L’association PiNG et mes missions

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Déroulement d’un atelier

Un atelier se déroule de la façon suivante : une petite équipe de réparateurs bénévoles est présente, ainsi que quelques animateurs dont les services civiques accompagnés par un chargé de l’association, pour assister les personnes dans la réparation de leurs objets. Les réparateurs bénévoles ne sont jamais laissés seuls pour gérer l’atelier. En plus d’animer l’atelier, les services civiques et chargés de l’association doivent documenter le déroulement de l’atelier et des réparations, ce qui a pour but de transmettre les informations nécessaires aux prochaines personnes confrontées aux mêmes situations.
Quand une personne arrive, elle est donc accueillie par l’un des animateurs qui lui pose des questions sur les raisons de sa venue, les problèmes de son objet, si elle a déjà tenté quelque chose et quoi … Puis elle est souvent invitée à commencer par ouvrir seule son objet en attendant que l’un des réparateurs vienne l’aider à réaliser le diagnostic et réparer son objet. Les animateurs font le lien entre les personnes et les réparateurs et ces derniers accompagnent la personne (sans qu’aucune promesse de succès garanti ne soit faite), mais les rôles ne sont pas fixes. C’est ainsi que de 14h à 20h (même si l’affluence se fait plus généralement à partir de 15/16h), les participants s’attellent à la réparation d’objets divers, les réparateurs passent d’un objet à un autre, tournent et s’entraident. Ce temps est parfois entrecoupé par une pause « goûter », visant à faire naître du dialogue entre les personnes. Le déroulement général dépend bien sûr de la fréquentation, du nombre de réparateurs présents, de la volonté ou non des participants de s’impliquer dans la réparation de leur objet…

Mes missions de stage dans le cadre du projet (S)lowTech

Mes missions de communication ont d’une certaine façon été un atout pour moi dans la réalisation de ce mémoire. À chaque atelier (S)lowTech, mon rôle était de prendre des photos (autant des réparations que des personnes), d’alimenter les réseaux sociaux et quand l’occasion se présentait, de réaliser de courtes vidéos où le participant pouvait avec ses mots expliquer la réparation de son objet. Le fait de prendre des photos, d’être derrière l’objectif, me plaçait d’ores et déjà dans la position d’observatrice. De plus, ce rôle était avant moi déjà endossé par d’autres membres de l’équipe, donc personne ne s’est jamais offusqué de me voir les photographier (même si au début, n’étant pas familière avec eux je me suis sentie obligée de leur demander leur autorisation). J’ai donc pu à ce titre être présente à quasiment tous les ateliers (S)lowTech et, avec l’accord de ma tutrice, profiter de ce temps pour observer l’atelier dans le cadre de mon travail de recherche. En-dehors des ateliers, j’avais aussi pour mission d’assurer la visibilité du projet (S)lowTech sur le réseau social Twitter, ce qui m’a amenée à me documenter sur le sujet et identifier plusieurs acteurs travaillant sur les mêmes thématiques. De plus, quelques petites missions m’ont été confiées en lien avec ce projet : recenser une partie des réparateurs professionnels et des Repair Cafés sur le territoire de Nantes, aider à la réalisation d’un questionnaire pour mieux cerner les réparateurs bénévoles ou encore trier la documentation sur les réparations passées.

