S’engager dans une réflexion sur le thème du développement est un réel défi au vu de l’étendue du sujet. L’expression « sous-développé » est officiellement employée pour la première fois le 20 janvier 1949 par le Président Truman. C’est dans un contexte international changeant (fin de la guerre froide et vague de décolonisation), que le Président s’empare de l’occasion de prononcer un discours offrant un regard différent sur le monde. La formule est très vite reprise dans les sciences sociales. Ce concept de « développement fait partie de ces mots clés de la géographie destinés à réformer en profondeur nos représentations du monde, ainsi que de son organisation, en rendant compte de l’état d’avancement des peuples sur la marche du progrès et de l’industrialisation » (François, 2003, p. 325). Calculé au départ en fonction du produit intérieur brut, les sociologues et anthropologues se sont rapidement questionnés sur le caractère universaliste et moderniste que présentait l’idéologie sous-jacente des théories « développementistes » offrant qu’une simplification de l’histoire. En effet, le terme de développement fait souvent référence au dualisme dissimulé derrière le vocable Nord-Sud. « Les sociétés et les continents n’étaient plus rangés à l’aune du modèle culturel occidental (primitifs/civilisés) mais à celui de son modèle économique (sousindustrialisés/industrialisés) » (François, 2003, p. 325). Dès les années 1960-1970, les Organisations des Nations Unies (ONU) ont favorisé l’émergence des ONG dans les pays « sous-développés » (Navarro-Flores, 2007). Au nord les ONG s’inscrivent d’abord dans une perspective d’aide humanitaire puis de développement pour aujourd’hui s’inscrire dans une logique de solidarité internationale (Favreau et Frechette, 2002). L’expression «solidarité Nord-Sud » renvoie au champ de l’aide au développement et concerne les projets menés par les organisations du Nord pour améliorer les conditions de vie des habitants des pays du sud, plus précisément pour « améliorer sans cesse le bien-être de la population et de tous les individus, sur la base de leur participation active, libre et significative au développement et au partage équitable des bienfaits qui en découlent » (Kunanayakam, 2007, p. 8).
Appréhender les débats de la recherche sur le développement
La recherche dans le champ du développement regroupe de nombreuses études de cas. Cette littérature riche nous offre un éclairage sur l’application des grandes orientations institutionnelles (Buclet, 2002), sur la pratique des programmes de développement, les relations entre les acteurs (Assogba, 2008 ; Charmillot, 2008 ; etc.) ou encore sur la Recherche et Développement (R&D) dans les programmes de développement (El Fakhir, 2008). Nous avons mis en lumière les études qui nous permettent de comprendre les questions qui restent en suspens dans la littérature afin d’identifier les défis qu’il reste à parcourir dans ce champ de recherche. Le développement est considéré : « comme le processus par lequel les libertés réelles des personnes s’accroissent » (Sen, 2001, p. 8). Ce terme, utilisé dans les sciences humaines, désigne l’amélioration des conditions et de la qualité de vie d’une population. Il renvoie à l’organisation sociale servant de cadre à la production du bien-être. Le développement signifie l’amélioration du bien-être. Il a été possible de le mesurer grâce aux travaux de l’économiste indien Amartya Sen présentant une avancée majeure permettant la mise au point d’un Indicateur de Développement Humain (IDH). Malgré cette étape importante, la recherche sur le développement pose beaucoup de questions. Les projets de recherche tentent d’y répondre au travers d’études de cas révélant la réalité des projets et programmes de développement. Ce qui nous intéresse, de prime abord, sont les questions relatives aux relations entre porteurs du développement et bénéficiaires du développement.
Les auteurs s’interpellent sur le statut du développement. Si on le considère comme un droit ne serait-il pas dès lors « un devoir pour les pays aidés qui se voient contraints d’accepter l’aide et, par voie de conséquence, contraints de s’adapter aux normes du cadre social productiviste dominant qui l’a produite et d’en subir les conséquences ?» (Charmillot, 2008, p. 125). Voici le type d’interrogation sous jacente de ce champ de recherche. Plusieurs chercheurs restent pessimistes face à ce concept de développement, jalonnant des pratiques laissant perplexes. En effet, les projets de développement doivent-ils transformer « pour atteindre leurs objectifs, ou tout au moins, devrait-on dire, pour ne pas nuire ? Faut-il, plus radicalement, en finir, une fois pour toutes, avec le développement ?» (Latouche, 2001, p. 3).
