L’autoreprésentation identitaire 

L’autoreprésentation identitaire 

Entre textes autobiographiques et autofictionnels

Afin de bien analyser la question identitaire dans Mes mauvaises pensées et Garçon manqué, il est indispensable de consacrer quelques lignes sur la nature générique des deux textes en raison des pratiques d’écriture qu’ils représentent; Garçon manqué en tant que récit autobiographique et Mes mauvaises pensées en tant qu’autofiction. Ces deux types de textes autobiographiques jouent un rôle important dans la lecture que je fais des deux œuvres en lien avec les enjeux identitaires. Le fait que la question de l’identité de l’auteur narrateur personnage soit centrale dans ces deux genres littéraires permet de mieux saisir le fonctionnement de la représentation identitaire. L’analyse de renonciation de soi, autant dans la forme autobiographique qu’autofictionnelle, est l’espace idéal pour distinguer le fonctionnement de la représentation des enjeux identitaires.
Les discussions sur les distinctions génériques des textes autobiographiques ne semblent pas faire l’unanimité et des divergences importantes existent depuis l’apparition des premières œuvres de ce genre. Deux exemples récents révèlent l’étendue et l’actualité de ce débat. Le premier concerne Philippe Lejeune qui avait en son temps proposé les traits distinctifs de base des récits autobiographiques et qui publie en 1994 un texte intitulé « Un siècle de résistance à l’autobiographie ». Dans cet article, il tente d’expliquer le mépris qu’a subi la pratique autobiographique. Parcourant l’histoire des théoriques sur l’autobiographie depuis cent ans, il montre que l’autobiographie continue à défendre son statut artistique et esthétique. En révisant les contradictions sur la valeur littéraire de l’autobiographie, Lejeune va jusqu’à affirmer que depuis toute cette période de discussions et mises au point sur les textes, il a fini par se rendre compte que « ce n’est pas là un débat sur le genre, mais, au fond, c’est le genre lui-même, qui n’existe que dans l’espace créé par une telle tension… le jour où l’acte et les textes autobiographiques seront unanimement acceptés, le genre sera mort » .Le deuxième cas concerne Pautofîction. En 2008 paraît dans Le Monde un article qui, à l’aide d’un survol rapide des différentes positions sur l’autobiographique, continue à qualifier cette pratique comme un « genre littéraire difficile à cerner».Je fais appel à ces deux cas si différents, car il me paraît important de prendre la mesure du progrès théorique de la distinction générique des textes : nous sommes de plus en plus conscients de la flexibilité des déterminations génériques, de leur évolution et de la souplesse des dispositifs d’appartenance qui les caractérisent.

La théorie performative de Butler

On se souviendra que dans sa première publication, Subjects of Desire (1987), Butler parle de la subjectivité en abordant des auteurs comme Hegel, Nietzsche, Freud, Althusser. Ce travail n’est pas l’un des livres les plus connus de Butler, mais il montre la formation philosophique de l’auteure. C’est dans Trouble dans le genre (2005), le livre qui l’a rendu célèbre, qu’elle introduit la théorie performative. Lors de cette publication, elle développe les notions liées au genre et au sexe qu’elle reprendra souvent dans des travaux subséquents pour les préciser, les commenter, les exemplifïer ou même les modifier. Ainsi, la théorie philosophique que j’utilise dans cette analyse se développe dans un premier temps dans ce texte où, pour formuler les grandes lignes de sa théorie, Butler reprend l’idée de performativité du philosophe anglais J.L. Austin, qui a élaboré et développé ce concept.
Dans son ouvrage Quand dire c’est faire (1962), Austin étudie certaines expressions qui font littéralement ce qu’elles énoncent, comme « je promets » ou « j’avoue ».
Le travail philosophique que Butler entreprend dans commence par une critique du féminisme pour proposer une politique féministe et, surtout, une définition « différente » de la catégorie « femme ». Dans le premier chapitre de Trouble dans le genre, Butler fait deux propositions importantes : d’une part, elle dénonce le lien de causalité entre le sexe et le genre, et analyse la construction des genres par les discours phallocentriques et hétérosexualistes; d’autre part, elle questionne la catégorie « femme » ainsi que son statut comme sujet du féminisme.

Pertinence de la théorie performative pour l’étude des textes autobiographiques et autofictionnels.

Cette dernière partie du présent chapitre porte sur la question de la pertinence de lire les textes autobiographiques et autofictionnels à travers la théorie de la performativité de Judith Butler. Même si au premier coup d’œil ces deux disciplines théoriques semblent éloignées, nous verrons que le rapport entre elles est fort enrichissant.
Je propose un rapprochement entre la théorie performative et les textes autobiographiques par lequel nous pourrons voir que, en ce qui concerne les formulations identitaires, le rapport est étroit entre la pratique d’écriture autoreprésentative et la théorie performative. Pour cela, je jetterai un regard sur les circonstances actuelles des écritures autobiographiques, particulièrement l’écriture des femmes. J’aborderai l’influence du mouvement féministe dans la création littéraire des dernières décennies et la manière dont les circonstances et le souci croissant pour définir le sujet féminin ont suscité une remise en cause du genre sexuel. On verra ainsi non seulement la pertinence de lire les textes autobiographiques et autofïctionnels à travers la théorie performative, mais on prendra aussi conscience de la valeur pratique de cette interprét.

