L’autisme et le monde associatif français

LES TROUBLES DU SPECTRE DE L’AUTISME

L’autisme, ou les troubles du spectre de l’autisme (TSA)

Définition et données

Le terme « autisme » ne recouvre pas une condition unique, mais un ensemble de troubles qui résultent d’anomalies du neuro-développement chez l’enfant, à forte composante génétique. Les symptômes de ce développement différent persistent souvent à l’âge adulte, avec des impacts très variés sur les personnes concernées, allant d’un handicap à vie avec peu de chances d’autonomie à une vie sociale et professionnelle active [LORD, ELSABAGGH, BAIRD, VEENSTRA VANDERWEELE,2018]. La CIM-11, la onzième édition de la Classification internationale statistique des maladies, publiée en 2019 par l’Organisation Mondiale de la Santé, définit les troubles du spectre de l’autisme ainsi : « Les troubles du spectre de l’autisme se caractérisent par des déficits persistants dans la capacité à initier et à maintenir une interaction sociale réciproque et une communication sociale, et par un éventail de schémas restreints, répétitifs et inflexibles du comportement, des centres d’intérêt ou des activités qui sont clairement atypiques ou excessifs pour l’âge et le contexte socioculturel de l’individu . Ce trouble débute pendant la période du développement, en général à la petite enfance, mais les symptômes peuvent ne se manifester que plus tardivement, lorsque les exigences sociales dépassent les capacités limitées. Les déficits sont suffisamment sévères pour provoquer une déficience dans les domaines personnel, familial, social, scolaire, professionnel ou d’autres domaines importants du fonctionnement et sont généralement une caractéristique persistante du fonctionnement de l’individu observable dans tous les cadres, même si cela peut varier selon le contexte social, scolaire ou autre. Les personnes atteintes présentent un éventail complet de capacités en termes de fonctions intellectuelles et du langage. » [OMS, 2019]
La prévalence de l’autisme parmi la population varie fortement d’une étude et d’un organisme à un autre, mais le DSM-V l’établit autour des 1 % de la population concernée. La forte augmentation du nombre de diagnostics s’explique par de meilleures connaissances, une meilleure détection et l’élargissement des critères de diagnostic au cours des années 1990. Actuellement, le ratio hommes-femmes est de 3:1 [ LOOMES, HULL, MANDY, 2017], même s’il pourrait évoluer ces prochaines années en raison de l’étude croissante des techniques de « camouflage » (« masking ») développées par les personnes autistes, tout particulièrement les femmes [ LAI & al.,2017]. Les trajectoires de vie varient fortement : entre 10 et 33 % des adultes diagnostiqués aux États-Unis présentent un handicap intellectuel, qui leur permet cependant de communiquer et de travailler ; parmi celles présentant une intelligence dans la moyenne ou supérieure à celle-ci, seulement 25 % vivent seules, exerçant généralement un emploi inférieur à leur qualification [SHATTUCK&al.,2012]. Ce genre de données n’est pas disponible pour la France.

