L’avènement de la prévisualisation 3D
LE CINEMA, ART COLLECTIF
Des différents arts au moyen desquels l’homme peut s’exprimer, le cinéma est l’un des plus ambitieux quant aux ressources matérielles que sa réalisation requiert. Bien que le cinéaste puisse à lui seul concevoir l’ensemble de l’intrigue d’un film, incluant personnages et lieux réalistes ou imaginaires, cette conception se limite presque inévitablement à l’écriture d’un scénario. Dès que commence la production d’un film, et ce, bien avant le début du tournage, de multiples ressources sont requises afin de permettre à la volonté de l’artiste de s’accomplir au moyen d’images en mouvement. Caméras, décors, éclairage, costumes, accessoires, véhicules et nombreux autres équipements spécialisés font partie de la longue liste des incontournables d’un tournage cinématographique. Ultimement, la ressource la plus importante demeure humaine : il s’agit du rôle indispensable joué par les nombreux techniciens spécialisés dans la réalisation d’une oeuvre filmée.
À la différence d’un peintre ou d’un sculpteur le réalisateur, tel un ingénieur bâtissant un immeuble, doit créer son oeuvre en grande partie avec le concours de différents artisans, tant l’expertise et la masse de travail requises sont importantes pour élaborer les différents aspects de la production des images. Qu’il soit caméraman, éclairagiste, preneur de son, décorateur, accessoiriste ou autre, un technicien connaît souvent mieux sa spécialité qu’un metteur en scène ne pourra jamais le faire10. Comme des musiciens sous la direction d’un chef d’orchestre, chaque technicien de cinéma cherche à réaliser une partie de la vision artistique d’un réalisateur, mais en y apportant souvent une part de création qui lui est personnelle. Pour cette raison, il est tentant de parler du cinéma comme d’un « art collectif ». Cet aspect collectif ne plaît pas à tous les réalisateurs, d’autant plus que l’un des principaux lieux de collaboration demeure le plateau de tournage, une phase très intense, voire tendue de la production cinématographique : la grande quantité d’intervenants, les innombrables imprévus et les coûts importants associés à chaque minute de travail sont quelques-unes des raisons qui rendent l’acte de création souvent délicat et ardu. Pour un réalisateur déjà mis à l’épreuve par cette ambiance plutôt déplaisante et chaotique, déléguer une partie du contrôle créatif ajoute encore parfois à sa frustration.
Les attentes du réalisateur face à la prévisualisation
En définitive, un metteur en scène abordera son tournage selon son style créatif personnel : soit il tentera de préserver intact le film qu’il a en tête et dirigera ses acteurs et techniciens de manière exacte et inflexible, soit au contraire il profitera de l’occasion pour encourager la participation de chacun et acceptera de laisser ainsi le film se transformer quelque peu lors de son élaboration, idéalement pour le mieux11. Dans les deux cas, une communication claire doit exister entre les spécialistes et le metteur en scène afin que ce dernier puisse mener à bien la création de son film. La prévisualisation est née de la volonté de faciliter cette communication. Quand il s’agit de transmettre le plus fidèlement possible la vision du réalisateur à ses subordonnés, il est clair que celle-ci, mise en images, est très probablement moins sujette à l’interprétation personnelle qu’une information écrite ou verbale : par le fait même, la prévisualisation constitue le meilleur choix dans la coordination des efforts menant à la création d’une oeuvre filmée. Filant la comparaison avec le chef d’orchestre et ses musiciens, disons que cette prévisualisation fait office de partition musicale.
Outre de faciliter la communication avec son équipe, une deuxième attente du metteur en scène concernant la prévisualisation est justement de désamorcer, du moins partiellement, les contraintes que le plateau de tournage impose au processus créatif. En permettant de définir à l’avance ce qui sera visible dans le cadre de la caméra, il est possible pour le réalisateur de pondérer à loisir ses choix créatifs loin des incessantes distractions dudit plateau. Différentes variantes d’une même scène peuvent être étudiées à l’abri des enjeux budgétaires et organisationnels qui deviendront urgents et incontournables au moment de filmer cette scène : par conséquent, les compromis à faire à ce moment-là seront moins nombreux et idéalement moins sévères. C’est cet aspect de la prévisualisation qui a été le plus apprécié des cinéastes lors de l’avènement des logiciels d’infographie 3D.
