L’Aspergillose Broncho-Pulmonaire Allergique

L’Aspergillose Broncho-Pulmonaire Allergique

L’aspergillose broncho-pulmonaire allergique (ABPA) est une maladie rare qui touche principalement les patients asthmatiques et atteints de mucoviscidose (1,2). Elle résulte de la colonisation des voies aériennes basses par un agent fongique ubiquitaire, Aspergillus fumigatus (Af), associée à une forte réponse humorale et cellulaire aux enzymes protéolytiques qu’il sécrète (3–5). Elle se manifeste notamment par des exacerbations d’asthme, des infiltrats radiologiques pulmonaires transitoires et récurrents, une éosinophilie sanguine et pulmonaire, et le développement de bronchectasies (6). L’évolution peut se faire vers l’altération de la fonction respiratoire, la destruction de l’architecture bronchique et l’apparition d’une fibrose pulmonaire irréversible (3,7). Le diagnostic est souvent difficile à poser, de par le caractère labile des manifestations cliniques, biologiques et radiologiques, et les critères diagnostiques sont régulièrement réactualisés (8–11). Le traitement n’est pas dénué d’effets indésirables, et repose essentiellement sur l’utilisation de corticoïdes et d’antifongiques (12).

Aspergillus fumigatus

Aspergillus est un champignon saprophyte filamenteux de type ascomycètes. On recense plus de 250 espèces différentes. L’espèce majoritaire est fumigatus, décrite pour la première fois en 1863 par Fresenius (13). Aspergillus (Figure 1) provient étymologiquement du terme Aspergillum en latin du fait de sa morphologie évocatrice d’un aspersoir (petit goupillon ou pomme d’arrosoir percée de trou) (14). C’est un organisme ubiquitaire qui peut être trouvé à la fois dans des environnements intérieurs et extérieurs. Il se développe idéalement dans un environnement humide à 37°C et à un pH situé entre 3.7 et 7.6, mais survit dans des conditions plus extrêmes avec des températures pouvant aller de 12 à 65°C (15). Son mode de reproduction est asexué, et passe par la production d’un grand nombre d’exospores par l’intermédiaire de ses filaments (Figure 1) (16). Ces spores sont petites (environ 3 µm) et très résistantes (Figure 2). Du fait de leur petite taille, elles se propagent facilement dans l’air et sont capables de se déposer dans les voies aériennes jusqu’au niveau de l’arbre bronchique. Une épaisse paroi hydrophobe (Figure 2) leur procure des capacités de thermorésistance importantes leur permettant de survivre dans des conditions très hostiles, avec des températures pouvant aller à plus de 70°C (15). Ainsi, en intérieur, Aspergillus est fréquemment retrouvée dans la cuisine, dans la terre des plantes en pot, et dans les salles de bains mal ventilées (17). En extérieur, il est ubiquitaire, et préférentiellement présent en zone chaude et humide. Dans certaines régions où les conditions lui sont favorables, comme dans le Sud-Est de la France, la production de spores peut être continue (per-annuelle) .

Aspergillus et aspergilloses pulmonaires

Chez les sujets sains, Aspergillus est généralement inoffensif. Les spores qui pénètrent dans les voies aériennes respiratoires sont piégées dans le mucus présent au niveau du tractus respiratoire, puis expectorées. Les éléments fongiques restants activent le système immunitaire et sont éliminés (19). En cas de dysfonctionnement du système immunitaire, ou d’une altération de la structure bronchique, Aspergillus pourra être responsable d’un spectre de pathologies différentes (Figure 3) (20). Les aspergilloses sont ainsi classées en plusieurs grandes catégories : ABPA, aspergillose invasive, aspergilloses pulmonaire chroniques (21).

Les formes invasives surviennent en contexte d’immunodépression, principalement chez les patients ayant une neutropénie profonde et prolongée comme par exemple lors des greffes de cellules souches hématopoïétiques, en cas d’infection à VIH évolutive, ou lors de prise de traitement immunodépresseur (dans le cadre de transplantation d’organe, chimiothérapie anticancéreuse, corticothérapie au long cours, anti-TNF). L’évolution est rapide (quelques jours) et les manifestations cliniques sont liées à la dissémination vasculaire et l’invasion des tissus par les hyphes aspergillaires (20).