Brève histoire de l’autisme

L’histoire médicale de l’autisme sous son nom actuel commence vers le milieu du vingtième siècle. Presque simultanément, deux médecins hongrois, Hans Asperger, vivant à Vienne et Leo Kanner, travaillant aux États-Unis, remarquent des particularités chez certains de leurs patients. Kanner, qui est alors la référence américaine en matière de psychiatrie infantile, publie son premier article sur l’autisme, « Autistic Disturbance of Affective Contact » (« Trouble autistique du contact affectif », traduction personnelle) en 1943 [KANNER,1943].Il suppose un temps que ce trouble, accompagné d’un mutisme et qu’il nomme autisme infantile précoce, est une psychose, avant d’en rejeter l’idée.
Cependant, ses écrits sur l’aspect « frigide » des familles des enfants qu’il suit participent à la stigmatisation des mères au cours des décennies qui suivent [SAUVAGE,2012]. De son côté, Hans Asperger, publie à peine un an plus tard son article intitulé « Die  »Autistischen Psychopathen » in Kindersalter » (« Les  »psychopathes autistes » dans l’enfance », traduction personnelle) [ASPERGER, 1944], mais son nom ne devient connu dans le monde de l’autisme que dans les années 1980. Sa vision de l’autisme a longtemps été considérée comme plus positive que celle de Kanner, et sa volonté d’aider ses patients à utiliser leurs capacités dans leur vie d’adulte ont séduit depuis sa redécouverte.
Sa participation à un programme d’hygiène raciale n’a émergé que récemment [ CZECH, 2018].
En 1967, Bruno Bettelheim – lui aussi Autrichien émigré aux États-Unis – publie La Forteresse vide, où il théorise qu e les parents seraient responsables de l’autisme de leur enfant, particulièrement les mères – traditionnellement celles s’occupant de l’éducation – et que les autistes seraient en quelque sorte vides d‘être, de personnalité. Psychologue influent, ses travaux, inspirés des théories psychanalytiques de son temps, impactent fortement le monde médical de l’époque [ SEVERSON & AUNE, 2009] et notamment en France, où ils ont longtemps conservé une influence [ BRIGGS, 2019], encore perceptible dans les débats autour du packinget ses fondements théoriques.
Pour autant, l’évolution des connaissances enneurosciences fait lentement passer le monde médical anglo-saxon à une conception neuro-développementale de l’autisme et entraîne ledéveloppement de thérapies qui se focalisent sur le développement cérébral et le soutien des apprentissages dès les années 1970. Cette évolution déconnecte la médecine de la psychanalyse,qui, en raison du manque d’études scientifiques prouvant son efficacité, perd son statut de modèle incontournable des troubles mentaux pour devenir une thérapie parmi d’autres [CLEMENS, 2014]. Les thérapies cognitivocomportementales deviennent le premier choix dans le traitement médical de l’autisme à l’étranger, et ses critères de diagnostic sont standardisés au sein des manuels successifs publiés par l’Association Américaine de Psychiatrie (DSM-I, -II, etc.) [ VOLKMARR & MCPARTLAND, 2014]. À partir des années 1960, le développement du Disability Rights Movement modifie la perception sociétale du handicap et conduit au cours des années 1990 à l’émergence de l’Autism Rights Movement, suivi du Neurodiversity Movement [PELLICANO, 2011]. Aujourd’hui, de nombreuses personnes autistes et des parents appellent au développement d’un nouveau modèle médical de l’autisme, critiquant notamment l’ABA, trop défectologique et dont l’efficacité a été revue à la baisse [WARREN, &al.,2011].

Les thérapies et approchesdites « evidence-based »

De nombreuses thérapies comportementales, développementales et éducatives ont été développées au cours du temps, particulièrement dans le monde anglo-saxon. En raison de la grande diversité de profils des enfants autistes pour lesquelles elles ont été développées, ces thérapies et approches de l’autisme sont très variées et continuent d’évoluer et d’être évaluées [ROANE, FISHER & CARR,2016]. Ce qui suit est une présentation simplifiée de quelques approches les plus connues et réputées.
L’ABA, acronymede Applied Behavior Analysis, est un exemple célèbre d’approche comportementale de l’autisme, réputée pour son efficacité et appliquée très régulièrement dans le monde anglosaxon. S’inspirant du behaviorisme, né dans les années 1960, elle se base sur le conditionnement opérant de l’enfant par le jeu et la récompense. Idéalement, l’ABA doit être menéetrente heures par semaine, afin de créer puis renforcer progressivement les comportements définis comme adaptés et réduire ceux jugés inadaptés [DIXON, VOGEL & TARBOX, 2012]. Les méthodes comportementales sont de plus en plus critiquées pour leur efficacité avérée, mais qui reste relative, pour la vision de l’autisme qu’elles promeuvent (des symptômes à faire disparaître) et enfin pour certaines dérives, à l’image du scandale des chocs électriques du Judge Rosenberg Center de Boston [KIRKHAM,2017].En France, l’ABA n’est pas prise en charge et repose souvent sur des réseaux associatifs de bénévoles et de professionnels intervenant à la demande des parents, à l’instar d’ABA Autisme France.
Le programme TEACCH, Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped Children, est un programme développemental et éducatif né en 1964 à l’université de Caroline du Nord sous l’impulsion d’Eric Schopler, psychologue et père d’un enfant autiste. Il vise à développer, dans le cadre d’une éducation structurée, l’autonomie de la personne en lui apportant une meilleure compréhension du monde non-autiste ainsi que des outils d’interprétation et de communication. À la différence de l’ABA, TEACCH s’adapte au développement de la personne et refuse de lui imposer des modifications de comportement : le programme est ainsi à l’origine du terme de « culture autiste ». TEACCH nécessite une forte collaboration entre professionnels et parents [MESIBOV, & al. 2004]. TEACCH n’est pas prise en charge, même si aujourd’hui des professionnels s’en inspirent[DIONISI,2013], au même titre que des associations qui mettent leur expérience au service des familles le demandant.
Parmi les autres approches reconnues de l’autisme, les interventions à visée cognitive comme la Early Intensive Behavioral Intervention(EIBI) et celles, plus récentes, regroupées sous le nom de Naturalistic Developmental Behavioral Interventions (NDBI) [SCHREIBMAN&al.,2015] tirent partie de la plasticité cérébrale des très jeunes enfants pour pousser le cerveau à compenser certaines anomalies de son neuro-développement et ainsi faciliter les apprentissages ultérieurs en améliorant notamment la mémoire, l’attention, la communication langagière ou encore la perception de l’espace [ REICHAW, 2011]. En France, leur mise en œuvre implique de nombreux volontaires et professionnels, souvent bénévoles en raison du coût de telles interventions. Les professions impliquées dans ces séances intensives de sollicitation incluent des psychomotriciens, des kinésithérapeutes, des orthophonistes, etc. mais aussi des bénévoles sans profession médicale qui se relaient auprès de l’enfant.