Garçon manqué : une identité plurielle, hybride et mobile

Présentons d’abord de façon générale la structure textuelle de Garçon manqué pour mieux déterminer ensuite la place qu’y occupe la formulation d’une identité plurielle, hybride et mobile. Dès la première lecture de Garçon manqué, la question identitaire est évidente. Le sujet est traité et formulé, comme on va le voir, autant au niveau grammatical et syntaxique qu’à l’intérieur du récit. Le conflit des enjeux identitaires qui forment le personnage se trouve aussi au cœur de l’œuvre et il s’exprime de façon transparente lorsque Nina questionne son appartenance à l’un ou l’autre des genres sexuels et à l’une ou l’autre de ses origines culturelles, ce qu’elle résume d’ailleurs ainsi : « Tous les matins je vérifie mon identité. J’ai quatre problèmes. Française? Algérienne? Fille? Garçon? » (GM, p. 163).
Le livre est structuré en opposant les identités culturelles de Nina. Dans les deux premières parties du livre, « Alger » et « Rennes », qui sont aussi les deux chapitres les plus longs, Bouraoui s’autoreprésente à partir de particularités propres aux deux villes et, par conséquent, aux deux cultures, ce qui conduit à la construction d’une identité hybride et plurielle. De cette manière, et comme on le verra un peu plus loin, Bouraoui met en scène ce que Butler identifie comme les relations primaires, irrémédiables, qui ont imprégné l’histoire de sa vie. À travers son histoire, Bouraoui rend possible la narration d’une certaine singularité; en énonçant les structures d’interpellation dans laquelle elle s’inscrit, et plus précisément en mettant l’accent sur ses possibilités d’interpellation et d’autoformulation, elle fait preuve d’une capacité d’agir langagière lui permettant d’avoir une identité hybride, multiple et mobile.

Intelligibilité

L’identité du sujet dépend, dans un premier temps, de la manière dont il est intelligible, c’est-à-dire par les possibilités d’être saisissable par l’esprit et la raison des autres. En ce qui concerne l’autoreprésentation identitaire dans Garçon manqué, Bouraoui expose, d’une part, des aspects d’ordre social et culturel (algérienne/française) et, d’autre part, du genre (fille/garçon); par ce questionnement, elle maintient l’impossibilité d’une identité unique.
Loin de pouvoir se présenter comme appartenant à l’une ou l’autre des cultures, à l’un ou l’autre des genres, elle se bat tout au long du livre entre des identifications qui se croisent et s’annulent. La lectrice est ainsi confrontée à des contradictions étonnantes sur l’identité genrée et culturelle. Ce flou identitaire est d’abord mis en évidence par les processus d’intelligibilité;
on verra d’ailleurs par la suite que ces problèmes d’intelligibilité seront les déclencheurs du récit dramatique et de la violence sous-jacente. Dans les relations que le sujet entretient avec les autres, l’intelligibilité est ce mouvement par lequel le sujet est perçu et reconnu et qui finit par dépendre des normes sociales dominantes. Selon Judith Butler, l’intelligibilité est le produit d’une structure de reconnaissance restrictive : « La cohérence, et la constance de la personne ne sont pas des attributs logiques de la personne ni des instruments d’analyse, mais plutôt des normes d’intelligibilité socialement instituées et maintenues ».De cette manière, la représentation identitaire telle que la propose Bouraoui, c’est-à-dire Y autoreprésentation d’une identité en même temps masculine et féminine, ou d’une identité genrée pas encore déterminée, ainsi que d’une identité qui brouille les traits culturels, et enfin d’une identité plurielle, hybride, et mobile, ne coïncide pas avec les normes sociales d’intelligibilité reconnues et acceptées, ce qui la rend inintelligible et donne ensuite lieu à la violence et au rejet. Un bon exemple c’est le sentiment de Nina lorsqu’elle parle de sa vie en Algérie et elle affirme : « Ici je suis une étrangère. Ici je ne suis rien. La France m’oublie. L’Algérie ne me reconnaît pas. Ici l’identité se fait. Elle est double et brisée. » (GM. p. 29) On y voit que le problème identitaire de Bouraoui ne provient pas d’elle même, mais qu’il surgit dans son rapport aux autres.

 

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Table des matières

Introduction
Chapitre I : L’autoreprésentation identitaire 
1.1 Entre textes autobiographiques et autofictionnels
1.2 Précisions génériques
1.3 D’un genre à l’autre
1.3.1 Garçon manqué, récit autobiographique
1.3.2 Mes mauvaises pensées, récit autofictionnel
Chapitre II : Performativité et autoreprésentation 
2.1 La théorie performative de Butler
2.2 Pertinence de la théorie performative pour l’étude des textes autobiographiques et autofictionnels
Chapitre III : Enjeux identitaires dans Garçon manqué 
3.1 Garçon manqué : une identité plurielle, hybride et mobile
3.2 Rendre compte de soi
3.3 Intelligibilité
3.3.1 Garçon/fille
3.3.2 Algérienne/française
3.4 Structures d’interpellation
3.4.1 Interpellation
3.4.2 Nina interpellée
3.4.3 Nina interpelle
3.5 Violence
Chapitre IV : Enjeux identitaires dans Mes mauvaises pensées 
4.1 La spirale de mots
4.2 Interpellation/performativité
4.2.1 La place
4.2.2 Le groupe
4.2.3 Le genre
4.3. La confession : une agentivité
Conclusion

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