LAPROBLEMATIQUE DE L’EDUCATION CHEZ JOHN LOCKE ET J.J ROUSSEAU

La question de la finalité axiologique ou spirituelle de l’éducation

   Dans son ouvrage, Pour une philosophie de l’éducation, J. Maritain attirait l’attention sur « l’oubli ou la méconnaissance des fins ». Selon lui, parmi les sept erreurs de l’éducation la plus grave et la première à éviter est celle-là. La première vocation de la philosophie de l’éducation est l’élaboration des fins que l’Homme pourrait se proposer. Elle doit être finalisée ; mais cette finalisation de l’éducation, pour Maritain, doit être exclusivement motivée par les valeurs spirituelles. C’est cette vision spirituelle de l’éducation qui apparaît clairement dans l’éducation des Chrétiens. Par éducation chrétienne on entend toute connaissance qui permet à l’enfant de connaitre Dieu et le seigneur. C’est-à-dire, la connaissance des principes fondamentaux qui régissent la religion chrétienne : la droiture, l’honnêteté, respect du christ. Ces maximes chrétiennes ne sont que l’assimilation des valeurs spirituelles. Par valeur spirituelle, nous entendons la connaissance de Dieu et la crainte salutaire de la divinité. Cette finalité doit permettre à l’enfant d’acquérir les civilités chrétiennes, la morale du travail et de la vertu. Mais aussi d’avoir la foi en Dieu, de lutter contre l’infidélité, d’adopter une vie ascétique, de respecter la hiérarchie, d’accepter les inégalités sociales, le respect des parents et de l’autorité de l’Église. Telle est la conviction de Maritain, il pense que l’homme n’est pas seulement nature physique ou corporelle, « comme l’ours ou comme l’alouette ; c’est aussi un animal de culture, dont l’espèce ne peut subsister qu’avec le développement de la société et de la civilisation ; c’est un animal historique : d’où la multiplicité des types culturels ou éthico-historiques qui diversifient l’humanité… Afin d’atteindre cette liberté dans laquelle il se détermine lui-même, il a besoin d’une discipline et d’une tradition qui, tout à la fois, pèseront lourdement sur lui et le fortifieront ». On voit par là que l’orientation axiologique occupe une place centrale dans la finalité de l’éducation. Or, de nos jours avec la montée d’un néopositivisme ou d’un scientisme éducationnel l’importance est plutôt accordée au moyen et non aux fins. Nos chercheurs ou penseurs de l’éducation, charmés par les nouvelles technologies, n’accordent pas beaucoup d’importance aux finalités morales de l’éducation. Les questions du type de savoir, du type d’homme et de la direction de l’éducation sont totalement laissées en rade par eux. Autrement-dit, les gens ne se soucient plus de la nature du savoir qu’il faut dispenser, de l’idéal d’Homme qu’il faut viser et de la signification qu’il faut accorder à l’éducation. C’est dans cette perspective que Maritain nous dira encore : « si le but de l’éducation est d’aider et de guider l’enfant vers son accomplissement humain, l’éducation d’abord est obligée de répondre à la question ‘’qu’est-ce que l’homme’’ que se pose le sphinx de la philosophie ». Autrement-dit, pour Maritain, si l’éducation ne veut pas se vider de sa substance, de son essence, elle doit privilégier la question des finalités. Et d’ajouter, sous une forme ironique, que le mal de toute l’éducation moderne vient de la sous-estimation de ces fins au détriment des moyens. A ses yeux : « Ses moyens ne sont pas mauvais. Au contraire, ils sont généralement meilleurs que ceux de l’ancienne pédagogie. Le malheur est justement qu’ils sont si bons que nous perdons de vue la fin. D’où la faiblesse surprenante de l’éducation actuelle, faiblesse qui procède de notre attachement à la perfection même de nos moyens et méthodes d’éducation et de notre impuissance à plier à leur fins ces moyens et ces méthodes. L’enfant est si bien testé et observé, ses besoins sont bien détaillés, sa psychologie si clairement découpée, les méthodes pour lui rendre partout si perfectionnées, que la fin de toutes ces améliorations si appréciables court le risque d’être oubliée ou méconnue ». Cette vision maritainienne est corroborée par les multiples progrès de la didactique et des méthodes d’apprentissage de nos jours. Ces méthodes dans leurs élaborations négligent la finalité spirituelle. Elles ne cherchent qu’à accumuler le maximum de connaissance. Même s’il, ne rejette pas catégoriquement les moyens, il pense que l’accent doit être mis sur la finalité qui est la vérité. Or, pour lui, la première finalité à cultiver est l’organisation du développement spirituel de l’homme, c’est-à-dire, de l’aider à « la conquête de la liberté intérieure et spirituelle »…, à sa « libération »… « Par la connaissance et la sagesse, la bonne volonté et l’amour ». 