Les textes officiels
L’archéologie s’oriente vers l’étude des « traces » qui implique une confrontation à des documents authentiques et contribue à la spécificité du cours de LCA, comme le précise le BO n°11 du 17 mars 2016 : La connaissance que les élèves acquièrent de l’Antiquité se fonde, d’abord, sur l’étude des textes d’auteurs, que l’on fait lire en latin et en grec, mais également, de manière cursive, en traduction, ainsi que sur celle des œuvres d’art et des vestiges archéologiques. Elle se nourrit aussi des œuvres que l’Antiquité a inspirées au fil du temps. La connaissance du monde antique dépasse en effet largement le support textuel pour se nourrir de sources artistiques et archéologiques. La dimension culturelle est donc saillante, si bien que le cours de LCA dépasse largement l’étude de la langue.
La réflexion théorique
Or, la particularité des documents archéologiques de nature numismatique et épigraphique consiste à intégrer le texte dans un support qui se présente à nous sous une forme iconographique. Celle-ci se doit alors d’être interprétée en prenant en compte la distance qui sépare le regard du XXIe siècle de celui de la société romaine de l’Antiquité. À ce propos, l’ouvrage de M. Joly, L’image et les signes : Approche sémiologique de l’image fixe2 propose des réflexions intéressantes sur la posture du spectateur face à un document iconographique, ainsi que sur les prérequis et leviers de l’interprétation. En invitant à « relativiser [notre] champ de vision » (p. 7), l’autrice réfute notamment l’idée d’une lecture passive de l’image : L’image […] est outil de communication, signe, parmi tant d’autres, « exprimant des idées » par un processus dynamique d’induction et d’interprétation. […] Elle se caractérise par son mécanisme (l’analogie avec le représenté et ses différents aspects) plus que par sa matérialité. (p. 36) En mettant en avant l’activité induite par la lecture d’image, elle en met au jour tous les mécanismes implicites socio-culturels. Or, ceux-ci se doivent d’être explicités dans le cas de l’archéologie pour rendre compréhensibles et accessibles les procédés d’une communication dont on ne partage plus les codes. En ce qui nous concerne, il s’agit de familiariser les élèves avec les systèmes de l’Antiquité. Le programme de 3e est particulièrement propice à une réflexion sur la propagande de l’empire romain naissant et sur la diffusion de l’idéologie impériale qui s’effectuent à travers une iconographie très codifiée. C’est pourquoi la dimension visuelle n’implique pas une facilité d’interprétation : il s’agit de reconstituer autant que possible le regard des Anciens pour donner du sens aux éléments.
Le décloisonnement spatial
Malgré tout l’intérêt des sorties pédagogiques, celles-ci demandent une organisation particulière, souvent lourde, et ne peuvent que rester ponctuelle. Notons que le groupe de latinistes de 3e a pris part, pour une majorité, à un voyage à Rome avant les vacances de la Toussaint : les allusions à la ville éternelle et à ses monuments retiennent donc toute leur attention car ils savent y être allés et parfois se rappellent des sites visités. Ce n’est en revanche pas le cas du groupe de 4e. Un long chapitre a ainsi été conçu pour leur donner une vue d’ensemble de la vie quotidienne à Rome. Les élèves ont ainsi pu se projeter dans les rues avec un texte de Juvénal, se faire une idée des différents métiers avec un texte de Cicéron, et avoir un aperçu des fréquentations du forum avec un texte de Plaute. En parallèle des sources textuelles, les élèves ont étudié la topographie de la Rome antique à travers la préparation d’exposés sur les bâtiments de la Rome antique. Pour ce faire, ils ont navigué sur le site de l’Académie de Caen Normandie qui propose une reconstitution de la maquette de Rome au IVe siècle de notre ère par Paul Bigot. Cette ressource est très précieuse en ce qu’elle permet de naviguer à travers la ville et d’osciller entre le plan général et des pages sur des bâtiments spécifiques. Ainsi, une première partie de la séance a été consacrée à la réponse à un questionnaire visant à faire naviguer les élèves sur le plan pour qu’ils s’en approprient le fonctionnement. La seconde concernait la recherche plus approfondie d’un groupe de monuments que les binômes devraient ensuite présenter aux autres. À l’issue de chaque exposé, des images ont été accrochées au fond de la salle pour reconstituer un plan légendé de Rome10. Ils se sont ainsi construit des repères spatiaux et temporels. Le site a permis, avec la visite virtuelle de Rome, une sorte de voyage dans la classe. Les élèves peuvent se faire une représentation plus précise de Rome, même si une véritable familiarité ne se gagnerait qu’avec davantage de temps. Ainsi, l’archéologie offre bien une porte d’accès privilégiée au monde antique. La sortie sur le terrain est une expérience irremplaçable, mais qui ne peut être régulière. En revanche, les ressources numériques offrent des ressources iconographiques de qualité pouvant pallier l’éloignement spatial et temporel. L’archéologie est aussi le moyen d’interroger notre rapport à l’Antiquité : quelle image avons-nous préservée de l’Antiquité ? Comment reconstituer ? Comment conserver ? Le cours de LCA se trouve ainsi décloisonné.
