Architecture Image et Message (Impression) :
Le discours de l’architecture
Toutes les civilisations, ou les monarques, ont voulu marquer leurs passages sur terre par des architectures reflétant l’image symbolique de leurs cultures ou de leurs visions. Flatteuse ou dégradante l’architecture Image a bien transmis le message, et toutes les civilisations sont lisibles par les empreintes architecturales qu’elles ont laissées (malgré leur polysémie). Mais certaines de ces architectures ont été commanditées et crées dans un but purement opportuniste et factuel : l’image et le message ne ciblent pas les générations futures, mais les contemporains qu’il faut à tout prix impressionner. Le chef ou l’état, voir même le dictateur, s’impose aussi par son architecture se dotant d’une représentation virtuelle souvent falsifiée et trompeuse pour arriver à ses fins. Du moyen âge au monde moderne les exemples d’architectures « déloyales » qui ont été détournées de leur but initial, celui de refléter une image réelle, voire même idéale, sont multiples. L’architecture devient par ce fait un « moyen » de communication et parfois de répression que manipulent dans le fond et la forme des commanditaires intéressés. Cette manipulation tendancieuse des formes et des espaces dans le but d’imposer une communication à sens unique, a dénaturé l’architecture et l’a déviée de sa vocation première, celle de servir l’homme. Elle devient par ce fait, un moyen d’endoctrinement et d’asservissement, et aboutit à une rupture de confiance et de communication. Le citoyen rentre à ce moment-là dans la « spirale du silence » et attend le moment propice pour reprendre le dessus sur l’architecture représentative du régime qu’il combat. D’où les phénomènes de destructions gratuites vindicatives des monuments phares lors des révolutions populaires. La bastille est évidemment un des symboles les plus célèbres de cette phénoménologie, mais même dans les temps modernes nous pouvons observer aujourd’hui encore des réactions violentes contre des monuments étatiques ou religieux emblématiques.
Donc c’est déjà à partir de l’analyse du message transmis par les œuvres que nous allons situer cette approche de l’architecture, de sa présence en communication, présence matérielle mais aussi morale et virtuelle. Tout comme les outils médiatiques, l’architecture use des procédés multiples pour marquer le public de sa présence, de l’idée qui étonne, à l’image qui impressionne, au message qui pousse à la réflexion de par sa polysémie.
Architecture, idée et inspiration
Au-delà de l’image et du message, l’architecture par sa tridimensionnalité, son monumentalisme, la puissance de sa présence, les valeurs qu’elle convoie, et les besoins qu’elle pourvoie, est devenue un paradigme incontournable associé à différents secteurs, cultures et civilisations. Elle est au centre de l’univers de l’homme, voir même elle constitue son univers. Un univers bâti en perpétuelle mutation et à la recherche d’une inspiration porteuse d’identité. Qui réalise qui ? Cet univers réalisé par l’homme, et qui constitue son œuvre magistrale, émane de sa seule inspiration. Et comme le dit si bien Louis Kahn (Kahn, 1996) : « L’inspiration de l’homme est le commencement de son Œuvre », une œuvre qui est l’accomplissement d’une idée, qui devient modèle, et renvoie vers une Architectonique d’un monde. Une idée issue de la simple intuition et qui devient paradigme d’existence de philosophie et d’idéologie.
« Tout ce que nous désirons créer trouve son commencement dans la seule intuition. C’est vrai pour le savant, c’est vrai pour l’artiste. Mais s’en tenir à l’intuition loin de la pensée signifie ne rien faire »
De l’inspiration, à l’idée, à la réalisation de l’œuvre, l’architecte est-il encore le maître incontesté du phénomène de création, sachant que le maitre d’ouvrage intervient de plus en plus dans le processus de « production » de l’idée et de l’image en rapport avec l’œuvre ? La problématique est d’autant plus complexe que l’inspiration et la pensée ne sont plus l’exclusivité du seul maitre d’œuvre et se transforment en dialogue (éventuellement déséquilibré au profit du promoteur), mais l’architecte en est-il vraiment conscient ? Dans ce cas comment réagit son inconscient et combien sa pensée régit et structure réellement sa créativité ? A qui revient en définitive le mérite de la conception ? A qui appartient l’œuvre une fois achevée ?
