Le contexte
Présentation des établissements où l’étude prend part : l’environnement social
Les classes de maternelle se caractérisent par leur grande hétérogénéité ce qui confronte l’enseignant à une difficulté majeure, adapter ses enseignements à la diversité de ses élèves. On retrouve notamment cette diversité à travers l’expression orale. Selon Pierre Alain Filippi lors de sa conférence , l’enfant n’est pas encore tout à fait élève, il est en plein apprentissage. En effet, le langage prend une grande place car certains élèves n’ont jamais été scolarisés soit par le fait qu’ils viennent d’un autre pays, soit parce que leur famille a fait le choix de ne pas les faire intégrer en petite section, on observe donc un grand écart de langage.
Certains élèves ont ainsi du mal à s’exprimer devant un groupe classe, nous les appellerons « petit-parleurs ». Il nous semble important de chercher un moyen de faciliter la prise de parole de ces enfants qui, par conséquent, ne s’imposent pas en tant qu’élèves. Ainsi, nous espérons favoriser l’égalité entre nos élèves à travers des activités différenciées.
Nous enseignons toutes les trois dans des classes de moyenne-section dans la ville de Martigues. Nous avons donc affaire à un milieu urbain et assez diversifié au niveau des catégories sociales.
Nos trois écoles respectives sont :
L’école maternelle de Font Sarade (Mélody), l’école maternelle de Henri Tranchier (Coralie), l’école maternelle Lucien Toulmond (Vanessa).
Dans le cadre de notre étude, il a fallu que nous déterminions les petits parleurs. Afin de réaliser une recherche objective il a fallu que nous ayons des élèves remplissant pratiquement les mêmes critères sociaux, d’âge et de langue. La question s’est posée sur les élèves à difficultés linguistiques notamment les élèves étrangers n’ayant pas la possibilité de parler français chez eux. Nous avons choisi de les inclure à l’étude car lors de nos observations, nous avons conclu qu’il ne s’agissait pas d’un problème de compréhension car cette dernière est correcte mais bien d’un problème d’expression. Les élèves ont tous cinq ans et sont nés dans la deuxième moitié d’année, entre Juillet et Décembre.
L’école maternelle Henri Tranchier
L’école maternelle publique Henri Tranchier est catégorisée par le corps d’inspection de Martigues comme école politique de la ville. Cette dénomination est donnée lorsque l’école ne bénéficie pas des critères REP (réseau d’éducation prioritaire) suite à son collège de rattachement mais rempli tous les éléments sociaux qui caractérisent une école REP. Ceci est un réel problème car les effectifs de classes sont nombreux et l’école ne bénéficie pas du dispositif REP comme plus de maîtres par classe, des effectifs élèves moindre… L’équipe d’inspection prend cependant en compte les difficultés de cette école suite à un contexte de quartier tendu, milieux sociaux défavorisés, taux de chômage très élevé, violence…
Les élèves de la classe de moyenne section où l’étude a été menée sont issus d’une population hétérogène avec de fortes disparités socio-culturelles. Cependant, peu d’élèves ont la possibilité d’être ouverts sur la culture et les difficultés de langage dus à des familles étrangères sont très présentes. Afin de réaliser cette étude portant sur les petits parleurs, nous nous sommes appuyés sur une grille d’observation qu’on utilisera en observation qualitative en grand groupe. Cette dernière a mis en avant certains points ayant permis de distinguer les petits parleurs des grands. Les critères ressortant le plus pour Henri Tranchier sont l’absence de reformulation des consignes lors des ateliers ainsi que la production de phrases même avec les sollicitations de l’enseignante. Le nombre de petits parleurs de cette classe est de l’ord re de cinq comme mentionné dans le tableau Répartition des élèves en fonction des différentes écoles.
