L’art et le verbal
Apports de l’art à la thérapie
Un dicton affirme qu’une Image vaut mille mots. Suivant ce proverbe, l’art constituerait une forme d’expression ~lternative au langage verbal, en y ajoutant une notion d’efficacité car il court-circuiterait une grande partie du discours verbal. L’utilisation de l’art et la reconnaissance de son pouvoir sont presque aussi vieilles que l’humanité elle-même. Par ailleurs, des courants thérapeutiques, centrant spécifiquement leur intervention autour des arts comme agent thérapeutique, ont vu le jour au vingtième siècle. L’art-thérapie, par exemple, se définit comme une démarche visant un mieux-être psychologique et dont la spécificité repose sur l’usage de l’expression créatrice grâce aux arts plastiques comme principale modalité thérapeutique (Association des art6 thérapeutes du Québec, 2012).
Le courant de thérapies expreSSIves par les arts (expressive arts therapy) englobe pour sa part toutes les modalités artistiques: thérapies par les arts visuels, la musique, la danse, le théâtre, la poésie, le mouvement, etc. Les courants d’art-thérapie et de thérapies expressives utilisant les arts ont documenté les apports de l’art depuis les années 1960 (Kramer, 1972; Laberge, 2005; Naumburg, 1966, 1973). Quelques recherches ont mentionné les effets thérapeutiques de thérapies utilisant l’art par rapport à d’autres psychothérapies (Karterud & Pedersen, 2004; Reynolds, Nabors, & Quinlan, 2000; Slayton, D’Archer, & Kaplan, 2010). Par contre, elles s’intéressaient plus aux résultats qu’à la c9mparaison des agents ou des processus thérapeutiques comme tels. Une étude s’y est attardée, celle de Shechtman et Perl-Dekel (2000). Ces auteures ont comparé les facteurs thérapeutiques de thérapies groupales utilisant l’art et le verbal. Selon elles, en plus des principaux agents thérapeutiques des thérapies verbales, des facteurs thérapeutiques spécifiques se retrouveraient dans l’artthérapie. Elles les ont regroupés en dix facteurs spécifiques à l’art-thérapie:
Présentation du modèle ETC
Le Continuum de thérapies expressives (ETC) a vu le jour dans les années 1970 afin d’offrir un modèle conceptuel unique pour les thérapies expressives par les arts. Créé par Kagin et Lusebrink (1978) puis perfectionné par Lusebrink (1990, 1991 , 2004,2010), ce cadre théorique a retenu notre attention. En effet, il permet d’identifier et de catégoriser hiérarchiquement les processus sous-jacents sollicités lors d’interventions expérientielles ou utilisant les arts. Cette structure hiérarchique et développementale intègre des théories issues de divers courants: art-thérapie et enseignement de l’art, neurologie, psychologie du développement, de la cognition, du comportement. Le modèle ETC est influencé notamment par la théorie piagétienne et par plusieurs art-thérapeutes précurseurs : Cane, Naumburg, Kramer, Ulman, Lowenfeld, Betensky, Rhyne et Horowitz (Hinz, 2009). Athéorique, il procure un langage commun et pose des fondations solides pour les art-thérapeutes de toutes les approches. « Ce modèle décrit les processus internes du client, leur interaction avec les médias artistiques et leur niveau d’expression» [traduction libre] (Estrella, 2005, p. 200). Il se base sur les processus cérébraux de traitement des informations visuelles afin de mieux comprendre ce qui se passe sur le plan de l’imagerie mentale et de la formation des images (Hinz, 2009). Représenté sous forme de schéma visuel facile à mémoriser, il s’agit d’une « structure théorique qui décrit les interactions entre la personne, le produit et le processus e~ artthérapie » [traduction libre] (Hinz, 2009, p. 35). Ainsi, le clinicien peut appréhender le processus thérapeutique globalement, en intégrant les aspects corporels, émotionnels et cognitifs.
Utilisation du modèle ETC Ce cadre théorique représente une manière de conceptualiser le travail clinique en – catégorisant les interactions entre le client, sa production artistique et son processus en art-thérapie (Hinz, 2009). TI pennet de structurer l’évaluation et les objectifs de traitement selon les besoins de chaque client, de guider le cours de la thérapie et les décisions thérapeutiques en aidant à organiser les infonnations. Le thérapeute peut choisir quel medium utiliser, pourquoi, quand, et comment. Une composante n’étant pas supérieure à l’autre dans ce modèle, l’individu fonctionnel se révèle capable d’utiliser toutes les composantes à tous les niveaux de façon flexible (Hinz, 2009). En effet, chaque composante fournit des infonnations différentes à la personne pour la guider dans sa vie. La thérapie vise à équilibrer le fonctionnement d’un client qui sur-utilise ou sous-utilise une composante sur le plan de la réception ou du traitement de l’infonnation et de la prise de décision.
En début de prise en charge, le thérapeute évalue les capacités du client à traiter les infonnations et à travailler avec des images (Hinz, 2008) : Quelles sont les composantes préférées du client, a-t-il des fonctions bloquées, sur- ou sousutilisées? Cela situe la problématique du client et identifie les composantes à développer afin d’atteindre le fonctionnement optimal visé. La thérapie débute par la composante où le client apparaît le plus à l’aise. Ensuite, le thérapeute accompagne son client dans l’exploration d’autres composantes ou niveaux que ce dernier emploie peu ou pas (Hinz, 2009). Par exemple, un client bloqué au niveau émotionnel se verra proposer d’utiliser un medium plus fluide comme la gouache, favorisant l’expression affective.