Le public de l’atelier (S)lowTech

Il m’a semblé nécessaire de distinguer au sein du public auquel s’adresse l’atelier les réparateurs bénévoles de ceux que j’appelle les «participants», c’est-à-dire ceux qui viennent avec un objet à réparer et qui ont besoin d’assistance.
Étudions tout d’abord le cas des réparateurs. Dans le cadre des Rencontres Parcours Numériques organisées par PiNG en mars 2017, un atelier de présentation de (S)lowTech était proposé. À cette occasion, un questionnaire à destination des réparateurs a été rédigé dans le but d’élaborer une sorte de « portrait-robot » (voir annexe n°1). Voici quelques données qui ont été tirées des réponses de huit réparateurs/réparatrices et de l’analyse faite par l’association : la majorité est composée d’hommes les tranches d’âges les plus courantes sont les suivantes : les 26/59 ans et les 60 ans et plus (bien que d’après mes observations, les réparateurs les plus souvent présents avaient entre 45 et 65 ans environ).
la plupart ont des compétences techniques en électronique, en informatique, en électricité et en mécanique qu’ils ont pu acquérir via leur activité professionnelle, leurs loisirs ou bien encore au sein du cadre familial.
Voici les différentes professions qui sont ressorties : électronicien, enseignant-chercheur, technicien, graphiste, informaticien, développeur informatique, technicien industriel et développeur leur fréquentation de l’atelier est soit mensuelle soit occasionnelle.
leurs motivations concernent notamment l’engagement bénévole, le partage de savoirs et de compétences ainsi que la sensibilisation aux déchets électroniques et autres. ils sont tous adhérents à l’association
La présence des réparateurs est indispensable au bon déroulement de l’atelier, car c’est par eux que se fait la transmission de savoirs et compétences techniques et grâce à eux que le processus de réparation peut avoir lieu. Sans eux, la réparation devient bien plus compliquée car les chargés de l’association et les services civiques ne possèdent pas leurs compétences, même si leur base peut suffire dans certains cas. De par leurs professions et leurs passifs variés, leurs savoirs et compétences sont multiples et divers, permettant ainsi une assez bonne complémentarité.
Au total, l’association compte une vingtaine de réparateurs. Mais durant les ateliers auxquels j’ai participé, seule une petite équipe de réparateurs réguliers est venue presque à chaque fois : plutôt des hommes, retraités ou en activité, ayant eu une carrière professionnelle en lien avec la technique, venant soit par amour de la bidouille soit par convictions personnelles, et généralement plutôt investis dans les activités de l’association. Durant mon stage, j’ai assisté à un renouvellement des bénévoles: de nouvelles personnes ayant entendu parlé de l’atelier de réparation sont venues se porter volontaires, ce qui souligne à nouveau que l’association a été identifiée comme un acteur de la réparation. Ce renouvellement a été permis notamment suite à la diffusion d’une annonce de PiNG proposant de devenir bénévole (voir annexe n°2) mais aussi à un intérêt grandissant des médias envers ces initiatives.
En ce qui concerne les participants, il n’a pas été possible pour moi d’établir des caractéristiques claires et universelles les définissant, puisque leurs origines, leurs motivations, leurs âges, leurs connaissances personnelles… tout cela est très diversifié et rendait le public difficilement identifiable. Réparer son objet est une action qui ne vise pas un public bien spécifique. De plus, l’ouverture de l’atelier au plus grand nombre était l’un des objectifs de l’association. Mais j’ai néanmoins pu identifier plusieurs tendances et distinguer certains types de participants sur la base de mes observations et des entretiens.
Nous pouvons tout d’abord noter que les personnes venant de façon régulière aux ateliers sont des personnes plutôt originaires du quartier et relativement âgées. Cela s’explique par l’âge moyen du quartier et aussi par le jour et les horaires consacrés à l’atelier : peu de monde est souvent disponible les mardis de 14h à 20h. Cela m’a été confirmé en entretien : « En gros sur les ateliers réguliers, c’est des gens du quartier. Le quartier du Breil, c’est un quartier populaire … donc tu te dis va y a voir des jeunes, des jeunes de cité et compagnie mais eux clairement ne viennent jamais ici. Je pense qu’ils préfèrent faire autre chose. Et sinon, en fait quand tu regardes la démographie du quartier, c’est un quartier âgé. Donc c’est représentatif aussi de la typologie du quartier de fait. Je pense qu’il y a aussi une question de temps. Notre atelier il est de 14h à 20h, donc hormis si t’es sans-emploi ou si tu bosses avec des horaires un peu comme tu veux, c’est compliqué de venir. Donc on a quelques personnes qui débarquent à 18h, qui sont pour le coup des actifs je pense, mais la population c’est plutôt des gens qui ont le temps, qui sont à la retraite, qui viennent du quartier je pense. C’est à peu près ça. » *1. Leurs motivations sont plutôt d’ordre social, l’Atelier Partagé du Breil ayant été aussi identifié comme un temps de rencontre des gens du quartier. En moyenne, ces personnes participent aussi aux autres ateliers (particulièrement les ateliers couture et les ateliers libres), on peut supposer que c’est la rencontre sociale permise par l’atelier plus que sa thématique précise qui les intéresse.
