Origine du terme « gothique »
Le qualificatif « gothique » a été employé dès le milieu du XVe siècle par le philologue italien Lorenzo Valla pour désigner l’écriture du Moyen Âge. L’adjectif a été repris quelques années plus tard, au début du XVIe siècle, par l’artiste italien Raphaël, alors préfet des antiquités de Rome, dans une lettre adressée au pape Léon X, pour qualifier non plus l’écriture mais une forme d’art venue du Nord et caractérisée par l’emploi d’arcs en ogive, élément architectural qui rappelait les cabanes dans lesquelles vivaient les premiers habitants des forêts germaniques.
Pour les Humanistes de l’époque qui redécouvraient les monuments de l’Antiquité et célébraient leur sens des proportions et leur esthétique empreinte de mesure, toute œuvre antérieure à la Renaissance et non italienne d’origine ne pouvait être que barbare. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que l’architecture née au Nord de l’Italie ait été dévalorisée et assimilée à celle des Goths, connus pour avoir attaqué l’Empire romain d’Occident à l’époque des grandes invasions barbares.
C’est Giorgio Vasari, peintre, architecte* et écrivain italien très apprécié à son époque (il a été employé par la famille Médicis) qui a popularisé le terme « gothique », dans un recueil publié en 1550 et considéré aujourd’hui comme un des textes fondateurs de l’histoire de l’art, Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (titre original italien : Le Vite de’ più eccellenti pittori, scultori e architettori) : «Apparurent alors de nouveaux architectes qui, venus de leurs nations barbares, mirent à la mode le genre d’édifices que nous nommons aujourd’hui gothiques.»
Au vu de l’autorité de son auteur, on comprend mieux pourquoi le terme a perduré pendant de longues décennies avec une connotation clairement péjorative.
Le gothique : une « architecture plurielle »
Sous un terme unique se cache en fait une « architecture plurielle », pour reprendre l’expression employée par Philippe Araguas. On trouve en effet plusieurs styles gothiques qui se développent au fil des siècles et donnent lieu à des réalisations régionales très diverses.
La majorité des spécialistes s’accordent pour reconnaître l’existence de quatre grandes périodes, comprises entre le XIIe siècle et le XVIe siècle :
Le protogothique ou gothique primitif (1130-1190) marqué par la reprise et l’amélioration des éléments techniques romans (Saint-Denis, Saint-Germer de Fly, Saint-Germain-des-Prés, Saint-Martin-des-Champs, Laon, Noyon, Senlis, Sens, Soissons et Notre-Dame de Paris) ;
Le gothique classique (1190-1250) : âge d’or caractérisé par la maîtrise des éléments techniques, la pureté des formes et l’équilibre des masses (Chartres, Bourges, Reims, Amiens, Sainte-Chapelle à Paris) ; Le gothique rayonnant (1250-1380) : période dont le nom a pour origine la présence de roses ornées de vitraux qui témoignent du rôle prépondérant dévolu à la lumière (Metz, Strasbourg, Troyes) ;
Le gothique flamboyant (1380-1540) : appelée aussi gothique tardif ou baroque, cette période, considérée par certains historiens comme décadente, se caractérise par une richesse décorative qui recouvre progressivement la pureté des lignes architecturales – comme les éléments d’ornementation en forme de flammes visibles au-dessus des fenêtres (Saint-Séverin à Paris ou Saint-Nicolas-de-Port).
S’il naît en Île-de-France et dans l’Oise, le style français va progressivement s’implanter dans toutes les régions de l’Hexagone. Les éléments nouveaux se marient avec les traditions locales et donnent lieu à une variante régionale : on parle ainsi de gothique angevin, bourguignon, etc.
Facteurs qui ont rendu possibles la mise en œuvre du gothique primitif
Même si la documentation fait défaut ou reste peu exploitée, les historiens ont malgré tout réussi à déterminer le rôle de chacun dans la conception d’une cathédrale gothique. Grâce aux manuscrits conservés, il est désormais possible d’établir une hiérarchie entre les différents maillons humains de la chaîne.
