée internationale. L’événement revenant presque systématiquement était le Championnat du Monde d’Athlétisme de 2003 pour des raisons évidentes de facilité puisque ce dernier se déroulait à Paris. Cependant venaient en seconde place des événements les plus cités, les Jeux Olympiques de Sydney, se déroulant quatre ans plus tôt.
Bien que les hôtesses soient dévouées et prêtent à recourir à des sacrifices financiers importants, ces données nous laissent sceptiques sur la rentabilité d’un tel investissement. On peut alors émettre l’hypothèse que des expériences comme celles-ci, bien qu’au cœur d’un événement d’exception, ne suffisent pas, de manière effective, à pénétrer le milieu du sport. Les principales causes pourraient être le trop peu de temps que les hôtesses occupent ces postes et la nature des missions, souvent sous qualifiées.
Le cas QSM Sports
Si les bénévoles que QSM Sports sont prêts à recourir à des investissements similaires que ceux des hôtesses, la durée d’investissement et les qualifications requises sont de toute autre nature. Tous les bénévoles de QSM Sports, sans exception, sont là dans le but de faciliter leur insertion professionnelle. Tous veulent étoffer leur CV. Tous, en étant bénévoles, mettent en avant une facette de leur démarche qui leur est chère :
– Tim, le travailleur, veut absolument garder contact avec le milieu, malgré le fait d’être contraint de gagner sa vie autrement.
– Pour Luliu, la chinoise, il s’agit d’améliorer considérablement son anglais et de développer de nouvelles compétences.
– Kevin, sans diplôme dans le domaine mais ayant déjà accumulé des années d’expérience au Canada, cherche à légitimer son niveau de qualification, à faire valoir son taux de professionnalisme et ses compétences, car il considère comme un handicap le fait de ne pas avoir de recommandation locale. Il évoque également le fait de se créer un réseau.
– Pour ma part, ma motivation était située entre celle de Luliu et de Tim, je voulais rester dans le domaine de l’événementiel du sport tout en améliorant mes compétences en anglais.
Tous, avant même notre démarche de contacter l’entreprise, prévoyions déjà l’après QSM Sports : la candidature à un poste rémunéré. Tim pourrait alors justifier d’une expérience sur le long terme malgré son emploi dans la restauration, Luliu et moi- même d’un niveau de langue suffisant pour intégrer des structures professionnelles et Kevin de son niveau de compétence par le biais de sa lettre de recommandation.
Quotidien et engagement des bénévoles de QSM Sports
Le statut de bénévole ne nous protégeait pas d’un dirigeant très exigeant et d’une activité chronophage. En effet, nous travaillions tous de chez nous, tard le soir, voire les weekends. Délibérément, ou alors par excès de négligence, le dirigeant de l’entreprise, nous informait, de manière régulière, en fin de journée, de missions qui nécessitaient leur réalisation dans l’urgence avant le lendemain matin, ne laissant point de place pour notre vie privée. Prenant conscience de l’abus, je finissais par répondre systématiquement à mes mails, afin de ne pas causer de tort à l’organisation, en modifiant les deadlines exigées, estimant que mes 35 heures de présence au travail étaient plus que suffisantes pour réaliser des tâches. Kevin, en revanche, devenant le quasi bras-droit du dirigeant après le départ d’un des deux salariés, fournissait une quantité de travail astronomique hors du travail. S’étant déjà montré exigeant, le dirigeant se révéla être très envahissant. En plus, d’envoyer des mails à toute heure de la journée et de la nuit, ce dernier appelait souvent Kevin lors de ses jours libres afin de lui demander des informations ou autre, il en faisait de même avec Tim, qui le rappelait durant ses pauses de travail alors qu’il travaillait dans la restauration.
En plus de notre implication dans le travail, nous ressentions tous une forte pression sur la qualité du travail exigé et sur les responsabilités qui nous incombaient. La personnalité du dirigeant n’aidait pas en ce sens. Ce dernier, très présent dans notre quotidien était néanmoins assez absent physiquement du bureau. Certaines tâches étaient donc réalisées sans sa consultation. A titre d’exemple, Kevin envoyait des communiqués de presse sans même que le dirigeant ou un salarié ne les aient lus en amont. De manière générale, tout ce qui avait trait à la communication, au markéting, à la vente, au recrutement des bénévoles reposait, entre autres, sur les épaules des bénévoles. Malgré une présence faible, le dirigeant nous posait pourtant de nombreux ultimatums, avec des comportements qui se voulaient être entre provocation et boutade. Le plus marquant que j’ai en mémoire est le jour, où déçu par le nombre de bénévoles recrutés pour Battle On The Border, il nous avait annoncé que nous ferions bien d’en trouver plus, sinon il ne viendrait pas à l’événement et se serait à nous de nous débrouiller! Le dirigeant ne voulait être informé que de situations résolues et encourageait les initiatives autonomes et les prises de responsabilités, telles que les auraient endossées des salariés. Au-delà d’avoir été l’élément essentiel de notre stress, il fut aussi un facteur déterminant de notre implication. Par exemple, alors que je prétextais ne pas pouvoir me déplacer sur un événement, il me disait : « il faut que tu viennes, cet événement a besoin de toi ».