Il existe également un public moins régulier, qui en général ne vient pas du quartier mais de plus loin (mais certains, malgré la distance, viennent assez souvent), en moyenne un peu plus jeune, et qui participe à l’atelier car ils ont identifié ce lieu comme un espace de réparation, avant de l’identifier comme un lieu de rencontre. L’objectif est donc différent : « Les gens qui viennent pas d’ici je pense que c’est plus des gens qui vont avoir entre vingt et quarante, quarante-cinq ans, et qui viennent parce qu’ils ont repéré qu’il y avait un atelier de réparation donc ils font la démarche de venir exprès, peu importe leur quartier. Eux ils viennent vraiment chercher le service tu vois, c’est pas le service de proximité, et ils se disent … je pense qu’ils sont vraiment motivés par le côté environnemental et les valeurs que ça peut véhiculer, c’est vraiment des motivations différentes.Et t’as de tout, t’as pas mal de femmes en fait qui viennent, qui sont peut-être plus sensibles que les mecs à réparer leurs trucs et les faire durer. Ou des petits couples qui viennent ensemble réparer leur robot ménager ou leur télévision, y en a eu pas mal des comme ça. » *2
En plus de tenter de mieux cerner les participants, il m’a parût important durant mes observations et mes entretiens, au vu de mes axes de recherches, de chercher à savoir quel était le niveau global de compétences et connaissances techniques globales de la plupart des participants. De part de la variété du public, il est bien sûr très hétérogène. Voici quelques extraits d’entretiens m’ayant permis de mieux l’appréhender et l’étudier : « Y a de tout. Alors y en a qui ne savent rien, et je te dis la seule chose qu’ils vont faire ça va être dévisser, mais c’est déjà pas mal, c’est un premier pas. Alors ils ont jamais pris un tournevis de leur vie dans les mains alors du coup première étape. Y en a qui vont savoir ouvrir le truc mais qui vont pas savoir repérer, qui n’auront pas de notions en électronique, en électricité, tout ce truc-là et donc du coup qui sont bricoleurs mais qui sont pas très techniciens sur le côté électronique et électricité. Y en a qui sont assez calés, fin tu vois qu’ont au moins des notions sur ces sujets-là, parce qu’ils sont anciens ingénieurs, anciens électriciens, anciens machins… et puis du coup ils maîtrisent ce trucs-là mais le côté informatique et tout ça ils ne l’ont pas donc ils ont besoin de compétences là-dessus. C’est à peu près ça hein. » *1 « C’est très hétérogène. Y a quelques bidouilleurs qui arrivent, qui ont entendu parler de composants, des machines, qui savent. Y en a qui arrivent, ils savent utiliser un tournevis mais de manière pas très très sérieuse. On voit bien qu’ils ne prennent pas le tournevis pour la vis qu’il y a
à démonter. (…) Sur les tournevis et autre chose, y en a qui sont très désarmés. Ça dépend du niveau d’exigence que l’on demande. On voit bien qu’y a une marge de progression très sérieuse qui existe. Les savoirs sont globalement pas très très bons. Les gens ne sont pas très bricoleurs. » *2 « Y a pas énormément de personnes qui se pointent et qui savent déjà réparer leurs trucs. Les gens nouveaux qu’arrivent c’est plus bah pour profiter, fin pas « profiter » mais … voilà c’est l’occasion de pourquoi pas s’y mettre et donc je dirais moi c’est rare, y a plus de gens qui viennent qui ont pas de compétences spécifiques en réparation. ».*3
Ces extraits se sont confirmés pendant mes temps d’observation de l’atelier. Si les savoirs diffèrent selon les personnes, il faut néanmoins souligner que, mise à part quelques fois où certains sont en recherche d’un espace ou d’outils spécifiques, la plupart des personnes venant pour réparer un objet sont en demande d’assistance, ce qui signifie qu’il leur manque (à un degré plus ou moins important) une dose de compétences et de connaissances pour diagnostiquer le problème et trouver une solution. De mes séances d’observation, je retiens notamment des personnes ayant un réel besoin d’accompagnement et de soutien.

