L’aquaculture dans le monde
L’aquaculture est le secteur de production alimentaire animale qui connait la plus forte croissance dans le monde malgré un ralentissement observé après l’essor des années 1980-1990 (FAO 2010). D’ici peu, la moitié des produits de la mer destinés à la consommation humaine devrait être fournie par l’aquaculture (Klinger & Naylor 2012), dépassant ainsi les pêches de capture. En 2011, la production aquacole mondiale représentait 63.6 millions de tonnes, dont 19.3 tonnes étaient issues de l’aquaculture marine (FAO 2012). La production se répartit de façon inégale dans le monde, avec par exemple plus de 85% de la quantité totale de poissons fournis par seulement 10 pays, localisés notamment sur le continent asiatique qui concentre également à lui seul 91% de la production de mollusques. Quelques 600 espèces aquatiques sont produites de par le monde, parmi lesquelles les poissons d’eau douce représentent 56.4% de la production totale, suivis par les mollusques (26.3%), qui constituent les trois quarts de la production en milieu marin. Parmi les 14.2 millions de tonnes de mollusques produites en 2010, les palourdes sont le groupe d’espèces le plus produit (34%) devant les huîtres et les moules, comptant respectivement pour 32% et 13% de la production totale (FAO 2012).
La culture des mollusques bivalves est principalement développée dans les zones estuariennes et les lagunes côtières, qui figurent parmi les écosystèmes les plus productifs de la biosphère et permettent de soutenir une intense production conchylicole (Goulletquer & Héral 1997, Goulletquer & Le Moine 2002). L’activité repose essentiellement sur le captage de naissains en milieu naturel, et plus rarement sur la production de naissains en écloserie. Les naissains obtenus sont placés en culture selon des techniques d’élevage qui diffèrent en fonction des espèces et des régions. Parmi les techniques d’élevage, certaines se font au sol (eg couteaux, palourdes), d’autre hors sol (eg moules de bouchot), et d’autres encore en pleine eau (eg tables, radeaux, lignes flottantes). Quelle que soit la méthode d’élevage, le fonctionnement des systèmes de production conchylicole repose en grande partie sur l’utilisation des ressources naturelles (eg site d’implantation, énergie, nourriture). Dans un contexte de demande croissante des produits issus de l’aquaculture, l’évaluation de la capacité des écosystèmes à soutenir durablement une production est donc essentielle. En retour, l’exploitation d’une ressource (et/ou d’un milieu), entraine inévitablement des conséquences pour l’environnement, qui est de ce fait rendu vulnérable. Le maintien du bon fonctionnement des écosystèmes qui hébergent une activité d’aquaculture représente donc un enjeu prioritaire afin d’assurer la continuité de la production et de conserver l’intégrité des écosystèmes. Un tel objectif passe par la compréhension des modifications liées à l’exploitation de ces écosystèmes. Ceci est d’autant plus important dans les milieux coralliens qui comptent parmi les écosystèmes les plus fragiles et menacés (Hugues et al. 2003).
Interactions aquaculture – environnement
Influence de l’écosystème sur la production aquacole
Les mollusques sessiles en élevage sont contraints à tolérer les conditions environnementales de leur habitat, incluant les paramètres physiques et hydrobiologiques tels que la température ou la disponibilité en nourriture (cf Gosling 2008), mais également la présence d’autres communautés biologiques dans l’écosystème. La coexistence avec ces communautés peut avoir des conséquences négatives pour la production aquacole si elle affecte la survie et/ou la croissance des bivalves en élevage, via des relations de prédation (Freites et al. 2000, Pit & Southgate 2003) ou de compétition pour la nourriture (Sequeira et al. 2008). Par ailleurs, l’aquaculture a elle-même pour conséquence de faciliter l’installation de nombreux organismes animaux ou végétaux (ie biofouling), à la fois sur les infrastructures déployées dans le milieu et sur les bivalves eux-mêmes, constituant autant de supports pour la colonisation (Guenther et al. 2006, Rius et al. 2011). Ces organismes communément appelés épibiontes, sont généralement des filtreurs (Taylor et al. 1997, Leblanc et al. 2003, Rodriguez & Ibarra-Obando 2008) et peuvent contribuer de manière significative à l’appauvrissement de la biomasse phytoplanctonique à l’échelle des zones cultivées (Woods et al. 2012). Une réduction de la disponibilité en nourriture pour les bivalves en élevage peut affecter leur capacité de croissance (Claereboudt et al. 1994, de Sa et al. 2007), et/ou leur survie (Daigle & Herbinger 2009), avec pour conséquence une diminution de la production commerciale. Malgré un tel danger, peu de travaux se sont intéressés au rôle de ces organismes dans la répartition de la ressource trophique au sein des élevages.
Au-delà des problèmes potentiels de compétition pour la ressource trophique, le biofouling représente également une contrainte technique, pouvant endommager ou alourdir les infrastructures jusqu’à causer la perte d’une partie de la récolte (Arens et al. 2011). De plus, certains épibiontes peuvent dégrader les coquilles des espèces commerciales ou encore représenter un risque sanitaire pour les espèces cultivées (cf Fitridge et al. 2012 pour une revue complète). La présence de ces organismes, qui semble inévitable, représente donc généralement une contrainte importante pour la production aquacole et induit des coûts qui peuvent être substantiels, notamment liés à l’élimination régulière du biofouling (Lane & Willemsen 2004, Willemsen 2005, Adams et al. 2011). Certaines estimations indiquent que la manutention liée au biofouling peut représenter jusqu’à 30% du coût total des opérations de l’industrie aquacole (Claereboudt et al. 1994, Watson et al. 2009). Il faut cependant noter que les impacts du biofouling varient considérablement d’un site à un autre, en fonction des systèmes de production, des espèces cultivées et évidemment des espèces constituant le biofouling. Des connaissances spécifiques sont donc nécessaires pour comprendre l’effet du biofouling sur la production aquacole et mettre en œuvre des mesures de gestion appropriées.