Les aspergilloses semi-invasives ou pulmonaire chroniques ont une évolution plus lente et insidieuse. Elles font généralement suite à une colonisation aspergillaire de l’arbre bronchique. La symptomatologie est moins bruyante. Elles apparaissent plutôt chez des patients ayant une immunodépression modérée en raison de la présence d’un diabète, d’un âge avancé, d’une infection à VIH imparfaitement contrôlée. Il existe également une altération de l’arbre bronchique ou du parenchyme pulmonaire, pouvant être due à un asthme, une BPCO, ou du fait de l’existence de cavités secondaires à une infection tuberculeuse ou à mycobactérie atypique. Sa forme localisée, l’aspergillome, résulte d’une agglomération d’éléments aspergillaires dans une cavité préformée (Figure 4). Elle est souvent asymptomatique (22).

Enfin, l’ABPA survient chez des sujets ayant plutôt un terrain atopique, associé à une pathologie pulmonaire sous-jacente tels que l’asthme, la mucoviscidose, et démontré plus récemment, la BPCO ou les séquelles de tuberculose. Elle met en jeu un mécanisme d’hypersensibilité aux antigènes d’Aspergillus. Lorsqu’une autre espèce fongique qu’Aspergillus est à l’origine de la maladie, on parle de MBPA (Mycose Broncho-Pulmonaire Allergique) (24).

Epidémiologie de l’ABPA

La prévalence de l’ABPA en France en 2016 serait d’environ 100 000 cas (145 cas pour 100 000 habitants) (25), et on peut s’attendre à une augmentation du nombre de cas au cours des prochaines décennies. En effet, la prévalence des allergies a considérablement augmenté au cours des 30 dernières années dans les pays industrialisés : elle était de l’ordre de 3% dans les années 1970, on l’estime aujourd’hui à 25-30%, et l’OMS prévoit qu’environ une personne sur deux sera atteinte d’une allergie en 2050 (26). La prévalence de l’asthme en France est de 6% chez l’adulte et 12,7% chez l’enfant (27,28). Concernant la mucoviscidose, la France compterait actuellement 6000 patients, avec une espérance de vie d’environ 40 ans (29) et qui s’allonge grâce aux nouveaux traitements. La prévalence de l’ABPA dans l’asthme est estimée à 12,9% (IC 95% : 7,9 – 18,9%) et varie de 2 à 32% selon les études (30). L’incidence de l’ABPA dans l’asthme est estimée au maximum à 4% selon certaines études (31). La prévalence de l’ABPA dans la mucoviscidose est estimée à 8,9% (IC 95% : 7,4 – 10,7) et varie entre 3 et 25% selon les publications (30). Son incidence peut atteindre 11% dans cette population (9). L’utilisation de critères diagnostiques différents pour l’ABPA selon les publications, et de valeurs seuils différentes pour définir une positivité des critères biologiques, est responsable de cette forte hétérogénéité dans les résultats (32). La prévalence de la BPCO en France est estimée à environ 7,5% en 2003, et compte parmi les plus faibles d’Europe (33). En revanche, il n’existe pas actuellement de données épidémiologiques concernant les patients BPCO atteints d’ABPA.

