L’Arctique comme enjeu de coopération internationale

La définition multiple de l’Arctique : un Arctique, plusieurs réalités 

Pour mener à bien cette thèse, il est nécessaire de définir en premier lieu l’Arctique, qui mêle océan, glaces et terres. L’Arctique relie trois continents et tous les fuseaux horaires. Pour les Grecs, il est la région sous l’ours – « arctos » signifiant « ours » – et se place donc en opposition à l’Antarctique, qui est l’ « anti-Arctique ». Si une définition miroir est appliquée suivant l’exemple de l’Antarctique, l’Arctique serait composé des mers et des terres au Nord du 60e parallèle, et engloberait de cette manière une partie du Royaume-Uni. Cette définition ne semble pas adaptée. Les définitions arctiques peuvent être géographiques, climatiques, biologiques, politiques, démographiques, etc.

Selon l’Organisation hydrographique internationale, l’océan Arctique est au Nord du 70e parallèle, voire même parfois au Nord du 80e parallèle, ce qui en fait un espace restreint. La limite océanographique est fixée entre les eaux plus froides et moins salines et les eaux plus salines et plus chaudes. L’Arctique ne se résume néanmoins pas à un océan. Suivant une définition scientifique, l’Arctique est constitué de l’ensemble des terres et des mers au Nord du cercle arctique, défini par le 66e parallèle Nord. Ce dernier marque la frontière à partir de laquelle le soleil est au dessus de l’horizon pendant au moins un jour entier en été et un jour entier où il est en-dessous de l’horizon en hiver. Cette limite reste arbitraire, ne prenant pas en compte les spécificités même de la géographie arctique, les variations de températures, les bassins, le pergélisol. Suivant la définition de l’isotherme 10° C en juillet, l’Arctique est l’ensemble des terres et mers au Nord de la zone avec une température moyenne de 10° C en juillet. La limite des arbres est quant à elle définie par la frontière à partir de laquelle les arbres poussent. Elle est similaire à la définition précédente. La définition de l’Arctique peut également être fixée à travers l’étendue du pergélisol ou par les zones maritimes recouvertes par des glaces. Des zones climatiques permettent quant à elles de diviser des zones entre le haut Arctique, le bas Arctique et les régions subarctiques.

Pour les besoins de son étude sur les questions de pollution, le groupe de travail du programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique du Conseil de l’Arctique décide d’établir une délimitation qui prend en considération plusieurs facteurs. Elle définit cette frontière au cercle arctique de manière générale, au Nord du 62e parallèle Nord en Asie, au 60e parallèle Nord en Amérique du Nord, en y incluant la chaîne aléoutienne, la baie d’Hudson et des parties du Nord de l’océan Atlantique. L’Arctic Human Development Report détermine une limite mixte comparable à celle du groupe de travail du programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique, mêlant plusieurs critères.

Ces définitions fondées sur la géographie sont complétées par d’autres qui sont plus fonctionnelles ou politiques, prenant en compte une lecture étatique ou militaire comme pendant la guerre froide, ou même narratives, privilégiant l’Arctique comme foyer des peuples autochtones. Dès lors, l’Arctique pourrait être défini à travers sa population. Le caractère évolutif de l’Arctique peut faire modifier de nombreuses définitions. Les définitions objectives de l’Arctique, comme la limite de l’isotherme 10° C en juillet, risquent par exemple de perdre de leur intérêt au vu du réchauffement climatique, tout comme la limite des arbres ou l’utilisation des zones maritimes recouvertes de glace. Selon les disciplines scientifiques, ces définitions sont plus ou moins pertinentes, mais dans une étude pluridisciplinaire, un compromis est nécessaire. Selon les sujets traités, la définition arctique peut évoluer et sa pertinence de compréhension change. Dès lors, adopter une définition définitive et figée de l’Arctique ne semble pas adéquat. Elle varie selon les critères pris en considération.

Quelle région arctique ? 

Ce questionnement sur la définition arctique se prolonge dans l’étude de l’existence d’une région arctique. Dans une perspective globale, Fredrik Söderbaum rappelle l’évolution des débats sur le régionalisme. Entre les années 1950 et 1970, les théories des régions se fondent sur le fédéralisme, le fonctionnalisme et le néofonctionnalisme. Arie M. Kacowicz définit la région internationale comme un nombre limité d’Etats unis par un lien géographique et une interdépendance mutuelle. Les activités de chaque Etat sont déterminantes de la politique étrangère des autres. Les sous-systèmes régionaux peuvent être vus comme un groupement d’Etats coexistant dans une proximité géographique comme des unités significatives de la sécurité, de l’économie et des relations politiques. Dès lors, les régions peuvent être conçues comme des formes intermédiaires de communauté entre les communautés nationales et la communauté globale de l’humanité.

La construction de la région n’est pas un phénomène unique. Les grandes distinctions concernent le processus de régionalisation et celui de régionalisme. La régionalisation est souvent associée à l’intégration socioéconomique dans une région donnée. Elle est l’expression de l’augmentation d’échanges commerciaux et humains, des relations sociales et économiques. Elle fait donc référence à un processus bottom-up. La régionalisation est la tendance naturelle à créer des régions ou un processus de création de régions avec des similitudes entre les Etats dans un espace géographique donné. Le régionalisme est le processus inverse. Il renvoie à la propension à créer des institutions et des accords régionaux. Il se réfère à un processus politique intentionnel, souvent mené par des gouvernements avec des buts et des valeurs similaires pour poursuivre un développement global dans la région. C’est donc une construction top-down.