Problématisation de la réflexion et méthodogie

Évolution de la réflexion et problématisation

Dès lors que je décidai de recentrer mon terrain de recherche à l’atelier (S)lowTech, j’ai axé mes recherches plus spécifiquement autour de la technique. Ce grand terme qui englobe tant et tant de significations m’a causé bien des problèmes pour le définir. Mais même tant difficile à définir, il m’a bien fallut tenter de saisir cette notion puisqu’elle me paraissait complètement inhérente à l’atelier. Voici quelques bases que j’ai pu retenir pour fonder mes axes de réflexion :
Le terme « technique » provient du grec « techné », qui renvoie à « produire », « fabriquer » ou encore « construire ». Sa signification se rattache à la production et les savoir-faire la permettant *1. Un exemple : la technique de l’artisan
La technique peut être définie comme condition de l’hominisation et indissociable de la nature de l’homme : « La technique fonde ainsi le processus même de l’hominisation (…). Parce qu’il fabrique ses propres outils, que ceux-ci sont amovibles, l’homme a la possibilité d’avoir tous les organes et d’en changer à volonté. Il a également la possibilité de les améliorer : la technique ouvre donc à l’homme l’espace de sa liberté et celle du progrès, et parce qu’il peut modifier son environnement et non pas simplement s’y adapter, il n’a jamais un simple biotope, mais un monde. Aussi la question de la technique n’est-elle rien de secondaire ou d’empirique : elle définit la position fondamentale de l’humanité au sein de la nature et ce qui fait de l’homme un « être-au-monde ». » *2.
Paradoxalement à ce dernier point, l’évolution historique des systèmes techniques de production transformés par l’évolution des sciences a donné lieu à un système de production industriel de masse. Un exemple : la production des objets ménagers en usine. L’homme ne crée plus ses propres outils mais les achète déjà fabriqués.
Nous vivons actuellement dans un système technicien où tout est interdépendant (nous parlons d’une société technicisée) mais aussi de plus en plus indépendant de l’homme car le système technique, de la société mais aussi des objets techniques du quotidien, se détache de lui. Chacune de ces bases a fait naître des réflexions que j’ai dû confronter aux ateliers auxquels j’ai assisté. Il faut noter que dans ces prochaines pages de ce mémoire, je distingue et compare la technique manuelle, proche de l’individu, à la technique industrielle moderne, qui en est éloignée. Car ce qui m’intéressait notamment c’était étudier le rapport entre la personne et la technique, mais je n’aborderai pas les grands systèmes techniciens qui fondent notre société (par exemple, le système d’électricité moderne auquel dépendent les foyers).
Au sein de l’atelier, la technique était manuelle. C’est avec leurs mains et leurs outils que les personnes tentaient de réparer. Néanmoins, les objets amenés à réparer étaient tous des objets issus d’un système de production industriel. Les personnes tentent donc de réparer des objets qu’ils n’ont pas eux-mêmes fabriqué et qui sont issus de schémas de fabrication que sans doute très peu connaissent. Mes lectures m’ont menée vers des auteurs inquiets quant au fossé se creusant entre les individus et la technique, c’est-à-dire le manque de connaissances et compétences techniques, une forme de désintérêt social, menant vers une espèce d’aliénation et de manque de contrôle sur leur environnement. C’est notamment la revue Esprit, dans son numéro de mars-avril 2017, Le problème technique *1, qui m’a menée à me poser ces questions.