L’école maternelle Lucien Toulmond
L’école maternelle publique Lucien Toulmond présente les mêmes caractéristiques socio-culturelles que l’école Henri Tranchier (école politique de la ville, fort taux de chômage, milieu socio-économique défavorisé, des effectifs de classe surchargés et public très hétérogène). Ce qui induit une forte hétérogénéité du niveau scolaire au sein de la classe de moyenne section (dans laquelle l’étude est menée). Le niveau de langage est également très différent d’un enfant à l’autre compte tenu de l’environnement familial (de nombreuses familles ne parlent pas le français à la maison). L’observation menée lors des temps de regroupement a permis de mettre en évidence non seulement des différences importantes au niveau du vocabulaire employé par les enfants (qui n’est pas le sujet de notre recherche), mais également des différences notables entre les « grands-parleurs » (qui auraient tendance à monopoliser la parole), les « moyens-parleurs » (qui attendent leur tour de parole) et les « petit-parleurs ».
En effet sur un effectif de 31 élèves, nous constatons que cinq élèves ne parlent jamais spontanément, et sur ces cinq élèves, deux ne parlent jamais même lorsqu’ils sont sollicités et les trois autres ne répondent que par des mots ou des signes de tête. Ces enfants « petitsparleurs » manifestent cependant de l’intérêt à ce qu’il se passe (par des comportements non verbaux : ils lèvent le doigt mais ne parlent pas / font des sourires / participent à des jeux de doigt et comptines / manifestent des acquiescements et signes de tête/ font des vocalises…).
Ce qui nous permet de penser que ces enfants ne présentent pas de difficultés de compréhension, mais ne parviennent pas à s’exprimer oralement devant le grand groupe. Ils sont cependant capables de communiquer. Il est à noter également que l’observation de ces enfants dans la cour de récréation ou lors des temps de jeux libres montre qu’ils parlent avec d’autres enfants et se font comprendre oralement. De plus, ils ne présentent pas de difficultés notables dans les apprentissages. En effet, un ensemble de compétences attendues en moyenne section sont atteintes (notamment dans le domaine du langage écrit).
L’école maternelle Font Sarade
L’école maternelle publique Font Sarade est située en milieu urbain dans un environnement social plutôt hétérogène, contrairement aux écoles Henri Tranchier et Lucien Toulmond elle ne se situe pas en milieu défavorisé. On constate cependant une forte diversité culturelle entre les familles et de ce fait, entre les élèves. Comme indiqué dans le tableau ci -dessus, il y a 156 élèves dans l’école qui est constituée de six classes : deux classes de petite section, deux classes de moyenne section et deux classes de grande section. La classe de moyenne section (dans laquelle l’étude s’est effectuée) est composée de 25 élèves. Il y a une hétérogénéité t rès importante dans cette classe du fait des différents environnements socio-culturels des élèves notamment au niveau du langage. Certains élèves pratiquent déjà un langage très avancé et même complexe (ils font des phrases longues, s’expriment facilement, ne cherchent pas leurs mots, communiquent facilement avec l’adulte, ont un vocabulaire varié…) tandis que d’autres, les enfants issus de familles étrangères principalement, ont des difficultés à s’exprimer et à faire des phrases longues (sujet – verbe – complément), ils ont également un vocabulaire moins étoffé que les autres. Néanmoins, les petits parleurs peuvent se situer dans n’importe quel milieu socio-culturel, en effet, on observe quatre petits parleurs dans cette classe : un est issu d’une famille étrangère, une est issue d’un milieu plutôt défavorisé et les deux autres d’un milieu social plutôt favorisé.
Théorie du langage
De nombreuses recherches ont été menées sur l’acquisition et le développement du langage. Agnès Florin , dans un ouvrage consacré à la maîtrise de l’oral en maternelle, fait le point sur les apports de la recherche dans le domaine du langage et de la pédagogie et met ainsi en évidence les avancées scientifiques sur le sujet. En effet différentes conditions d’acquisition du langage ont été étudiées : selon une perspective cognitive, le langage est : « une conception modulariste ; un système de langage autonome, imperméable à tout type d’information ». Selon les travaux de Segui (1994) en neuropsychologie cognitive, il existerait des relations entre l’organisation cérébrale et l’organisation cognitive, dans certains domaines du traitement du langage. Et selon une perspective interactionniste et dynamique, en rapport notamment avec les travaux de Vygotsky (la zone proximale de développement), l’enfant en interaction avec son environnement développe ses capacités langagières.
