Le laser est un concentré de lumière. Les propriétés exceptionnelles de cohérence spatiale, spectrale, ou encore de polarisation de l’émission laser ont contribué à des avancées majeures dans des domaines extrêmement différents, des plus fondamentaux aux plus appliqués. La cohérence spatiale permet d’utiliser des faisceaux de lumière très directifs (télémétrie laser), de les focaliser sur de petites dimensions de l’ordre de la longueur d’onde et d’obtenir de très fortes luminances. Les lasers présentant une grande cohérence spectrale seront utilisés pour réaliser des expériences d’interférences sur de grandes distances ou pour constituer des références de fréquences pour exciter des transitions moléculaires ou atomiques (spectroscopie, refroidissement laser). En particulier, l’atome de césium 133 est très étudié aujourd’hui dans les laboratoires de métrologie de par la définition de la seconde telle qu’énoncée par la 13ème Conférence Générale des Poids et Mesures (CGPM) en 1967 : « La seconde est la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133 ». Aujourd’hui les horloges atomiques se sont imposées comme le meilleur moyen pour la réalisation de la mesure de la seconde. Dans ces horloges, la manipulation des atomes nécessite l’utilisation de lasers accordés sur les transitions optiques du césium. Parmi cellesci, la raie D2 à la longueur d’onde de 852 nm est la plus utilisée (cf. Annexe 1). Du fait de leur fonctionnement sur de larges gammes de longueur d’onde, de leur efficacité élevée, de leur compacité et de leur fiabilité, les lasers à semiconducteurs sont actuellement les sources privilégiées dans ces dispositifs. Cependant, ils montrent aujourd’hui des limitations intrinsèques en termes de puissance de sortie et de largeur spectrale dans le cadre de développement d’horloges atomiques embarquées pour des applications spatiales ou militaires. Pour les systèmes futurs, de nouveaux concepts doivent être développés afin de s’affranchir de ces limitations. Depuis la fin des années 90, les lasers à semiconducteurs pompés optiquement, que nous noterons OPS-VECSEL dans ce manuscrit, acronyme de « Optically Pumped Semiconductor Vertical External Cavity Surface Emitting Laser », connaissent un intérêt croissant grâce à l’augmentation considérable des puissances émises [Kuznetsov, 1997]. Ils combinent les avantages des lasers à semiconducteurs classiques et ceux des lasers solides pompés optiquement, ce qui leur permet d’émettre de fortes puissances dans un faisceau monomode transverse sur une large gamme de longueur d’onde. D’autre part, ces lasers peuvent fonctionner sous certaines conditions en régime monofréquence et présentent alors des largeurs de raie théoriques extrêmement faibles. Nous nous proposons d’exploiter ces atouts pour les appliquer en métrologie à la manipulation des atomes de Césium.
Etat de l’art des sources laser pour les horloges atomiques
Au cours de ma thèse et en étroite relation avec le Centre National des Études Spatiales et l’Observatoire de Paris, le développement de sources laser pour les horloges atomiques embarquées dans le domaine du spatial a constitué la ligne conductrice de mon travail. Dans ce chapitre, je présenterai donc les besoins en sources laser pour les futures horloges atomiques embarquées compactes. Ces développements seront principalement utilisés sur des instruments tels que PHARAO au sein du projet ACES (Atomic Clock Ensemble in Space) [Cacciapuoti, 2007]. Au préalable, je décrirai donc le fonctionnement des horloges atomiques et leur raison d’être.
Les horloges atomiques sont les instruments privilégiés aujourd’hui qui donnent la référence de fréquence (ou de temps) la plus stable au monde pour l’unité du système international la plus finement mesurée : la seconde. Ce domaine de la métrologie du temps est très ancien et à mon sens passionnant, car il accompagne les progrès de la physique depuis sa création jusqu’à nos jours. Ces instruments utilisent aujourd’hui encore les dernières technologies de pointe pour sans cesse améliorer la qualité de la mesure de la seconde. Nous pouvons, de l’histoire de la mesure du temps depuis son origine, tirer quelques enseignements qui permettent de mieux appréhender les contraintes inhérentes à cette mesure. L’optique, les lasers et l’étude des propriétés des atomes, qui sont parmi les grandes révolutions de la physique du siècle dernier, contribuent naturellement aujourd’hui à l’amélioration de cette mesure. En effet, dans les horloges atomiques, les propriétés des états internes des atomes sont exploitées pour donner une référence de fréquence. En 1967, lors de la Conférence Internationale des Poids et Mesures, l’atome de Césium 133 a été choisi, en partie, pour sa simplicité d’étude en physique. La manipulation de ces atomes et la détection de leurs états internes nécessitent l’utilisation de lasers émettant à une longueur d’onde de résonance du Césium, plus particulièrement sur la raie D2 à 852 nm pour les travaux qui nous intéressent ici.