Au vu des réparations, qui concernaient donc des objets électroniques, informatiques et électriques, je me suis rapidement intéressée à la nature même des objets qui étaient amenés à réparer. Il s’agissait d’objets du quotidien : des grille-pains, des sèche-cheveux, des ordinateurs, des écrans de télévision … J’ai donc été très surprise de réaliser qu’en effet, la totalité de notre quotidien repose sur des objets techniques mais qu’en parallèle, notre maîtrise et connaissance de la technique qui les compose est parfois très limitée. Cette prise de conscience m’a amenée à me questionner sur le rôle de ces objets techniques au sein de notre quotidien et notre maîtrise sur eux. Je me suis donc orientée vers des ouvrages sociologiques tels que Sociologie des techniques de la vie quotidienne, sous la responsabilité d’Alain Gras, Bernard Joerges et Victor Scardigli *2.
Je ne pouvais échapper à la nécessité d’esquisser une définition des « objets techniques » dont je parlerai tout du long. Un objet technique, pour être créé, fabriqué, assemblé, nécessite un savoir-faire, manuel ou industriel, l‘extraction de ressources et la transformation de diverses matières, puis l’assemblage d’un ensemble de pièces et de composants pour former un tout. Selon Simondon, un objet technique se définit par son inscription dans une évolution technique. Il traite donc de l’objet technique dans la globalité de son évolution, et non pas de son état à un moment donné : « Le moteur à essence, par exemple, ne serait pas tel ou tel moteur donné dans le temps, mais le fait qu’il y ait une suite, une continuité allant du premier moteur Ford à ceux que nous connaissons aujourd’hui, lesquels sont eux-mêmes en évolution. » *3.
Dans le cadre de ce mémoire, je m’intéresse particulièrement aux objets techniques issus d’un processus de fabrication industriel et destinés à la consommation, dont le système technique interne depuis un moment évolue en se refermant sur lui-même et se complexifiant, échappant ainsi à la possibilité d’être réapproprié par les personnes.
Pour parler de ces objets techniques, j’utiliserai occasionnellement le mot « machine ». Voici la définition qu’en donne le dictionnaire Larousse : « Appareil ou ensemble d’appareils capable d’effectuer un certain travail ou de remplir une certaine fonction, soit sous la conduite d’un opérateur, soit d’une manière autonome. » *1. En termes de représentation, l’image de la machine se rattache aux notions d’autonomie, d’indépendance. La machine au quotidien exerce pour nous des fonctions et c’est sous cette notion de délégation, d’autonomie propre que nous l’étudierons. Sous l’éclairage de ces questionnements, j’ai pu formuler ma problématique suivante : En quoi dans un contexte de distanciation des personnes vis-à-vis de la technique et de leurs objets techniques, l’atelier(Sl)owTech vise-t-il à permettre une forme de réappropriation et quels en sont les enjeux ?
Pour y répondre, j’ai tenté de voir au sein de l’atelier (S)lowTech quel était le rapport entre les personnes et la technique, c’est-à-dire quelles étaient leurs connaissances et compétences techniques, leur rapport à leur environnement technique… Il fallait également étudier les méthodes selon lesquelles l’atelier (S)lowTech tentait et pouvait modifier la relation que les personnes avaient avec leurs objets techniques, avec leurs machines, ainsi que la vision qu’elles avaient de celles-ci. Telle a donc été ma première ligne de réflexion : En quoi l’atelier (SlowTech peut-il influencer la relation des personnes avec leurs objets techniques ?
J’ai souligné plus haut l’enjeu de la réappropriation au sein de beaucoup de projets de l’association PiNG. Il n’est pas moins présent ici, au contraire il constitue l’une des bases de ce qui fait cet atelier. Il est soutenu par cette volonté de co-réparation et de prise en main des outils par les participants, le travail de documentation… J’ai donc tenté de dresser quelques grandes lignes sur la façon dont, d’après moi, l’atelier (S)lowTech permet d’assurer un contexte propice à l’apprentissage via un nouveau rapport au temps, la réintroduction d’outils manuels… mais également de voir quelles limites pouvaient être notées.