Des hommes déterminés et compétents
En haut de la pyramide se trouve le commanditaire (un évêque le plus souvent, mais tous les commanditaires ne sont pas des représentants religieux : il y a également des laïcs), puis le maître d’ouvrage qui est chargé de réunir les conditions matérielles pour mettre en œuvre le projet et en superviser la réalisation. Il arrive parfois que commanditaires et maîtres d’ouvrage soient une seule et même personne, comme ce fut le cas à Saint-Denis. Alain Erlande-Brandenburg précise en quoi consiste le rôle du maître d’ouvrage au XIIe siècle : « Il [lui] revenait le soin d’imaginer le nouvel édifice, d’en élaborer le programme, de choisir le maître d’œuvre à qui il le soumettait en en précisant les détails, de concevoir le montage financier à la hauteur de l’ambition du projet, d’en suivre l’évolution, d’intervenir en tant que de besoin, d’assister à la réception finale. »
Les maîtres d’ouvrage ont pleinement conscience des responsabilités qui leur incombent dans la mesure où ils s’attèlent à un projet de rénovation ou de construction d’édifices religieux porteurs d’un message divin et censés s’inscrire durablement dans le temps. Et même s’ils n’ont pas nécessairement toutes les compétences requises, ils font preuve de pragmatisme en s’allouant les services de maîtres d’œuvre consciencieux.
Le maître d’œuvre a pour mission d’engager les ouvriers qui vont travailler sur le chantier, et de choisir les matériaux qui vont être utilisés. La relation entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre s’avère déterminante : seul responsable des travaux, le maître d’œuvre a la lourde tâche de mettre en forme le projet qui a germé dans l’esprit du maître d’ouvrage.
Des matériaux de qualité
La construction d’un édifice pérenne passe d’abord par une sélection rigoureuse des matériaux utilisés sur le chantier, en l’occurrence la pierre, le bois et le métal. Or les bâtisseurs de cathédrales sont confrontés à un dilemme : ils doivent choisir des matériaux de qualité, certes, mais également minimiser les coûts, en exploitant les ressources situées dans les environs immédiats ou en rationalisant le transport.
La naissance de l’architecture gothique dans l’Île-de-France s’explique par la présence de nombreuses carrières de pierre dans la région. Toutefois, pour éviter toute pénurie, il est usuel à l’époque d’acheter les droits d’exploitation d’une carrière pendant la durée des travaux, voire de devenir propriétaire de la carrière (comme ce fut le cas pour la construction de la cathédrale de Laon). Pour rentabiliser l’exploitation, les constructeurs ont l’idée de faire dégrossir les blocs ou de les faire tailler sur place grâce à des modèles ou gabarits en bois. Les pierres sont taillées en fonction des besoins en petit, moyen ou grand appareil, suivant leur grandeur (petit : moins de 20 cm ; moyen : entre 20 et 35 cm ; grand : plus de 35 cm). La fabrication en série de certains éléments (claveaux, moulures, etc.) se développe également. Par ailleurs, il ne faut pas négliger le fait qu’une cathédrale gothique nécessite beaucoup moins de pierres qu’une église romane. En effet, l’architecture gothique faisant la part belle à l’espace et aux ouvertures (évidement des murs*, amincissement des voûtes et des colonnes, percement de grandes baies vitrées, etc.), le volume de pierres de taille utilisé est bien moindre. Tous ces facteurs, auquel s’ajoute le recours au transport par voie fluviale (solution moins onéreuse que le transport terrestre), expliquent la multiplication des chantiers de construction dans la seconde moitié du XIIe siècle.
L’esthétique du gothique primitif : une conception et une configuration nouvelles de l’espace
Un dégagement progressif de la « gangue » romane
Au départ, le terme « gothique » désigne l’ensemble de la production médiévale, le terme «roman» n’apparaissant qu’au XIXe siècle : dès lors, rien d’étonnant à ce que les deux styles aient été confondus pendant longtemps, d’autant plus que le gothique primitif a pris forme sur des éléments romans. Les premières églises dites «gothiques» s’inscrivent ainsi dans un processus de continuité: elles symbolisent une évolution plus qu’une révolution ou une rupture avec l’époque précédente.
Cependant, et ce, pour des raisons évidentes de distinction et de classification, il est courant d’opposer les deux styles par l’emploi d’éléments architecturaux caractéristiques : l’arc en plein cintre ou la voûte en berceau, d’une part, et l’arc brisé et la croisée d’ogives, d’autre part. Or, cette opposition souvent utile mais simpliste et erronée masque une réalité plus complexe dont témoigne l’impossibilité de dater précisément l’apparition du mouvement gothique qui se développe au sein de la tradition romane avant de s’émanciper progressivement et de s’élancer, seul, sur la voie de la transcendance.