18Cette affirmation absolue de la vérité dans la philosophie de Maritain, est un rejet du pragmatisme et d’une certaine conception utilitariste de l’éducation. Certes, l’éducation doit viser une utilité mais une utilité qui intègre la vérité spirituelle. Il attaque sans doute ici la théorie pragmatiste de Dewey mais aussi les techniques didactiques qui ne se préoccupent ni de leur propre valeur ni de leur légitimité. C’est ainsi, qu’il nous dit que l’éducation est : « avant tout, aider au développement dynamique par lequel l’homme se forme lui-même à être un homme, autrement-dit (de) préparer l’enfant et l’adolescent à s’instruire toute sa vie ». On peut déduire à partir de ces lignes que la finalité de l’éducation n’est autre chose que le devenir de ce que nous sommes réellement. Ce devenir n’est rien d’autre que la réalisation spirituelle de soi par l’éducation. Mais aussi, il refuse de réduire la finalité de l’éducation à un certain sociologisme qui conçoit les valeurs comme relatives et non universelles. Pour cette doctrine il n’y a pas de vérités mais uniquement des modes. C’est pourquoi il pense que ce serait une erreur de faire « du conditionnement social la règle et l’unique étalon de l’éducation ». Car pour lui, former un Homme ce n’est pas l’astreindre à un groupe mais lui donner les moyens qu’il faut pour qu’il puisse juger de lui-même selon des critères fondamentaux. C’est à ce titre justement que M. Finance écrit : « ce n’est pas de modeler les hommes en fonction des intérêts de la Cité, mais de les aider à conquérir la liberté véritable… la liberté intérieure et spirituelle ». La recherche de la vérité ne peut s’effectuer que grâce à la conquête de la liberté intérieure et spirituelle. En outre, la finalité de l’éducation ne saurait être réduite à « l’intellectualisme » et « le volontarisme ». Car, la première débouche généralement sur un sophisme habile dans l’argumentation au détriment de la vérité et sur une spécialisation technique qui sacrifie la culture générale et la formation du jugement. C’est-à-dire, à la capacité d’appréhender la vérité. La seconde quant à elle aboutit à une certaine perversion de la vérité. Même s’il faut former la volonté, il ne faut pas confondre celle-ci avec le volontarisme, car « le principal est certainement d’être un homme droit, avant d’être un homme ». Parmi les erreurs qu’il répertorie, il pense que la septième à éviter est celle qui consiste à tout reposer sur l’instruction. Ce finalisme spirituel ne peut pas être acquis par l’instruction. Car, pour lui on ne peut pas apprendre ou enseigner à un enfant des vertus comme la prudence, la sagesse, l’expérience mais surtout « l’intuition et l’amour ». Pourtant, ces vertus même si elles sont les plus essentielles et prioritaires, elles n’appartiennent pas nécessairement au domaine de l’école. C’est pourquoi il souligne le caractère paradoxal de celle-ci, « la sphère extra-éducationnelle exerce sur l’homme une action qui est plus importante pour l’achèvement de son éducation que son éducation elle même ». Autrement-dit, l’expérience que l’individu acquiert dans sa vie et la signification des valeurs ne découlent pas des instances scolaires. Elles sont imprévisibles et la formation de l’être. L’Homme n’étant pas une machine, sa formation ne se fait pas automatiquement et exclusivement de façon linaire. C’est-à-dire, suivant un canevas prévu initialement à cette fin. L’école n’est donc pas une officine pourvoyeur d’expériences quotidiennes. Elle n’a pas en charge entièrement l’éducation mais une partie de celle-ci ; c’est-à-dire l’intelligence et la vérité. Elle ne doit donc pas revendiquer un monopôle.