Les différents champs d’exercice

On distingue généralement sept secteurs d’activité associative : le secteur des Sports, celui de la Culture, celui de l’Humanitaire, social et santé, celui de la Défense des droits et des causes, celui de l’Éducation, formation, insertion, celui des Loisirs et enfin celui du Développement local. Il existe cependant de forts écarts entre secteurs : ainsi, le secteur Humanitaire, social et santé est un secteur économique particulièrement important qui comptabilise 54,9 % de tous les emplois associatifs, faisant de lui le plus large employeur associatif de France [TCHERNONOG & PROUTEAU,2019 : 348, 196].

Brève histoire du monde associatif depuis la loi 1901

Au cours du XXe siècle, les associations de loi 1901 prennent de plus en plus d’importance et bénéficient à partir de 1954 d’incitations fiscales aux dons en échange d’une déduction d’impôt pour les donateurs, incitations qui continuent encore de se développer aujourd’hui [COTTIN-MARX, 2019]. Les associations se sont particulièrement développées à partir des années 1960, bénéficiant de la politique de l’État-providence alors en place, et notamment les associations du domaine sanitaire et social. Les décennies 1970 et 1980 voient croître encore le nombre des associations sur le territoire français, etdans la lignée de la Nouvelle gestion publique [MERRIEN,1999] l’État se dirige de plus en plus vers une délégation de sa politique sociale aux associations par le biais de la contractualisation : ces dernières deviennent alors « de véritables auxiliaires de la puissance publique », les interlocuteurs privilégiés des instances publiques, se structurant petit à petit à leurimage, comme dans le secteur du handicap, majoritairement associatif [ROBELET, &al., 2010].
En 1983 l’État sacralise les associations en tant que partenaires de sa politique publique en créant le Conseil National de la Vie Associative, une instance experte rassemblant des représentants associatifs chargés de le conseiller sur les affaires les concernant[COTTIN-MARX,2019]. En 1992, un regroupement d’organisation se positionne comme acteur à part entière et indépendant de l’État et crée le CPCA, aujourd’hui le collectif d’associations Le Mouvement Associatif. Ce collectif regroupe environ 700 000 associations et agit comme une force de lobby, entendant faire valoir le travail et les succès du monde associatif « tout en incarn[ant] la parole associative dans différentes instances » . Aujourd’hui, en 2021, les associations de loi 1901 sont des acteurs omniprésents et essentiels au fonctionnement de la société française, au sein de laquelle elles assurent de nombreux services, et le monde associatif est désormais abordé comme un tiers-secteur complémentaire au marché et à l’État, celui de l’Économie Sociale et Solidaire [LAVILLE,2001].