Une connaissance limitée à nos usages

En axant mes recherches sur l’utilisation quotidienne de ces objets, j’ai vite rencontré chez certains auteurs la nécessité de distinguer la connaissance d’usage et la connaissance technique. Irlande Saurin dans son texte « Comprendre la technique, repenser l’éthique avec Simondon », revient sur l’œuvre de Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques. Sous l’éclairage de cette œuvre, elle y dénonce notre méconnaissance des objets techniques : « Nous évoluons avec une aisance apparente dans un univers ultra-technicisé et ultra-connecté, c’est-à-dire connecté par et à des supports techniques dont nous pensons maîtriser globalement les règles d’usage, précisément parce que nous les réduisons à des objets d’usage » *1. Notre quotidien est un environnement technique, c’est-à-dire, dans notre contexte actuel, un environnement où la majeure partie des objets qui nous entourent ont été conçus, fabriqués, montés… grâce à des connaissances et compétences techniques dans le contexte d’une économie industrielle mondialisée. D’après Saurin, le problème est que nous limitons notre connaissance de cet environnement uniquement à ce que nous pouvons en tirer en termes d’usages. La majorité de nos contemporains (j’entends dans les sociétés occidentales) vivent entourés de ces objets techniques (cafetière, ordinateurs, smartphones, tablettes, machine-à-laver, frigidaire, télévision…) et savent les utiliser dans le cadre de leurs besoins au quotidien car ils ont été conçus pour répondre à ces besoins (voir en créer de nouveaux) et donner un meilleur confort de vie. Rares deviennent les tâches que nous effectuons sans impliquer aucun objet technique. Cependant, la connaissance de l’objet reste majoritairement superficielle car peu de personnes sont pour autant familières avec les modes de production des composants de ces machines, leurs processus de fabrication, leurs fonctionnements internes, les techniques de réparation, leur origine géographique … Cela s’explique notamment par le fait que pour utiliser au quotidien ces objets techniques, des connaissances plus approfondies sur leur fonctionnement interne ne sont pas nécessaires.
Cette idée que nous n’avons qu’une connaissance très superficielle de notre environnement technique est partagée par Claude Javeau : « L’utilisateur d’un ordinateur ignore généralement tout du fonctionnement interne de l’appareil, de ses principes régulateurs, de l’épistémologie qui fonde son assemblage et ses usages. Comme le passager d’un train, ou le conducteur d’une voiture, il est un usager, car sa participation se limite à l’usage de la machine. Il est incapable, le plus souvent, de la réparer, de l’améliorer, de l’adapter à des usages qu’il aurait lui-même imaginés. Seule une petite minorité d’utilisateurs en sont capables, comme une petite minorité d’automobilistes seulement sont capables de « bricoler » leur véhicule. » *1. Il continue : « la compétence cognitive qui le caractérise et qui intervient dans la composition de l’univers familier de l’individu rejette comme non pertinentes les questions relatives au fonctionnement interne des appareillages ou des dispositifs dont il a acquis l’usage ». *2. Il parle ici d’un statut d’ « usager » et en tant qu’usager, les individus réalisent dans leur quotidien des gestes répétés qui, pour Simondon, ne nécessitent pas de réflexion sur ce geste : « La relation d’usage n’est pas favorable à la prise de conscience, car son recommencement habituel estompe dans la stéréotypie des gestes adaptés la conscience des structures et des fonctionnements » *3. Le geste unique et répétitif d’appuyer sur le bouton de la cafetière tous les matins devient un geste automatique, peu à peu privé de réflexion (si tant est qu’il y en ait eu une).
Quelle peut être la conséquence d’un tel manque de connaissance et d’intérêt ? Il y a de cela quelques décennies, Simondon voyait déjà dans ce phénomène une forme d’aliénation. Du latin « alienus », le terme aliénation renvoie à la notion de privation d’un bien, d’un droit ou bien de son libre-arbitre. Pour Simondon, « La plus forte cause d’aliénation dans le monde contemporain réside dans cette méconnaissance de la machine, qui n’est pas une aliénation causée par la machine, mais par la non-connaissance de sa nature et de son essence, par son absence du monde des significations et par son omission dans la table des valeurs et des concepts faisant partie de la culture » *1.
Que penser alors de ce phénomène d’aliénation quand les modalités d’usages des objets techniques se simplifient chaque jour mais qu’en parallèle leur fonctionnement interne se complexifie comme le montre l’exemple frappant des nanotechnologies ?