L’individualisme ou socialisme comme finalité.

   Lorsque le philosophe pense et détermine la nature d’une société humaine, religieuse, libérale, laïque et sociale ou la nature fondamentale d’un homme, etc. Il exprime un ensemble d’aspirations générales qui relève d’une certaine vision de l’avenir. Ce sont ces grands desseins et ces projections que nous appelons, dans le domaine de l’éducation, finalités. La question de la finalité est une exigence logique pour tout projet éducatif. Toute éducation se définit et trouve sa pertinence par rapport à elle. Toutefois, cette finalité est laissée à l’appréciation de chaque auteur, de chaque courant, de chaque doctrine et de chaque société. Rousseau affirme dès l’entame de son propos dans l’Émile que la question de la finalité éducative dépend de chaque circonstance. En revanche, l’une de ses finalités majeures est sociale. Car, il demeure impératif de ne pas laisser l’enfant tout seul sur les mains de la nature. Toute abdication de l’éducateur sur ce domaine sera considérée comme une négation de l’éducation. Il est incontestable donc, que l’éducation s’intéresse aux finalités sociales. Car, l’une des finalités de toute action éducative est de faciliter l’harmonieuse insertion des éduqués dans la société où ils sont appelés à vivre. C’est par l’éducation que toute société humaine traditionnelle ou moderne affirme et transmet son corpus de valeurs. L’éducation a une fonction fondamentalement sociale et fait de la société un fait et une valeur. Il est inutile de vouloir éduquer l’enfant pour lui-même comme s’il pouvait échapper au joug social qui l’enserre. L’Homme est obligé de vivre en société et ne devient, tel qu’il est, ne se réalise, qu’à travers la société. En effet, l’éducation n’est pas une fin en soi. Elle constitue pour la société une fonction de reproduction sociale à travers la transmission de connaissances de génération en génération et de dépassement social à travers la création d’une culture porteuse de progrès. Toute société humaine se perpétue dans son être social, physique et en même temps crée les fondements de son développement par un processus éducatif centré sur ses réalités sociales, culturelles, politiques et économiques porteuses d’avenir. L’Homme n’est pas une abstraction platonicienne ; il est d’abord un être vivant, concret, déterminé par un champ de contingences d’ordre social et historique. Il n’est avant tout ni esprit ni corps, mais un être familial. Il est un tout, un esprit incarné dans un corps social où il doit assumer des fonctions en tant que membre conscient, responsable et libre. En fait, la question philosophique majeure qui concerne l’Homme ne relève ni de l’idéalisme ni du matérialisme mais du sociologisme en tant qu’idéal accessible et matérialisme idéalisé ; c’est à-dire une synthèse. L’Homme est la somme parfaite entre esprit et corps. C’est cette somme que doit prendre en charge la question de l’éducation en orientant sa finalité vers elle. Il est essentiel dans l’élaboration et la mise en place de tout système éducatif de se préoccuper de prime abord de l’identification des données qui peuvent faire évoluer la société. L’éducation est, et doit être le seul canal par lequel toutes les valeurs de chaque individu dans le domaine économique, social, culturel s’actualisent et s’investissent au profit de la personne éduquée, de la communauté et voire de l’humanité. Une éducation qui ferait abstraction de cette finalité sociologique se viderait de toute sa substance. C’est cette place qu’occupe le sociologique dans l’éducation qui fait dire à Émile Durkheim que «l’homme que l’éducation veut réaliser en nous, ce n’est pas l’homme tel que la nature l’a fait, mais tel que la société veut qu’il soit.» Cette affirmation de l’auteur montre que l’éducation a l’obligation de se conformer aux valeurs cardinales et aux besoins fondamentaux de la société pour réaliser le type d’homme capable de participer à l’amélioration des conditions de vie de son milieu. L’auteur part de la question controversée du privilège social et individuel de la finalité éducative. Devons nous privilégier le bien de