L’architecture tridimensionnelle du noyau
Les chromosomes ont été découverts il y a plus d’un siècle lorsque Flemming observa, juste avant la division cellulaire, la formation de corps marqués par un colorant de l’ADN (Flemming (1965)). Au début du 20ème siècle, l’observation de chromosomes mitotiques de plantes a conduit Heitz à définir deux types de chromatine (Heitz (1928)) : l’hétérochromatine et l’euchromatine. Le premier se distingue du second par une coloration au carmin acétique plus forte, et par le fait qu’il reste condensé après la mitose. Dans les décennies suivantes, le principe dualiste d’euchromatine et d’hétérochromatine n’a plus été suffisant pour rendre compte des propriétés dynamiques de la chromatine. Une définition structurale est donc proposée, définissant la chromatine comme “un état plutôt qu’une substance” . Le terme hétérochromatine facultative est introduit pour désigner les régions d’hétérochromatine potentiellement capables de devenir des régions d’euchromatine (Brown (1966)), tandis que le terme hétérochromatine constitutive désigne l’hétérochromatine qui ne change pas d’état. Les termes euchromatine, hétérochromatine facultative et hétérochromatine constitutive sont encore utilisés aujourd’hui, mais leur caractérisation a été précisée par la découverte de la structure moléculaire de la chromatine.
Au cours du 20ème siècle, l’attention s’est tournée vers l’ADN qui fut identifié comme support de l’information génétique. Cette découverte a conduit à l’idée que les organismes sont déterminés par leur génome, et donc qu’un décodage de l’information génétique permettrait à lui seul de comprendre le fonctionnement d’un organisme. Cependant, l’étude de l’expression de l’ADN dans les cellules et organismes a montré que l’expression n’est pas uniquement déterminée par le génome : l’information contenue dans la séquence primaire est souvent modulée. L’identification de mécanismes dit épigénétiques a permis de comprendre comment des modifications chimiques réversibles de la chromatine pouvaient moduler l’expression des gènes, sans modification de la séquence d’ADN. Depuis la fin du 20ème siècle, le développement des techniques de microscopie et de techniques moléculaires pour l’étude de l’organisation spatiale du génome dans le noyau, a permis de mettre en évidence l’implication de la topologie du génome dans la modulation de l’expression des gènes. La compréhension du fonctionnement des génomes nécessite donc de connaître leur séquence, mais également leur organisation structurelle dans le noyau des cellules.
Différents niveaux hiérarchiques d’organisation de la chromatine
La chromatine correspond à l’association de l’ADN, de protéines et de molécules d’ARN. Cette organisation permet la compaction d’un polymère d’ADN d’environ deux mètres, dans un espace nucléaire dont les dimensions ne dépassent pas quelques micromètres dans le cas de l’homme.
Le nucléofilament
A l’échelle de la dizaine de paires de bases (pb), la chromatine peut être décrite comme un filament d’ADN enroulé autour de protéines, les histones, structure parfois appelée collier de perles, fibre de 10 nm ou nucléofilament. A cette échelle sont encodées des informations qui vont influencer entre-autres l’état de compaction de la chromatine aux échelles supérieures. Le support moléculaire de cette information est multiple ; il se trouve à la fois dans la composition des nucléosomes, les histones canoniques pouvant être substituées par des variants, dans les modifications post-traductionnelles des histones mais aussi dans la méthylation de l’ADN. Ces marques sont souvent qualifiées d’épigénétiques . Les différentes marques sont associées à des voies de régulation de l’expression des gènes qui coopèrent entre elles.
Le Nucléosome. La molécule d’ADN s’enroule autour d’un octamère d’histones comprenant deux dimères d’histones H3-H4 et H2A-H2B. Cette structure d’un diamètre de 10 nm et d’une hauteur de 5.5 nm est appelée nucléosome (Olins et Olins (1974)) et constitue l’unité fondamentale de la chromatine. Le fragment d’ADN contenu dans un nucléosome a une longueur d’environ 146 pb et s’enroule en faisant 1,65 tours orientés à gauche (pour revue : Olins et Olins (2003)). La structure du nucléosome a pu être caractérisée de manière très précise par cristallographie aux rayons X (Luger et al. (1997)) (voir Fig. A.2). Le nucléosome constitue le premier niveau de compaction de l’ADN : les 146 pb enroulées autour de l’octamère d’histones sont six fois plus compactes qu’un fragment d’ADN nu de même longueur (Olins et Olins (2003)). Les nucléosomes sont séparés les uns des autres par un segment d’ADN de liaison de longueur variant entre 10 et 80 pb. L’histone de liaison H1 s’associe à un fragment de l’ADN de liaison de taille variable, en général de 20 pb, fixant ainsi deux tours d’ADN en interagissant avec la surface de l’octamère d’histones, et formant une particule nommée chromatosome. Contrairement à ce qui est observé dans le cas des histones H2, H3, et H4, l’invalidation de l’histone H1 n’est pas létale, mais induit une altération globale de la structure de la chromatine, suggérant un important rôle de H1 en tant que composant structural (voir pour revue: Khochbin (2001)).
