Prise en charge thérapeutique
Prise en charge chirurgicale
A l’heure actuelle, la prise en charge chirurgicale optimale réside en une résection complète du matériel infecté avec excision large des tissus infectés et nécrosés (10,15,49).
Cette règle est le primum movens pour espérer la guérison du patient.
Une revascularisation immédiate ou retardée peut alors être envisagée. Le gold standard pour les IPV intra cavitaires est à ce jour la revascularisation extra-anatomique, en particulier en cas d’abcès retro péritonéal (16,50–54).
Néanmoins, ces techniques sont confrontées à de nombreux obstacles :
Tout d’abord l’emplacement de la prothèse et le terrain septique du patient peuvent être à l’origine d’une prise en charge chirurgicale retardée et suboptimale, au cours de laquelle le chirurgien peut se limiter au drainage d’une collection ou d’un abcès, associé ou non à une résection partielle de la prothèse.
Par ailleurs, de nombreuses études montrent une supériorité de nouvelles techniques chirurgicales vis à vis de la prise en charge par revascularisation extra anatomique. Celle-ci a pour objectif principal de ne pas réimplanter du matériel prothétique sur un terrain infecté et inflammatoire. Cependant, le pontage axillo fémoral, jusqu’à présent gold standard, est grevé d’un nombre important de complications, en particulier un taux de thrombose précoce important (6,50). Un récente métanalyse préconise en cas d’IPV intra cavitaire et en l’absence de FPD, l’utilisation de prothèses recouvertes d’acétate d’argent chez la personne âgée, et de
manière générale de privilégier l’autogreffe veineuse (55). Elle propose d’utiliser des prothèses avec revêtement d’acétate d’argent, de rifampicine ou des allogreffes en cas de FPD.
Cependant, les prothèses imprégnées à la rifampicine peuvent parfois présenter le risque d’émergence de résistances à la rifampicine en cas d’infection du site opératoire à fort inoculum (56). Et ce sans avoir de réel bénéfice, puisqu’en moyenne cette imprégnation disparait en 7 jours (56,57). De plus, elles n’ont pas d’indication en cas d’infection à SARM (58–60).
L’allogreffe est actuellement particulièrement utile pour une prise en charge in situ des patients infectés (16,61–63). De qualité supérieure et anatomique, elle permet de diminuer fortement la création d’un biofilm par les bactéries toujours présentes sur le site chirurgical.
Leur disponibilité en urgence est leur principal facteur limitant. Leur tolérance à la décongélation et le risque accru de faux anévrysme et de rupture en font un greffon relativement fragile.
Enfin, malgré l’avènement des nouvelles techniques de pontage par procédure interventionnelle, les endoprothèses occupent une place minime dans les revascularisations en cas d’IPV. Privilégiées en cas de rupture d’anastomose et d’urgence chirurgicale, leur mise en place n’associe pas une résection des tissus infectés. Elles sont donc réservées aux situations d’urgence.
Chimiothérapie anti-infectieuse
Très peu d’études s’intéressent à la prise en charge médicale des IPV. La plupart
d’entre elles sont rétrospectives, et les conclusions concernant l’antibiothérapie sont souvent
déduites secondairement.
Le GRIP rappelle en 2015 les principes fondamentaux de cette prise en charge
antibiotique dans une large revue de la littérature (35).
Antibiothérapie Probabiliste
Il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus sur le délai optimal d’administration de l’antibiothérapie avant chirurgie sans risquer de fausser les résultats bactériologiques.
Dans un soucis d’optimisation, il est préférable, en dehors des situations d’urgence telles que les choc septiques ou hémorragiques, de ne pas débuter une antibiothérapie probabiliste avant la réalisation de prélèvements per opératoires (35). Ceci afin de diminuer les risques d’éradiquer un germe potentiellement peu virulent et de participer à l’émergence de bactéries multirésistantes.
C’est pourquoi, dans tous les cas, au minimum 1 paire d’hémocultures doit être réalisée avant le début des antibiotiques.
L’antibiothérapie probabiliste se doit d’être bactéricide indépendamment de la phase de croissance bactérienne, à large spectre, avoir une bonne biodisponibilité et pénétrer le biofilm, et posséder un pouvoir anti-adhérentiel en étant le moins néphrotoxique possible.
Devant l’incidence élevée d’infection à Staphylocoque Aureus et devant la gravité des infections à SARM (en 2012, jusqu’à 16% des IPV étaient encore dues au SARM (13)), le recours à un glycopeptide est fortement recommandé. Bien que n’ayant pas l’AMM dans cette indication, la daptomycine est le glycopeptide de choix (13,35,37,64–66).
