L’autisme une catégorie incertaine : entre quêtes diagnostics et diversité des parcours thérapeutiques
Conceptualisations théoriques et thérapeutiques de la catégorie d’autisme, examen critique
Première apparition de la notion d’autisme
Eugéne Bleuler, un psychiatre suisse, est le premier à avoir utilisé le terme d’autisme en 1908 dans son livre La démence précoce, ou groupe des schizophrénies. Il considère l’autisme comme un symptôme, un trait indissociable de la schizophrénie : « Nous appelons autisme ce détachement de la réalité combiné à la prédominance relative ou absolue de la vie intérieure. La relation de réciprocité entre la vie intérieure et le monde extérieur subit une altération très particulière et caractéristique de la schizophrénie. La vie intérieure acquiert une prépondérance pathologique (Autisme). » (Gailis, 2010) C’est donc cette vie intérieure, ce repli sur soi qui est qualifié d’autisme, comme le montre la thèse de Jane Gailis sur la conception bleulerienne du concept. Bleuler se trouve au croisé de deux influences contradictoires. Il est influencé d’une part par la psychiatrie allemande pour laquelle il travaille et qui rejette le modèle freudien et l’idée d’inconscient à l’époque minoritaire. Néanmoins Bleueur continue à être en discussions avec Freud et Jung et va construire son concept d’autisme en se détachant progressivement du concept d’auto-érotisme avancé par Freud, concept qui sous-entend un lien avec l’aspect sexuel du développement de la théorie freudienne (Gailis, 2010). Il est intéressant de voir que dès sa création, le concept d’autisme se trouve au centre de débats qui prennent leurs sources dans des conceptions étiologiques différentes de la maladie mentale. Ian Hancking montre qu’il n’y a pas à ce stade de classification d’autisme, mais un groupe de maladies. Parmi le « groupe des schizophrénies se trouvent les symptômes qu’il appelle autistes, et qui consistent en une séparation entre la pensée et la logique et la réalité ». (Hacking, 2005) Il rappelle qu’à ce stade de développement historique de la catégorie, celle-ci concerne les adultes et pas spécifiquement les enfants.
Léo Kranner et Hans Asperger : des découvertes concomitantes qui s’ignorent
Leo Kranner est le premier à élaborer la notion d’autisme infantile et crée cette catégorie à partir d’une observation empirique de onze enfants qui ont un problème relationnel ou de langage avec leurs parents : « selon cette définition l’autisme se caractérise par trois traits marquants : le désir de solitude, l’aspiration à l’absence de changement et l’anormalité du langage » (Borelle, 2017a, p. 9). Ian Hacking rappelle que Kranner prend position en affirmant le caractère organique de la maladie contre l’interprétation qui suppose que les causes du trouble seraient le résultat de relations pathologiques entre la mère et l’enfant. « Kanner a souligné que, dès le début, il avait parlé de l’origine organique de cette affection » (Hacking, 2005).
Simultanément et sans le connaître, Hans Asperger, un psychiatre allemand, découvre les mêmes symptômes chez des individus sans déficiences intellectuelles. « Ils avaient un développement normal du point de vue de l’intelligence et du langage, mais présentaient des comportements proches de l’autisme de Kanner. Surtout, ils avaient une déficience marquée dans les interactions sociales et la communication. Asperger appela ces patients ‘Autistichen Psychopathen’. ».
Il a donc utilisé sans le savoir, la même notion d’autisme – empruntée à Bleuler (Hacking, 2005). Et ce n’est que dans les années 80 que le syndrome d’Asperger connaît un rayonnement international lorsqu’une psychiatre anglaise note l’analogie entre les observations faites par Kranner et celles d’Hans Asperger. « À partir de cette publication, les travaux vont se multiplier pour identifier le syndrome d’Asperger et le positionner dans les classifications. La reconnaissance de ce trouble en 1993 dans la CIM-10, puis dans le DSM-IV en 1994 est le résultat des nombreuses études publiées à ce sujet. » (Hacking, 2005).
