L’art du roman d’Adam Thirlwell: vers une esthétique de la désinvolture?

INTRODUCTION : VERS UNE ESTHÉTIQUE DE LA DÉSINVOLTURE ?

Quelque part entre Prague et Budapest. Nous sommes en 1996. De retour d’une excursion à Prague, le jeune britannique Adam Thirlwell (en séjour dans la capitale Hongroise) tient dans les mains L’Art du roman de Milan Kundera. La première incursion de l’auteur tchèque dans le monde théorique du roman sert donc de décor pour ce qui pourra être considéré a posteriori comme la rencontre du maître et de l’élève :

J’ai découvert Kundera quand je vivais à Budapest. J’avais 18 ans, et j’étais ingénu. Selon les termes de Kundera, j’étais lyrique. J’étais allé́ à Prague, en touriste, avec ma copine, et dans la maison de Kafka j’ai acheté́ L’Art du roman. A l’époque, j’avais la certitude de vouloir devenir poète. Je voyais le roman comme un genre compromis et bourgeois : une maladie du réalisme. La poésie était le véritable art de la langue .

Le cheminement du train se poursuit tandis que se déploie sous les yeux du futur romancier la mécanique romanesque selon Kundera, qui « parlait de constructions romanesques comme de machines aussi minutieuses et fragiles que des poèmes». Sous le nouvel éclairage offert par cet essai, un bouleversement artistique remet en cause, aux yeux de Thirlwell, le statut littéraire de la poésie et du roman, jusqu’à opérer une inversion de leur hiérarchie. Suivant la trame d’un roman d’apprentissage, le jeune Thirlwell (« j’étais ingénu » ; « j ‘étais lyrique ») chemina à Prague ce jour-là à la découverte d’un autre romancier praguois, Kafka, chez qui, en tant que touriste, il découvre un ouvrage du maître Kundera et fait l’expérience de l’art du roman à travers la vision qu’en offre ce dernier : « Dans le train du retour, la lecture de Kundera m’a bouleversé. Je découvrais en lui un poète du roman » . C’est donc à l’issue d’un voyage, symboliquement au cœur de l’Europe , que le jeune Thirlwell-poète laisse la place au Thirlwell apprenti romancier. On imagine la projection du décor sur la fenêtre-miroir de la voiture, comme une succession de collages laissant apercevoir furtivement les traces d’un imaginaire romanesque à venir. D’heure en heure, le défilement des stations rythme la lecture et signale les pistes esthétiques qui s’ouvrent à lui. Le voyage touche à sa fin, peut-être la lecture est-elle aussi terminée à son arrivée à Budapest ce soir-là .

LA LEGERETE D’UNE PENSEE SERIEUSE

Remarques préliminaires 

Comme le suggère l’introduction, l’œuvre d’Adam Thirlwell fait étalage d’un imaginaire d’une remarquable richesse compte tenu du nombre relativement restreint de romans jusqu’alors publiés . On peut compter trois romans principaux (Politics, The Escape et Lurid & Cute) dont les caractéristiques superficielles s’accordent à donner une image traditionnelle du roman. On est effectivement en présence d’œuvres de fiction écrites en prose, dans laquelle des personnages évoluent dans des environnements et des milieux tout à fait prosaïques (en surface en tout cas) et vivent des situations quotidiennes que l’on peut aisément qualifier de réalistes quoique loufoques , en apparence, car sous leur allure conventionnelle, les romans de Thirlwell dissimulent une subversion certaine des formes de représentation et de la narration.