Des consommateurs éloignés des processus de fabrication modernes

Cette méconnaissance banalisée est également causée par l’industrialisation de leur processus de fabrication et l’exclusion des usagers de ce processus. L’augmentation de la demande de consommation par la population a fait naître une exigence de plus en plus grande d’efficacité et de rapidité dans la conception et la fabrication des biens de consommation. De fait, la production de masse ne pouvant pas passer par le système de production artisanal et local, elle a pu naître et s’est développée dans un système de production industriel dont l’une des caractéristiques est la délocalisation. « L’objet existant (re)vient de loin et c’est le prix de ce périlleux voyage que l’on paye à l’achat » nous dit Véronique Le Goaziou *2. Exactement comme cet auteur le souligne, cet objet vient de loin et notre action dans le cycle de sa production, en tant que personne, consommateur et usager, aura simplement été de faire naître une demande et d’acheter le produit à la fin. Je ne cherche pas à dire ici que le consommateur n’a pas son mot à dire dans la conception de l’objet, puisque les études de marchés, le marketing montre que les fabricants cherchent généralement à répondre à une demande des usagers. C’est au processus de fabrication même que je m’intéresse. Il est clair que rares sont les individus qui aujourd’hui se fabriqueront eux-mêmes leurs objets électroménagers, électroniques … mais que la plupart s’achètent des objets déjà fabriqués. Claudette Sèze identifie trois étapes dans la trajectoire d’une innovation technique : « la phase de l’Inventeur, la phase de l’Entrepreneur, la phase du Consommateur. L’Inventeur trouve l’idée de procédé et la forme technique adaptée à une fonction (utilisation possible), il réalise les premiers prototypes. L’Entreprise, elle, évalue les potentialités économiques du prototype (sa faisabilité industrielle, son marché potentiel), le met au point en tant que système technico-économique, le fabrique en grande série et le met sur le marché ; Le Consommateur achète et utilise le produit » *3. Ici aussi, le consommateur est relié à l’achat et l’usage de l’objet, pas à sa fabrication. Le fait qu’ils soient produits par d’autres (hommes ou machines) qu’eux, m’amène à dire que la connaissance des procédés de conception et de fabrication est de moins en moins possible. Ainsi, nous utilisons des objets produits loin de nous, par d’autres que nous, tous les jours sans être dans la capacité de les connaître.
Hormis le fait de notre exclusion du processus de fabrication d’objets techniques qui régissent notre vie, une forme de non-accessibilité à l’intérieur de ces objets a été en quelque sorte instituée pour la plupart d’entre nous. Deux barrières, qui découlent de la façon dont les objets techniques sont produits et présentés au public, empêchent toute accessibilité. Le premier obstacle est le résultat de la volonté de nombreux fabricants d’empêcher l’intervention directe des personnes sur la machine, par exemple en rendant plus difficile son ouverture, un phénomène auquel nous sommes fréquemment confrontés à l’atelier (S)lowTech. Communément appelé « obsolescence programmée », il permet de maintenir un niveau de consommation important et continu. Cette facilité avec laquelle les objets techniques flanchent, l’encouragement à la mise au déchet puis à l’achat expliquent le fait que la plupart des personnes ne ressentent pas ou plus le besoin d’ouvrir la machine lorsque celle-ci devient défectueuse. Par manque d’intérêt, car il est plus facile de jeter puis d’acheter. Également par manque de connaissance et de technique, peu oseront faire le simple geste d’ouvrir l’objet et opteront souvent pour le réparateur professionnel ou bien la déchetterie. Il n’est donc pas étonnant que la plupart d’entre nous n’ait pas de véritable connaissances techniques sur ces objets car comment en développer lorsqu’il est de plus en plus difficile d’accéder à ce qui les constitue ?
La deuxième barrière en découle et tient à la représentation commune que nous nous faisons des objets techniques et qui d’une certaine façon peut être interprétée comme le résultat du travail de la publicité et de design extérieur : les fils, les composants électroniques, les cartes mères… tous ces éléments peu esthétiques sont cachés derrière des coques de téléphone, des interrupteurs brillants, des surfaces lisses et colorées et notre accès est souvent limité à cette première couche de matérialité. Le reste est, semble-t-il, réservé à des réparateurs professionnels dont les capacités techniques dépasseraient largement les nôtres. Dans l’imaginaire social autour de ces objets réside l’idée qu’ils ne sont pas faits pour être ouverts, en tout cas pas par les utilisateurs de tous les jours. Nous avons donc affaire ici à une barrière d’ordre psychologique qui fait naître chez la plupart des personnes l’idée que la compréhension du fonctionnement interne de la machine leur est inaccessible et aussi peut-être le désintérêt commun d’en connaître plus : « L’image d’ Épinal, c’est celle qui nous montre un objet fichu un peu n’importe comment, que l’on balance sur un marché et que d’imbéciles et irréfléchis consommateurs achètent sans savoir qu’ils se font avoir. D’une certaine façon on peut dire que les gens, je veux dire les consommateurs et les usagers eux-mêmes, entretiennent cela, parce que l’intérieur de leur objet, ils s’en fichent complètement. Et ils le disent d’ailleurs. Ils veulent rester complètement étrangers à l’intérieur de la boîte, n’y connaissent rien et ne veulent pas savoir. Moi non plus je n’y connais rien. Mais rester à l’extérieur de l’objet, à sa superficie, c’est ignorer toute son histoire, c’est ne pas vouloir voir tout ce que l’on a mis dedans. Certes cela transparaît sur l’enveloppe du produit, sous forme de contraintes et de permissions à l’adresse de l’utilisateur qui induisent la manipulation et le sens de l’usage. Mais les gens s’imaginent n’acheter qu’une seule surface, traduisez une fonction » *1.

