L’avènement des transports: Une évolution des modes
UNE ÉVOLUTION DES MODES
Il faut avouer que mises à part de rares exceptions, comme la loi interdisant la construction de grands navires en Chine, après la mort de l’empereur Yongle au 15ème siècle, ou plus récemment la fin du Concorde et des vols commerciaux supersoniques en 2003, les modes de circuler ont connu des évolutions importantes tout au long de l’Histoire. Avec le progrès, ces évolutions n’ont fait que s’accélérer, surtout depuis le 19ème siècle.
La forme des villes
Au commencement, la ville semblait si dense que circuler en son sein n’était possible que par « droits de passage », de maison en maison, et de terrasse en terrasse. Cette ville hyperdense, telle une utopie contemporaine, ne comprenait ni rue, ni passage. Les habitations étaient serrées les unes aux autres, et simplement quelques échelles permettaient d’accéder aux toitures voisines. Six mille ans avant Jésus-Christ, on estime à 7000 le nombre d’habitants de cette ville d’Anatolie, nommée Çatalhöyük, connue comme étant la première cité de l’Histoire. Il n’y avait guère de lieux de rencontre, ni même de bâtiment public mais exclusivement des habitations.
Pour répondre au besoin indéniable d’accéder aux richesses matérielles et immatérielles que concentre la ville, pour assurer sa survie et également pour rencontrer un autre que soi, la ville se réorganisa. Le bâti s’écarta, comme pour respirer. On distingua alors les lieux d’activité sédentaire des lieux de passage. La rue était née. Pour ainsi dire, l’espacement a ajouté de la vie à la ville. Désormais, on pouvait y rester, circuler, et vivre ensemble. Puis l’intersection de rues a modelé des places, comme pour provoquer les rencontres, les échanges, et le commerce. Celles-ci deviendront les différents centres de la ville ; lieux où les négociations politiques et économiques auront lieu. Les Grecs l’appelleront l’agora, les Romains, le forum. Ces espaces vides, comme une pause urbaine, ont permis également de mettre en valeur tel ou tel bâtiment, en donnant du recul, et donc de créer des points de repère, une hiérarchie dans les secteurs de la ville, des quartiers. En 312 avant J-C, la voie Appienne est ordonnée. Ce sera la première route pavée de l’histoire. Celle-ci reprend le tracé d’une ancienne voie, qui relie Rome à Capoue, que le censeur Appius Claudius Caecus a voulu élargir et rendre plus praticable. À l’époque les Romains l’appelaient la « Reine des voies » (Regina Viarum), ce qui n’est pas sans rappeler le culte que voueront quelques deux mille ans plus tard, les citadins à l’autoroute. Autant que la route, on pratique alors la ville à cheval, ou en voiture à cheval. Certaines rues, plus utilisées que d’autres, s’élargissent pour y laisser se croiser plusieurs de ces véhicules, on les pave pour plus de praticité. La ville respire. Elle est modelée par ses vides, comme saura très bien le montrer le cartographe Giambattista Nolli, au 16ème siècle, avec sa représentation de Rome. À leurs seuils, des portes sont érigées. Édifices visant à réguler les entrées et sorties de la ville, et donc d’assurer sa sécurité, c’est par là que le voyageur pénètre dans la ville, lieu où la route devient rue. C’est aussi ici que l’on accueille les grands personnages de l’Histoire. La porte identifie la ville par son architecture particulière. À partir de la fin du 18ème siècle, des portes de ville sans fonction militaire apparente sont construites pour l’octroi, ancêtre des péages urbains que l’on rencontre aujourd’hui à Singapour, Londres, ou Stockholm. D’autres arrivées lointaines se faisaient également par voies fluviales ou maritimes. On créa le port, comme un autre seuil de la ville. Avec son esplanade, et ses quais, le port s’est vite transformé en haut lieu de commerce et d’échange. Au fil du temps, la ville s’est mutée pour permettre un subtil équilibre entre « les lieux où l’on reste et ceux où l’on passe », notion chère à Jean-Marie Duthilleul, architecte-ingénieur et co fondateur de l’agence AREP.