En dépit de ses apparences, donc, l’œuvre de Thirlwell pose un certain nombre de difficultés. Tout d’abord, s’il fallait faire converger nos impressions de lecture des romans de Thirlwell et s’accorder à produire une description globale et uniforme de son œuvre, on se rendrait rapidement compte de la difficulté à définir les principaux constituants de sa production littéraire. Nous évoquions plus haut l’étendue de l’imagination de ses romans car, à l’échelle de trois romans « longs » (et un quatrième plus court qu’il qualifie de « novella » ), le lecteur est amené à découvrir des objets littéraires distincts qui n’entretiennent apparemment pas de lien entre eux. Des pérégrinations londoniennes sur fond de triangle amoureux dans Politics, aux frasques métaphysiques à la première personne de Lurid & Cute en passant par The Escape et le récit des péripéties érotique et administrative d’un octogénaire dans un spa aux confins des Alpes –Thirlwell n’instaure a priori aucune stabilité d’un roman à l’autre, si ce n’est une règle du changement, que l’on remarque chaque fois par le renouveau de la voix narrative (le narrateur philosophe de Politics, le narrateur testamentaire dans The Escape et la narration sur le mode de la confession de Lurid & Cute) et l’éloignement progressif de Londres par le choix de décors chaque fois plus éloignés de la mégalopole britannique (dans la seconde partie de la thèse, nous verrons que sa fiction met en scène à la fois un éloignement et un mouvement de va-et-vient entre Londres et l’ailleurs — deux dynamiques qui mettent en forme le dialogisme centre-périphérie qui participe des formes de la désinvolture dans sa fiction).

Selon le point d’entrée dans son espace imaginaire, Thirlwell accueille ainsi le lecteur dans une singularité stylistique et formelle propre à chacun de ses romans. Il est tout à fait envisageable qu’un premier lecteur soit captivé par l’ultra contemporanéité et les expérimentations visuelles de Kapow! et reste cependant insensible à la saveur historique surannée de The Escape, tandis qu’un autre lecteur sera lui passionné par la ferveur moderne (hypermoderne ?) de Lurid & Cute sans pour autant trouver son compte dans Politics et la réflexion sur la modernité que l’on y trouve.

À la manière des pages à déplier de Kapow!, on peut dire qu’il existe donc plusieurs facettes à son œuvre. Une facette de son œuvre n’étant pas équivalente à une autre, il est tout à fait envisageable que la diversité des formes produites puisse surprendre. Bien entendu, on expose ici un truisme dans la mesure où la question de la réception critique (on entend ici tout type de lecteur confondu) de toute production littéraire occasionne des réponses variées pour des raisons qui dépassent le propos de cette thèse. On peut remarquer, et à juste titre, que toute œuvre divise son lectorat et qu’il n’est pas interdit d’envisager toute production romanesque innovante comme nouvelle par définition et par conséquent, déstabilisante par nature. On tient tout de même à prendre le soin d’insister sur l’importance du renouveau dans le processus d’écriture chez Thirlwell. Sans oublier la définition du style selon Thirlwell esquissée en introduction , le travail d’un auteur est avant tout dirigé dans l’élaboration d’intentions qui seront traduites par la création d’effets spécifiques. Dans le cas présent, l’effet est donc en premier lieu d’élaborer une forme selon un principe de déstabilisation de la forme précédemment établie, produisant par ailleurs l’effet de ce que l’on pourrait nommer un non sequitur stylistique volontaire.

Si notre démarche critique consiste à étudier les romans de Thirlwell selon l’idée d’un contrat de lecture entre auteur et lecteur, c’est en raison de la nature dialogique de ses romans : ses œuvres dialoguent entre elles mais aussi avec la littérature dans son ensemble. Parler de contrat implique inévitablement les notions connexes de relation et d’accord. Dans le cas présent, il est question de la relation entre auteur et lecteur ; une rencontre de deux partis qui se réalise dans le texte par le truchement du narrateur et plus précisément, par le biais des figures de la narration.

