L’avant collaboratif : l’anti et le non-collaboratif

L’avant collaboratif : l’anti et le non-collaboratif 

L’homme, moteur animé ou être désirant ? 

Si notre travail épistémologique débute au XXe siècle, c’est à la fois pour des raisons d’ancrage disciplinaire et de présentation du collaboratif en opposition au bureaucratique. La conception de l’homme, de son rapport de travail et de la bonne organisation du travail dans une perspective bureaucratique constituent le temps zéro où les ingrédients du travail collaboratif sont absents ou presque. Est même posée la question de la mort du taylorisme à l’avènement du travail collaboratif (Le Roux, 2009) : faut-il voir disparaître un modèle pour permettre l’apparition d’un autre ? En effet, nous allons voir que le collaboratif s’érige notamment en successeur du travail bureaucratique, et qu’il peut donc être défini par contraste : le collaboratif serait une sorte d’anti-bureaucratie.  Pour cela, nous allons nous intéresser au modèle de pensée bureaucratique et à ses évolutions théoriques et méthodologiques, en nous intéressant plus spécifiquement à l’organisation scientifique du travail, fondée sur la rationalisation de la production et soutenue par des théories qui seront rétrospectivement considérées comme marquées par un esprit positiviste caractéristique des travaux psychologiques de l’époque (Mueller, 1963) . Nous rappellerons que cette rationalisation passe notamment par l’établissement de critères scientifiques susceptibles d’objectiver le travail, et que la psychologie participera largement à cet effort grâce à la perspective comportementaliste alors dominante. La recherche de la one best way mènera à une conception analytique du travail où les éléments peuvent être l’un après l’autre analysés puis optimisés, qu’il s’agisse des hommes comme des machines.

Organiser le travail malgré l’homme

De la même manière qu’il est possible d’optimiser le fonctionnement d’une machine à sa conception, de façon à optimiser le ratio production/temps/espace occupé, de nombreux efforts furent investis au début du XXe siècle dans l’optique d’améliorer l’homme au travail, alors considéré par analogie comme machine, moteur humain (Ringelmann, 1913).

Une volonté de production rationalisée

Alors que l’industrialisation de l’Europe prenait progressivement de l’ampleur, l’objectif de production pour soutenir cette progression était réductible à la recherche du meilleur rapport : optimiser le rapport entre les ressources investies et les résultats obtenus en agissant sur les variables supposées capables d’améliorer ou au contraire de limiter la qualité de ce rapport. Aux Etats-Unis, cet effort est encore plus marqué et répond à une situation socio-économique spécifique (Aebischer et Oberlé, 1998) caractérisée par une volonté d’intégration et de « non-désintégration » (p. 23). Cette mise en avant économique de la meilleure rentabilité et d’une intégration rationalisée est caractéristique des modèles industriels, et aussi supposée anti-collaborative. En effet, un des piliers du collaboratif dans les définitions en termes d’utilité sociale est la capacité à fonctionner en dehors des logiques de marché (Benkler, 2002). Cependant, cette différence s’établit sur une définition d’une figure-type idéale de la collaboration. En effet, le travail collaboratif est lui-même soupçonné d’être une rationalisation du travail intellectuel (Durand, 2009), et de faire perdurer une forme transformée de ce primat de la production et de la rentabilité du ratio forces engagées / production obtenue.

C’est donc à cette époque que se développe l’industrialisation de la production. Les progrès techniques, technologiques, organisationnels permettent d’organiser le travail à grande échelle. En rupture avec l’artisanat et ses logiques de production pièce par pièce (qui seraient justement plus proches des approches collaboratives), l’industrialisation invite à produire de grandes quantités de biens grâce à une standardisation de leurs caractéristiques et grâce à l’aide des machines. Là où l’artisan travaillait seul sur le même objet du début jusqu’à la fin, de sa conception jusqu’à sa réalisation, maîtrisant toutes les étapes de fabrication et les outils nécessaires, l’organisation industrielle du travail vise à rationaliser la production et à limiter toute perte de temps ou déperdition d’énergie. Cette volonté de rationaliser n’est pas étrangères aux approches technocentrées des fonctionnements collaboratifs qui envisagent également de rationaliser d’une certaine manière la distribution de l’activité (Benkler, 2002), même si cette distribution s’opère sur des critères différents, et pas nécessairement en ayant comme but premier l’optimisation des ressources disponibles.