La révolution industrielle
L’invention de la machine à vapeur, au XIXe siècle, va révolutionner, entre autres, la façon de se déplacer. Les trains à vapeur se mettent vite à sillonner les milliers de kilomètres de chemins de fer que le vieux continent ainsi que l’Amérique du Nord dénombrent. Avec le train, c’est l’espace que l’on agrandit. C’est un bateau terrestre. En rendant accessible la grande majorité des villes en un temps record et dans des conditions de confort nouvelles, le citoyen se transforme en voyageur. Il a fallu alors penser les lieux de départ et d’arrivée de ces trains, comme une nouvelle porte sur la ville. Les stations ferroviaires, alors placées en limite de la cité, prennent la forme de portes, d’arches. Grâce à cette nouvelle infrastructure qui tourne la ville vers l’ailleurs, celle-ci s’agrandit, se développe autour des gares qui seront, dès 1880, enserrées dans le tissu urbain. La gare se transforme alors en point de repère, à la façon d’un palais avec campanile devant lequel on se rassemble, autour duquel on vit *. Peu à peu, la gare se rapproche, voire imite l’archétype du port. C’est un port terrestre. Derrière ces façades de pierre, on construit d’immenses structures de verre et d’acier pour y abriter machines et voyageurs. Ces grandes halles créent un véritable lieu de vie, comme embarcadère certes mais également en y logeant rapidement d’autres services. La gare devient alors un des centres névralgiques de la ville, autour duquel on crée de larges avenues, et où tout un panel d’hôtels, la plupart du temps luxueux, s’installe pour proposer au voyageur de passage un lit et le couvert. On peut y voir une réécriture des anciens relais de poste présents sur les routes des diligences. Durant le même siècle, deux autres inventions ont révolutionné la forme des villes et la façon d’y circuler. D’une part, la mise en place de transports collectifs réguliers, et d’autre part, la motorisation des véhicules, qui mettra ainsi fin à la traction animale. C’est à Nantes, en 1823, qu’apparaît pour la première fois l’omnibus. D’autres initiatives semblables font, il est vrai, leur apparition de façon quasisimultanée aux quatre coins du monde, mais on reconnaît la paternité de celuici à Stanislas Baudry qui nomma « Omnibus » sa première compagnie nantaise. La légende veut que ce nom viennent en réalité de la chapellerie d’un certain M. Omnés dans le centre de Nantes. Celle-ci faisait face au terminus d’une des lignes et avait inscrit sur sa devanture «Omnés omnibus» (omnibus étant le latin de « pour tous »). Le nom est resté pour ensuite ne conserver que le suffixe « bus » encore d’usage aujourd’hui.
L’omnibus s’apparente à une grosse voiture traînée par des chevaux, qui suit un itinéraire strict et qui passe à intervalles réguliers. Face à cette réussite, Stanislas Baudry est appelé à Paris dès 1828 pour développer le même système dans les rues de la capitale. Bientôt, l’omnibus sera posé sur des rails, on le nommera alors tramway. Entre 1870 et 1880, les chevaux seront remplacés par des moteurs autonomes avec l’électrobus et le trolleybus. Les tramways se mêlent alors à la circulation des piétons et aux chevaux, dans les rues des grandes villes européennes. Pourtant de nombreux aménagements en direction du piéton sont faits dans ces années. À Paris, en 1869, on compte 1088 kilomètres de trottoirs, lesquels sont ponctués de 8 428 bancs publics cette même année.
Entre 1890 et 1910, les animaux de trait vont disparaître des rues pour laisser place à toutes sortes d’engins mécaniques. En plus du tramway, le métro fait son apparition dans les plus grandes villes. Puis c’est au tour des automobiles, et des autobus. Au même moment, la bicyclette prend son essor, suivi de près par son pendant motorisé, la motocyclette. Les rues et les avenues deviennent un terrain de jeu géant où les flux de personnes et de véhicules s’entrecroisent à leur guise. Alors lorsqu’en 1902, on donne l’autorisation aux maires de réglementer euxmêmes la circulation de leur commune, on voit rapidement apparaître les premiers panneaux de signalisation indiquant le plus souvent une vitesse maximale autorisée de 10km/h. Le 6 février 1911, le premier arrêt de bus sera installé dans la capitale au carrefour Richelieu-Drouot. Un an plus tard, c’est au carrefour de la rue et du boulevard de Montmartre qu’un feu de signalisation que le « kiosque-signal » sera mis en place. Il faudra attendre 1923, pour que les premiers signaux lumineux à fonctionnement manuel arrivent, et 1936 pour leur version automatique. Ce n’est qu’en 1927 que le préfet Chiappe fait installer les premiers « passages cloutés » afin de réguler les flux piétons. En 1959, on ne compte pas moins de 700 000 clous formant plus de 12 500 passages dans Paris. Dès 1970, les passages cloutés sont peu à peu remplacés par des passages à bandes. En un demisiècle, le piéton est devenu un mode comme les autres. Chacun de ces modes, de par leurs aménagements spécifiques, fractionne les espaces de circulation entre les différents moyens de locomotions, et fend la pratique de la ville. Évidemment, avec de telles révolutions dans les manières de se déplacer, la pratique de l’espace change. On s’habitue à voir la ville en mouvement depuis un élément lui-même mobile. Les temps du trajet ne nous appartiennent plus, nous ne sommes plus que des spectateurs de cette activité. Pire encore, en empruntant les métros souterrains, on renonce à voir la ville lors des déplacements, à se repérer, à s’orienter. Les moments où l’on circule deviennent des moments perdus. Seule l’arrivée compte. Circuler en ville n’est qu’une simple utilité qu’on cherche à faire durer le moins de temps possible.
|
Table des matières
Introduction
L’avènement des transports: Une évolution des modes
– La forme des villes
– La révolution industrielle
– Des idées plein la tête
– La voiture reine
(et ses conséquences territoriales)
– La conquête de l’air,
La conquête de l’ailleurs
Un changement de paradigme: Du transport à la mobilité
– L’information
– Le corps
– L’autre
– Le lieu
– Le temps
– L’environnement
Mise en évidence du métissage des modes au travers d’exemples connus
– La marche à pied
– Le vélo
– La voiture
– Le bus
– Le taxi
– Le tourisme aérien
– Le train
Conclusion
Vers une mobilité durable?
Bibliographie
Remerciements