Lorsqu’on réfléchit sur l’histoire des sciences, il y a des noms qui reviennent du fait de leurs contributions au développement du savoir. Parmi ces noms, on peut citer celui de Nicolas Copernic qui a joué un rôle très important dans la connaissance de l’univers. Nicolas Copernic (1473-1543) ne se doutait peut-être pas sur son lit de mort que son ouvrage Des Révolutions des orbes célestes allait le rendre immortel. Il va rompre avec une tradition aristotélicienne qui a duré de l’antiquité jusqu’au XVIe siècle. Aristote (384-322 av. J-C) croyait au géocentrisme. En effet, pour le Stagirite, la terre était considérée comme le centre de l’univers et elle était immobile. L’Eglise a joué un rôle très important pour la longévité du système aristotélicien. Elle était, en effet, hostile à toute théorie qui expulserait l’homme du centre de l’univers. Le géocentrisme aristotélicien était intimement présent dans les cœurs et les esprits des hommes. Cette longévité s’explique, aussi, par le fait que le sens commun admettait cette vision aristotélicienne de l’univers puisque les sens ne permettent pas de concevoir le mouvement de la terre.
Copernic va remettre en cause la conception aristotélicienne. En effet, le but de Copernic était de mieux rendre compte des différents évènements qui se produisaient dans les cieux que toute une tradition avait rendu superflus. Il fallait «sauver les apparences », comprendre le fonctionnement de l’univers. C’est ainsi qu’il va attribuer au soleil la place qu’on accordait à la terre. Il va réduire la terre à u ne simple planète dotée d’un mouvement circulaire autour d’un centre qui est le soleil. Copernic donna ainsi une autre image de l’univers. Désormais, le centre est occupé par le Soleil puis viennent Mercure, Vénus, la Terre qui devient une planète comme les autres, Mars, Jupiter, Saturne et enfin la sphère des fixes qu’il maintient. Copernic réalisa, ainsi, une véritable révolution. « Bien que le mot révolution soit au singulier, l’avènement fut multiple. Son noyau était une transformation de l’astronomie mathématique, mais qui embrassait des changements d’ordre conceptuel en cosmologie, en physique, en philosophie aussi bien qu’en matière de religion » . En effet, Copernic jeta les bases d’une nouvelle image du monde. Du coup, toute une vision du monde fut remise en question. Ce fut toute une nouvelle manière de considérer l’univers. La publication de son grand ouvrage Des Révolutions des orbes célestes « marque une grande date dans l’histoire de l’humanité. On pourrait la proposer comme celle « de la fin du moyen âge et du début des temps modernes » puisque, bien plus profondément que la prise de Constantinople par les Turcs ou la découverte de l’Amérique par Christophe Colombe, elle marque la fin d’un monde et la naissance d’un monde nouveau. » .
L’Astronomie pré copernicienne : le géocentrisme
La Conception aristotélicienne de l’univers
De l’univers mythique à l’univers rationnel
Quelle est la structure de l’univers ? Toutes les civilisations ont essayé de répondre à cette question. Les indiens, les égyptiens comme les babyloniens ont expliqué les phénomènes observés dans le ciel en y incluant le mythe. Les égyptiens pensaient que le corps de la belle déesse Nout, orné de planètes et d’étoiles et soutenu par Shu, le dieu de l’air, forme la voûte céleste. Le soleil traverse chaque jour le dos de Nout au dessus de Geb, le dieu de la terre, agenouillé aux pieds de la déesse. Chez les babyloniens, il existait un di eu responsable de chacun des grands royaumes des cieux, de la terre, de la mer et des airs ainsi que les principaux corps célestes, soleil, lune, planètes. Shamash était le dieu babylonien du soleil, Sin, dieu babylonien de la lune. Ces cosmologies primitives ou précisément cosmogonies, car elles faisaient référence aux mythes, n’apportaient pas des informations sur les corps célestes, ni sur leurs mouvements ni des renseignements sur la position ou la forme de la terre.
Se sont les grecs qui ont eu l’ingéniosité d’introduire un univers scientifique. Au lieu de convoquer les dieux dans l’explication de l’univers, les grecs ont compris que la raison était capable de rendre compte des phénomènes, de leurs fonctionnements et de leurs relations. « Le miracle grec » est donc cette confiance en la capacité de la raison humaine de comprendre le monde. Plusieurs cosmologies foisonnèrent.