Définition et caractéristiques des associations de lois 1901

Structure type d’une association et secteurs d’activité

Pour avoir une existence légale, une association doit être déclarée au département dans lequel se situe sonsiège social et en fournir les statuts et les identités des membres chargés de son administration. Une fois ces pièces fournies, l’association peut être rendue publique grâce à une insertion au Journal Officiel.
Une association possède généralement la structure suivante : une Assemblée générale ordinaire, réunie une fois par an, à laquelle peuvent participer tous les membres de l’association et où le trésorier et le président exposent la situation de l’association ; un
Conseil d’Administration composé de membres élus et qui se réunit une fois tous les six mois et dont les devoirs sont laissés à l’appréciation de chaque association, mais qui s’intéresse en général aux orientations stratégiques de celle-ci ; et enfin d’un Bureau, qui réunit un.e président.e, un.e vice-président.e, un.e secrétaire et un.e trésorier.e, qui ensemble mettent en œuvre les décisions du Conseil d’Administration. Le ou la président.e est ainsi le représentant conventionnel de l’association.

Brève typologie, modes de gouvernance et stades de vie

Le fonctionnement associatif a été particulièrement étudié par la sociologie, et plus spécifiquement la sociologie des associations. Dansac en distingue deux types principaux : les associations de projet, qui servent leur projet initial et agissent en fonction de lui, et les entreprises associatives, techniquement les associations employeuses, qui recherchent avant toutl’efficacité économique et la mise en conformité avec les politiques publiques [DANSAC, 2013] .Cottin-Marx caractérisepour sa part quatre sous-types d’entreprises associatives : les entreprises associatives mécénales, qui reposent sur les dons privés de mécènes (particuliers ou entreprises) ; les entreprises associatives marchandes, fonctionnant majoritairement grâce aux contrats aidés (surtout les secteurs Sports, Loisirs et Culture) ; les entreprises associatives partenaires, qui s’appuient sur leurs bénévoles et agissent de concert avec les pouvoirs publics (par exemple, dans la lutte contre la pauvreté) ; et les entreprises associatives gestionnaires, contrôlées par les pouvoirs publics et prestataires de leurs actions ( surtout le secteur Sanitaire et social)[COTTIN-MARX,2019].
L’existence d’une association en tant que regroupement de travailleurs associatifs, qu’ils soient bénévoles ou salariés, pose la question de son mode de gouvernance. La gouvernance d’une association est définie par Laville et Hoarau comme « l’ensemble des mécanismes permettant la mise en cohérence de l’organisation avec le projet associatif » [LAVILLE & HOARAU, 2008 : 245-269]. On distingue usuellement quatre types de gouvernances : d’abord, la gouvernance de type militante, dans laquelle l’association est conduite de manière égalitaire, collective et démocratique, y compris avec les financeurs ; la gouvernance « resserrée » concerne les associations dans lesquelles le pouvoir est centralisé par un seul dirigeant, généralement le président ; la gouvernance « professionnalisée » désigne une situation où le pouvoir du président est contrebalancé par celui du Conseil et de l’Assemblée générale, et les membres dirigeants sont choisis pour leurs compétences en gestion ; enfin, dans le cas de la gouvernance « externalisée », l’association est un sous-traitant, de facto dirigée par des éléments externes, généralement de tutelle [EYNAUD, CHATELAIN-PONROY & SPONEM,2011].
Un dernier élément à mentionner au sujet du fonctionnement d’une association concerne son stade de développement. Dansac distingue quatre stades-clés au cours de la vie d’une association : sa naissance, la maturation de son projet associatif, la dérive managériale, et la fin de vie du projet initial . Cette dernière étape peut ne pas se terminer par une dissolution de l’association ou un abandon des contrats problématiques, et se traduireau contraire par une transformation en une entreprise associative [DANSAC, 2013].