Un usage optimal des ressources en réponse à une conception pessimiste de l’homme

Un des principes fondamentaux de l’organisation du travail de l’époque est le principe d’économie, à comprendre dans le sens d’une utilisation raisonnable et raisonnée des ressources pour limiter autant que possible tout gaspillage :

[A propos de la théorie classique de l’organisation] Dans l’étude des temps et des méthodes, le mouvement de gestion scientifique s’appliqua à décrire les caractéristiques de l’organisme humain, comme on pourrait décrire une machine relativement simple. L’objectif était d’employer l’organisme humain, plutôt inefficient, de la manière la meilleure possible dans le processus de production. (March et Simon, 1964, p. 12) .

Ce principe est généralisé à toute la chaîne de production, mais aussi aux gestes du travailleur (Tannenbaum, 1967), le but étant de l’amener à se borner aux gestes essentiels – ou à ne pas accomplir des gestes inutiles en termes de production. Cette limitation se fonde sur une base essentiellement économique (au sens large : l’énergie du travailleur est ici considérée comme une ressource au même titre que les matières premières). En économisant les gestes et donc l’énergie de l’homme, il devient possible d’optimiser l’emploi de ses ressources physiques, tout en limitant le gaspillage ou la déperdition de son énergie. C’est notamment pour cette raison que le travail est progressivement morcelé, divisé, spécialisé, conditionné.

Cette organisation spécifique répond à la question du « quoi » et du « comment », mais pas du « pourquoi ». Une lecture épistémologique nous rappelle que derrière ce principe se dissimule un postulat : l’homme tendrait à gaspiller son énergie ou à l’économiser de façon à ne pas l’investir totalement dans son travail (Beauvois, 1995). Il est soupçonné de flâner, voire de se limiter volontairement lorsqu’il n’est pas contraint. Cette flânerie, « universellement et systématiquement pratiquée par les ouvriers avec l’intention délibérée de maintenir leurs patrons dans l’ignorance de la vitesse à laquelle on peut réellement accomplir un travail » (p. 18) est considérée comme une nuisance qu’il faut combattre, et c’est ce combat – avec les améliorations technologiques des machines – qui constitue un des leviers essentiels pour améliorer le rendement des lignes de production. Les théories expliquant le comportement humain sont alors réductrices (Bédard, Déziel, Lamarche, 2006) et ramènent les comportements sociaux à des réponses instinctives (McDougall, 1908) ou l’organisation sociale à des comportements d’imitation (Ross, 1908). Fondamentalement, c’est la théorie X qui domine (McGregor, 1960), en insistant sur les regards méfiants que l’on peut porter sur l’individu, soupçonné d’éprouver une aversion particulière pour le travail, de devoir être menacé, surveillé, au besoin sanctionné pour obtenir de lui un travail. Cette méfiance constitue un point fondamentalement anti-collaboratif, puisqu’il interdit tout fonctionnement basé sur des bases non-hiérarchiques ou non-économiques.

Cette conception combattive et pessimiste de l’homme n’est évidemment pas sans conséquence sur le travailleur. Celui-ci doit ainsi supporter une division du travail supposant d’importantes contraintes physiques (répétition du même geste durant de longues journées), mentale (abrutissement par la répétition) et psychique (on parlerait aujourd’hui d’une occultation de la question du sens de l’activité). Dans cette conception du travail, il n’est pas nécessaire d’avoir un travailleur comprenant les objectifs de production et y adhérant. En revanche, il est nécessaire de surveiller, de le contrôler, car c’est bien l’objectif de tous ces moyens. Ce contrôle, cette évaluation de la production est une des prérogatives de la hiérarchie (Beauvois, 1983).

Enfin, il n’est nullement question de travail compris comme épanouissement, à plus forte raison lorsque nous parlons du travail industrialisé. La perspective behavioriste alors dominante insiste sur l’importance d’un travailleur « malléable » (Fischer, 2010, p. 19), qui peut être façonné de façon à obtenir de lui certains comportements. Si le travailleur est « contre » le travail, plus largement contre le patronat, puisqu’il applique lui-même le principe d’économie à son activité et ce faisant entre en conflit avec les objectifs de ses employeurs en cherchant à optimiser le rapport entre les efforts consentis et les gains obtenus, alors il ne s’agit pas de trouver une logique gagnant/gagnant, mais bien d’entrer en opposition. Le paradigme du pouvoir et des jeux de pouvoir semble donc le plus adapté pour lire ces situations. L’exercice du pouvoir est ici clair et visible : il s’agit d’obtenir quelque chose (en l’occurrence ici une énergie au service du travail) de quelqu’un (le travailleur).