L’adjonction d’un aminoside est fortement conseillée. Cet agent a montré un impact sur la survie des patients présentant des tableaux cliniques graves (14).
Antibiothérapie Curative
Dès réception des résultats de l’examen direct des prélèvements bactériologiques puis de l’antibiogramme, l’urgence réside dans l’adaptation du traitement antibiotique. Un traitement parentéral à fortes doses sera initialement privilégié.
L’antibiothérapie postopératoire variera en fonction de la chirurgie réalisée. En cas de chirurgie optimale, une association d’antibiotiques pourra rapidement être administrée parvoie orale, en particulier concernant les molécules ayant une bonne biodisponibilité(Fluoroquinolones, rifampicine…). Avant l’adjonction de rifampicine, il est nécessaire que les hémocultures soient négatives depuis au moins 3 jours afin d’éviter l’émergence de germes résistants. Cette molécule ne doit jamais être utilisée en monothérapie.
Aucune recommandation à ce jour n’est claire sur la durée de traitement idéal.
Cependant, un traitement minimal de 6 semaines en post-opératoire est préconisé par le GRIP.
En cas de chirurgie suboptimale, la prise en charge antibiotique curative est plus complexe, et les durées de traitement sont variables. Elle se doit d’être suppressive, afin d’éviter la croissance bactérienne périprothétique et une rechute précoce. L’antibiothérapie suppressive est une alternative au traitement curatif chirurgical. Elle a pour objectif d’inhiber la multiplication bactérienne péri-prothétique quand une explantation totale de prothèse n’est pas réalisée. Sa durée est indéfinie et réévaluée au cas par cas, potentiellement à vie. Elle repose sur un traitement par voie orale si possible, idéalement en monothérapie, par des molécules bien supportées par le patient (67).
Une antibiothérapie suppressive suppose une documentation claire de l’infection. Une réduction du volume de l’inoculum par voie chirurgicale ou radiologique est préférable chez ces patients. Le devenir du malade en cas de chirurgie non optimale est incertain, ces patients étant plus à risque de rechute.
Dans tous les cas, une prise en charge multidisciplinaire est fortement recommandée.
Recueil de données
Par le biais du Département d’Informatique Médicale (DIM) du CHU de Rouen, ont été récupérés tous les dossiers correspondant au codage « infection de pontage » (T82.7) ou tout dossier associant les codages « sepsis » et « pontage » (Z95.88) (Annexe 2).
Les informations médicales ont été recueillies grâce au dossier papier des patients ainsi que les dossiers informatisés (étudiés sur la plateforme CDP2®, le logiciel ICCA® lors d’une hospitalisation en réanimation, et HEO® lors de l’hospitalisation en secteur conventionnel).
Données et analyses statistiques
Les prises en charge médicale, chirurgicale, diagnostique et globale ont été confrontées aux recommandations d’expert publiées par le GRIP en 2015.
L’application Python en local de saisie de données et de calcul d’indicateurs a permis une analyse statistique des données avec utilisation complémentaire du logiciel R®.
Les résultats sont exprimés en médiane et espace inter quartile pour les variables quantitatives, et en effectif brut avec pourcentage simple pour les variables qualitatives.
La comparaison entre les effectifs a été réalisée au moyen d’un test de CHI2 ou de Fischer (en cas d’effectif théorique < 5) pour les variables qualitatives et d’un test de MannWhitney ou de Student pour les variables quantitatives.
Le seuil de significativité a été fixé de façon conventionnelle à un p<0,05.
Résultats secondaires
Diagnostic
Le tableau VI résume la prise en charge diagnostique paraclinique au sein de notre population. Nous avons aussi comparé la stratégie diagnostique radiologique entre IPV précoce et tardive, ainsi que les signes mis en évidence (Figure B et C).
Le signe le plus souvent retrouvé à l’imagerie est la présence de collections périprothétiques dans 70% des cas. En cas d’IPV tardive, on observe plus souvent des infiltrations péri-prothétiques que pour les IPV précoces (40% vs 13%, p=0.003*), ainsi qu’une thrombose de prothèse (30% vs 15% ; p=0.09) et une hyperfixation inappropriée sur lascintigraphie (30% vs 5% ; p=0.001*). Cette différence est liée au fait que la scintigraphie estun examen réalisé plus souvent en cas d’IPV tardives (26% vs 5% ; p=0.005*).
Le démarche microbiologique a été réalisé de façon adaptée dans 62 cas sur 102 (réalisation d’hémocultures, absence de réalisation d’écouvillons, prélèvements multiples positifs en cas de germe commensal, réalisation de prélèvements profonds, prélèvements débutés avant toute antibiothérapie).