Depuis le VIe siècle, la théorie de l’univers qui dominait et qui rassemblait le plus de partisans était le géocentrisme. C’est la conception selon laquelle l’univers avait deux sphères. La terre était une sphère immobile, très petite, suspendue au centre géométrique d’une sphère en rotation, beaucoup plus grande, qui portait les étoiles. En dehors de ces deux sphères, il n’y avait rien. Cette conception avait supplanté d’autres cosmologies qui n’ont pas recueilli le plus de voix chez les astronomes. Les pythagoriciens , les atomistes , Aristarque de Samos n’ont pas su imposer leurs conceptions du monde parce qu’ils procédaient par hypothèses et leurs théories ne parvenaient pas à convaincre tout à fait leurs contemporains. Ces théories, qui guideront la pensée copernicienne, n’ont pu avoir une grande audience soit parce qu’elles n’ont jamais été développées et élaborées au point de former un ensemble d’éléments astronomiques utilisable pour le praticien soit parce qu’elles n’ont jamais pu répondre aux objections physiques contre le mouvement de la terre. C’est seulement la théorie d’Aristote qui régna en maître. « Et jusqu’au XVIIe siècle, il ne s’est trouvé personne qui, en adoptant ces concepts, ait élaboré une cosmologie capable de rivaliser avec celle d’Aristote dans l’explication des phénomènes quotidiens, terrestres et célestes » . Ptolémée continuera l’œuvre du Magister en apportant des solutions aux problèmes dont Aristote n’a pu résoudre. L’Eglise joua un rôle très important dans la longévité et la diffusion du s ystème aristotélicien.
Principe de la physique d’Aristote
La cosmologie aristotélicienne a régné sur l’esprit des savants pendant plus de dix siècles. Cette longévité peut s’expliquer par le fait qu’Aristote a réussi à établir un système cohérent qui rendait compte de la vision de l’homme de son univers. Chez Aristote, cosmologie et physique sont intimement liées. On ne peut pas comprendre la cosmologie aristotélicienne en faisant fi de sa physique particulièrement de sa théorie du mouvement. Comme le dit, avec raison, Jean-Pierre Verdet : « parler de cosmos, c’est d’abord affirmer que le monde a une forme, une structure et un ordre, et ce sont cette forme, cette structure et cet ordre que la cosmologie apporte à la physique. En retour, la physique apportera à la cosmologie la garantie de la stabilité de l’ordre du monde, tout en s’attaquant au délicat problème du changement » .
Aristote a essay é de répondre à u ne question complexe laquelle avait débouché sur une aporie avec l’école d’Elée et Platon. En effet, les questions concernant l’Etre un, le Non-être et le changement constaté dans la nature, n’avaient pas été encore entièrement résolues. Le Stagirite avait besoin de dépasser cette aporie pour se détacher de la philosophie de son maître Platon (v. 428–347 av. J. –C.). Dans une sorte de parricide envers Parménide selon qui l’Etre est et le Nonêtre n’est pas, Platon tentera de sauver la possibilité de penser et l’univocité de l’Etre. Il affirme dans le Sophiste s’adressant à T héétète : « c’est qu’il nous faudra nécessairement, pour nous défendre, mettre à la question la thèse de notre père Parménide et prouver par la force de nos arguments que le non-être est sous certain rapport, et que l’être, de son coté, n’est pas en quelque manière. » Chez Platon, l’Etre est toujours donné comme une manifestation première, immédiate du souverain Bien. Grâce à la dialectique, l’esprit remonte de concept en concept, de proposition en proposition jusqu’aux concepts et propositions ontologiques qui portent sur l’Etre. La dialectique permettait, alors, de passer d’un monde sensible d’apparences, d’illusions et de passivité au monde intelligible, des Idées, de la Vérité, monde du Bien, principe absolu et transcendant.
