Le benchmarking comme outil décisionnel pour les services d’eau
L’utilisation des méthodes de performances relatives de type DEA permet de mener des études économiques et environnementales sur des entreprises et/ou des territoires.
L’utilisation des mesures de performance sur la ressource en eau
Les méthodes de comparaison de performances ont déjà été employées à de nombreuses reprises pour évaluer des entreprises, des systèmes et des réseaux de distribution ou de consommation d’eau (Le Lannier et al., 2012 ; Nicolle et al., 2014 ; Dong et al., 2018). Cela tient notamment au fait que la valeur financière et la fonction du réseau font de ce dernier l’élément central du service d’eau (Canneva et al., 2011). En tant qu’outil essentiel de la distribution d’eau, le choix du dimensionnement de ce réseau est crucial et de bonnes prévisions de consommation sont nécessaires pour éviter des problèmes de mauvaise circulation, de stagnation et de fuites d’eau (Montginoul, 2013). Malgré la croissance démographique, la diminution de la consommation journalière au cours des dernières décennies, qui s’explique notamment par l’équipement des foyers en électroménager plus économe (Carré et al., 2009), remet en cause le bon fonctionnement du réseau, devenu trop grand en France (Montginoul, 2013).
Cela renvoie à la contradiction entre la volonté de limiter la consommation d’eau et son gaspillage, et la performance des réseaux sous contrainte de couverture des dépenses de fonctionnement. La garantie d’autofinancement du système avec des réseaux peu adaptables est donc questionnée par la volonté de limiter la consommation dans un pays où » l’eau paie l’eau » (Chong et al., 2015).
Le bénéfice d’une bonne performance des réseaux d’eau et de l’absence de fuites d’eau fait consensus à la fois d’un point de vue économique pour les consommateurs et les fournisseurs, mais aussi pour l’environnement. Néanmoins, le service de distribution d’eau est d’autant plus difficile à évaluer qu’il est essentiel pour que les individus puissent tous bénéficier d’un accès à l’eau potable, malgré des surcoûts de l’étalement très conséquents (Lambotte et al., 2008). Ces auteurs préconisent alors deux types d’urbanisation pour diminuer les coûts de distribution de l’eau : densification d’un espace déjà partiellement urbanisé et installation de vastes lotissements à caractère périurbain. De manière plus générale, pour qu’un service public de l’eau soit efficient et qu’il minimise les coûts, Décamps et al. (2017) encouragent une bonne connaissance des spécificités des territoires, une adaptation des modalités d’organisation à ces spécificités et une pérennisation de la relation au territoire.
Face à cet arbitrage entre économies d’eau et rentabilité d’un service d’accès à un bien vital, les modèles DEA permettent d’évaluer l’état de la ressource et des réseaux de distribution (Thanassoulis, 2009). Ainsi, Nicolle et al. (2014) ont réalisé une étude d’efficience relative sur l’anticipation des flux des rivières et des sources, car ces prévisions sont essentielles pour un territoire comme la France qui subit des pénuries d’eau locales et saisonnières. Face à ce manque d’eau à venir, d’autres auteurs utilisent le benchmarking sur la consommation d’eau pour en optimiser son utilisation. Hunt et al. (2014) étudient les comportements des consommateurs d’eau domestique pour leur permettre de prendre conscience de leur niveau de prélèvement et de leur marge de progression. D’autres auteurs s’intéressent davantage au réseau de distribution d’eau déjà en place en France. C’est le cas de Le Lannier et al. (2012), qui trouvent avec un modèle non paramétrique DEA et un modèle stochastique que les performances d’un opérateur sont influencées par l’efficacité managériale, les caractéristiques de l’environnement d’activité et l’impact des bruits statistiques. Pour eux, les prix moyens de la gestion déléguée sont plus élevés qu’en régie, mais cela doit être complété par le postulat de Carpentier et al. (2006) selon lequel les opérateurs privés gèrent des réseaux plus complexes.
Prenant racine chez Farrell (1957), ces études d’évaluation de la performance s’inscrivent dans une démarche plus globale de conventionnement décrite par Canneva et al. (2011). Ces auteurs tentent de construire des indicateurs et exposent le besoin actuel de quantification de la performance pour pallier au manque de transparence et de concurrence du monopole naturel sur l’eau, et aux externalités environnementales et sanitaires qui en découlent. Dans ce contexte, ce chapitre a vocation à agrémenter le débat en proposant une étude sur plusieurs années de la performance, basée sur le gaspillage par les fuites et la densité des réseaux, plus que sur le prix déjà amplement traité Carpentier et al. (2006) ; Le Lannier et al. (2012).