Pourtant cette stratégie qui relevait quasiment du harcèlement, porta ces fruits. Nous nous sentions impliqués. Kevin justifia une présence plus importante au travail en affirmant « parce qu’ils en avaient besoin, vraiment. Tu sais, il y a plein de choses qui devaient vraiment être faites avant les événements ». Cette réponse nous démontre qu’il s’impliquait dans l’entreprise. Qu’il estimait même que sa présence était décisive. Il voulait le bien de l’entreprise et se sentait, au même titre que nous autres, responsable du succès ou de l’échec de celle-ci. Bien que comme il nous l’indiquait auparavant, il n’éprouvait aucun plaisir particulier à travailler pour cette entreprise. C’est ici, que l’on mesure toute la réussite du dirigeant, il a de par la nature de son entreprise et son comportement, justifié l’engagement et la disponibilité sans pareil que devait fournir une population n’étant pas même rattachée à l’entreprise officiellement. Car aucun des bénévoles, même ceux recevant parfois des compensations financières, ne possédait un document faisant état de leur présence. Cette situation fait tout à fait écho à la manière dont Chimot et Schotté (2006) expliquent l’engagement qui lie un individu à une structure sportive : « L’idée défendue consiste à mettre en évidence que le sport est régi par une organisation spécifique dont la passion, croyance valorisée par l’institution, est un levier essentiel qui, d’une part, vient brouiller les frontières entre engagement bénévole et engagement professionnel, et qui, d’autre part, légitime un mode particulier de domination dans le travail. »
Rapport bénévole/salarié semblable aux associations françaises
Cette citation de Chimot et Schotté met, bien évidemment, en évidence le quotidien des bénévoles, synonyme de dur labeur et de disponibilité. Cependant, cette citation nous renvoie également au statut des salariés de l’entreprise. Ce thème ne fut que très peu abordé avec eux. Pourtant d’après mon expérience à leurs côtés, il m’est clairement apparu qu’ils étaient soumis aux mêmes pressions et aux mêmes notions de désintéressement que le sont les salariés des associations sportives dépeints en Partie 1. Le salarié employé à mi-temps, dépassait largement ses créneaux horaires. Il lui est à plusieurs reprises arrivé de quitter le bureau à minuit ou d’y revenir le weekend. Ici aussi, malgré la structure à but lucratif, le salarié s’estimait privilégié du fait de sa position et pouvait éprouver un sentiment de reconnaissance envers le dirigeant. Car il a, lui aussi, travaillé bénévolement à QSM Sports pendant près de six mois dans le cadre de son stage de fin d’étude. Dès la fin de son stage, il fut embauché. Il n’était, par conséquent, pas inconnu à la structure, tout comme c’est souvent le cas avec les salariés d’associations. On notera que la perception d’être un privilégié tient aussi au fait qu’il travaille au sein d’une entreprise organisant des événements iconiques et qu’il lui arrive de recevoir divers « goodies » et avantages des sponsors. L’une des premières fois où l’on échangeait, il me montrait fièrement les chaussures qu’un sponsor venait tout juste de lui envoyer. Sa satisfaction était telle, qu’il nous a communiqué à tous le sentiment qu’il éprouvait à ce moment-là : celui d’avoir un poste en or.
A contrario, l’autre salarié, celui travaillant à plein temps, démissionna peu de temps après mon arrivée. Celui-ci se plaignait parfois des attentes qui pesaient sur lui. Il me semble qu’il ait trouvé inadmissible de devoir finir ce que l’on escomptait de lui en dehors de ses horaires de travail, pour le faible salaire qu’il recevait en retour. Il déserta à peine quatre mois après son embauche. Voulant avoir confirmation de son motif de départ, je me suis aventurée à questionner l’autre salarié. La réponse fut on ne peut plus claire, il me signifia que ce dernier ne travaillait pas beaucoup et n’avait aucune motivation. A priori, il ne manquera à personne. On ne peut établir que l’hypothèse que le salarié en effet n’était pas efficace du tout, ou alors que simplement il ne l’était pas autant que les autres, car il ne passait pas autant de temps qu’eux sur ses missions, compte tenu qu’il « partait à l’heure ». Est-ce le manque de désintéressement et de disponibilité hors de ses heures de travail qui a fait de ce salarié l’être que tout le monde désapprouve? Nous ne le saurons jamais de façon certaine. La seule assurance que nous puissions avoir est qu’il est parti car il était fortement insatisfait de l’entreprise. En outre, son comportement fut en tout point différent de celui du salarié à mi-temps qui faisait preuve de dévotion et qui partageait très clairement les valeurs de l’entreprise.