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Justification de la pertinence du sujet
2. Problématique et hypothèses
2.1. Perspective épistémologique
2.2. Perspective psychosociale
2.3. Perspective psychologique
2.4. Synthèse des hypothèses
CHAPITRE 1 : L’AVANT COLLABORATIF : L’ANTI ET LE NON-COLLABORATIF
1. L’homme, moteur animé ou être désirant ?
1.1. Organiser le travail malgré l’homme
Une volonté de production rationalisée
Un usage optimal des ressources en réponse à une conception pessimiste de l’homme
De l’importance du contrôle
Des communications strictement encadrées car non-nécessaires
1.2. Une conception positiviste
Une psychologie au service de la rationalisation
Une perspective psychanalytique en rupture ?
Relecture positiviste du mythe du bon pouvoir
1.3. Une distribution du pouvoir au profit de l’organisation
1.4. Un modèle insuffisant pour organiser et surtout penser une logique collaborative
2. L’homme, un être social ?
2.1. Organiser le travail avec l’homme ou pour l’homme ?
2.2. Des travaux psychologiques en rupture
L’intérêt porté aux groupes
La psychologie comme pratique de (l’auto-)changement
La psychologie humaniste
2.3. L’apparition des premiers cadres de pensée propices au collaboratif
Un point commun : l’apparition d’approches constructivistes
Un modèle qui permet de penser l’homme comme central
3. Conclusions du premier chapitre
CHAPITRE 2 : L’AVENEMENT DES LOGIQUES COLLABORATIVES
1. L’homme, un être de projet ?
1.1. Une critique des logiques bureaucratiques
Un modèle qui atteint ses limites
Un modèle inhumain
Vers une nouvelle organisation où l’homme retrouve sa place ?
1.2. Le développement de nouveaux modèles d’organisation : de la pyramide au réseau
1.3. L’adhocratie, anti-thèse de la bureaucratie
La capacité à s’auto-organiser
Le fonctionnement par projet
1.4. L’entreprise en réseau
Diriger, manager, coordonner ?
Avoir confiance, s’épanouir, gérer sa propre vie par projet en développant son employabilité
2. Vers une entreprise « libérée » ?
2.1. La figure d’autorité comme animateur et accompagnateur
2.2. Des frontières fluides et adaptables
2.3. Un contrôle du résultat
2.4. Une nécessaire gestion par compétences
2.5. Un fonctionnement par projet
2.6. Une distribution horizontale du pouvoir
2.7. Tableau récapitulatif des caractéristiques
3. Le travailleur « type » des organisations adhocratiques
4. Conclusions du deuxième chapitre
CHAPITRE 3 : IMAGE ET SYMBOLIQUE DU COLLABORATIF
1. Etude exploratoire des comportements de recherche numérique : la mise en évidence d’un intérêt pour l’image
1.1. Méthodologie
Objectifs
Méthode de recueil de données
Caractéristiques des données recueillies
Traitement des données recueillies
1.2. Présentation des résultats
2. Quelle image dominante du travail collaboratif ?
2.1. Méthodologie
Recueil de données
Traitement des données retenu
2.2. Présentation des résultats
Une image de l’homme insistant sur son caractère relationnel
Les infographies : une symbolique autour du puzzle, de l’ampoule et des personnages
Les photos : une symbolique autour du bras ou de la main
2.3. Les symboles du collaboratif
La roue dentée, symbole de production
L’ampoule, symbole de réflexion et de maîtrise
Le puzzle, symbole de complexité
Des personnages indifférenciés, caractéristiques des logiques réticulaires ?
2.4. Quelques éléments contribuant à l’identification d’un imaginaire du collaboratif
Le travail collaboratif concerne potentiellement tout le monde
Le travail collaboratif met l’accent sur le processus, la relation et le caractère non-fini Que dissimule ce souci de représentation ?
3. Conclusions du troisième chapitre
CHAPITRE 4 : REPRESENTATIONS DU TRAVAILLEUR AUJOURD’HUI
CONCLUSION

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