Au sein du modèle ETC, la thérapie peut viser des transferts verticaux, soit d’un niveau à un autre grâce à la fonction émergente des composantes, ou horizontaux, soit d’une composante à une autre au sein du même niveau. . Divers programmes de formation universitaire enseignent maintenant le modèle ETC: c’est notamment le cas du Saint Mary-of-the-Woods College dans l’Indiana (États-Unis) et de l’Université Concordia au Québec (Canada). Ainsi, durant leur formation, les futurs thérapeutes sont à même d’identifier leurs propres processus et préférences face aux divers médias artistiques, ce qui leur permet de prendre conscience de leurs préjugés personnels pouvant influencer leur travail clinique. Certains artthérapeutes l’ont également adopté pour choisir des activités appropriées aux objectifs thérapeutiques (Kaplan, 1995) ou évaluer l’évolution de leur clientèle (Bennink, Gussak, & Skowran, 2003; Malchiodi, 2003).
Enfin, bien que le ETC soit un modèle issu des thérapies expressives, il peut aussi s’utiliser pour concevoir et accompagner l’utilisation de l’art dans des disciplines connexes, comme dans le champ de la psychologie (Hinz, 2009; Lusebrink, 2010). Il fournit des données intéressantes pour comprendre des processus psychiques, tout en fournissant un langage transthéorique. De fait, des thérapeutes de diverses approches théoriques peuvent y trouver des éléments riches de sens et compatibles avec leur propre modèle d’intervention. Maintenant que le modèle ETC est présenté, abordons les objectifs spécifiques de la présente étude.
Analyse des données
Rappelons que l’objectif principal de l’étude consiste à comparer les processus sollicités par l’art et le verbal. Afin d’y répondre, cette recherche a nécessité la création d’une méthode originale, qui a évolué et mûri au fil de l’analyse des données. Cette section détaille les principales étapes ayant conduit à cette analyse. La première étape suivant la transcription des entrevues fut de lire plusieurs fois les entrevues, afin de s’imprégner du matériel, consistant en une forme de «lecture flottante» (paillé, 1996, p. 181). Ensuite, la rédaction d’un résumé synthèse par participant a permis l’appropriation des données, tout en captant le fil conducteur pour chaque entrevue. Certains extraits de verbatim, particulièrement en lien avec les questions de recherche, ont été relevés. Ce résumé incluait aussi une synthèse des informations sur les productions graphiques. De plus, il compilait des données d’observation décrivant le processus d’élaboration du dessin, également conservé sur les enregistrements vidéos. Cette première stratégie d’analyse des données s’apparentait à dix études de cas parallèles (Yin, 2009), permettant d’assimiler et de synthétiser la richesse et la profondeur des données qualitatives.
La deuxième étape consista à organiser l’ensemble des données pour en dégager les processus psychiques. À cet effet, le Continuum de thérapies expressives (ETC) ayant été retenu, il allait de soi d’utiliser la grille de Lusebrink (2010) qui recense des descripteurs graphiques selon chaque dimension de l’ETC. Or, cette grille n’existant qu’en anglais, la première tâche consista à la traduire en français. Le second défi fut de l’adapter pour l’analyse du matériel verbal. Ce travail d’élaboration des outils d’évaluation du modèle ETC pour le matériel graphique et verbal a permis l’analyse des dix dessins et entrevues verbales en identifiant et comparant les processus sollicités par l’art et le verbal pour les niveaux kinesthésique/sensoriel (K/S), perceptif/affectif (P/A), cognitif/symbolique (C/Sy) et créatif (CR). Cette section présente la démarche d’analyse des données, premièrement pour les dessins, puis pour le matériel verbal. Notons deux points importants tout au long de cette partie. Premièrement, une attention particulière est portée à identifier autant que possible des critères observables nécessitant peu d’interprétation, celle-ci relevant du sens commun. D’autre part, le processus sous-jacent au contenu apparent constitue la principale ligne directrice guidant l’analyse des données en tout temps.
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Table des matières
Sommaire
Liste des tableaux
Liste des figures
Remerciements
Introduction
Contexte théorique
L’art et le verbal: des approches complémentaires?
Apports de l’art à la thérapie
Comparaison des processus induits par l’art et le verba1
Analyse des processus: le Continuum de thérapies expressives (ETC)
Présentation du modèle ETC
Description des composantes et niveaux
Utilisation du modèle ETC
Obj ectifs de l’étude
Méthode
Méthode quasi-qualitative
Participants
Critères de sélection des participants
Modalités éthiques
Recrutement des participants
Caractéristiques des participants
Déroulement
Cueillette des données
Analyse des données
Analyse des dessins
Analyse du verbal
Résultats
Comparaison des processus individuels mobilisés par le dessin et par le verbal
Participante 1
Participante 2
Participante 3
Participante 4
Participante 5
Participante 6
Participant 7
Participante 8
Participante 9
Participante 10
Impacts de l’utilisation de l’art
Expression des processus et niveaux
Expression des tendances extrêmes
Expression des tendances intégratives
Tendances générales
Discussion
Interprétation et discussion des résultats
Apports thérapeutiques du dessin
Considérations nuançant les résultats
Discussion par rapport au Continuum de thérapies expressives (ETC)
Contributions de la recherche
Applications à la pratique professionnelle
Apports à la recherche
Limites de la recherche et recommandations
Conclusion
Références
Appendice A. Lettre de présentation de la recherche
Appendice B. Formulaire de consentement
Appendice C. Questionnaire d’informations générales
Appendice D. Grille d’entrevue détaillée
Appendice E. Précisions relatives à la cotation des dessins
Appendice F. Dessins
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