l’individu ou de la société ? Autrement-dit, la finalité de l’éducation est-elle individualiste ou socialiste. Pour lui, chaque société fixe un idéal d’Homme. C’est-à-dire, ce qu’il doit être du point de vue intellectuel, physique et moral. Cet idéal est pris en charge par l’action éducative. C’est elle qui assure et perpétue l’homogénéité nécessaire à la survie de la société. Éducateur expérimenté, qui a su se faire admirer et respecter par ses contemporains, Locke a pu mettre en place des principes pédagogiques qui restent tout aussi applicable de nos jours. Ses idées pédagogiques lui viennent certes de ses études philosophiques, d’une exigence systémique, de son expérience mais aussi de sa lecture des auteurs français comme Montaigne. Il croit sans réserve à la puissance de l’éducation et compte sur elle pour faire des Hommes vertueux, raisonnables et sages. Pour Locke l’éducation est ce qui fait l’Homme, c’est elle qui lui donne les fondements de sa personnalité. Car pour lui « le grand principe, le fondement de toute vertu, c’est que l’homme soit capable de se refuser à lui-même la satisfaction de ses propres désirs ; de contrarier ses propres inclinations, et de suivre uniquement la voie que la raison lui indique comme meilleure, quoique ses appétits l’inclinent d’un tout autre côté ».Locke pense que l’éducation a une finalité exclusivement utile. Et pour ce, il faut écarter du chemin tout ce qui est inutile à la formation du gentleman. C’est pourquoi dans son projet éducatif, il écarte les belles lettres et certaines sciences, car pour lui tout cela n’est que luxe et inutilité. Une éducation utilitaire est une éducation qui assure l’existence de la conservation, qui procure le bien être ou le bonheur ; le principe ou l’essence de toutes les valeurs, aussi bien dans le domaine de la connaissance que dans celui de l’action. Il s’agit d’un utilitarisme qui conférerait, dans l’éducation, la primauté à tout ce qui peut servir exclusivement et directement les intérêts du sujet soit comme membre de la société ou comme individu. C’est la raison pour laquelle il déclare la guerre à l’usage du latin dans les écoles. A son époque le latin occupait une place primordiale dans les programmes scolaires. Certes, pense t-il, le latin peut servir mais on a eu tort de le considérer comme nécessaire. Ainsi il dit qu’ « il est certain que le précepteur doit regarder le latin et toutes les langues comme la moindre part de l’éducation… La vertu et la bonté sont préférables à toutes sortes de sciences ou à la connaissance des langues… Si une fois les dispositions à la vertu ont pris racine dans le cœur, quand même on négligerait tout le reste, elles se produiraient lorsqu’il en serait temps, au lieu que si elles n’y sont pas gravées assez profondément… Les langues, les sciences et tous les autres apanages d’une bonne éducation ne serviront qu’à rendre un homme plus méchant». Il apparaît clairement dans ce passage un mépris de la science des lettres au détriment d’une formation morale qui serait utile à l’enfant. Il s’insurge contre l’exercice des enfants à la rédaction latine et aux vers latins comme il nous le dit encore dans ce passage : « Je me demande quelles raisons un père peut bien avoir, pour souhaiter que son fils devienne un poète, s’il ne veut le voir se désintéresser de toute autre profession et de toutes les affaires de la vie… On a rarement vu quelqu’un découvrir des mines d’or et d’argent sur le parnasse ». Autrement-dit, pour Locke, l’étude du latin ne présente aucun intérêt aux yeux de l’enfant. Puisque celle-ci ne pourra l’aider en aucun cas dans sa vie pratique. L’éducation doit avoir pour but d’aider l’enfant à résoudre des problèmes pratiques de son quotidien et à améliorer les conditions de vie de son milieu. Or, le latin ne que fait miroiter à l’enfant des chimères qui n’existent pas. En revanche, Locke ne rejette pas absolument l’enseignement du latin dans les écoles, mais il pense qu’il ne doit pas occuper une place primordiale dans le dispositif éducatif et qu’on doit réserver une place de choix aux études utiles comme la mathématique et l’arithmétique. Si