L’arbre en ville: une problématique fondée sur l’existence d’une ambiguïté
LE THEME DE LA RECHERCHE
L’arbre urbain est soumis à un phénomène complexe à déterminer: son appropriation par les citadins. Nous limiterons notre recherche à l’exemple français.
LA NATURE EN VILLE : LE PROBLEME GENERAL DE CETTE RECHERCHE
La «nature» en ville constitue un réel problème. L’effervescence des villes, au sein desquelles les maîtres mots sont modernité et mobilité, ne semble pas se prêter à la satisfaction optimale du besoin de « retour aux sources » qu’exprime la société aujourd’hui. La ville dense et compacte est confrontée à une demande toujours accrue de «nature » de la part des habitants des villes, les citadins. Ainsi, la nature dans la cité est l’objet d’un paradoxe croissant. Mais il est également nécessaire de préciser qu’une ambiguïté réside dans la notion de nature. Dans ce travail, nous ne nous attacherons qu’à l’arbre qui fait référence à la « nature» en ville pour la majorité des citadins (<pour plus de 97% des Français interrogés par des enquêtes ces dernières années, l’arbre et surtout la forêt symbolisent l’image de la nature» (Arnould’ cité par Mazoyer, 2003). Le thème de la recherche est donc fondé sur le constat de l’ambiguïté existante entre la satisfaction des demandes des populations urbaines en terme de «nature» et les exigences de l’urbanisation.
La question générale
Les urbanistes tiennent-ils compte des attentes de la population en terme de «nature» lors de l’élaboration de leurs projets? Ou celle-ci ne constitue qu’un élément de recours pour le remplissage des espaces vides ?
L’ARBRE AU SEIN DES GRANDS ENSEMBLES: LE PROBLEME SPECIFIQUE DE CETTE RECHERCHE
Les fonctionnalités urbaines ont pris le pas sur les considérations végétales, au détriment de l’arbre. Face a ceci, de nombreuses villes ont développé un outil de communication fort: les sites Internet; dans lesquels la politique de l’arbre s’est banalisée. De nombreuses villes y font l’état des lieux de leur patrimoine arboré et inculquent quelques conseils de gestion, tandis que d’autre, Nantes, Montpellier, Lyon ou encore Paris, ont concrétisé leurs actions en la matière par l’élaboration d’une Charte de l’arbre.
Ainsi, l’arbre urbain semble aujourd’hui bénéficier d’une reconsidération de la part des politiques. Cependant, il est l’objet de regards variés et la multiplicité des attentes et des demandes de la part des populations urbaines ne cessent pas de désorienter les décideurs. En matière d’urbanisme, tout se passe, le plus souvent, comme si l’on avait à satisfaire des besoins clairement définis (tel besoin existe auquel on répond par tel type d’équipement). Dans une telle conception, l’implantation d’arbres répondrait aux « besoins» et «aspirations» du citadin d’être en contact avec la nature, de voir de la verdure et de « respirer ». Mais ces notions de «besoin» et d’ «aspiration» sont trop générales pour avoir une valeur opératoire. Par ailleurs si des besoins existent, ils ne sont pas ressentis, exprimés et satisfaits de la même façon dans les divers groupes sociaux. Enfin, cette notion de besoin, qui implique l’idée de nécessité, est en construction avec le fait que l’arbre est le plus souvent «un élément parmi d’autres », peu considéré, sans usage à proprement parler, moyen de remplissage des « espaces vides ». A l’exception des heures chaudes de l’été durant lesquelles on peut apprécier l’ombre qu’il projette, l’arbre reste, le plus souvent, inconsidéré par le plus grand nombre. Le «besoin de verdure» éprouvé par les citadins n’entraîne donc pas nécessairement une perception des arbres et la fréquentation des espaces arborés ne semble pas répondre à ce seul «besoin».
Les recherches sur le rôle social de la «nature» en ville ont été développées à partir des années soixante-dix mais peu étudient l’arbre urbain au sens strict (Haddad, 1996). Les décideurs sont confrontés à des pratiques et des représentations fort contrastées, voire contradictoires (défense parfois irrationnelle, indifférence, hostilité, vandalisme…) de la part des différentes composantes de la population. Ce travail de recherche visera à les aider dans leurs choix.