Les ouvrages théoriques : langue et lecture, langue et culture
Les deux ouvrages de didactique des langues anciennes que nous avons lus placent au cœur de leurs préoccupations la question de la lecture. Le premier, Enseigner les langues anciennes20, de M. Ko, est en quelque sorte le pionnier en la matière. Même si, du fait de sa relative ancienneté, il commence à être en décalage par rapport aux nouvelles conditions d’exercice, il témoigne d’une recherche active dans la diversification des activités de lecture proposées aux élèves, selon le principe fondamental que tout doit être conditionné par la recherche du sens. Or, l’archéologie peut être un moyen de donner du sens au texte. En effet, lorsque des élèves se trouvent confrontés à une inscription sur un bâtiment inconnu, ils ont envie de la déchiffrer pour comprendre le bâtiment : la langue devient un outil incontournable pour construire du sens. À la suite de M. Ko, D. Jottreau-Augé revient sur cette question dans Refonder l’enseignement des langues anciennes : le défi de la lecture21 . Elle déplore notamment les méthodes jugées conservatrices du cours du LCA qui, en retard par rapport à d’autres matières, repose pour une large part sur la mémorisation si bien qu’ y sont davantage contrôlés des savoirs que des savoirs-faire. Elle ajoute à ce propos : Si l’on considère en effet que l’on doit nommer compétence en latin ou en grec l’aptitude qui consiste à utiliser certaines opérations ou groupements d’action combinés entre elles et exécutées en pensée, on doit considérer de la même façon que ce qui doit être développé c’est ce qui favorise l’acquisition de ces mêmes opérations. (p. 47) Or, comme nous verrons, l’archéologie est un moyen d’y remédier en mettant en œuvre des compétences. Elle insiste en outre sur l’exploitation des signes extratextuels qui fournissent autant d’indices à l’interprétation. Or, ces signes extratextuels abondent dans le cas d’un document archéologique où le texte est indissociable de son support, c’est-à-dire de son environnement matériel.
Conclusion
Nous nous demandions au début de cette étude si l’archéologie pouvait s’articuler avec les savoirs fondamentaux des programmes de LCA. Il semble bien, en somme, que l’approche des LCA à travers l’étude de documents archéologiques trouve sa place dans le cadre scolaire. Les différentes expérimentations menées dans nos deux groupes de latinistes nous ont de fait assuré d’un certain nombre de points. Tout d’abord, il est indéniable que cette approche, à travers ses supports alternatifs, réussissent une captatio beneuolentiae auprès des élèves, intrigués de travailler de façon approfondie sur ce genre de documents, mais aussi stimulés par la démarche d’enquête qui en découle. Ils doivent en effet décrypter un certain nombre de signes avant de pouvoir interpréter le vestige selon des étapes clairement définies et d’un degré de complexité très variable. Toutefois, un travail approfondi ainsi qu’une « conscientisation » des savoirs mis en jeu paraissent nécessaire pour éviter que ces supports originaux ne soient perçus comme simplement illustratifs et anecdotiques : la verbalisation est donc essentielle pour faire comprendre et prendre conscience des savoirs mis en jeu dans le déchiffrement de ces documents qui ne sont pas de simples compléments au reste du cours. À cet égard, les Res Gestae Divi Augusti, le trophée de la Turbie et le clipeus virtutis évitent plus facilement cet écueil puisqu’ils sont traités, malgré leur caractère épigraphique, comme des textes. L’archéologie permet par ailleurs d’élargir considérablement l’horizon culturel des élèves puisqu’elle propose un accès privilégié à des documents authentiques. À cet égard, le recours aux TICE permet au professeur de proposer aux élèves des documents variés et de grande qualité, ce qui accrédite l’idée d’une part plus importante accordée à l’archéologie dans les classes de latin, qui n’a pas à être nécessairement associée aux sorties pédagogiques. Les élèves peuvent ainsi se former une vision plus précise de la réalité du monde antique. Les liens avec le contexte local ou l’actualité leur permet également d’interroger les phénomènes de préservation des vestiges ainsi que notre rapport avec l’Antiquité. Comme les