Modification des modalités de financement public et impact sociétal

Depuis les années 1970, la politique de décentralisation et celle de baisse des coûts de l’État ont conduit ce dernier à baisser ses financements aux associations et à modifier ses modalités d’attribution. Dans cette logique, le financement par subvention, qui laisse l’association bénéficiaire utiliser librement cette somme pour mener ses projets, a récemment été supplanté par le financement par commande publique. Le financement par commande publique résulte d’un contrat établi entre l’association et l’État spécifiant une utilisation particulière dufinancement obtenu, c’est-à-dire pour une prestation ou un projet donnéqui doit être mis en œuvre par l’association. La commande a souvent lieuau terme d’une mise en concurrence avec d’autres associations, voire entre associations et organisations lucratives du secteur privé.Ce changement des modalités de financement public « se fait au détriment de leur capacité à expérimenter, à innover ou à contester les orientations des pouvoirs publics » [COTTIN-MARX, 2019]. En effet, les démarches pour obtenir ces financements prennent du temps et nécessitent une structuration proche de celle du secteur privé pour pouvoir répondre aux appels d’offres.
Les petites associations se focalisent ainsi sur les financements privés, plus simples à obtenir, ou bien sur la préservation de leur projet associatif initial, tandis que les associations employeuses se formalisent pour pouvoir prétendre aux financements publics, quitte à modifier leur projet associatif initial et à orienter leurs actions en fonction des attentes des financeurs, tout en se focalisant sur l es publics les plus à même de leur fournir des financements privés, plus pérennes. Cette transformation de l’origine des financements impacte le libre arbitre des associations et renforce leur rôle d’« outil[s] des politiques publiques » [PROUTEAU & TCHERNONOG, 2017]. Ses effets  diffèrent fortement selon les caractéristiques des associations, leur.s secteur.s, leurs modalités de fonctionnement et la présence ou non de salariés, mais le risque à moyen terme est de voir les associations employeuses perdre leur capacité à détecter les nouveaux besoins de la population, particulièrement dans le secteur médico-social, où les associations participent depuis des années à l’élaboration des politiques publiques.

Lobbyingassociatif : contexte actuel

Les associations de famillesde personnes autistes effectuent auprès des pouvoirs publics, comme de nombreuses associations aujourd’hui, des activités de lobbying, définies par Franc J. Farnel [FARNEL,1994 : 17] comme une« une activité qui a pour but d’influencer directement ou indirectement les processus d’élaboration, d’application ou d’interprétation des mesures législatives, normes, règlements et, plus généralement, de toute intervention ou décision des pouvoirs publics ». Elles ont répondu aux besoins d’une population de parents isolés et mécontents de la prise en charge de leur enfant, qui se sont constitués en tant que force afin d’impacter les responsables à même de changer la situation qu’ils dénonçaient. A ujourd’hui, ces grandes associations constituent une « élite associative » forte de son rôle d’expert à consulter et tirent de multiples intérêts de cette position, de la reconnaissance publique aux subventions [ CHAMAK,2019b]. Leur discours est par conséquent largement dominant dans l’espace public et invisibilise ceux des personnes ou organisations ne correspondant pas à la vision de l’autisme qu’elles promeuvent [CHAMAK,2019a], tout en les privant de ressources de même ampleur.
Mais selon B. Chamak [CHAMAK, 2019a], leur activité de lobbying impacte de nombreux autres domaines. Leur volonté de déstigmatisation passe souvent par la mise en avant des autistes dit de haut niveau, ce qui contribue à la mise à l’écart institutionnelle des personnes plus dépendantes. Leur demande d’implication des parents comme co-thérapeutes contribue à la réduction du nombre de places en institutions, à l’inverse des demandes de nombreux parents, et la salarisation de ces derniers en tant qu’aidants les rendent dépendants de centres de jour et de professionnels dans le privé.
La sociologue décrit aujourd’hui l’autisme comme un marché lucratif qui va croissant, tant pour les thérapeutes que pour le monde de la recherche et pour certaines industries, par exemple celle des tests génétiques ou celle des jouets sensoriels. La sociologue rappelle l’imposition des thérapies soutenues par ces associations qui est faite aux familles dont les enfants vivent dans les centres qui leur sont affiliés. Enfin, elle souligne que leur lobbyingn’est pas perçu particulièrement positivement par le corps médical, impacté par leurs régulières campagnes contre l’institutionnalisation, la médication ou les thérapies psychodynamiques et les familles souhaitant recourir à ces thérapies.