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Table des matières

INTRODUCTION
VERS UNE ESTHÉTIQUE DE LA DÉSINVOLTURE ?
PREMIERE PARTIE LA LEGERETE D’UNE PENSEE SERIEUSE
CHAPITRE 1 : JOUER LE JEU
A. La voix narrative dans l’œuvre : facteur de cohésion et de rupture
1. De la désinvolture comme catégorie littéraire : principe de contradiction ludique
2. Contradiction et incertitude : « the ironic moralist »
3. « the Innocent/Corrupt » : une catégorie désinvolte
B. Auteur et lecteur : distribution des rôles
1. De l’usage de l’adresse au lecteur : le lecteur dans le texte
2. La figure paradoxale du narrateur auctorial
3. La fabrication de l’auteur
CHAPITRE 2 : L’ENJEU DE LA LÉGÈRETÉ
A. Règle du jeu : le pacte de lecture amoral
1. Moralité et représentation : les notions de « choc » et de « scandale »
2. Le principe d’« anti-sélectivité »
3. Explorer les degrés de moralité
4. Désinvolture et amoralité
B. Formes de la légèreté
1. Le texte en apesanteur
2. L’improvisation ou la légèreté d’une forme libre
3. L’anecdotique et l’éphémère
4. Légèreté et insignifiance : penser le poids écrasant du minuscule
CHAPITRE 3 : LA LÉGÈRETÉ DÉSINVOLTE
A. Libertinisme romanesque et création désinvolte
1. Esprit libre
2. Créativité désinvolte
B. Légèreté philosophique et désinvolture romanesque
1. La frontière mouvante du sérieux et du non-sérieux dans le roman
2. De la désinvolture comme « légèreté impitoyable »
3. Philosophie désinvolte et désinvolture philosophique
DEUXIEME PARTIE LA REALITE EST AILLEURS
CHAPITRE 4 : POÏÉTIQUE DE L’ÉCART
A. La frontière au cœur de l’écriture
1. L’espace-temps consubstantiel au roman
2. Perméabilité des frontières de la « Nation roman »
B. Poïétique désinvolte de l’écart
1. Cosmopolitisme et « Jewishness » : motifs de l’écart
2. Écriture diasporique et exil imaginaire
CHAPITRE 5 : LE RAPPORT MÉTAPHORIQUE DU TEXTE ET DE L’ESPACE
A. Cartographie du roman
1. Le roman et la carte
2. Cartographie du roman
B. Cadrer le roman
1. Multiplication des cadres
2. La valeur géopoïétique des lieux
3. Le tableau vénitien
C. Structure impossible de l’espace urbain
1. La problématique de l’espace urbain au cœur de l’édifice romanesque moderne
2. Quatre villes et une œuvre
CHAPITRE 6 : LE PAYSAGE MULTIPLE OU L’IMAGINAIRE DU TRANSPORT
A. À la recherche du réel : pour une vraisemblance désinvolte
1. Le spectre de la vraisemblance
2. Le chronotope de la banlieue
3. Entre rêve et réalité : le paysage imaginaire thirlwellien
4. Géographies impossibles
B. La perspective transatlantique : un imaginaire en mouvement
C. L’imaginaire du transport : décentralisation et renversement
TROISIEME PARTIE LA GRAVITE D’UNE PENSEE LEGERE
CHAPITRE 7 : LA TRADUCTION : PARADIGME DE L’ÉCRITURE THIRLWELLIENNE
A. La singularité de la traduction
1. La métaphore de l’errance
2. Le non-lieu comme jouissance potentielle du tout-lieu
3. Le modèle de l’Europe Centrale
B. Traduction : le mouvement de l’imagination romanesque
1. Les eaux internationales du roman
2. La traduction ou le langage en mouvement
C. Au début était la traduction
1. La traduction : creuset de la littérature
2. La traduction ou le propre du roman
CHAPITRE 8 : LA SINGULARITÉ DU MULTIPLE
A. Singularités : l’écriture comme traduction
1. La pensée de la traduction : conséquences
2. Imperfection de la traduction et faillite du roman : un impossible succès
B. Multiplicités : de l’importance de la composition
1. Le grand débarras
2. La composition : l’« âme du roman »
C. Impossibilités : la singularité du multiple
1. Continu et discontinu à la fois : le paradoxe du montage
2. La « perspective astronautique » de la désinvolture : influence de la poésie martienne et du surréalisme
CHAPITRE 9 : L’ESPRIT DE LA DÉSINVOLTURE
CONCLUSION

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