activités menées autour de l’archéologie peuvent prendre une multiplicité de formes que nous avons à peine commencé à explorer, leur configuration prennent des modalités bien différentes pour gagner plus ou moins de relief dans une séquence. De l’activité complémentaire d’une lecture de texte à un projet de classe voire de sortie pédagogique, le professeur garde tout contrôle sur la place et le temps qu’il veut accorder à ce genre d’approche. En revanche, il semble plus compliqué de généraliser complètement cette pratique en n’étudiant plus qu’à travers des reproductions de documents authentiques. D’une part, l’archéologie se prête à certaines compétences plus qu’à d’autres : nous l’avons vu notamment pour l’étude de la langue. D’autre part, il faut reconnaître que certaines entrées du programme s’y prêtent mieux que d’autres. Par exemple, si la séquence sur la propagande augustéenne a pu se bâtir autour de documents épigraphiques, une autre séquence comme celle sur la conjuration de Catilina n’aurait pu, étant donné qu’il s’agit d’un épisode historique connu exclusivement à travers des sources textuelles (les discours des Catilinaires de Cicéron et la monographie historique de Salluste intitulée La Conjuration de Catilina), bénéficier d’une approche similaire. Par ailleurs, à la diversité des modes d’approche s’ajoute la diversité des compétences sollicitées qui ne se juxtaposent pas mais se combinent. L’archéologie, par ses versants linguistiques et culturels, offre donc une voie permettant de répondre aux différents enjeux des programmes du cours de Langues et Cultures de l’Antiquité. Certes, elle apparaît aux élèves dans sa dimension essentiellement culturelle ; néanmoins, cela n’est qu’un moyen comme un autre de les amener à mobiliser leurs connaissances linguistiques. Elle serait dès lors le miel sur la coupe de la répugnante absinthe (selon la perception que les élèves peuvent avoir de la langue) et, comme le dit Lucrèce, les élèves seraient « dupes mais non victimes27 ».
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Table des matières
Introduction
1. Hypothèse 1 : L’analyse de documents archéologiques éveille l’intérêt des élèves
1. 1. Les textes officiels
1. 2. La réflexion théorique
1. 3. Les activités
1. 2. 1. La monnaie de Camillus
1. 3. 2. Les monnaies de César
1. 3. 3. Les Res Gestae Divi Augusti
2. Hypothèse 2 : L’analyse de documents archéologiques renforce la formation culturelle des élèves et leur permet de faire le lien entre la discipline optionnelle et le monde qui les entoure
2. 1. Les textes officiels
2. 2. La continuité historique
2. 2. 1. Le dossier de presse sur la nécropole de Narbonne
2. 2. 2. La sortie pédagogique à Nantes et au Chronographe
2. 3. Le décloisonnement spatial
3. Hypothèse 3 : L’analyse de documents archéologiques permet d’appuyer l’étude de la langue
3. 1. Les textes officiels
3. 2. La réflexion théorique
3. 3. Les activités
3. 3. 1. L’archéologie et le lexique
3. 3. 2. L’archéologie et les déclinaisons
4. Hypothèse 4 : L’usage pédagogique de l’archéologie permet de confronter l’élève à des tâches complexes dans lesquelles il puisse faire le lien entre les différentes compétences travaillées
4. 1. Les textes officiels
4. 2. Les ouvrages théoriques : langue et lecture, langue et culture
4. 3. Les activités
4. 3. 1. Le trophée de la Turbie : une démarche d’enquête
4. 3. 2. Le clipeus virtutis comme évaluation
Conclusion
Bibliographie et sitographie
I. A. Textes officiels
I. B. ouvrages théoriques
I. B. a. Références générales
I. B. b. Dans l’enseignement des Lettres
I. B. c. Dans l’enseignement des lettres classiques
I. C. Ressources pédagogiques
Annexes
I. Présentation des séances
I. A. La monnaie de Camillus
I. B. La monnaie avec l’allégorie de la Virtus
I. C. Dossier autour de la nécropole de Narbonne
I. D. Le plan de Rome
I. E. Le lexique du corps
I. F. Deux monnaies de César
I. G. Les Res Gestae
I. H. Le trophée de la Turbie
I. I. Le clipeus virtutis
I. J. Dossier pédagogique pour la sortie dans le centre-ville de Nantes et au Chronographe de Rezé
II. Résultats des questionnaires
II. A. Questionnaire 1 : état des lieux de l’archéologie
II. B. Questionnaire 2 : retour sur la sortie pédagogique
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