Contrairement à Platon, Aristote récuse tout idéalisme. Il cherche une liaison entre l’Etre et le Non-être. Il introduit, ainsi, la notion de Puissance. Cette dernière est «tension vers », un « intermédiaire » entre l’Etre et le Non-être. En d’autres termes, la notion de Puissance est intimement liée au mouvement lequel est nécessaire quant au passage à l’Acte. La Puissance est « un principe de mouvement ou de changement qui est dans un autre ou dans la même chose en tant que autre » . Nous avons, donc, chez Aristote un sensible qui « désire », attiré par amour vers le «Désirable ».
C’est ainsi que le Stagirite va considérer quatre sortes de changements. Il nous dit : « ce qui change, change, ou d’un sujet à un sujet, ou d’un non-sujet à un non-sujet, ou d’un sujet à un nonsujet, ou d’ un non-sujet à u n sujet. J’appelle sujet ce qui est exprimé par un terme positif.- Il existe donc nécessairement trois espèces de changement, car le changement d’un non-sujet à un non-sujet n’est pas un changement, étant donné que les termes n’étant ni contraires, ni contradictoires, il n’y a pas d’opposition.- Le changement d’un non-sujet à un sujet, qui est son contradictoire, est la génération [γ.ενεσίς], pour le changement absolu, génération absolue [γ. άπ. ή], et pour le changement relatif, génération relative [γ. τίς]. – Le changement d’un sujet à un non-sujet est la corruption [φθορά], pour le changement absolu, corruption absolue, et, pour le changement relatif, corruption relative.» . De la théorie du changement, Aristote nous dit concernant le mouvement : « puisque tout mouvement est un changement, que les espèces de changement sont au nombre de trois, comme nous l’avons dit et que, de ces trois espèces, le changement par génération et le changement par corruption ne sont pas des mouvements, mais des changements de contradictoire à co ntradictoire, il résulte nécessairement que, seul le changement de sujet à sujet est mouvement. » De ce fait, Aristote en déduit qu’il ne saurait y avoir que trois sortes de mouvements : le mouvement selon le lieu dit translatoire, le mouvement par accroissement quantitatif et le mouvement par accroissement qualitatif.
|
Table des matières
Introduction
PREMIERE PARTIE : L’Astronomie pré copernicienne : le géocentrisme
Chapitre I : La Conception aristotélicienne de l’univers
I-1/ De l’univers mythique à l’univers rationnel
I-2/ Principes de la physique d’Aristote
I-3/ Description du cosmos aristotélicien
Chapitre II : L’Astronomie ptoléméenne
II-1/ La Théorie des sphères homocentriques : Eudoxe de Cnide, Hipparque et Apollonius
II-2/ Les Méthodes de Ptolémée
Chapitre III : La Récupération théologique du géocentrisme
III-1/ Aristote et l’Eglise
III-2/ Critique scolastique d’Aristote : Buridan et Nicole Oresme
DEUXIEME PARTIE : La Rupture copernicienne
Chapitre I : Un contexte nouveau
I-1/ Copernic et son temps
I-2/Les Raisons d’une innovation
Chapitre II : Physique et Cosmologie chez Copernic
II-1/Une nouvelle représentation de l’univers
II-1-1/ Le Nouveau statut de la terre
II-1-2/ La Place du Soleil
II-1-3/ De l’explication des mouvements des planètes et de leur ordre
II-2/ Le Problème physique : réfutations des objections contre le mouvement de la terre
Chapitre III/ Les Conséquences du système de Copernic
III-1/ Une nouvelle image de l’univers
III-2/ Les Conséquences philosophico-religieuses
III-2-1/Instrumentalisme ou Réalisme ?
III-2-2/ Accueil des théologiens et philosophes du système de Copernic
TROISIEME PARTIE : Copernic et la postérité : Tycho Brahé, Kepler et Galilée
Chapitre I : Le Compromis géo-héliocentrique : Tycho Brahé
I-1/ Le Système tychonien
I-2/ Tycho Brahé, le grand observateur
Chapitre II : Kepler ou la solution du problème des planètes
II-1/ Kepler et le problème des planètes
II-2/ Le rôle du s oleil et la réponse de Kepler aux objections physiques
Chapitre III : Galilée ou la victoire de l’héliocentrisme
III-1/ Le Combat copernicien
III-1-1/Galilée, le « messager céleste »
III-1-2/La Condamnation de Galilée
III-2/ La Physique de Galilée : réponses aux objections contre le mouvement de la terre
Conclusion