Les variants d’histones. Les classes d’histones H2A, H2B et H3 comprennent plusieurs sous-types appelés variants d’histones, et retrouvés dans des contextes chromatiniens particuliers. A titre d’exemple, le variant d’histone CenpA remplace l’histone H3 au niveau des centromères des chromosomes et joue un rôle essentiel dans l’assemblage du kinétochore au cours de la mitose ; ce variant sera décrit plus en détails au §A.2.2. L’un des variants d’histones les plus étudiés est sans doute H2A.X dont la forme phosphorylée sur la sérine 139 (γ-H2A.X) est trouvée spécifiquement aux sites de cassures double-brin de l’ADN et permet la reconnaissance et la réparation de ces dommages (voir pour revue : Sarma et Reinberg (2005)).
Les modifications post-traductionnelles d’histones. Les extrémités (ou queues) N-terminales des histones sortent nettement de la structure du nucléosome et sont sujettes à de nombreuses modifications post-traductionnelles (Fig. A.3). Les conséquences fonctionnelles de ces modifications dépendent du type de groupement chimique apposé (méthyle, acétyle, phosphate, ubiquitine, glycosyle, sumo, etc.) ainsi que du type de résidu ciblé (lysine K, arginine R, sérine S …) et de sa position le long de la queue N-terminale. La diversité des groupements et des résidus qui peuvent être ciblés donne lieu à une combinatoire potentiellement très riche. Ces modifications influent, d’une part, sur l’interaction entre l’ADN et les histones et par conséquent sur la compaction de la fibre de chromatine ; et d’autre part, sur l’interaction de l’ADN avec les autres protéines associées à la chromatine. Ainsi, elles agissent sur les fonctions liées au génome, telles que la transcription ou la réparation. Les deux modifications les plus étudiées, l’acétylation et la méthylation sont détaillées ici.
L’acétylation. L’acétylation des lysines est généralement associé à un état chromatinien décompacté et permissif pour la transcription (Hebbes et al. (1988)). La neutralisation de la charge positive du groupement NH+ 3 permet de relâcher l’interaction ADN-histone et induit la décompaction de la chromatine. L’acétylation des lysine résulte d’un équilibre entre deux activités antagonistes : l’activité histoneacétyltransférase (HAT) et l’activité histone-désacétylase (HDAC). L’acétylation est reconnue par des protéines à bromo-domaine.
La méthylation. La méthylation des histones est plus complexe ; elle dépend du type de résidu (K ou R), de la position de celui-ci (K4, K9, K20…) et du nombre de méthyles (de 1 à 3) apposés par les HMTs (Histone Méthyl-transférases) (pour revue: Campos et Reinberg (2009)). Les marques H3K27me, H3K9me, H3K4me1/2/3 , H3K36me3 et H4K20me sont associées à la transcription (Barski et al. (2007)). Par ailleurs, il existe deux marques principales associées à des états chromatiniens compacts et transcriptionnellement silencieux. Elles sont régulées par deux voies de répression (pour revue : Beisel et Paro (2011)).
– La di/tri-méthylation de la lysine 9 de l’histone H3 (H3K9me2/3 ) est reconnue par la protéine à chromo-domaine HP1 (Heterochromatin Protein 1) qui recrute les enzymes apposant cette modification, incluant par exemple G9a/GLP, SETDB1 et Suv39h1, et permet la propagation de la structure.
– La marque H3K27me3 est apposée par les protéines du groupe Polycomb (PcG) qui forment deux complexes principaux, les complexes répressifs polycomb 1 (PRC1) et 2 (PRC2). Cette marque est associée à la mise en silence de nombreux gènes du développement et de la différenciation.
Le code histone. La caractérisation systématique des modifications d’histone a conduit à proposer l’existence d’un code histone qui associerait chaque modification à un état transcriptionnel donné (Jenuwein et Allis (2001)). Cependant, ce code reste très controversé ; bien que certaines modifications soient souvent associées à un état transcriptionnel précis, il existe de nombreuses exceptions et beaucoup ont un rôle non élucidé. Il semble par ailleurs que l’effet dû à la combinaison de plusieurs marques sur des domaines chromatiniens soit plus important que celui de marques isolées, ce qui complexifie l’étude des conséquences de ces modifications individuelles.