La mesure du temps
Une petite histoire de la mesure du temps
La physique est associée depuis ses débuts à l’étude de la nature et des lois qui la régissent. L’observation la plus simple vient dans un premier temps des phénomènes périodiques tels que le mouvement du soleil ou de tout autre astre autour de la terre. Le mouvement apparent du soleil avec son extrême régularité a conservé pendant des millénaires un rôle fondamental dans la définition d’une échelle de temps. Ainsi, l’objet qui a constitué la visualisation de la variation du temps est un simple bâton planté à la verticale dans le sol : le gnomon. Son amélioration a donnée naissance au cadran solaire qui a servi de référence pendant encore longtemps. Ce n’est cependant qu’au XVIème siècle que l’heure a été définie comme la 24ème partie du temps séparant deux passages du soleil au zénith.
Les progrès techniques n’ont cessé d’essayer d’améliorer la stabilité et l’exactitude sur la mesure du temps. Pour un usage plus commode dans la vie sociale, l’imagination humaine a exploité de nombreux procédés naturels. Les dispositifs à écoulement d’eau ou de sable semblent être les premiers instruments de mesures. La combustion d’une bougie, d’une mèche ou d’huile fut également largement utilisée. Ces techniques ne donnent qu’une précision très faible mais suffisante si la durée mesurée est courte. Les premières horloges, comme on l’entend aujourd’hui, apparaissent au Moyen Age. Elles sont composées d’un poids accroché à un axe horizontal qui entraine un mécanisme comme une roue dentée. C’est une première mesure discontinue du temps fondée sur un principe mécanique. Le problème technique qui apparaît à cette occasion est la régulation de la vitesse de rotation du mécanisme qui s’accélère à mesure que le poids chute. En 1370 apparaît la véritable horloge mécanique dont une pièce appelée foliot permet de réguler l’énergie fournie par un poids à une roue. Le mouvement est ensuite transmis à des rouages qui entraînent les aiguilles. À cette époque, la dérive peut alors atteindre plus d’une heure par jour. Une première révolution provient d’observations de Galilée sur l’isochronisme des oscillations d’un pendule mécanique : la durée d’une oscillation ne dépend que de la longueur du pendule et non de l’amplitude du mouvement. La notion de temps dans ces observations sera complétée par Newton qui introduit le temps absolu : « Le temps absolu vrai et mathématique, sans relation à rien d’extérieur, coule uniformément et s’appelle durée ». Cependant ce sera Huygens qui réalisera en 1657 la première horloge à pendule pesant, et en 1675, l’améliore grâce au ressort spiral pour donner la première montre à résonateur balancier-spirale.
Fonctionnement d’une horloge atomique
L’objectif de ce paragraphe est de décrire succinctement le fonctionnement d’une horloge atomique et les principaux besoins laser associés dans ces instruments. En pratique il existe plusieurs dispositifs pour réaliser une horloge atomique. Parmi celles-ci ont été développées depuis 1990 les fontaines atomiques qui donnent les meilleures performances actuelles pour la mesure de la seconde sur Terre. La manipulation et la détection des atomes dans ces horloges nécessitent des sources laser qui possèdent des qualités spectrales, spatiales et de puissance bien spécifiques. Pour des applications embarquées, les sources laser doivent se plier à des contraintes supplémentaires de compacité et de consommation électrique.
Principe général
Une horloge atomique est un dispositif qui fournit une référence de temps la plus stable et la plus exacte possible en s’appuyant sur les propriétés de résonance des transitions entre états internes de l’atome de Césium. Les premières horloges ont été mises au point dès le milieu des années 1950 à partir de jet thermique d’atomes de Césium. La Figure 4 décrit le principe de la mesure : une source fournit des atomes qui sont préparés dans un des deux sous- niveaux hyperfins (F=3 et F=4) de l’état fondamental 6² S1/2 séparés d’environ 9,2 GHz (l’annexe 1 de ce travail détaille la structure énergétique de l’atome de césium et les transitions d’intérêt pour notre travail). Les atomes sont envoyés ensuite dans une cavité résonante excitée par un oscillateur local (oscillateur à quartz) dont la fréquence ν est la plus proche possible de la fréquence d’horloge (ν0 = 9,192 631 770 GHz). On détecte en sortie la probabilité de transition des atomes, qui est maximum lorsque les deux fréquences sont égales (δν= ν-ν0 = 0).
Actuellement, l’interrogation de l’état interne des atomes est réalisée suivant une méthode interférométrique mise au point par Norman F. Ramsey en 1950 [Ramsey, 1950] pour laquelle il a reçu le prix Nobel en 1989, analogue temporel de l’expérience de fentes d’Young. Cette méthode interférométrique performante permet d’accéder à des raies de résonance très étroites, dont la largeur à mi-hauteur Δν est inversement proportionnelle au temps de parcours libre T : Δν ~ 1/2T. Avec deux cavités micro-onde espacées d’un mètre et un jet atomique de vitesse 300 m/s, le temps d’interrogation est de l’ordre de 3 ms, soit une largeur du pic de résonance d’environ 150 Hz. Les meilleures horloges à jet thermique actuellement, comme l’étalon primaire JPO du SYRTE, ont une exactitude sur la mesure de la seconde de l’ordre de 6 10⁻¹⁵, et une stabilité de l’ordre de 10⁻¹⁵, ce qui représente une erreur inférieure à 1s en 30 millions d’années [De Clercq, 2004].