l’éducation ne veut pas rater sa vocation qui est d’enseigner à l’enfant une sagesse pratique, utile, elle doit se tourner vers les sciences capables de lui en pourvoir. C’est cette exigence utilitaire qui oblige Locke à prendre en considération toutes les sciences qui pourront l’aider à l’accomplissement de cette finalité. C’est dans cette perspective qu’il s’intéressa à l’étude de l’arithmétique « qui sert dans toutes les affaires de la vie » et aussi « à la danse parce qu’elle est un exerce physique et qu’elle confère aux mouvements un agrément et à l’attitude un air mâle et une heureuse confiance, qui donneront l’aisance et l’assurance en société ». Ces études ont pour finalité de cultiver non seulement l’estime de soi de l’enfance mais aussi de développer, d’exercer les forces du corps en développant l’adresse et en rendant l’enfant plus sain et plus vigoureux. Dans cette quête d’utilité qui finalise l’éducation, ce qui est important, c’est ce que le jeune ou le gentleman soit parfaitement capable de gérer ses propres affaires et de se conduire dans le monde, d’acquérir une sagesse de vie. La sagesse est la capacité de conduire ses affaires dans le monde avec habilité et prévoyance. L’éducation pour Locke n’a pas une finalité de former des Hommes de lettres ou de sciences mais de former des Hommes pratiques, armés pour le combat de la vie, dotés de toutes les connaissances dont ils auront besoin. Pour régler leurs comptes, pour diriger leur fortune, pour satisfaire aux exigences de leur profession, pour honorer leurs devoirs d’Hommes et de citoyens. C’est pourquoi il attachera une grande importance à la civilité et à la politesse. Comme il le dit dans ce passage : « On peut se dispenser d’un grand nombre de choses qui sont enseignées dans les écoles, sans que son caractère d’homme et ses capacités pour les affaires en soient affectés. Mais la sagesse pratique et l’art de se tenir en société sont indispensables dans toutes les situations et toutes les occasions de la vie ».En d’autres termes, ce qui domine toute sa pédagogie c’est la formation du caractère et la préparation à la vertu. Car, une âme saine ne peut s’épanouir que dans un corps sain. C’est dans ce sens qu’il privilégie la culture physique, fondement de la formation morale, qui est beaucoup plus importante que l’acquisition des sciences, des arts et des connaissances qui sont inutiles à l’enfant. La force du corps assure avant tout la santé de l’âme. Toutefois, tout cet utilitarisme lockéenne est dominé par son rationalisme. Il veut certes prendre en charge l’homme concret en se souciant d’avantage de sa réussite sociale et du service qu’il peut rendre à sa société. Mais c’est avant tout, et essentiellement de l’Homme qu’il s’agit de former pour sa valeur universelle avec tous les caractères humains généraux qui s’y accompagnent. C’est-à-dire, d’un Homme qui est capable de se soumettre entièrement à sa raison. L’homme utile c’est l’homme raisonnable car : « Le grand principe et la base de toutes les vertus et du véritable mérite consiste en ce que l’homme soit capable de vaincre ses propres désirs, de réprimer ses passions et de suivre purement et simplement ce que la raison lui propose comme le meilleur quoique ses appétits l’inclinent de l’autre côté ». Ce n’est que par une finalité utile que l’éducation peut former la personnalité de l’enfant en lui inculquant les valeurs qui importent à sa conduite dans sa cité à savoir : la vertu, la prudence, les bonnes manières et l’instruction. Cette finalité utilitaire le poussa naturellement à donner des conseils pratiques tout au long de son livre. Conscient de l’importance de la santé dans le processus de l’éducation, il pense qu’il faut accoutumer très tôt à l’enfant un régime alimentaire très sain et à endurcir son corps. Ce qui est important c’est de faire de telle sorte que l’enfant puisse comprendre qu’on ne peut ruser devant la nécessité. C’est-à-dire, faire comprendre à l’enfant qu’il doit soumettre sa volonté devant toute exigence naturelle, morale et sociale. Car, la nécessité est ce qui est rigoureusement déterminé et ne peut être autrement qu’il n’est.