L’approche plus pragmatique d’Agnès Florin prend en compte la fonction de communication, en considérant l’acte de langage comme indissociable d’un acte social, conventionnel.
Après avoir analysé les apports de la recherche sur l’acquisition du langage, l’auteure s’est intéressée aux pratiques du langage en école maternelle et elle met en évidence que dans la plupart des classes il existe des « grands, moyens ou faible parleurs ». Cette conclusion ne peut être établie qu’à la suite d’une observation attentive des élèves durant les premières semaines de classe, et lors des moments de regroupement où les tempéraments des enfants se dévoilent progressivement, au fil des semaines. Elle note également que la seule voie permettant de « surmonter » ces difficultés est celle de la diversité : des objectifs, des thèmes abordés et de la structure des groupes conversationnels à mettre en place.
D’après Maria Montessori, pédagogue de l’Education nouvelle, il existe deux temps forts du langage : le temps du bilan, en regroupement. Les enfants sont amenés à s’exprimer non seulement à partir d’un support, mais également à partir de ce qu’ils ont fait, quelque chose qui les concerne et dans lequel ils se sont investis. Le second temps est celui de l’échange verbal pendant les ateliers. L’échange se fait non seulement entre l’adulte et l’enfant, mais aussi entre les enfants eux-mêmes. Elle précise également que : « les moments individuels d’échange, de communication sont des moments indispensables à l’amélioration de la fonction langage ».
Jean-François Simonpoli s’est longuement penché sur la question du langage en maternelle. En effet, il est docteur en sciences du langage et a été professeur de écoles en maternelle pendant quinze ans. Il insiste particulièrement sur le fait de donner du sens aux apprentissages et ce dès le plus jeune âge. C’est en donnant du sens à une tâche que l’on permettra à l’enfant de s’investir dans celle-ci et donc d’acquérir un apprentissage. J-F Simonpoli insiste également sur le fait que l’enfant, à travers le langage oral, se positionne en tant qu’élève et de ce fait prend sa place au sein d’un groupe social. Il définit également le groupe comme “un rassemblement d’individus différents dans un même lieu pour effectuer une même activité, une même tâche, ou poursuivre un même but”
L’atelier « jouer avec des marottes » de l’école Henri Tranchier
L’atelier « jouer avec des marottes » a été mené en lien avec l’ouvrage « le dragon, la princesse et le chevalier intrépide » . Permettre aux élèves de parler à travers le jeu est prescrit par les instructions officielles, ils apprennent à travers le tâtonnement, la manipulation mais également par le jeu. Cela permet un apprentissage progressif et met en confiance les élèves tout en respectant les objectifs mis en place par l’enseignant.
Celui-ci a été mis en place dans la classe de l’école maternelle Henri Tranchier. Les élèves avaient à leur disposition trois marottes, une de la princesse, une du dragon et la dernière du chevalier (cf. photo en annexe). Etant cinq élèves déterminés petits parleurs, il a fallu que chacun attende son tour pour passer. Le fait d’avoir deux élèves non participatifs a permis d’observer le degré d’implication de ces élèves lorsqu’ils ne sont pas sollicités ou en activité dans l’atelier. La communication non verbale a été observée, les deux élèves en marge de l’activité restaient très concentrés et attentifs sur les dialogues des joueurs, ils les aidaient à construire leur discours et leur apportaient de l’aide lorsque ces derniers étaient à cours d’idée à travers l’apport de mots, phrases courtes ou pour les plus à l’aise de phrases construites sujet verbe complément. Ceci a été observé dans tous les tours de parole des élèves. Les élèves ont accepté d’entrer dans l’activité, malgré quelques difficultés explicitées par la suite.