Énonciation, énonciation numérique et ethos

Situation d’énonciation et type de locuteurs du discours associatif en ligne

Les textes publiés sur les sites web d’associations prennent place au sein d’une situation d’énonciation spécifique. En effet, leur énonciation est monologale car les allocutaires, ceux pour qui le discours global est construit, sont absents au moment de l’énonciation, même s’ils restent inscrits dans un réseau de discours avec lesquels ils interagissent, qu’ils l’indiquent ou ne le mentionnent pas. On peut ainsi citer les discours des différentes professions impliquées dans le milieude l’autisme, des différents courants théoriques engagés, les discours des associations anglo-saxonnes, les discours des personnes autistes influentes (par exemple à travers les livres de Josef Schovanec ou Temple Grandin), etc. De plus, une association est, au même titre qu’une institution formelle, un locuteur collectif, parlant au nom d’un groupe et donc sans corporalité, qui utilise un certain genre de discours pour « construire, renforcer et légitimer son identité dans une certaine conjoncture », à savoir le cadre de l’institution [MAINGUENEAU, 2014a : 75]. De plus, dans le cadre de l’énonciation en ligne, l’identité des récepteurs du discours, ceux à qui il s’adresse, c’est-à-dire les caractéristiques des allocutaires, est multiple, en raison des nombreux types de profils pouvant, à travers le web, arriver sur leur site, ce qui contraint les associations énonciatrices à ensupposer certains plus que d’autres, ainsi que leurs attentes. Elles peuvent choisir d’adresser leur discours à un auditoire universel théorique, supposé sans connaissance préalable sur l’autisme, [ DÉTRIE, SIBLOT, VERINE & STEUCKARDT, 2017] ou bien partir du principe que cet auditoire consiste en une certaine partie de la population générale, comme les parents de personnes autistes ou les personnes autistes elles-mêmes.
L’énonciation des discours met en jeu des phénomènes complexes, notamment en ce qui concerne l’expression dialogique des points de vue. Rabatel distingue ainsi co-, suret sous énonciation [RABATEL, 2005 & 2007], mais aussi effacement énonciatif [ RABATEL, 2004]. Le chercheur souligne dans ce phénomène le rôle de trois acteurs : le locuteur (L1), producteur physique de l’énoncé, l’énonciateur premier (L1), qui prend en charge le discours, et le ou les énonciateurs seconds (e2), qui jouent le rôle d’instance de validation du contenu propositionnel [RABATEL,2012]. Une situation de co-énonciation désigne une situation où il y a « coproduction d’un point de vue commun et partagé par les deux locuteurs/énonciateurs ». La sur-énonciation désigne une situation où il y a « coproduction d’un point de vue surplombant de L1/E1 » (le sur-énonciateur) avec une formulation du point de vue exprimé qui a pour conséquence une modification de son domaine de pertinence ou de son orientation argumentative, comme la citation d’un proverbe. Enfin, la sous-énonciation désigne une situation où il y a coproduction d’un point de vue dominé, le sous-énonciateur « reprenant avec rése rve, distance ou précaution » le point de vue d’une source autre [RABATEL,2012], et qui parfois aboutit à l’adossement de la responsabilité énonciative à une voix anonyme [ MAINGUENEAU, 2004].
Les choix sémantiques et syntaxiques associés à ces trois types d’énonciation effectués par le locuteur participent à la construction de son ethos discursif.