La méthode expérimentale ou active

   Rousseau tire l’essence de sa pensée pédagogique non pas des réflexions philosophiques abstraites mais des souvenirs de son expérience. Ce sont souvenirs qui en quelque sorte vont déterminer sa méthode dite active. Très tôt il déclare que dans sa vie il n’a jamais connu l’idée des choses mais qu’il les avait toujours senties. Cette déclaration de l’auteur de l’Émile donne déjà un aperçu sur sa méthode. Rousseau est convaincu que l’enfant vie dans un endroit corrompu, qu’il a perdu toutes ses potentialités naturelles. C’est pourquoi il cherche à mettre une méthode qui respecterait cette nature, qui suivra le chemin naturel de l’enfant sans chercher à l’altérer. Il s’agit de ne pas étouffer la spontanéité de l’enfant qui suit son instinct et de n’entreprendre les apprentissages nécessaires à son développement qu’au moment où le besoin est en concordance avec ses forces. C’est-à-dire, de se conformer au développement physique et psychique de l’enfant. Or, ceci n’est possible qu’en mettant en place une nouvelle pédagogie qui se veut une rupture comme en témoigne sa pétition de principe : « commencez donc par mieux étudier vos élèves ; car très assurément vous ne les connaissez points ».63 Ces propos de Rousseau remettent en cause toute une tradition philosophique et pédagogique. Pour lui on ne connait l’enfance que sur des fausses idées et on le cherche dans l’homme. Connaître l’enfant c’est savoir qui il est. C’est-à-dire, qu’il existe avant d’être adulte. Bien avant Rousseau l’enfant était considéré comme un néant ; il n’existait. L’enfance caractérise un état puéril sans signification conséquente qu’il faut vite traverser pour accéder au véritable état ; celui d’homme. C’est pour cette raison dès sa naissance, l’enfant qui s’inscrit dans une logique de perpétuation reçoit une éducation qui ne convient pas à sa nature mais à celui de ses parents. Tout au long de courte vie c’est l’adulte qui se réalise à travers lui. C’est cette centralisation de l’adulte dans le processus éducatif que tente de renverser Rousseau en affirmant le contraire. L’adulte n’est pas c’est l’enfant qui est. S’inspirant du sensualisme lockéen, il pense que l’enfant est un être qui est d’abord sensitif, puis actif et enfin raisonnable. De cette déduction, il découle qu’on doit éduquer l’être en fonction de ce qu’il est. Et comme au début il est sensitif, il faut donc commencer par une éducation des choses. Pour Rousseau, le développement psychologique de l’enfant obéit à trois étapes que tout éducateur doit prendre en charge. C’est pourquoi, il pense que la première éducation doit être négative, comme en témoigne ses propres propos dans l’Émile « il faut au départ non pas essayer de donner du savoir à l’enfant mais il faut simplement faire de telle sorte que la nature qui est en l’enfant puisse suivre son chemin ». Suivre la nature de l’enfant, c’est respecter selon lui les divisions naturelles que l’âge introduit dans la vie humaine. Accorder à l’enfant le droit d’être lui-même, de le laisser grandir dans son royaume d’enfance. Car, chaque étape correspond à un stade spécifique auquel il faut respecter. Puisque l’enfant ne naît pas homme mais le devient, il faut suivre son évolution naturelle. Sa méthode active trouve son essence dans cette idée. Pour éduquer, le maître doit s’éclipser devant le mouvement naturel et laisser l’enfant s’instruire en suivant l’ordre de la nature. Or, une éducation qui suit l’ordre naturel est une éducation qui s’effectue selon la nécessité. Devant la loi implacable de la nécessité l’enfant sentira le besoin de connaître, et d’apprendre. C’est cette méthode que Rousseau qualifie d’éducation négative. Elle consiste à laisser l’enfant se guider naturellement. Il prône cette méthode parce que pense t-il que pour éviter que le processus de dénaturation s’accentue, il faut barrer la route