La méthylation de l’ADN. Chez les vertébrés, la méthylation de l’ADN a lieu quasi exclusivement sur le carbone 5 des cytosines (C) qui précède une guanine (G), on parle alors de dinucléotides CpG, et la cytosine méthylée est désignée par 5-méthyl-cytosine (5mC). Durant la réplication, la méthyl-transférase d’ADN 1 (DNMT1) propage le profil de méthylation sur le brin néo-synthétisé. La méthylation de l’ADN est généralement associée à la répression transcriptionnelle, agissant par encombrement stérique du grand sillon de l’hélice d’ADN et inhibant le recrutement des facteurs de transcription (Watt et Molloy (1988)). Il a en effet été montré que certains facteurs de transcription se lient sélectivement aux CpG non méthylés (Voo et al. (2000)). L’activité répressive de la méthylation peut aussi être indirecte, en coopération avec d’autres voies de répression transcriptionnelle (voir plus bas). Les sites CpG ne sont pas distribués aléatoirement le long du génome, mais sont concentrés au niveau de régions génomiques de plus de 500 pb que l’on nomme îlots CpG et qui se localisent notamment au niveau de la région 5’ de 60% des gènes (Antequera et Bird (1993)). Au sein des îlots CpG, les dinucléotides CpG sont généralement déméthylés, et l’état de méthylation corrèle avec l’activité du gène en aval . La méthylation de l’ADN est notamment impliquée dans la régulation de gènes associés à la pluripotence, la différenciation, de gènes soumis à l’empreinte parentale ainsi que dans la mise en silence des gènes sur le chromosome X inactif (Mohn et al. (2008)).
Coopération entre les voies de répression. La méthylation de l’ADN semble agir en synergie avec d’autres voies de répression transcriptionnelle, via le recrutement de protéines qui se lient à la 5mC (MeCP2, MBD1-4) et qui interagissent avec des HDACs et des HMTs (Sasai et Defossez (2009)). Par exemple, la protéine MeCP2 reconnaît la 5mC et interagit avec les modificateurs chromatiniens HDAC1, HDAC2 et Suv39h1 ainsi que la protéine HP1 (Agarwal et al. (2007), Sasai et Defossez (2009)). Ceci suggère que l’information codée par la méthylation de l’ADN est lue par des protéines se liant à la 5mC, et traduite par des modifications chromatiniennes qui permettent de consolider l’état chromatinien répressif.
Par ailleurs, des états chromatiniens répressifs peuvent être stabilisés par la méthylation pour établir une répression transcriptionnelle plus stable de gènes spécifiques. Lorsque les cellules s’engagent dans une voie de différenciation, le système PcG semble coopérer avec la méthylation de l’ADN : en effet, il a été montré que les promoteurs qui présentent la marque H3K27me3 (associée aux protéines CpG) sont plus fréquemment méthylés de novo que les autres promoteurs. De plus les DNMT interagissent avec PRC2 pour être recrutées au niveau des sites de répression polycomb (Viré et al. (2006)). Cela suggère que les gènes réprimés par le système polycomb au cours du développement sont prédisposés à être méthylés de novo. La méthylation de l’ADN étant une marque épigénétique stable (bien que réversible), elle pourrait donc jouer un rôle de verrou transcriptionnel.
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Table des matières
A Introduction
A.1 L’architecture tridimensionnelle du noyau
A.1.1 Différents niveaux hiérarchiques d’organisation de la chromatine
A.1.2 La compartimentation nucléaire
A.1.3 Positionnement nucléaire du génome
A.1.4 Dynamique de l’architecture nucléaire
A.1.5 Modélisation de l’architecture nucléaire
A.2 Structure et fonction des régions centromériques
A.2.1 Généralités sur les régions centromériques
A.2.2 Structure chromatinienne des régions centromériques
A.2.3 Séquences d’ADN centromérique humaines
A.2.4 Lien entre structure et fonction
A.3 Organisation nucléaire des régions centromériques
A.3.1 Positionnement nucléaire des régions centromériques
A.3.2 Associations de régions centromériques
A.3.3 Mécanismes moléculaires impliqués dans l’organisation nucléaire des régions centromériques
A.4 Méthodes d’études de l’architecture nucléaire
A.4.1 Approches expérimentales
A.4.2 Déterminisme dans l’organisation spatiale
A.4.3 Analyse spatiale des signaux de microscopie
A.5 Projet de thèse
B Matériels et Méthodes
B.1 Culture Cellulaire
B.2 Marquages in situ
B.2.1 Préparation des échantillons
B.2.2 Immuno-FISH
B.3 Acquisition des images
B.4 Analyse statistique
B.4.1 Test statistique
B.4.2 Distributions cumulatives
C Résultats
C.1 Développement d’outils pour l’analyse d’image quantitative
C.1.1 TANGO : un outil générique pour l’analyse d’image 3D hautdébit
C.1.2 Procédures de segmentations
C.1.3 Mesures
C.1.4 Analyse quantitative du cycle cellulaire
C.1.5 Analyse du signal Ki67
C.1.6 Discussion et conclusion
C.2 Positionnement des régions centromériques humaines
C.2.1 Introduction
C.2.2 Résultats
C.2.3 Discussion
C.2.4 Matériel supplémentaire
C.3 Agrégations des régions centromériques humaines
C.3.1 Résultats
C.3.2 Discussion
D Discussion et Conclusion
D.1 Méthodologie d’étude de l’organisation nucléaire
D.1.1 Sources de variabilité inter-cellulaire
D.1.2 Portée des analyses
D.2 Organisation nucléaire des régions centromériques humaines
D.2.1 Liens entre positionnement et agrégation
D.2.2 Dynamique de l’organisation spatiale des régions centromériques
D.3 Conclusion
E Annexes
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