En donnant la parole à trois acteurs emblématiques d’un projet de développement au Burkina Faso, Maryvonne Charmillot (2008) tente de questionner les ambiguïtés concernant l’aide et la solidarité Nord-Sud. Au travers d’une étude de cas, elle prend en considération trois acteurs clefs : le chef du village, un sociologue, un agent d’un organisme international onusien et ancien professeur à l’université et un coordinateur d’Organisation non Gouvernementale (ONG) et doctorant en développement. Mettre en relation ces trois profils d’individu apporte une grande richesse sur les questions posées autour du développement. En creusant le phénomène de l’aide au développement directement au cœur d’un projet avec une analyse des discours de plusieurs parties prenantes, elle cherche : « quelles significations recouvrait la notion de l’aide dans l’organisation sociale endogène et quelles étaient les ressources à disposition pour créer des alternatives aux processus d’aide actuels ? » (Chamillot, 2008, p. 127).
Elle s’inscrit dans une démarche interactionniste « historico-sociale » relative au paradigme de la compréhension et donne une grande importance au langage. Elle propose des explications au travers des discours des acteurs exposant un certain nombre d’ambiguïtés concernant la solidarité Nord-Sud :
– Les difficultés tiennent pour une part au « caractère naturel » que revêt le développement pour ceux qui apportent l’aide (Chamillot, 2008). Les paramètres d’évaluation statistique de réussite d’un projet, ou même une définition de ce que devrait être le développement sont forcément véhiculés par des personnes du nord transposant leurs normes, valeurs ou indices découlant de leurs représentations. Les attentes internationales conditionnent le champ du développement et même si un organisme se voudrait différent il serait contraint de respecter des logiques internationales de l’aide au développement.
– « Le langage de l’aide est consubstantiel à celui du développement. Les alternatives pour s’en détacher sont dès lors extrêmement difficiles car ce langage est comme une seconde nature, ce qui fait dire à Singleton (2004) que les acteurs du développement sont des ethnocentristes naturellement appelés à s’ignorer comme tels. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce phénomène ne concerne pas seulement les pourvoyeurs d’aide occidentaux. Les acteurs endogènes, comme le souligne l’un de nos interlocuteurs, ne sont pas épargnés. » (Chamillot, 2008, p. 129) En effet, le doctorant en développement explique qu’il a été formé au sein d’un institut de développement prônant un certain nombre de pratiques et d’idéologies que les institutions africaines ne peuvent partager.
Dans son enquête, Chamillot (2008) formule une explication autour du don :
– L’agent de l’ONU soulève que les institutions d’aide ont souvent tendance à contrôler, juger, noter ou sanctionner mais pas d’accompagner « comme pourrait le faire un ami pour avancer ensemble dans les difficultés. » (Chamillot, 2008, p. 135). Or, selon Mauss le don n’est jamais gratuit (Mauss, 1924). On attend de l’aide, des résultats, ce qui instaure un système hiérarchique et une quête de légitimité entre celui qui donne et celui qui reçoit (Traoré, 2008). Le chargé de mission interrogé explique que : « aider c’est ne plus être aidé, or donner n’aide pas à se passer de l’aide » (Charmillot, 2008, p. 135).
Il faut parvenir, selon l’auteur, à créer une relation de confiance par le respect et la valorisation de ce qui est et apparaît comme la condition sine qua non pour que l’aide retrouve un sens. Mais cela dépend de la prise en compte de la culture : « la culture, dans la signification pleine que la tradition anthropologique donne à ce terme, est ce qui donne sens à la réalité humaine et sociale […], la culture est ce qui permet de trouver une réponse au problème de l’être et de l’existence » (Latouche, 2004, p. 107).