Ethos et garant du discours

Pour D. Maingueneau, un texte écrit possède, au même titre que les discours oraux, un garant qui a un « caractère » (attribution de traits psychologiques), et une « corporalité » (des traits physiques et vestimentaires). Ce garant s’intègre dans un « monde éthique » activé par la lecture, construit par l’énonciateur (ethos visé) qui est interprété, reconstruit par les allocutaires (l’incorporation du premier aboutit à l’ethos produit). L’ethos discursif ainsi construit se combine lui-même à un ethos prédiscursif, la représentation que l’auditoire se fait de l’ethos de l’énonciateur avant le discours [MAINGUENEAU, 2002], construite à partir des attentes des participants et des représentations collectives conventionnelles de leur groupe social. Il est possible que cet ethos ne soit pas en jeu, les allocutaires ne connaissant rien du locuteur. Par ailleurs, D. Maingueneau distingue trois dimensions à l’ethos. Sa dimension catégorielle est liée au rôle discursif (ex : président d’une association) ou au statut extradiscursif du locuteur (ex : parent, personne avec TSA). La dimension expérientielle de l’ethos est liée aux caractérisations socio-psychologiques stéréotypiques associées au garant (ex : association reconnue d’utilité publique – compétence, qualité de sa démarche, ayant à cœur l’intérêt général, etc.). Enfin, la dimension idéologique de l’ethos renvoie à un positionnement de l’énonciateur (ex : militant) [ MAINGUENEAU, 2014b]. L’auteur souligne la situation particulière des iconotextes, des textes qui « associent intimement texte et image », comme les affiches publicitaires. Ce type d’ethos pose le problème de la hiérarchisation des éthè. En effet, l’ethos des iconotextes résulte de l’incorporation de trois types d’ethos différents : l’ethos d’ordre iconique (ce qui montre l’image, le « monde éthique dont participe la scène », par exemple un enfant souriant chez lui), l’ethos montré (comment l’image se présente) et l’ethos discursif lui-même, le texte associé à l’image. L’ethos iconotextuel trouve une actualisation en ligne.

Spécificité de l’énonciation en ligne

La spécificité de l’énonciation des différents discours en ligne, délinéarisée comme vu dans la section précédente, en fait, se caractérise par l’ajout de formes technolangagières, d’hyperliens ou de vidéos parfois insérées comme faisant partie du texte (détaillant son propos ou le poursuivant en offrant une autre perspective), des documents pluri-sémiotiques (PAVEAU2015 &2019) qu’on ne peut analyser sans prendre en compte leur environnement écologique (PAVEAU, 2013b). Ces discours en ligne relèvent d’une textualité planifiée, c’est-à-dire pour laquelle les énonciateurs ont intériorisé les contraintes du dispositif communicationnel dans lequel ils prennent place, et leur textualité est navigante, car construite par les choix du lecteur [ MAINGUENEAU,2014b], qui va de liens en liens, ou d’onglets en onglets, en suivant l’ordre et la thématique qui lui convient.
Dominique Maingueneau souligne dans son travail la particularité de la scénographie numérique par rapport à une construction classique de l’ethos. Si, hors ligne, le texte entre dans le dispositif type de discours > genre de discours > scène d’énonciation/scénographie, avec l’influence majeure du genre de discours, il en va autrement en ligne. Sur le web, l’importance du genre de discours s’atténue fortement au profit de la scénographie et de l’hypergenre (par exemple, le site web constitue un hypergenre, car il recouvre des catégories très variées de site : le site web marchand, le site web d’information, le blog, etc.). Ce phénomène est d’autant plus accentué par la fragmentation en pages du discours et la vue partielle que l’allocutaire a du document en scrollant (faisant défiler) vers le bas de la page. Le chercheur caractérise la scénographie du web de la manière suivante : la scénographie verbale, impliquée par l’énonciation et proprement linguistique, se conjugue à la scénographie numérique. Cette dernière est à trois dimensions : la scénographie icono-textuelle (le texte inclut des images, et le site constitue lui-même un ensemble d’images), la scénographie architecturale (tout site web est composé d’un réseau de pages agencées d’une manière spécifique) et la scénographie procédurale (tout site est un réseau d’instructions) [MAINGUENEAU,2014].

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Table des matières
Remerciements
Déclaration anti-plagiat
Introduction
PARTIE 1 : L’AUTISME ET LE MONDE ASSOCIATIF FRANÇAIS
1. les troubles du spectre de l’autisme
2. Le monde associatif
3. Les associations liées à l’autisme en France
PARTIE 2 : DISCOURS DES ASSOCIATIONS & ANALYSE DE DISCOURS
1. État de la question
2. Démarche et sélection des associations
3. Collecte des données et interprétation des résultats
Conclusion
Bibliographie
Table des annexes
Glossaire
Sigles et abréviations utilisés
Table des illustrations
Table des graphiques

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