Impacts environnementaux de l’aquaculture
L’aquaculture intensive de poissons en cage ou la crevetticulture, qui nécessitent des apports de matière organique (nourriture), sont responsables d’un enrichissement nutritif des milieux exploités, pouvant causer de sérieux dommages environnementaux (Barg 1992, Naylor et al. 1998). Bien qu’il soit couramment accepté que les impacts environnementaux de l’aquaculture de bivalves soient moins conséquents que ceux mesurés pour les poissons ou les crevettes, l’introduction d’importantes biomasses pour la production commerciale peut profondément altérer la dynamique des échanges au sein de l’écosystème (Cranford et al. 2003, Newell 2004). L’effet le plus évident de la culture des bivalves sur l’écosystème est l’appauvrissement du milieu en matière particulaire via la filtration, exerçant un contrôle sur la production primaire et sur la composition des communautés planctoniques (Officer et al. 1982, Souchu et al. 2001, Newell 2004, Cranford et al. 2007). Ce contrôle peut parfois avoir pour effet d’atténuer l’apparition des symptômes de l’eutrophisation, comme en témoignent les travaux de Cerco & Noel (2007) dans la baie de Chesapeake, ou encore ceux de Xiao et al. (2007) en Chine. Au-delà d’un certain seuil, la pression de prédation sur le compartiment phytoplanctonique peut cependant conduire à un dépassement de la capacité de charge de l’écosystème, définissant selon Odum (1983) la limite au-dessus de laquelle la production primaire ne peut plus soutenir la croissance des bivalves introduits pour l’élevage .
En contrepartie, les bivalves contribuent à la dynamique des flux de nutriments dans l’écosystème via l’excrétion de matière particulaire et dissoute, exerçant ainsi un rétrocontrôle positif sur la production primaire.
Les biodépôts rejetés par les bivalves sont rapidement transférés vers le compartiment benthique, contribuant à accélérer l’accumulation de matière organique au niveau de celui-ci (Grant et al. 1995, Cranford et al. 2009). La dégradation de cette matière organique (ie reminéralisation) favorise la libération d’éléments nutritifs, qui sont ainsi rendus à nouveau disponibles au système. Dans de nombreux écosystèmes semi-fermés exploités pour l’aquaculture, ce processus d’intensification du couplage bentho-pélagique contribue à alimenter le réservoir de nutriments et constitue un moteur de la production primaire (Nizzoli et al. 2005, Giles et al. 2006). Dans certains cas toutefois, une stimulation trop importante du couplage bentho-pélagique peut conduire à épuiser progressivement l’oxygène au niveau des couches superficielles du sédiment, altérant ainsi la structure et le fonctionnement des communautés benthiques (Chivilev & Ivanov 1997, Stenton-Dozey 2001).
Plus directement, l’excrétion dissoute de nutriments (notamment d’azote) liée au métabolisme des bivalves, permet également d’accélérer le renouvellement du phytoplancton et la production primaire au niveau du compartiment pélagique (Yamamuro & Koike 1993, Pietros & Rice 2003). Alors que ce recyclage peut jouer un rôle important pour la productivité des écosystèmes, notamment lorsque les bivalves sont cultivés en suspension dans la colonne d’eau, peu d’études se sont attachées à quantifier ce processus (Mazouni et al. 1998, Richard et al. 2007, Sara 2007).
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Contexte général et problématique
L’aquaculture dans le monde
Interactions aquaculture – environnement
Le contexte de la perliculture en Polynésie française
Problématique et plan de la thèse
Site et modèle de l’étude
Caractéristiques des lagons polynésiens
Modèle biologique : l’huître perlière Pinctada margaritifera
PARTIE I. Revue de la problématique du biofouling, impact sur la production de bivalves et sur le fonctionnement de l’écosystème
Chapitre 1. Biofouling impact on production and ecosystem functioning: a review for bivalve aquaculture
Introduction
Biofouling development and impact on bivalve aquaculture
Biofouling effect on ecosystem functioning
Issues for biofouling management
Conclusion
PARTIE II. Interactions entre les huîtres perlières et les communautés d’épibiontes
Introduction
Chapitre 2. Biofouling development and its effect on growth and reproduction of the farmed pearl oyster Pinctada margaritifera
Introduction
Materials and Methods
Results
Discussion
Chapitre 3. Étude des relations trophiques entre l’huître perlière (Pinctada margaritifera) et ses épibiontes filtreurs par l’utilisation couplée des isotopes stables et de la cytométrie en flux
Introduction
Matériels et Méthodes
Résultats
Discussion
Conclusion
Synthèse de la partie
PARTIE III. Interactions entre les assemblages de filtreurs en élevage et l’environnement
Introduction
Chapitre 4. Influence of farmed pearl oysters and associated biofouling communities on nutrient regeneration in lagoons of French Polynesia
Introduction
Materials and Methods
Results
Discussion
Conclusion
Chapitre 5. Nutrient fluxes between water column and sediments: potential influence of the pearl oyster culture
Introduction
Materials and Methods
Results and Discussion
Conclusion
Synthèse de la Partie
CONCLUSION GÉNÉRALE