« L’œuvre créatrice réussit à coordonner les résultats de l’indifférenciation inconsciente et de la différentiation consciente, révélant ainsi l’ordre caché de l’inconscient (…) Une fois les conflits inconscients résolus, c’est à l’action automatique du moi de sublimer en une œuvre créatrice utile, les pulsions inconscientes qui se sont révélées »
C’est la question de l’intentionnalité où se dessine déjà un regard sémiologique qui peut fournir le lien entre architecture et communication (nous y reviendrons) mais disons qu’à la façon dont Barthes l’a envisagé (les mythologies) ou que plus récemment les médiologues ont travaillé (Régis Debray vie et mort de l’image) nous envisageons que la présence de l’architecture nous prend à témoin. Pour en témoigner il est nécessaire d’accomplir un voyage à travers les manifestations de l’architecture (notre démarche empirique) sans doute moins orthodoxe qu’un cursus normé, qu’une méthodologie invariante. Nous plaçons donc ce mémoire sous le signe du voyage, d’un parcours, d’un cheminement à travers les images et le langage de l’architecture que nous rattachons par la sémiologie et la traduction des médiation à un rapport au monde, aux civilisations, au discours du temps, comme a pu le faire Barthes dans sa volonté de décryptage ainsi que des sémiologues (étude de la présence du cinéma au monde) ou d’autres médiologues qui ont tenté de traduire les techniques dans l’ordre du monde L’utilité de l’œuvre dont parle Anton Ehrenzweig (1974) dépend de sa présence consciente et inconsciente au sein du «moi » qui définit en fin de parcours l’action créative, l’idée émanant en partie des pulsions de l’inconscient ne nous décharge donc pas de l’effet ou du message qu’elle porte. Si l’effet est positif, l’architecte est valorisé par son œuvre. Mais si l’effet est négatif, l’œuvre peut être néfaste pour l’Homme, et c’est là où la problématique se pose, et la responsabilité de l’architecte envers la société est engagée. Même si l’œuvre créatrice est inutile ou inappropriée, même si elle n’est pas durable, elle peut être destructive pour son environnement naturel et humain. Et cette nuisance n’est souvent pas remédiable car le bâtiment une fois achevé, n’appartient plus ni au maitre d’œuvre ni au maitre d’ouvrage.
Présence : passé et avenir
Il est évident que l’évaluation des mutations dans le comportement, la communication, la présence physique et morale de l’architecture, se fait en concordance avec le développement socioculturel et sociopolitique, et va puiser ses sources à travers les temps. Comprendre l’architecture va de pair avec la lecture de l’évolution des peuples et des états. Mais il serait indécent de confiner cette architecture qui a accompagné l’histoire, dans le cadre étriqué du passé comme un témoin passif et dépassé. C’est d’un acteur engagé qu’il s’agit, associée à la construction des mondes et des croyances qui ont édifié l’histoire. Sans la Présence de l’architecture et son influence le courant des civilisations aurait pris une tournure différente. L’architecture contribue à faire le monde et à le défaire, elle ne s’arrête pas aux limites du présent mais trouve son inspiration dans les méandres de l’avenir et y propulse la société. Et comme le dit Louis I. Kahn (1996) « la première action de l’architecte est soit de retrouver le sens d’une croyance dominante, soit de trouver une nouvelle croyance qui soit en quelque sorte dans l’air » . Cette croyance c’est l’évolution dans le renouveau, la préparation en quelque sorte du terrain en vue d’être toujours prêts pour l’avenir. Notre rôle est d’unir le passé le présent et l’avenir dans une continuité édifiante et non destructrice, car une rupture à ce niveau peut être fatale. Une société qui n’accompagne pas le temps dans son évolution et ses révolutions, dépérit s’efface et disparaît. Toute architecture doit donc projeter le futur sinon le temps d’être réalisée elle est déjà dépassée et obsolète donc inutile. Mais dans quelle mesure devient-elle nocive ?