– Selon Charmillot (2008) il faut orienter l’aide du côté du sens c’est-à-dire du côté de la culture. Elle offre ainsi un exemple avec une tradition africaine : « les projets de développement n’ont jamais tenu compte des structures sociales existantes, à savoir le système lignager, mais ont d’emblée imposé comme modèle les associations ou groupements. Or, ces structures sont séculaires, la colonisation, l’arabisation, le choc des cultures occidentales à travers les radios et tout le reste n’a pas changé. De fait, l’africain est resté lignager et ethnique, on ne peut pas supprimer les ethnies. L’âme africaine a toujours été ségrégationniste et ethnique, je ne dis pas que c’est une qualité, je dis qu’il ne faut pas négliger cette dimension culturelle » (Chamillot, 2008, p. 136). Dans les villages africains, aider est ainsi soit un droit que l’on doit aux enfants ou aux personnes âgées, soit un soutien pour une personne interne à la communauté pour éviter de demander de l’aide de l’extérieur. L’aide au développement des ONG est perçue par les villageois comme de l’aide que l’on fournirait à une personne âgée qui est en train de mourir. Une fois que l’on part c’est le projet qui s’arrête. Ainsi concernant la notion d’aide dans le champ du développement nous pouvons retenir deux éléments à ce stade :
➤ Cette première enquête divulgue les malaises découlant des programmes de développement au travers des parties prenantes. Les projets d’aide induisent de fait une analyse de la nature des rapports sociaux et des relations. Les rapports sont, à ce jour, toujours trop asymétriques d’après ce qu’en déduit l’auteur. Il faut non pas considérer l’aide comme un outil de domination mais « dans une perspective de reconnaissance de l’autre » (Chamillot, 2008, p. 135).
Cela étant mis en avant par cette enquête, il reste à comprendre par quoi passeraient des projets attachant plus d’importance aux rapports sociaux. Car c’est un enjeu, dans la recherche sur le développement, que d’identifier les mécanismes permettant des projets plus en adéquation avec les attentes et les besoins des multiples profils d’acteurs.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : REVUE DE LA LITTERATURE
1. APPREHENDER LES DEBATS DE LA RECHERCHE SUR LE DEVELOPPEMENT
2. LE DEVELOPPEMENT DANS LES PRATIQUES DES ACTEURS D’APRES LA LITTERATURE
CHAPITRE 2 : LE DEVELOPPEMENT SOUS L’ANGLE DES OUTILS DE GESTION
1. LES OUTILS DE GESTION : ECLAIRAGE CONCEPTUEL
2. L’APPROPRIATION DES OUTILS DE GESTION TRADUIT EN TERME D’USAGE
2.1. Les apports structurationnistes d’Orlikowski : la primoté de l’usage
2.2. Les apports de de Vaujany sur l’appropriation des outils de gestion
2.3. L’appropriation : vers une dynamique d’action collective
3. L’APPROPRIATION ET L’USAGE D’UNE TECHNIQUE PAR UNE MISE EN RELATION DURABLE DE PLUSIEURS ACTEURS
4. RECAPITULATIF DE LA LITTERATURE VERS LE CHEMINEMENT D’UN MODELE D’ANALYSE
CHAPITRE 3 : METHODOLOGIE ET PRESENTATION DU TERRAIN
1. PRESENTATION DU TERRAIN
2. POSTURE DU CHERCHEUR
3. MISE EN LIEN DES ELEMENTS CONCEPTUELS AVEC NOTRE PROCESSUS METHODOLOGIQUE ET NOTRE TERRAIN
CHAPITRE 4 : RESULTATS DE L’ENQUETE
1. PRISE EN COMPTE DU CONTEXTE SOCIO-POLITIQUE : VERS L’EMERGENCE D’UN NOUVEAU PROJET
2. L’ASSOCIATION MENE-T-ELLE LA CONCEPTUALISATION DE L’OUTIL D’APRES UNE PRISE EN COMPTE DES USAGES ?
3. LA MISE EN RELATION ET LA COMMUNICATION AUTOUR DE LA « CDS »
DISCUSSION ET CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES
TABLE DES FIGURES
TABLE DES TABLEAUX
TABLE DES ANNEXES
ANNEXES