Cadre d’analyse et modèle
Cette étude s’appuie sur l’ILP car cet indicateur représente une perte économique, mais aussi le gaspillage d’eau potable qui retourne à la terre, ce qui empêche son utilisation immédiate. On définit Yi comme l’output de la commune i, c’est-à-dire le nombre de m3 d’eau consommé dans le réseau sur l’année étudiée. Xi représente l’input, c’est-à-dire le nombre de m3 d’eau distribué dans le réseau de la commune i sur l’année étudiée. Enfin, on note Wi le déchet de la commune i, soit le nombre de fuites d’eau du réseau en m3 par jour pour l’année étudiée. Comme chez Kortelainen et al. (2004), même si la considération du déchet comme un input ou un output fait débat, nous adoptons la première position car la quantité d’eau engendre malgré tout un coût de distribution pour le service d’eau.
Suivant Kortelainen et al. (2004), l’objectif formel de ce modèle « orienté environnement » est de déterminer la réduction maximale de fuites d’eau possible en « copiant » la performance des autres communes ou d’une commune fictive construite par une combinaison linéaire de différentes communes existantes. Les communes copiées sont dites de référence. Mathématiquement, pour chaque commune i, il faut résoudre le problème suivant :
minθ,λ1,…,λnθ,sc.(x, θw, y) ∈ Tᴱᴺⱽ. (2.1)
Tᴱᴺⱽ dénote l’ensemble des possibilités de production défini par :
Tᴱᴺⱽ = {(x, w, y)| l’ input x peut produire l’output y et le déchet w} (2.2)
Il s’agit de minimiser les fuites d’eau sur le réseau (déchets) pour un niveau donné de consommation d’inputs et de production d’outputs.
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Table des matières
Introduction
1 Investigation subjective auprès des acteurs de terrain
1.1 Introduction
1.2 Cadre conceptuel : L’utilité de la méthode Q dans les politiques environnementales
1.2.1 Les acteurs investis dans la gestion de l’eau sur le territoire d’étude
1.3 Étapes méthodologiques de la mise en place
1.4 Attentes, besoins et perceptions : de l’acteur au collectif pour dessiner des politiques publiques efficientes
1.5 Prolongements
1.6 Commentaires conclusifs
1.7 Annexes
1.7.1 Évidence empirique
1.7.2 Étapes de la méthode
1.7.3 Rôles et fonctions des différents acteurs
1.7.4 Concours
1.7.5 Q set
1.7.6 Construction des facteurs opérants
1.7.7 Retranscriptions d’entretiens
2 Vers une optimisation de l’offre et de la distribution
2.1 Introduction .
2.2 Le benchmarking comme outil décisionnel pour les services d’eau
2.3 Données
2.3.1 Informations contextuelles
2.4 Principaux résultats
2.4.1 Résultats de l’étude des pertes selon les km de réseau de chaque commune en 2017
2.4.2 Résultats de l’étude des pertes selon les abonnés au réseau de chaque commune en 2017
2.4.3 Comparaison de l’étude des km de réseau et par nombre d’abonnés
2.4.4 Résultats de l’étude des pertes par année
2.4.5 Synthèse de résultats sur toute la période
2.5 Discussion et prolongements
2.6 Commentaires conclusifs
2.6.1 Annexes : Tableaux de l’analyse de benchmarking
3 Un nouvel outil en faveur d’une demande optimale : le nudge
3.1 Introduction
3.2 Le nudge : perceptions individuelles et acceptation publique
3.2.1 Contexte de l’étude
3.2.2 Pourquoi les gens réagissent-ils différemment à un même nudge ?
3.2.3 La littérature académique sur la mise en place des nudges de l’eau
3.2.4 Parallèle théorique des matériaux empiriques
3.3 Des nudges pour préserver l’eau : méthodologie et construction de l’étude
3.3.1 Création du Q set
3.3.2 Sélection des participants
3.3.3 Processus de tri
3.3.4 Analyse factorielle des résultats « par personne »
3.4 Principaux résultats
3.4.1 Les profils de nudges efficaces
3.4.2 Caractéristiques sociales des facteurs
3.4.3 Discussion
3.5 Commentaires conclusifs
3.6 Annexes
3.6.1 Q set de l’étude
3.6.2 Flagging des participants
4 L’impact des normes sociales sur les consommations d’eau
4.1 Introduction
4.2 Le modèle d’extraction d’eau
4.3 Propriétés de l’équilibre
4.3.1 Unicité de l’équilibre de Nash
4.3.2 Caractérisation de l’équilibre de Nash
4.4 Analyse de statique comparative
4.4.1 L’influence des paramètres individuels sur l’extraction d’eau
4.4.2 Une société conformiste extrait-elle davantage d’eau ?
4.4.3 Les usagers de l’eau extraient ils davantage dans des réseaux plus denses ?
4.5 Bien-être et optimum social
4.6 Extensions
4.6.1 Anti-conformisme
4.6.2 Consommation consciente de l’eau
4.6.3 Consommation de référence
4.6.4 Caractérisation de la norme sociale
4.7 Commentaires conclusifs
4.8 Annexes
Conclusion