C’est ce qu’illustre l’adoption du plan basilical : ce type de plan, apparu à l’époque romaine et caractérisé par un long rectangle terminé par une abside hémisphérique, s’est généralisé dans l’architecture paléochrétienne avant d’être repris par les maîtres d’œuvre romans et gothiques.
Le plan d’une église gothique diffère donc peu de celui d’une église romane : il présente une nef centrale unique, flanquée de collatéraux*, et un transept plus ou moins saillant (lorsque les bras du transept sont nettement marqués, on ne parle plus de plan basilical mais de plan en croix latine). Pour autant, le gothique se distingue du roman par une volonté manifeste de grandeur : les édifices qui apparaissent au XIIe siècle sont des constructions monumentales ;
elles occupent une plus grande surface au sol et s’élèvent plus haut dans le ciel. L’émulation entre cités rivales n’explique pas tout : la foi chrétienne en plein renouveau a besoin de s’affermir et de s’affirmer dans des écrins de pierre bâtis pour l’éternité.
Une théologie de la lumière
La transition entre le roman et le gothique s’opère essentiellement dans l’effacement des fonctions utilitaires de portance* au profit de l’affirmation d’une esthétique de la lumière. Tous les éléments architecturaux que l’on a évoqués précédemment convergent vers ce point.
Si les églises romanes, de par leur forme basse et trapue, étaient peu enclines à laisser entrer la lumière extérieure, la cathédrale gothique s’évide pour faire place à la manifestation de la présence divine. Le passage de « l’église-ténèbres » à « l’église-lumière », pour reprendre les termes du critique d’art belge Camille Lemonnier, se traduit par l’amincissement progressif des murs. L’espace ainsi libéré laisse place à de larges baies, de hautes fenêtres surmontées d’oculi, et de grandes verrières. Car les percements ne se résument plus à une simple ouverture dans un mur : ils occupent graduellement tout l’espace disponible, se parent de trumeaux, puis de colonnettes, de tores ou de linteaux. Leur présence ainsi matérialisée, soulignée, encadrée, met l’accent non plus sur l’épaisseur et la solidité du mur mais sur sa disparition. D’où une impression de légèreté et de transparence.
La lumière peut désormais traverser de part en part l’espace sacré. Ce n’est pas une lumière transparente mais colorée qui s’échappe des verrières ornées de vitraux. Apparue dès l’Antiquité, la technique du vitrail s’est considérablement améliorée au Moyen Âge grâce à l’utilisation de baguettes de plomb, matériau beaucoup plus malléable que le plâtre ou le stuc utilisés précédemment. Si le choix du vitrail peut s’avérer paradoxal dans la mesure où il réduit la luminosité, contrairement au verre transparent*, il s’inscrit parfaitement dans la pensée théologique du gothique primitif : loin de distraire l’âme des fidèles, les couleurs vives doivent susciter l’émerveillement, l’arrachement du monde inférieur vers le monde supérieur. Ce mouvement ascensionnel est d’ailleurs favorisé par la disposition en hauteur des vitraux, que ce soit sur la façade (au-dessus du portail central), dans la nef ou le chœur.
|
Table des matières
I. EXPOSÉ
INTRODUCTION
Chapitre 1. Contexte ayant présidé à l’émergence du gothique primitif
Chapitre 2. Facteurs qui ont rendu possibles la mise en œuvre du gothique primitif
Chapitre 3. L’esthétique du gothique primitif : une conception et une configuration nouvelles de l’espace
CONCLUSION
II. TEXTE SUPPORT ET TRADUCTION
Notes et références bibliographiques apparaissant dans la traduction
III. STRATÉGIE DE TRADUCTION
A. Présentation du texte support
B. Choix du texte support
C. Difficultés de traduction : généralités
D. Extraits commentés du texte support et de la traduction
E. Conclusion
IV. ANALYSE TERMINOLOGIQUE
A. Fiches terminologiques
B. Glossaire français-anglais
C. Lexiques
1. Lexique anglais-français
2. Lexique français-anglais
V. BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE SÉLECTIVE
A. Sources de langue anglaise
B. Sources de langue française
C. Sources bilingues
VI. INDEX
VII. ANNEXE
Télécharger le rapport complet