Dans 22 cas, une technique de PCR a été réalisée en complément des analyses bactériologiques standards, majoritairement sur prélèvements per opératoires. Dans 19 cascette PCR est positive.
Dans quatre cas, un germe commensal a été isolé sur un milieu unique. Devant la stérilité des autres prélèvements, ce germe a été incriminé dans l’IPV et traité. Dans 50% des cas, le tableau associé était celui d’une IPV certaine. Dans un de ces cas, le patient a reçu un traitement antibiotique en aveugle pendant sept jours avant d’être arrêté. Dans les trois autres cas une antibiothérapie de six semaines a été mise en route. Le diagnostic radiologique correspond aux propositions des experts dans 57 cas sur 102. La réalisation des examens radiologiques trop précocement est la principale discordance observée.
Ecologie bactérienne
Concernant l’écologie bactérienne, nous retrouvons une infection polymicrobienne dans 49% des cas. Dans 58% de ces situations, la prothèse est en partie intra-abdominale (Bunt P0 ou P2) (Figure H). Le SAMS représente 22% des germes incriminés. Dans 59% de ces cas, le SAMS est isolé seul (Figure D). Escherichia Coli est le germe le plus fréquemment retrouvé après le SAMS (Dans 14% des cas).
Quant au SARM, il a été retrouvé dans 7 cas, dont un SARM résistant à la rifampicine (Figure G).
Une bactérie multirésistante est retrouvée dans 14% des cas, un Pseudomonas Aeruginosa est retrouvé dans 5% des cas.
Les infections fongiques représentent 6% des germes incriminés.
Anévrysmes mycotiques
Dans notre étude, nous avons également analysé la prise en charge des anévrysmes mycotiques au sein de notre établissement. Huit cas d’anévrysme mycotique ont été pris en charge au CHU de Rouen entre début 2014 et fin 2017. Dans 75% des cas, le patient était de sexe masculin. La manifestation clinique principale est une altération de l’état général associée à des douleurs et de la fièvre.
Trois patients associeront un tableau de choc septique et hémorragique au décours de leur prise en charge. Dans 5 cas, l’infection artérielle était aortique. Dans un cas, la patiente était toxicomane et dans ce cas l’infection concernait une artère périphérique. Enfin, dans un cas, l’infection a été diagnostiquée de façon fortuite lors de l’analyse bactériologique systématique de la pièce opératoire ; le patient ayant été initialement pris en charge pour traitement d’un anévrysme vasculaire simple.
L’âge médian de la population au moment du diagnostic est de 64 ans [54-70]. Sept patients bénéficieront d’une hospitalisation en réanimation. La durée médiane de séjour est de 35 jours [26-47].
Concernant le diagnostic microbiologique, des hémocultures seront réalisées dans 7 cas, une PCR nécessaire dans 2 cas, positive une fois.
L’écologie bactérienne est décrite en Figure I.
Discussion
Il n’existe pas de recommandations claires et consensuelles publiées à ce jour par nos sociétés savantes sur la prise en charge des patients présentant une infection de prothèse vasculaire.
L’avis d’expert publié en 2015 par le GRIP confirme la diversité des pratiques et propose une démarche relativement homogène de prise en charge. En mettant en commun les ressources médico-chirurgicales et radiologiques, leurs conclusions visent à orienter les diverses équipes confrontées à ces pathologies vers la prise en charge la plus optimale possible, en abordant les aspects diagnostiques et thérapeutiques. Notre recueil de données et son analyse ont de ce fait été élaborés en regard de ce document (Annexe 3).
Bien qu’il s’agisse d’une étude rétrospective, le recueil s’est attaché à être le plus exhaustif possible entre janvier 2014 et décembre 2017. Nous avons un taux d’exclusion pour données manquantes de 3%. De ce fait, ce travail est un bon reflet des pratiques du CHU de Rouen sur cette période.
Hétérogénéité des pratiques
Bien que l’avis d’expert ait été publié courant 2015, nous n’avons pas mis en évidence de prise en charge plus systématisée à partir de cette année-là. En effet, aucun protocole de service ni aucune diffusion spécifique de ce document n’ont été mis en place au sein des équipes prenant en charge les IPV. Par ailleurs, il n’existe pas de réunion de concertation pluridisciplinaire permettant une étude plus approfondie des dossiers par les différents intervenants. D’autre part, la prescription d’antibiotiques relève, au moins au début de la prise en charge, essentiellement du médecin anesthésiste réanimateur, et le recours à l’avis des médecins infectiologues du CHU est le fruit de démarches individuelles et variables. En outre, les avis sont presque exclusivement oraux, notifiés de façon éparse dans le dossier médical du patient.