Apprendre le langage par le jeu fait partie des directives du gouvernement. En maternelle, il est indispensable que les élèves apprennent en jouant afin de favoriser l’apprentissage. De plus, les élèves ont été amenés à parler spontanément entre eux, et cela pour les cinq élèves observés. Seulement une élève n’a pas su construire de phrases complètes car elle présente des difficultés en français, sa famille ne parle que dans sa langue maternelle qui est le turc, elle ne possède pas le vocabulaire en français ce qui rend la compréhension difficile. Cependant, cela ne la bloque pas dans les échanges avec ses camarades et ne l’empêche pas de prendre la parole.
L’autre analyse qui en ressort est l’impact de la présence de l’enseignante dans la façon de mener l’atelier. Le début de l’atelier a été compliqué à mettre en place, en effet, les élèves ont eu des difficultés à rentrer dans l’activité, ils n’osaient pas parler entre eux avec les marottes. L’enseignante a tenté de rester présente en leur donnant quelques idées comme, faire se présenter les marottes, se remémorer l’histoire… les élèves restaient bloqués et n’arrivaient pas à jouer le jeu. Suite à cette observation, elle a fait le choix de s’écarter de l’atelier afin de voir si sa présence inhibait les élèves. Les élèves ne se sentant plus observés et n’ayant plus le regard de l’enseignante ont eu leur parole qui s’est débloquée et se sont laissés entraîner par leur récit. La présence d’un enseignant fait ressortir le rapport maître / élève. Les élèves se sentent jugés par celle-ci et souvent bloquent de peur de mal faire ou de ne pas répondre aux critères de l’enseignant dans certaines situations.
Le fait d’avoir fait le choix pour l’enseignante de se mettre à l’écart a rassuré les élèves leur a permis d’entrer dans l’activité et de réagir spontanément en créant leur histoire.
Les petits parleurs sont souvent des élèves très timides, la présence d’un adulte est souvent bloquante pour eux, ils n’ont pas confiance en eux et souvent plus à l’aise en petit groupe qu’en grand groupe. Le fait d’avoir fait le choix de réaliser un groupe homogène de petits parleurs a été justifié afin d’éviter aux grands parleurs de monopoliser toute la parole et de guider les petits parleurs vers l’histoire qu’ils souhaitent eux mettre en place.
Plusieurs limites sont observables dans cet atelier. Dans un premier temps, il a été observé que les élèves ont eu du mal à rentrer dans l’activité, cependant, la présence de l’enseignante est indispensable pour présenter les consignes et expliquer les enjeux de cet atelier. Rester présent pour voir comment ce dernier est mené par les élèves permet également de réguler si jamais les élèves se dissipent. Le problème étant que les élèves étaient bloqués lors de sa présence, il a donc fallu observer en étant un peu à l’écart alors que l’enseigna nte aurait pu relancer avec différents apports.
Dans un second temps, il a été observé que lorsque l’enseignante a donné quelques exemples pour lancer l’atelier, les élèves n’ont cessé de répéter uniquement les phrases et non d’en construire de nouvelles. Ce temps n’a pas duré longtemps mais il a ainsi poussé l’enseignante à se mettre à l’écart afin de les laisser s’exprimer librement.
Enfin, les élèves n’ont pas retranscrit l’histoire telle quelle, ils ne se sont pas appuyés sur le récit afin de faire parler leur marotte. La consigne était « vous allez devoir raconter l’histoire du dragon, de la princesse et du chevalier intrépide en utilisant les marottes », cependant, le but de cet atelier était d’amener les élèves à prendre la parole, même si le critère n’était pas rempli, l’enseignante a pu observer ces différents moments de prise de parole qui sont retranscrits dans la grille d’observation ci-dessous.