Dans notre recherche, nous nous attacherons à la population des grands ensembles de logements sociaux dont la conception a été liée à la doctrine d’aménagement formulée par Le Corbusier dans la Charte d’Athènes (1957). Cette doctrine, qui a fait longtemps référence parmi les urbanistes et les constructeurs de logements sociaux en France, entendait créer des unités d’habitation «noyées dans la verdure ». Il n’en subsiste le plus souvent qu’une suite d’immeubles implantés sur des lieux vides, «comme des morceaux de sucre posés sur une table» (Toussaint, 2001), au sein desquels les rapports à la nature restent peu tangibles (Sablet, 1988). li est donc légitime de s’interroger sur la perception qu’a la population citadine des arbres urbains et sur la place qu’occupe cette végétation arborée dans la représentation qu’elle se fait des lieux qu’elle fréquente, investie et perçoit au quotidien.
Les grands ensembles mettent en scène la végétation arborée, non sans difficultés
L’ARBRE EN VILLE AU TRAVERS DU TEMPS
Le thème de l’arbre dans la ville ne doit pas s’affranchir de la notion de durée. Il témoigne du temps qui continue, qui passe et qui dépasse la journée et la vie humaine à laquelle se borne souvent la conscience. «Les arbres […j demeurent toujours là, malgré les saisons, pour dire […] qu’un projet autre que le sien existe au delà de soi. » (Querrien et Lassave, I 997f). Un historique de la place de l’arbre dans la cité se révèle ici nécessaire afin de mesurer toute la dimension qu’a pu avoir l’arbre de la cité au travers du temps qui s’est écoulé depuis plusieurs siècles.
Un passé prospère pour l’arbre de la cité
L’arbre symbole du pouvoir
«L’olivier d’Athènes et les jardins de Babylone constituent certainement les premiers exemples connus où l’arbre, seul ou associé à un espace, correspond à une fonction symbolique: la représentation du pouvoir. […] Mais beaucoup plus tard, ce mythe prend toute sa dimension lorsque, non loin de son château, Saint Louis rend la justice sous un chêne du bois de Vincennes. » (Bourgery et Mailliet, 1993). A la Renaissance, les progrès de l’artillerie ont rendu obsolètes les remparts médiévaux. Un nouvel urbanisme défensif s’est alors développé, introduisant massivement l’arbre dans la cité «afin de montrer à l’ennemi que la ville est forte de réserves de bois et de protéger par les cimes des arbres contre les projectiles» (Bourgery et Mailliet, 1993).
L’arbre et la représentation sociale
Depuis la fin du 16e siècle jusqu’au début du 20e siècle, les projets d’embellissement urbain se sont développés. L’arbre devient alors agent d’embellissement avant d’être objet de rentabilité.
La France, bien imprégnée de l’esprit progressiste de la Renaissance et de ses découvertes esthétiques, les applique à l’urbanisme. La ville découvre des espaces végétaux monumentaux.
Les mails, allées ombragées par un double alignement d’arbres sous lesquels on joue au jeu de pale-mail, se sont très vite mués en promenade bourgeoise en dehors des heures de jeu. Le cours fut implanté en France par Marie de Médicis en 1616 (Bourgery et Mailliet, 1993). Les cours sont des avenues réservées à la promenade attelée ou montée, ce qui les rend accessibles seulement à une élite. Seules les villes de province suffisamment importantes et éloignées de Paris pour fixer une population riche eurent des cours telles que Toulouse ou Aix en-Provence (Dijoux, 1986). Ainsi, les aménagements des promenades témoignent du désir d’affirmer les distinctions sociales (Bourgery et Mailliet, 1993).