Seules les démarches diagnostiques radiologiques et microbiologiques semblent corrélées aux propositions des experts, exception faite de la réalisation des écouvillons bactériologiques, encore réalisés dans 25% des cas.
En 2015, une thèse non publiée traitant selon une méthodologie similaire la problématique de la prise en charge des IPV au CHU de Rennes a mis en évidence une hétérogénéité comparable sur l’ensemble de la prise en charge (45).
Associé au fait qu’il s’agit de situations cliniques difficiles, il faut noter que durant leur séjour, les patients peuvent être hospitalisés en réanimation, médicale ou chirurgicale, en médecine interne ou maladies infectieuses, en chirurgie vasculaire, ou encore hébergés dans d’autres services dans certains cas. Leur état clinique complexe requiert souvent l’interventionde différents spécialistes aux divers stades de leur prise en charge.
Nombre de cas élevé
Une étude analogue a été réalisée au CHU de Rouen entre 2000 et 2007 et a fait l’objet d’une thèse (2). Cette étude a analysé tous les cas d’IPV pris en charge au CHU de Rouen, quelle que soit la nature du greffon initial. Bien que les critères d’inclusion aient été plus larges car incluant les greffons veineux, seuls 52 cas ont été mis en évidence sur 7 ans. Si la classification en certaine, probable et possible n’est pas clairement employée, il semble, en regardant les critères d’inclusion, que ce travail traite essentiellement d’IPV certaines. Notre nombre de cas d’IPV parait donc particulièrement élevé: 79 cas sur 4 ans contre 52 cas sur 7ans.
Il n’y a pas d’explication claire concernant cette augmentation majeure de cas en moins de 10 ans entre ces deux études : En effet, l’équipe chirurgicale, en dehors des chefs de clinique assistants (CCA) et assistants spécialistes, est restée identique avec des approches similaires. De même, si l’équipe d’anesthésie a considérablement varié, l’attitude globale au bloc opératoire reste normée entre les différents médecins anesthésistes réanimateurs, et la prévention du risque septique, que ce soit par l’antibioprophylaxie ou par la désinfection lors de la réalisation de gestes invasifs (pose de cathéter veineux central ou de cathéter artériel) est constante elle aussi.
Devant les avancées techniques et l’apparition de nouveaux biomatériaux, et du fait d’un vieillissement continu de la population, les revascularisations chirurgicales sont plus fréquentes. Cependant, avec l’avènement des endoprothèses, les revascularisations par voie chirurgicale tendent à baisser (Nombre moyen de pontages réalisés au CHU de Rouen entre2006 et 2009 : 223, entre 2010 et 2013 : 242, entre 2014 et 2017: 194).
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Table des matières
Introduction
I. Les prothèses vasculaires
A. Indications chirurgicales
1. L’Artériopathie Oblitérante des Membres Inférieurs (AOMI)
2. Les anévrysmes artériels
B. Type de prothèse
C. Antibioprophylaxie
II. L’infection de prothèse vasculaire
A. Généralités
1. Epidémiologie
2. Facteurs de risque
3. Physiopathologie
B. Définition
1. Critères Clinico-biologiques
2. Critères Bactériologiques
3. Critères d’imagerie
C. Classification
III. Prise en charge thérapeutique
A. Prise en charge chirurgicale
B. Chimiothérapie anti-infectieuse
1. Antibiothérapie Probabiliste
2. Antibiothérapie Curative
IV. Prise en charge des anévrysmes mycotiques
Matériel et Méthode
I. Objectifs
II. Type d’étude
III. Critères d’inclusion
IV. Critères de non-inclusion
V. Critères d’évaluation et recueil de données
A. Critères d’évaluation
B. Recueil de données
VI. Données et analyses statistiques
Résultats
I. Résultat principal et parcours des patients
II. Résultats secondaires
A. Diagnostic
B. Ecologie bactérienne
C. Evolution
D. Anévrysmes mycotiques
Discussion
I. Hétérogénéité des pratiques
II. Nombre de cas élevé
III. Concernant les résultats
A. La prise en charge chirurgicale
B. La prise en charge médicale
1. Les molécules
2. Le délai d’administration
3. La posologie
4. La durée du traitement antibiotique
5. Sur le plan bactériologique
6. Le diagnostic paraclinique
7. Concernant l’évolution
8. Bactériémies post opératoires
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Annexe 1 : Chimiothérapie anti-infectieuse : stratégies et posologies
Annexe 2 : Codage CCAM des sepsis utilisés pour l’extraction des patients de notre étude par le DIM
Annexe 3 : Formulaire de recueil spécifique
Résumé