L’atelier « devinettes » de l’école Font Sarade
Dans la classe de l’école maternelle Font Sarade l’atelier « devinettes » a été élaboré à partir d’un album travaillé en amont Le loup qui voulait faire le tour du monde. En effet, des étiquettes de tous les animaux rencontrés dans l’album ont été confectionnées dans le but de jouer au jeu des devinettes avec les élèves. Le but du jeu étant de prendre une étiquette et de faire deviner l’animal qui y figure à ses camarades en utilisant différentes compétences langagières notamment :
– Parler de façon suffisamment claire pour se faire comprendre par ses camarades.
– Oser prendre la parole et s’exprimer oralement devant plusieurs personnes.
– Décrire l’animal (son aspect, son alimentation, son environnement…).
Il est à noter que les élèves ont déjà travaillé sur les animaux plus tôt dans l’année, ils disposent donc de certains prérequis biologiques, par exemple ils savent discriminer les mammifères des oiseaux et ce qui les caractérise (les mammifères portent les bébés dans le ventre alors que les oiseaux pondent des œufs). Ces quelques connaissances les aideront à décrire les différents animaux du jeu des devinettes.
Pour commencer, l’enseignante a proposé de jouer dans le coin regroupement, comme c’est souvent le cas en maternelle pour des exercices oraux. De cette façon, on repère les élèves « grands parleurs », « moyens parleurs » et « petits parleurs ». Pour montrer de quelle façon il fallait s’y prendre, l’enseignante a initié le jeu en faisant deviner elle-même les animaux aux élèves qui devaient lever le doigt pour répondre. De nombreuses répétitions du jeu se sont succédées pendant plusieurs jours de façon à familiariser les élèves avec les devinettes et le fait de décrire quelque chose sans le nommer directement. Par la suite, toujours en coin regroupement, l’enseignante a proposé aux élèves de faire deviner eux -mêmes les animaux à leurs camarades. Pour donner un caractère plus ludique à la tâche et pour motiver les élèves à jouer le jeu, les élèves étaient par équipe (les équipes ont été élaborées en fonction des groupes de travail constitués depuis le début de l’année). Un point était gagné si l’élève arrivait à faire deviner un animal à son équipe, l’équipe qui obtient cinq points en premier gagne le jeu.
Au cours de ces exercices oraux les élèves sont invités à prendre la parole en levant la main, certains d’entre eux monopolisent la parole et empêchent ceux qui sont le plus en retrait de s’exprimer. Quatre élèves en particulier ont du mal à prendre la parole spontanément lorsqu’ils sont en grand groupe :
– Alain, qui est un enfant d’origine roumaine mais avec tout de même des parents qui parlent français. Cependant, la langue parlée à la maison est le roumain.
Alain est un élève très timide avec l’adulte, il a souvent besoin d’être sollicité pour participer mais il est toujours attentif et à l’écoute.
– Leah est une élève en légère difficulté, elle parle très peu avec ses camarades et avec l’adulte. Elle est souvent dissipée au coin regroupement.
– Luna est une élève sans difficulté d’apprentissage et de langage, néanmoins, elle a besoin d’être sollicitée par l’enseignante pour oser prendre la parole lorsqu’elle se trouve en grand groupe. Elle a du mal à s’imposer dans le groupe classe.
– Alessia a quelques difficultés d’apprentissage, de nature très calme, elle est tout de même souvent dissipée en coin regroupement et semble toujours un peu ailleurs. Cependant, elle parle de façon très claire lorsqu’elle est sollicitée.