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Table des matières
Introduction
PREMIERE PARTIE : L’ARBRE AU SEIN DES GRANDS ENSEMBLES, UN SUJET DE RECHERCHE INNOVANT
I. L’arbre en ville: une problématique fondée sur l’existence d’une ambiguïté
1. Le thème de la recherche
2. La nature en ville : le problème général de cette recherche
3. L’arbre au sein des grands ensembles : le problème spécifique de cette recherche
Il. Les grands ensembles mettent en scène la végétation arborée, non sans difficultés
1. L’arbre en ville au travers du temps
1.1. Un passé prospère pour l’arbre de la cité
1.2. Un tournant dans l’histoire de l’urbanisme, au détriment de l’arbre
1.3. L’arbre, un élément de consensus général
2. Les grands ensembles : mythe et réalité
2.1. Les grands ensembles : une définition non sans équivoque
2.2. Une nouvelle manière de penser l’urbanisme
2.3. Une conception urbanistique utopiste au détriment des arbres
3. Les nombreuses fonctions de l’arbre
3.1. L’arbre et ses multiples atouts
3.2. L’arbre chargé de bienfaits sociaux
3.3. L’arbre, élément du paysage urbain
4. L’arbre urbain, un être vivant victime de la cité ?
4.1. L’arbre urbain nécessite une prise en compte
à long terme
4.2. Une richesse source de contraintes et de conflits
4.3. Un espace urbain dévitalisé par le zonage
III. L’appropriation de l’arbre urbain par les citadins
1. La production sociale des espaces urbains par les concepteurs
1.1. L’urbanité, un projet de société
1.2. Difficulté relative
à la prévision de l’urbanité qui ne se programme pas
2. La production sociale des espaces urbains par les citadins
2.1. La pratique de l’espace
2.2. L’appropriation de l’espace
3. L’influence de l’arbre dans la production sociale des espaces urbains
3.1. L’arbre urbain est créateur de lieux
3.2. De l’arbre fonctionnel
à l’arbre signe urbain
3.3. Les déterminants de la perception et de l’appropriation de l’arbre
Pour résumer
DEUXIEME PARTIE : UN CAS D’ETUDE ADEQUAT
Un cas d’étude unique: un site intéressant de par sa conception
urbanistique fonctionnaliste
1. Le quartier de La Rabière érigé selon une volonté unique de faire du logement
1.1. Un quartier d’habitat dense aux formes connotées
1.2. Des espaces publics peu différenciés et sans qualification
2. Le devenir du quartier de LaRabière
2.1 Des espaces publics à
2.2. Une continuité urbaine qu’il advient de conforter
2.3. Une population en voie de paupérisation
2.4. Des procédures successives destinés
à améliorer l’environnement
Il. La ZUP 2, un terrain d’observation privilégié
1. Un secteur plurifonctionnel
2. Des espaces extérieurs restructurés
3. Une répartition foncière plus cohérente
Pour résumer
TROISIEME PARTIE : UNE RECHERCHE S’APPUYANT SUR UN TRAVAIL DE TERRAIN D’ENVERGURE
Une étude menée selon des modes d’investigation complémentaires
1. L’observation des arbres afin de dresser un inventaire quantitatif et qualitatif du
patrimoine arboré
2. L’entretien avec les gestionnaires des arbres afin d’avoir une approche «à dire
d’experts »
3. L’observation des citadins afin de constater les usages quotidiens des arbres et des espaces arborés
4. L’entretien avec les citadins afin de considérer qualitativement la réalité vécue
et perçue
II. Des résultats riches en informations
1. Selon le discours des gestionnaires, la gestion est soumise aux marques d’appropriation
1.1. Une politique de l’arbre en pleine émergence
1.2. Des plantations riches en diversité
1.3. Une gestion et un entretien non spécifique au quartier de La Rabière
2. Des observations révélatrices
2.1. La vie quotidienne marque l’espace et les éléments qui le composent:
l’observation des arbres le notifie
2.2. L’observation des pratiques explique de nombreuses «traces »
3. Le discours des citadins confirme et complète les observations
3.1. La fréquentation du site influe fortement sur la perception et l’appropriation
des arbres
3.2. Une sensibilité aux arbres pas toujours spontanée
3.3. Des arbres partenaires de la vie des citadins
3.4. Des arbres « objets» ou des arbres « êtres vivants » ?
Pour résumer
Conclusion
Bibliographie
Annexes
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