L’approche psychodynamique
Bruno Bettelheim est une des figures les plus polémiques de la controverse sur l’autisme. En effet, son ouvrage « La forteresse vide, l’autisme des enfants et la naissance du moi » publié en 1969 donne toujours lieu à des positionnements critiques d’une diversité d’acteurs (universitaires, médecins, politiques, parents) qui s’organisent pour rejeter les projets thérapeutiques (psychodynamique) qui ont découlé de ses recherches. Ces opposants dénoncent le caractère culpabilisant pour les parents de ses théories et même leur dangerosité sur le développement des enfants. Ici, la cause de l’autisme aurait pour objet un défaut du lien précoce qu’entretiennent inconsciemment les parents à leurs enfants. En somme, pour des raisons liées à leur passé et à ce que change l’arrivée de l’enfant dans leur vie, le désir des parents est que celui-ci n’existe pas. « Je soutiens que le facteur qui précipite l’enfant dans l’autisme infantile est le désir de ses parents qu’il n’existe pas» (Bettelheim, Humery, 1998). Cette situation psychique des parents est perçue très tôt par le bébé par le biais des émotions et des signes que produisent involontairement les parents et que l’enfant interprète négativement. L’enfant va alors s’extraire du monde en collant au désir de ses parents. « La cause initiale du retrait est plutôt l’interprétation correcte par l’enfant des affects négatifs avec lesquels les personnages les plus significatifs de son environnement l’approchent »(León, Menéndez, 2009). Ici, la notion de désir est à comprendre dans un sens psychanalytique et non littéral. En effet, pour la théorie freudienne, tout désir est fondamentalement inconscient. Pour Bettelheim il n’y a donc pas d’intentionnalité malveillante et consciente des parents. L’enfant face aux parents et à ce que Bettelheim nomme « la mère réfrigérateur » va construire des défenses contre le monde en produisant des comportements symptomatiques (ce qui ne va pas et ce qui se répète). L’autisme de l’enfant est donc dû à un environnement pathologique des parents auquel l’enfant réagit par la construction d’un rempart subjectif. Le sujet atteint ressemble alors à ce que Bettelheim nomme « une forteresse vide » où la palette des émotions est réduite à l’expérience psychique intérieure. Celle-ci recouvre le reste du monde.
Pour prendre en charge ces enfants, le docteur Bettelheim fonde dans les années 70 l’école orthogénique à Chicago qui a influencé de nombreuses structures aux approches psychodynamiques. Bettelheim crée son école orthogénique en prenant en compte sa propre expérience de la déportation. Il fait une analogie entre l’expérience subjective imposée par le camp de concentration et l’expérience du sujet autiste : « Ce qui pour le prisonnier était la réalité extérieure est pour l’enfant autistique sa réalité intérieure. Chacun d’eux pour des raisons différentes aboutit à une expérience analogue du monde » (Bettelheim, Humery, 1998). « Il retrouve dans le regard des enfants perdus qui lui sont confiés le même vide marqué de terreur qui l’avait frappé chez les prisonniers de Buchenwald. Saisis par un environnement absolument hostile et destructeur, ils étaient psychiquement morts. »(Fognini, Ricaud, 2012) » Bettelheim a la conviction que la qualité de l’environnement est déterminante dans l’état subjectif et émotionnel d’un sujet. Cela l’amène à concevoir son institution comme « un anti camp » (León, Menéndez, 2009) qui accueille le sujet dans un environnement plaisant encourageant l’expression de ses symptômes, auparavant punie par l’environnement social.
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Table des matières
Introduction
Méthodologie et précisions sémantiques
L’autisme une catégorie incertaine : entre quêtes diagnostics et diversité des parcours thérapeutiques
Conceptualisations théoriques et thérapeutiques de la catégorie d’autisme, examen critique
Première apparition de la notion d’autisme.
Léo Kranner et Hans Asperger : des découvertes concomitantes qui s’ignorent
L’approche psychodynamique
L’approche cognitive et comportementale
Approches organiques : génétique et neuroscience
Épidémiologie et classification
Diagnostic et implications
La psychanalyse, représentante anachronique d’un temps révolu ?
Le centre de ressource autisme. Un dispositif exemplaire des mutations de la santé mentale ?
Un diagnostic socialement situé ?
Un diagnostic et une prise en charge influencés par les stéréotypes et inégalités de genre ?
Un diagnostic négocié ?
Après le diagnostic… L’expérience de la maladie
Une multiplicité des choix et des expériences thérapeutiques
Ce que nous apprennent les récits des personnes autistes sur l’après-diagnostic
Conclusion intermédiaire
Politiques de l’autisme
Les associations de parents : de la tutelle médicale à l’autonomie politique
Une tentative pour extraire l’autisme des maladies chroniques ?
La transformation de la place des usagers et des professionnels dans le champ de la santé mentale.
La figure de l’autiste de haut niveau : une catégorie apparue à l’interface de la science, du social
et du biologique ?
Un contexte français de dépendance relative aux associations de parents
Un processus d’autonomisation du champ médical.
L’autonomie comme condition, les neurosciences comme support
De la Silicone Valley à Tshal : Applications économiques et militaires du cerveau autiste
Conclusion générale
Bibliographie
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