Les débats sur l’étude de la coopération internationale 

En ce qui concerne la coopération internationale, elle se développe à travers la création des traités et organisations internationales dès la fin du XIXe siècle. De nombreux débats sur la coopération internationale en relations internationales concernent la manière dont elle émerge et persiste dans un système anarchique. Sans prétendre revenir sur l’ensemble de la recherche sur la coopération internationale, un retour sur les grandes définitions et évolutions est utile pour bien saisir le cadre applicable en Arctique. Pour Robert Axelrod et Robert O. Keohane, elle vise à atteindre des objectifs communs quand les préférences des acteurs ne sont ni identiques (harmonie) ni irréconciliables (conflit). Elle se déroule quand les acteurs ajustent leurs comportements aux préférences actuelles ou anticipées des autres, à travers un processus de coordination politique. Cette dernière signifie que les politiques de chaque Etat s’ajustent pour réduire leurs effets négatifs sur les autres. Deux éléments sont notables dans cette conception de la coopération. Chaque comportement des acteurs est dirigé par des buts. Ils ne sont pas nécessairement les mêmes pour tous les acteurs, mais ils provoquent un comportement rationnel de leur part. La coopération implique en outre des gains pour les acteurs. Elle s’oppose au conflit et à la compétition et exclut l’action unilatérale. Une telle définition est notamment partagée par Joseph Grieco, Peter Haas ou Kenneth Oye. La définition de la coopération n’explique pas comment les gains sont distribués. Cette idée s’inscrit dans le multilatéralisme, qui renvoie à des Etats qui agissent de manière coordonnée sur des questions précises. Il est fondé sur l’indivisibilité (impossibilité de diviser les intérêts entre les parties), la réciprocité diffuse (les faveurs, bénéfices et sanctions données par un Etat à des entités d’un autre Etat devraient être réciproques) et la non-discrimination. Le cadre de la coopération internationale fait alors référence aux structures et processus de la prise de décision au-delà de l’Etat nation et est synonyme de gouvernance globale.

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Table des matières

LISTE DES SIGLES ET DES ABBREVIATIONS
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I : L’histoire de la coopération arctique
CHAPITRE 1 : Les découvertes arctiques, prémices de la coopération internationale arctique
SECTION 1 : La recherche d’une route maritime reliant l’Europe à l’Asie
SECTION 2 : La diversification des intérêts pour l’Arctique au XIXe siècle
CHAPITRE 2 : L’impact mondial grandissant de l’Arctique au XXe siècle
SECTION 1 : L’inscription militaire et stratégique de l’Arctique dans le monde
SECTION 2 : Le dégel politique et environnemental de la fin de la guerre froide
Conclusion de la partie I
PARTIE II : La structure hybride de la coopération arctique, un processus de régionalisation internationalisée
CHAPITRE 1 : La multiplication des acteurs, éléments d’un ordre arctique
SECTION 1 : Un acteur étatique omniprésent dans la coopération arctique
SECTION 2 : La présence grandissante des acteurs non étatiques
CHAPITRE 2 : Le développement d’un tissu institutionnel propre à l’Arctique
SECTION 1 : La création de coopérations panarctiques au sortir de la guerre froide
SECTION 2 : Une coopération arctique complétée par la richesse de la coopération
sous-régionale
SECTION 3 : Une complémentarité désorganisée des institutions de la coopération
arctique
CHAPITRE 3 : Une coopération arctique indissociable des grandes coopérations
internationales
SECTION 1 : Une coopération internationale adaptée à la prise en considération des
enjeux arctiques
SECTION 2 : La place fondamentale de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dans la coopération arctique
Conclusion de la partie II
PARTIE III : La spécificité d’une coopération multiniveaux
CHAPITRE 1 : La gestion commune des questions maritimes, chasse gardée des acteurs étatiques arctiques
SECTION 1 : Se délimiter, une solution internationale pour assurer une région pacifiée
SECTION 2 : Se déplacer, les enjeux des routes maritimes pour la coopération
SECTION 3 : Gérer les ressources halieutiques, contrôler une ressource qui échappe à toute frontière
CHAPITRE 2 : Une coopération stimulée par l’action des acteurs non étatiques
SECTION 1 : La constance de la coopération scientifique
SECTION 2 : Les stratégies multiples des ONG dans la coopération arctique
SECTION 3 : La mobilisation multiniveaux des peuples autochtones
Conclusion de la partie III
PARTIE IV : L’imbrication de la coopération arctique dans les relations internationales, le positionnement international face à des enjeux endogènes et exogènes
CHAPITRE 1 : La course vers le toit du monde, une gestion internationale d’une question centrale de l’Arctique
SECTION 1 : Le cadre international d’une problématique arctique centrale
SECTION 2 : Le positionnement concurrentiel des Etats arctiques sur leurs
revendications
SECTION 3 : Un enjeu arctique encadré par la coopération internationale
CHAPITRE 2 : L’interdépendance économique mondiale en Arctique
SECTION 1 : L’inscription de l’économie arctique dans les mouvements internationaux
SECTION 2 : L’impact mitigé des sanctions internationales en Arctique suite à la crise ukrainienne
SECTION 3 : L’hétérogénéité du commerce arctique, l’inscription dans différentes
logiques internationales
CHAPITRE 3 : Une coopération militaire à l’épreuve de pressions endogènes et exogènes
SECTION 1 : Le spectre d’une course aux armements arctique
SECTION 2 : Les motivations plurielles de la présence militaire arctique
SECTION 3 : L’interconnexion extérieure et intérieure de l’activité militaire arctique
Conclusion de la partie IV
CONCLUSION GENERALE

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