Le sentiment d’appartenance dont fait preuve le salarié à mi-temps n’est pas sans rappeler celui dont peuvent faire preuve les salariés de Décathlon en France. Ceux-ci ont même une expression pour qualifier les employés qui adhèrent trop à leurs goûts aux valeurs de Décathlon ; ils « pissent bleu » (Pirard, 2012). La communication managériale insiste sur des vecteurs que l’on retrouve à QSM Sports ; l’autonomie, la créativité et la forte responsabilisation accordée à tous les employés. Nombres de décathloniens ont le sentiment d’être chanceux et sont prêt à ne pas compter leurs heures. Ceci, car ils exercent un métier dans le domaine du sport, qui est leur passion et qu’ils possèdent des activités extracontractuelles qu’ils estiment être uniques. Ici, un créneau d’une heure de football tous les mardi midi. Pour autant, ceux qui « pissent bleu », peuvent avoir une ascension professionnelle très rapide. Le groupe compte des directeurs de régions de moins de 35 ans, fait plutôt insolite dans la distribution (Le Figaro, 2010). Ce ne se saurait être le cas chez QSM Sports qui ne possède que deux échelons hiérarchique : celui du dirigeant et celui des autres. Pourtant, nous identifions très vite un autre facteur qui pourrait justifier, d’autant plus, la forte implication dont le salarié à mi-temps, fait preuve. Celui-ci est entouré de bénévoles faisant un nombre important d’heures, possédant le même diplôme que lui et/ou plus, ou du moins tout autant, d’expérience professionnelle que lui. Ici, encore plus que dans le milieu associatif, il doit justifier son salaire car tous les bénévoles ont les compétences nécessaires pour se retrouver à sa place, ce qui exerce une pression supplémentaire sur son statut.
La situation est alors curieuse : le salarié se retrouve donc à faire du bénévolat sur son temps libre et les bénévoles à travailler comme des salariés. Cette situation fut déstabilisante pour quelque bénévoles. Kevin, le canadien, nous a fait part de son malaise à ce propos. Il nous expliquait avoir trouvé ingrat la distribution des sandwiches qui lui incombe lors de l’événement Battle On The Border alors qu’il avait, en amont, établit tout le plan de communication. Il aurait pu, à ce moment-là, recevoir autant de responsabilité que les salariés. Au lieu de cela, il se retrouvait au même titre que tous les bénévoles lambda, à faire des tâches sous qualifiées. Cependant, il nous exprimait cette dualité dans sa perception en nous informant plus tard être quelque peu contrarié d’être autant à la disposition de quelqu’un et de subir autant de pressions, sans même être salarié. Il éprouvait des difficultés à définir son statut, se sentait trop salarié parfois et trop bénévole d’autres fois. Cependant, quand je lui demandais ce qu’il estimait pouvoir changer de son côté s’il était embauché dès le lendemain chez QSM Sports, il me répondait que seulement peu de choses changeraient, il serait tout autant disponible et enclin à travailler hors du travail. La nature de ses missions serait exactement similaire, car il était déjà on ne peut plus indépendant. Simplement, il serait beaucoup plus présent physiquement au bureau, ne partirait pas en avance pour payer le train moins cher. En effet, il y a peu de choses que Kevin pourrait changer s’il était salarié car il travaillait déjà comme tel malgré son statut de bénévole.
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Table des matières
Introduction
PARTIE 1 : La professionnalisation des organisations sportives en France
Chapitre 1 : La professionnalisation en France
Chapitre 2 : Vivre la professionnalisation, un rapport salarié/bénévole complexe
PARTIE 2 : Le bénévolat, de la culture du don de soi au profit personnel
Chapitre 1 : Une autre notion du bénévolat
Chapitre 2 : Le bénévolat égoïste
PARTIE 3 : La déprofessionnalisation en pratique
Chapitre 1 : Etude de cas chez QSM Sports
Chapitre 2 : Application de la déprofessionnalisation en France
Conclusion
Annexes
Bibliographie
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