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
INTRODUCTION
CONTEXTE DE L’ETUDE
PRESENTATION DU MANUSCRIT
CHAPITRE I : ETAT DE L’ART DES SOURCES LASER POUR LES HORLOGES ATOMIQUES
INTRODUCTION
1. LA MESURE DU TEMPS
1.1. Une petite histoire de la mesure du temps
1.2. Fonctionnement d’une horloge atomique
1.2.1. Principe général
1.2.2. Fontaine à atomes froids
1.2.3. Besoins lasers
2. ETAT DE L’ART DES SOURCES LASER POUR LE REFROIDISSEMENT ET LA DETECTION DES ATOMES DE CESIUM
2.1. Sources lasers à cristaux
2.2. Sources lasers à matériaux semiconducteurs
2.2.1. Avantages des matériaux semiconducteurs
2.2.2. Diodes lasers à émission par la tranche
2.2.3. Diodes à émission par la surface
3. LES LASERS A SEMICONDUCTEURS POMPES OPTIQUEMENT
3.1. Principe de fonctionnement
3.1.1. Principe général
3.1.2. Les éléments clés d’un OPS-VECSEL [Kuznetsov, 1999]
3.2. Etat de l’art des sources OPS-VECSEL
3.2.1. Premiers développements
3.2.2. Technologies pour l’augmentation de la puissance
3.2.3. Sources OPS-VECSEL monofréquences
3.2.4. Extension du domaine spectral
3.2.5. L’intégration des OPS-VECSEL
CONCLUSION
CHAPITRE II : CONCEPTION ET CARACTERISATION D’UN ½-VCSEL
INTRODUCTION
1. DEFINITION D’UNE STRUCTURE SEMICONDUCTRICE
1.1. Choix de la famille de matériaux
1.2. Conception du miroir de Bragg
1.2.1. Principe
1.2.2. Définition du miroir réalisé
1.2.3. Spectre de réflectivité expérimental
1.3. Définition et propriétés de la couche active
1.3.1. Description des puits quantiques
1.3.2. Gain matériau d’un puits quantique
1.3.3. Gain modal d’une structure à multiples puits quantiques
1.3.4. Optimisation de la couche active à multiple puits quantiques
1.4. Confinement des porteurs dans la zone active
1.5. Synthèse sur la conception de la structure
2. CROISSANCE DE LA STRUCTURE
2.1. Les différentes techniques d’épitaxie
2.2. Contraintes technologiques des structures actives en AlGaAs/GaAs
2.2.1. Oxydation des structures
2.2.2. Dépôt d’un antireflet pour les structures anti résonante
2.3. Synthèse
3. ÉTUDE EXPERIMENTALE DU GAIN MODAL
3.1. Principe
3.2. Montage expérimental
3.3. Mesure expérimentale du gain modal
3.3.1. Évolution du gain modal avec la température
3.3.1.1. Évolution du gain modal avec l’intensité de pompe
3.3.1.2. Évolution du gain modal avec la température du substrat
3.3.2. Influence du facteur de résonance Г
3.4. Optimisation du nombre de puits quantiques
3.5. Synthèse sur les mesures de gain
CONCLUSION
CHAPITRE III : REALISATION D’UN OPS-VECSEL MONOFREQUENCE STABILISE SUR LA RAIE D2 DU CESIUM
INTRODUCTION
1. CONDITIONS D’UNE EMISSION LASER MONOMODE [SVELTO]
1.1. Sélection d’un mode transverse
1.2. Sélection d’un mode longitudinal
1.2.1. Dynamique spectro-temporelle de l’émission laser
1.2.2. Largeur de raie de l’émission laser
2. CONCEPTION DU LASER
2.1. Le pompage optique
2.2. Dimensionnement et conception mécanique de la cavité laser
2.2.1. Conception d’une cavité plan concave
2.2.2. Utilisation d’un étalon dans la cavité laser
2.2.3. Conception d’un prototype compact et stable
3. PERFORMANCES LASER EN POMPAGE MONOMODE DE FAIBLE PUISSANCE
3.1. Validation expérimentale de l’émission monomode
3.1.1. Qualité transverse du faisceau
3.1.2. Émission monofréquence
3.2. Caractéristique laser : puissance et longueur d’onde d’émission
3.3. Étude de l’accordabilité spectrale
3.3.1. Accordabilité large
3.3.2. Accordabilité fine continue
4. STABILISATION DU LASER SUR UNE TRANSITION ATOMIQUE DU CESIUM
4.1. Montage d’absorption saturée
4.2. Balayage de la raie D2 du Césium
4.3. Évolution de la fréquence du laser libre
4.4. Stabilisation de la fréquence du laser
4.5. Mesure de la largeur de raie par battement
CONCLUSION GENERALE
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