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Table des matières

Introduction
Partie I : Contextualisation du terrain de recherche
L’association PiNG et mes missions
Présentation de l’association
Le budget de l’association
Les lieux
Présentation de mes missions de stage
Choix du terrain de recherche
Le projet (S)lowTech
Retour sur l’historique du projet
Déroulement d’un atelier
Mes missions de stage dans le cadre du projet (S)lowTech
Le public de l’atelier (S)lowTech
Problématisation de la réflexion et méthodologie
Évolution de la réflexion et problématisation
Méthodologie
Partie II : Une nouvelle relation à l’objet technique au sein de l’atelier ?
Objets techniques, objets du quotidien : questionnements sur la technologisation de nos modes de vie
Des objets du quotidien
Une connaissance limitée à nos usages
Des consommateurs éloignés des processus de fabrication modernes
Le processus de réparation : rétablir la proximité entre l’individu et la machine..
Comment voyons-nous les objets techniques ?
Au-delà de la surface, le fonctionnement interne
Rapprocher le corps de la machine
Partie III : La réappropriation de la technique au sein de l’atelier (S)lowTech
Le contexte technicien de l’atelier : un contexte propice ?
Présentation de l’espace
Un nouveau rapport au temps
Comment apprend-t-on à l’atelier ?
La co-réparation ou pédagogie horizontale
La réintroduction de la main et la prise en charge des outils : mise en pratique
La réappropriation par le langage
Les limites de la réappropriation
Partie IV : Les enjeux de (S)lowTech
Contrôler son environnement technique
(S)lowTech : une forme de détournement actif
Des schémas de comportement imposés
La culture du détournement
L’enjeu environnemental
Un enjeu directement inscrit dans le projet
La revalorisation des déchets
Des valeurs partagées ?
Des motivations différentes parmi les participants et les réparateurs
La transmission des valeurs au sein de l’atelier
Conclusion
Annexes
Bibliographie

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