Physiopathologie

La physiopathologie de l’ABPA est complexe et n’est pas complètement élucidée. Comme expliqué précédemment, les propriétés intrinsèques d’Aspergillus lui permettent de pénétrer facilement dans les voies aériennes jusqu’au niveau de l’arbre bronchique où les conditions sont favorables à sa survie et son développement. Les pathologies broncho-pulmonaires, tels que l’asthme, la mucoviscidose, la BPCO ou les séquelles de tuberculose, sont propices à la colonisation. La diminution de la clairance muco-ciliaire entraine une accumulation d’Aspergillus dans les bronches. Celui-ci libère alors des protéases qui vont altérer la barrière épithéliale et entraîner une inflammation, qui dans un contexte atopique va s’orienter vers une réponse à prédominance Th2. Une sensibilisation à Aspergillus, puis dans certains cas une allergie, va apparaître (34). Ainsi, dans les populations à risque (asthme, mucoviscidose), environ 30 à 40% des patients vont développer une sensibilisation à Aspergillus, et environ 10% vont développer une ABPA (30). Il existe un terrain familial et des prédispositions génétiques au développement de l’ABPA (35). En effet, les patients avec un haplotype HLA DR2 et/ou DR5, et l’absence d’HLA DQ2, ont un risque plus important de développer une ABPA (36). Par ailleurs, la présence de mutations du gène CFTR chez les patients asthmatiques (et non atteints de mucoviscidose) est plus fréquemment associée à l’apparition d’une ABPA (37). Au plan immunitaire, l’ABPA met en jeu des mécanismes de l’immunité innée et adaptative via la production d’IgE (hypersensibilité de type I) et d’IgG (hypersensibilité de type III). La réponse lymphocytaire Th2 CD4+ en réaction aux allergènes aspergillaires est à l’origine d’une production de cytokines IL3, IL4 et IL5 qui vont stimuler le recrutement d’éosinophiles et la production d’IgE, ce qui va entretenir l’inflammation (9) (Figure 5). Lors d’un nouveau contact avec Aspergillus, l’allergène en se fixant aux IgE présents sur les mastocytes va entrainer leur dégranulation. L’histamine secrétée par les mastocytes va alors provoquer une bronchoconstriction et une augmentation de la production de mucus. Cliniquement, cela se manifestera par une exacerbation de la pathologie pulmonaire sousjacente, avec apparition d’une dyspnée sifflante, d’une toux, et d’expectoration muqueuse.

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Table des matières

INTRODUCTION
I. L’Aspergillose Broncho-Pulmonaire Allergique
1. Introduction
2. Aspergillus fumigatus
3. Aspergillus et aspergilloses pulmonaires
4. Epidémiologie de l’ABPA
5. Physiopathologie
6. Evolution des critères diagnostiques d’ABPA
a. Première description de l’ABPA (1952)
b. Critère de Rosenberg et Patterson (1977)
c. Conférence de consensus pour les critères diagnostiques minimum chez les patients atteints de mucoviscidose (2003)
d. Critères diagnostiques du groupe ISHAM (2013)
e. Nouveaux critères diagnostiques (2016)
7. Imagerie thoracique
a. Radiologie standard
b. Tomodensitométrie
8. Sensibilisation à Aspergillus fumigatus
a. Tests cutanés
b. IgE spécifiques
9. Prise en charge thérapeutique
a. Mesures d’éviction
b. Corticothérapie
c. Traitement antifongique
d. Omalizumab
e. Mepolizumab
10. Suivi biologique des patients atteints d’ABPA
II. Contexte et objectif de l’étude
1. Contexte
2. Objectif de l’étude
III. Matériels et méthodes
1. Schéma de l’étude
2. Recueil de données
3. Définition des cas : groupe ABPA
4. Définition des témoins : groupe sensibilisé à Aspergillus fumigatus
5. Critères d’exclusions
6. Données cliniques et spirométriques
7. Données biologiques
a. Dosage des IgE spécifiques Aspergillus fumigatus et des IgE dirigées contre les antigènes recombinants d’Aspergillus fumigatus
b. Dosage des IgE totales
c. Sérologie aspergillaire
d. Dosage des polynucléaires éosinophiles
8. Imagerie thoracique
9. Analyses statistiques
IV. Résultats
1. Population étudiée
2. Caractéristiques des patients
3. Critères diagnostiques d’ABPA
4. Etude de la réactivité IgE aux principales protéines recombinantes d’Aspergillus
5. Performances diagnostiques pour chaque recombinant
6. Analyse des sous-groupes asthme et BPCO
a. Description du sous-groupe « asthme »
b. Description du sous-groupe « BPCO »
c. Comparaison des profils biologiques chez les patients ABPA
V. Discussion
1. Données épidémiologiques
2. Population d’étude
3. Intérêt de l’étude des réactivités IgE aux recombinants d’Aspergillus fumigatus
4. Limites de l’étude
5. Conclusions et perspectives
CONCLUSION
VI. Références bibliographiques
VII. Résumé

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