L’atelier « devinettes » a donc été mis en place pour ces quatre élèves afin qu’ils puissent s’exprimer en groupe restreint au moyen d’un jeu qu’ils connaissaient déjà. Malheureusement, Alain et Leah étaient absents le jour de l’atelier, il a donc été effectué avec seulement Luna et Alessia. Les deux élèves devaient faire deviner à tour de rôle les animaux figurant sur les étiquettes en utilisant le vocabulaire et les formulations de phrases vus en coin regroupement (exemple : « c’est un mammifère, il vit en Afrique, il mange de la viande, il a une crinière… »). Voici les observations qui ont été faites :
– Luna et Alessia ne parlaient pas de façon spontanée, elles attendaient un signe d’encouragement de l’enseignante à chaque fois.
– Les deux élèves, qui pourtant savent construire des phrases longues, ne se sentaient pas assez sûres d’elles et hésitaient beaucoup avant de parler.
– Les deux élèves ne se regardaient pratiquement pas et avaient les yeux rivés sur l’enseignante, ce qui a rendu difficile leurs échanges.
– Un échange non-verbal a été observé en direction de l’enseignante (acquiescement, regards…).
Il a été observé que les deux élèves étaient perturbées de se retrouver ainsi seules a vec leur enseignante, l’atelier s’est déroulé pendant les dix premières minutes de la récréation pour être au calme sans les autres élèves. Les deux élèves n’ont ainsi pas compris pourquoi elles étaient privées d’une partie de la récréation, l’enseignante a donc pris le temps d’expliquer que ce n’était en aucun cas une punition. Luna et Alessia, qui pourtant connaissaient très bien les étiquettes, étaient complètement bloquées et ne se lançaient dans la description de l’animal que si l’enseignante les sollicitait. Leur regard à toutes les deux était fixé sur l’enseignante, elles n’interagissaient pas entre elles. Pour tenter de détendre l’atmosphère et de favoriser les échanges verbaux entre les deux élèves, l’enseignante s’est éloignée pour ranger la classe tout en écoutant attentivement si cet éloignement avait eu un effet positif. Les deux fillettes sont restées muettes attendant que leur professeur revienne. La présence de l’enseignante a de toute évidence bloqué les deux élèves et peut-être même le silence qui régnait dans la salle de classe les a impressionné et empêché d’entrer véritablement dans la tâche.
Conclusion de l’étude et perspectives
Bilan du dispositif
Les trois ateliers langagiers menés sur des classes de moyenne section nous ont permis de mettre en évidence une évolution du comportement de nos élèves « petit-parleurs ». La timidité demeure face à l’enseignante, mais certains élèves ont formulé des réponses plus construites quant aux sollicitations. Chacun d’eux a manifesté de l’intérêt à la situation proposée en entrant en échange non-verbal quelque-soit le support de langage apporté. Ces enfants sont donc à l’écoute, et dans la communication. Le rapport maître-élève est bien présent.
Nous pouvons donc en conclure qu’un atelier langagier, mené avec un petit groupe d’élèves homogène, permet à des enfants petits-parleurs de s’exprimer verbalement, davantage qu’en grand groupe. Cependant, d’un atelier à l’autre nous constatons des disparités. Celles-ci semblent liées au temps de parole laissé aux enfants ainsi qu’à la place prise par l’enseignante.
Nous constatons que dans l’atelier des marottes, lorsque l’enseignante s’éloigne du groupe, la communication est plus libérée et les enfants échangent entre eux. Les deux autres ateliers, menés entièrement par l’adulte, ne laissent pas la possibilité aux enfants d’entrer en échange entre eux. L’enseignante doit solliciter les enfants, certains plus que d’autres, et reformuler les propos. Ce qui laisse moins de temps de parole aux enfants, et peut également en bloquer certains. Nous pouvons supposer que quelques élèves n’osent pas s’exprimer par peur de l’erreur, pensant qu’une réponse précise est attendue. Le fait de laisser les élèves seuls après avoir lancé un atelier favoriserait donc la prise de parole spontanée et finalement plus construite, quelque-soit le support utilisé.
D’autre part, un seul atelier a été mené avec ces élèves. Il serait intéressant de prolonger cette étude en la réalisant sur une année scolaire, en notant l’évolution au fil du temps.