Les attentes des autres intervenants
Outre le metteur en scène, plusieurs techniciens s’en remettent à la prévisualisation pour effectuer leurs tâches de manière optimale. Comme on le verra plus loin, en cette ère de rationalisation budgétaire où chaque département de la production voit souvent ses ressources disponibles diminuer de projet en projet, la prévisualisation devient indispensable afin de s’assurer que les images finales reflètent le mieux possible la vision du réalisateur. Le département artistique en est un excellent exemple : en ayant accès au préalable aux différents cadrages prévus par le cinéaste ainsi qu’aux diverses mises en scène qui y sont rattachées, il est possible pour un décorateur de limiter la construction et la finition des décors à ce qui sera finalement visible dans le film. Outre des économies de temps et de budget, des décors mieux adaptés à l’usage qui en sera fait permettront un rythme de tournage plus rapide et plus efficace en réduisant les interventions du décorateur sur le plateau, notamment quant à l’allocation d’un espace nécessaire aux éclairages et à la caméra. Il en est de même des costumes et des accessoires dont le degré de peaufinage et l’aspect fonctionnel sont établis par rapport à leur présence à l’écran, information capitale que ne véhicule pas de manière claire le seul scénario écrit.
Parmi les autres intervenants, mentionnons les cascadeurs, puisque que leur sécurité dépend en grande partie de leur habileté à préparer avec soin leurs acrobaties à l’écran : en sachant comment leurs actions seront filmées, ces spécialistes détermineront le déploiement des équipements de sécurité (harnais, matelas, câbles) tout en s’assurant qu’ils demeureront invisibles du public. Les régisseurs chargés des tournages hors studio utiliseront quant à eux la prévisualisation dans leur recherche du lieu idéal où filmer, mais aussi pour mieux décrire à un propriétaire profane ce qui prendra place chez lui au moment du tournage. Également, dans le cas où une séquence complexe doit être filmée simultanément par plusieurs caméras, la coordination entre différentes équipes de tournage tirera avantage d’un scénarimage ou d’une animatique afin de limiter le nombre de prises. Comme on le verra plus loin, les responsables des effets spéciaux sont également en faveur d’une prévisualisation très précise, d’autant plus que la nouvelle discipline des effets visuels (c’est-à-dire les effets spéciaux créés non plus au moyen de dispositifs mécaniques ou optiques, mais plutôt par des logiciels) utilise déjà des outils similaires à ceux de la prévisualisation 3D dans la création de ses images.
LE CINEMA D’ANIMATION TRADITIONNEL
Walt Disney a commencé à utiliser le scénarimage au début des années 1930. De simples esquisses en noir et blanc, dessinées selon le rectangle (cadre) utilisé au final, formaient une « bande dessinée du film », ou plus précisément un scénarimage. L’accent était porté sur l’intrigue plutôt que sur la direction artistique : les personnages, leurs expressions et leurs actions faisaient l’objet d’une représentation plus soignée que les arrière-plans. Souvent les décors n’étaient adéquatement représentés que dans les premiers dessins décrivant une scène, pour être réduits par la suite à quelques traits simples ou même carrément omis. Fixés en ordre chronologique sur de grandes surfaces cartonnées, les dessins composant le scénarimage étaient facilement transportables à travers les studios afin de coordonner le travail des différents artistes et dessinateurs (fig. 1).
Comme mentionné précédemment, la prévisualisation permet à un réalisateur de communiquer sa vision du film à ses techniciens. Cependant, dans le contexte du dessin animé, plus encore que dans celui du cinéma en milieu réel, la prévisualisation n’est pas seulement un moyen de communication, mais également un processus hautement créatif qui permet d’explorer les différentes idées narratives afin de retenir les meilleurs concepts visuels possibles, et ce, sur la période plus ou moins longue précédant la création des images finales par les différents dessinateurs du film20. Cette exploration est collective puisque les artistes développent eux-mêmes de manière visuelle les idées fournies par le réalisateur. Par exemple, le scénarimage vient ponctuellement illustrer le story pitch d’un animateur, c’est-à-dire la démonstration d’une idée narrative lors d’une réunion avec les autres artistes du film afin de suggérer des améliorations à l’intrigue ou, au contraire, d’écarter les mauvaises idées avant qu’elles ne se retrouvent à l’écran.
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Table des matières
Résumé
Remerciements
Table des matières
Liste des figures
Liste des schémas
Introduction
Chapitre 1 Contexte historique et structurel
1.1 Le cinéma, art collectif
1.1.1 Les attentes du réalisateur face à la prévisualisation
1.1.2 Les attentes des autres intervenants
Chapitre 2 Typologie historique des productions et des outils
2.1. Le cinéma d’animation traditionnel
2.2. Le cinéma réalisé en milieu réel
2.3. Les séquences d’effets spéciaux
Chapitre 3 L’avènement de la prévisualisation 3D
3.1. Technologie, idéologie et interface
3.2. Rejet de la prévisualisation traditionnelle
3.2.1. Aspect structurel, idéologique et ontologique
3.2.2. Une conjoncture favorable à une nouvelle prévisualisation
3.3. Flexibilité de la pré visualisation 3D
Chapitre 4 Pertinence d’une approche pédagogique de la prévisualisation
4.1. Le contexte de la formation
4.2. L’oeuvre en tant que modèle de manuel didactique
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Annexe 1 : OEuvres citées
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