au vice qui vient de dehors. Il s’agit selon lui, de préserver la bonté originelle de l’enfant en suivant l’appel de la nature. Cette éducation «consiste, non point à enseigner la vertu ni la vertu, mais à garantir le cœur du vice et l’esprit de l’erreur ».65 On comprend dés lors cet appel lancé par Rousseau invitant la mère à ériger une enceinte autour de l’âme de son enfant. La première mission de l’éducation n’est point de donner du savoir mais de suivre la nature. Éduquer selon la nécessité, c’est l’une des façons pour lui de rendre l’enfant libre. C’est dans cette logique d’idées qu’il nous dit s’il : « brise les meubles dont il se sert ; ne vous hâtez point de lui donner d’autres ; laissez-lui sentir le préjudice de la privation que l’enfant doit sentir la nécessité des choses. Il casse les fenêtres de sa chambre : laissez le vent souffler nuit et jour sans vous soucier des rhumes, car il vaut mieux qu’il soit enrhumé que fou ». 66 Rousseau veut dire par là que l’enfant doit sentir la nécessité des choses. Car, son premier langage est celui d’obéir et de commander. Devant l’indifférence des parents face à ses cris, il sentira le besoin de parler. Et ce même besoin lui conduira à marcher. Devant un objet qu’il à acquérir, il sentira la nécessité de mouvoir. Il rejette toute idée d’une éducation verbale. L’enfant doit lui-même sentir la nécessiter des choses pour pouvoir aller à sa recherche et manifester le besoin de les avoir. Ainsi Émile recevant une lettre d’invitation sentira le besoin d’apprendre à lire et à écrire. En effet, selon lui l’enfant ne comprend que le monde physique, il ne connaît point les idées de bien et de mal, de bon et de mauvais. Quand il agit, il n’est pas animé par une idée de méchanceté ni de bonté, car il est innocent. Ce que l’auteur de l’Émile essaye de nous faire comprendre c’est que le maître doit tout matérialiser en action. C’est pourquoi il pense que si le but de l’éducation est qu’Émile soit un jour un homme non dénaturé il faut que le précepteur ne soit pas pressé mais suivre la grande chaine des âges. C’est ce qui explique la portée et l’originalité de la méthode de Rousseau. Sa méthode dite inactive consiste principalement à perdre du temps. Ce choix s’explique par le fait que Rousseau est conscient que le développement humain est progressif mais surtout que c’est un risque de vouloir, en matière d’éducation et d’instruction , brûler les étapes de la vie.

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Table des matières

INTRODUCTION
Première partie : De la question de la théorie de l’éducation
Chapitre I : Principes généraux de l’éduction
Section 1 : La question philosophique de la finalité axiologique ou spirituelle de l’éducation
Section 2 : L’individualisme ou sociologisme comme finalité
Chapitre II : Définition et finalité de l’éducation chez Locke et Rousseau
Section 1 : L’utilitarisme comme finalité de l’éducation chez Locke
Section 2 :L’homme comme fin ultime de l’éducation chez Rousseau
Deuxième partie : De la question des pratiques éducatives
Chapitre I : La pédagogie éducative entre traditionalisme et modernisme
Section 1 : La méthode traditionnelle
Section 2 : La méthode moderne.
Chapitre II : La révolution lockéenne et rousseauiste des pratiques éducatives
Section 1 :L’éducation par les sens chez Locke
Section 2 : la méthode active chez Rousseau
Troisième partie : Pertinences et limites de l’éducation lockéenne et rousseauiste
Chapitre I : Locke et Rousseau précurseur de la pédagogie moderne
Section 1 : La pertinence de leurs méthodes éducatives
Section 2 : L’importance du travail manuel dans le dispositif des apprentissages
Chapitre 2 : L’illusion pédagogique lockéenne et rousseauiste
Section 1 : La vision utopique de l’éducation lockéenne
Section 2 : L’illusion pédagogique de rousseau
Conclusion
Bibliographie

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