L’architecture, par cette nouvelle dimension, devient un facteur inéluctable de stabilité et de continuation du monde. Un convoyeur de l’avenir non seulement un miroir du passé. D’où l’explosion du phénomène mondialisé de l’architecture emblématique ou iconique et qui devient un paradigme essentiel de présence et de mutation. Ces nouveaux « temples de la modernité » qui émergent aux quatre coins de la planète deviennent les nouveaux lieux de culte vers lesquels convergent les « fidèles » du monde entier, mais leur présence se fait elle par et en fonction du lieu ou disent-elles « merde au contexte » ? Malheureusement, ces Architectures sont égocentristes, solitaires et indépendantes quoiqu’en pensent les architectes qui en tirent un orgueil nombriliste; les Œuvres tirent leur existence de leur seule présence, et pour reprendre l’expression de Rem Koolhaas (2011) : « on a peine à croire que la taille d’un bâtiment puisse à elle seule incarner un programme idéologique, indépendant de la volonté de ses architectes ».
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 – Architecture & « Communication »
1.1 Les sciences de la communication et l’Architecture
1.2 Architecture et approche sémiotique
1.3 Architecture : Idée, Image et message
1.3.1 Iconicité et symbolisme
1.3.2 Architecture et projection imagière
1.3.3 L’architecture en tant que support de communication
1.3.4 L’Architecture submergée par une juxtaposition et superposition d’images et de messages
1.3.5 Dialogue à travers les messages portés par des bâtiments interposés.
1.4 Une usurpation partielle ou totale de l’architecture par la « com.»
1.5 L’architecture en tant que symbole iconique d’une institution
Synthèse
Chapitre 2 : L’Architecture un médiateur signifiant : entre matérialité & virtualité, spatialité & temporalité
2.1 Présence de l’architecture, entre matérialité, culture imagière, & idéalité formelle
2.2 Présence par l’aspect ou le contenant
2.2.1 Approche méthodologique, un corpus objectivement subjectivé
2 .2.2. Une approche méthodologique au service du regard sur l’architecture communicante
2.2.3. L’enveloppe ou la « peau »
I. Superposition d’une peau novatrice à un bâtiment ancien dans le but de le métamorphoser et le remettre en scène
II. La présence par une superposition d’enveloppes conceptuelles répondant au besoin d’adjonction de fonctions nouvelles
III. Association d’une image ancienne avec une nouvelle architecture: la présence par une idée nouvelle qui engage l’iconicité de l’ancien pour communiquer une impression d’authenticité et de continuité
IV. La présence par une idée nouvelle qui se base sur une association d’images confondues entre ancien et nouveau qui parodie l’ancien dans le but de communiquer un ancrage dans la continuité.
V. La présence par une idée nouvelle, une peau conceptuelle, communicative d’une image qui ancre le conteneur dans la contemporanéité, et reflète la fonction ou le contenu par association d’idées et de matériaux novateurs
VI. Une peau unique qui raconte le contenu
VII. La présence par une peau conceptuelle qui pastiche l’ancien et communique une image d’authenticité rapportée. Comme un masque qui cache la vraie identité du porteur
VIII. Les peaux temporaires simulatrices ou informatives qui communiquent une image propre. Il s’agit dans ce cas de l’architecture qui parle d’elle-même
2.3 Juxtaposition des idées et des images : un facteur de construction et d’évolution des villes
Synthèse
Chapitre 3 : Architecture énonciatrice d’une société plurielle en gestation
3.1 Rang, Position, Niveau, une communication d’histoires et de narrations différentes
3.1.1. La reconstruction de Beyrouth une « mise à niveau » au détriment du mémoriel
3.1.2. « Architecturalement correct » et ségrégation sociale
3.1.3 « Solidere » un centre-ville en marge des citoyens
3.1.4 Architecture nouvelle, Cohabitation culturelle & culture cultivée
3.2 La course à l’impression : l’illusion, la Simulation, le Fantastique
3.3 Présence par le « Bigness » ou gigantisme
3.4 Présence des villes globales par l’architecture
Synthèse
Conclusion Générale
Bibliographie
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