Le langage oral est un outil social très puissant. Il permet d’échanger avec ses pairs mais également de construire des interactions sociales et culturelles nécessaires à la construction de l’élève. Le langage oral sera utile tout au long de l’apprentissage de l’élève et lui permettra de s’intégrer dans un groupe. Il est donc un outil indispensable pour permettre à l’élève d’adopter un discours argumenté par la suite et se positionner comme de réels citoyens. Ainsi, il est nécessaire de travailler le langage oral dès le plus jeune âge afin de pallier toute lacune dans la suite du parcours scolaire des élèves.
Il est pourtant indispensable de se poser la question du langage dans les zones vraiment sensibles appelées réseaux d’éducation prioritaire (REP) et en REP +. En effet, ces écoles situées dans ces zones sont confrontées à de réelles difficultés sociales avec la présence de primo-arrivants, des élèves vivant dans des milieux très défavorisés où aucun de leur parent ne parle français. Se pose alors la question de comment adapter et différencier pour permettre à ces enfants d’accéder aux mêmes apprentissages que des élèves en zones favorisées. L’accueil des tous petits (avant trois ans) est une première piste envisagée par l’Etat pour permettre de lutter contre ces différences sociales.
De plus, la prise en compte des élèves à besoins particuliers est une réelle composante dans le langage, un enfant présentant des troubles du langage doit faire l’effort d’un accompagnement renforcé avec tous les partenaires nécessaires pour aider l’enseignant de permettre à ces enfants de vivre une scolarité « normale ».
Pour finir, se pose la question de ce que vont devenir les petits parleurs dans la suite de leur scolarité. Ces élèves sont bien souvent mis de côté car n’osent pas prendre la parole, il est donc indispensable que tous les enseignants confrontés à ce type d’élèves sachent comment les prendre sans les bloquer et leur permettre de s’épanouir en toute confiance. Pour cela, créer des lieux de parole en groupe restreint, favoriser la prise de parole en mettant en place des règles et faire preuve de bienveillance et de patience sont autant d’éléments indispensables pouvant permettre à ces élèves de s’épanouir et prendre plaisir à parler dans des situations particulières.
Enfin, un petit parleur ne le restera pas forcément tout au long de sa vie, la scolarité est un lieu d’apprentissage qui forme nos élèves à être de futurs citoyens. Etre à l’aise à l’oral est quelque chose qui s’apprend grâce à l’entrainement et à la maturité qui sera acquise au fil des cycles. Se pose alors la question du statut des petits parleurs, est-il légitime ou non, cette question ne sera vérifiable qu’au long de la scolarité de l’élève. Chaque élève est différent et il est donc important pour l’enseignant de chercher la cause de ce manque de prise de parole et ainsi faire appel aux partenaires compétents pour l’aider à mieux l’appréhender
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Table des matières
Remerciements
Résumé
Sommaire
Introduction
I/ Le contexte
Présentation des établissements où l’étude prend part : l’environnement social
L’école maternelle Henri Tranchier
L’école maternelle Lucien Toulmond
L’école maternelle Font Sarade
II/ Le cadre théorique
Définition et construction du langage
Théorie du langage
III/ Les dispositifs : présentations, analyses et limites
L’atelier « jouer avec des marottes » de l’école Henri Tranchier
L’atelier autour de l’album écho « La maîtresse elle est gentille, mais… » dans l’école Lucien Toulmond
L’atelier « devinettes » de l’école Font Sarade
IV/ Conclusion de l’étude et perspectives
Bibliographie
Annexes
Annexe 1 : Grille d’observation en grand groupe (ou coin regroupement)
Annexe 2 : Grille d’observation en atelier langage
Annexe 3 : Marottes fabriquées pour l’atelier langage de la maternelle Henri Tranchier
Annexe 4 : l’album écho « La maîtresse elle est gentille, mais… » de Rémi Brissiaud.