La purification
L’histoire de l’homme depuis l’ancêtre Adam et le fameux péché originel le présente comme tributaire de Dieu. La souillure de la race a, en fait, entrainé une corruption généralisée de l’individu2 qui patauge nécessairement dans le vice comme le souligne ces vers ;
Les enfants de ce siècle ont satan pour nourrice
On berce en leurs berceaux les enfants et le vice
Nos meres ont du vice avec nous accouchée
En nous concevant ont conceu le péché
Ainsi, l’être humain qui, a été nécessairement créé pour vivre en relation intime avec son créateur, décide, par un choix libre de s’affranchir de la dépendance divine dont l’issue fatale suscite une nette séparation entre lui : « infiniment petit » et le Tout Puissant : « infiniment grand » ; constat que le poète justifie en ces termes :
Mon Dieu, vray juge et père, au milieu du trespas
Je ne t’ay point laissé, ne m’abandonne pas :
Tout puissant, de ta force assiste ma foiblesse ;
Ne me laisse, Seigneur, de peur que je te laisse.
Cet aspect fameux, purement originel, et conçu essentiellement dans son sens majeure, laisse susciter, à ce titre, un abime entre l’homme devenu indubitablement pécheur et son Seigneur naturellement Saint que le poète inquiet évoque avec angoisse en ces prophétiques vers :
Hai et cognoi le vice avant qu’il soit venu ;
Crains-toi plus que nul autre ennemi incognu.
N’aime les saletés sous les couleurs d’un bon conte,
Elles te font souffrir et non sentir la honte.
Anselme de Cantorbery nous parle de « l’affreuse chute » qui détermine le sort humain en ces termes : « il a perdu la béatitude pour laquelle il a été fait, et a retrouvé la misère pour laquelle il n’a pas été fait. S’est retiré sans quoi il n’y a rien d’heureux, et est resté ce qui par soi rien n’est que misérable. En ce temps-là, l’homme manger le pain des anges, duquel il a faim maintenant et maintenant il mange le pain des douleurs qu’en ce temps-là il ignorait. » Dans ce fort constat notable et notoire, tout finit donc par prédisposer l’homme à la damnation et rien au salut. La clémence du père et sa bonté vont cependant rompre au ciel un tel arrêté car, par sa souveraineté et sa toute puissance, l’Eternel va tendre une main salvatrice à certains du groupe des perdus :
Les bons du sainct Esprit sentent le tesmoignage
L’aise leur saute au cœur et s’espand au visage
Car ils doivent beaucoup, Dieu leur a fait don,
Ils sont vestus de blanc et lavés de pardon.
En revanche, le protestant du XVIe siècle qui, s’inscrit dans cette logique idéologique, reste conscient principalement du caractère vicieux et naturel de l’homme. En fait, ce dernier espère, dans la souffrance, obtenir une éventuelle purification de ses vices où le poète, dans ce malheur terrestre, tire profit :
Si la moitié de moy pourrit devant mes yeux,
Je diray que cela va le premier aux cieux;
La belle patience et le desir du reste,
C’est de haster l’effect de le terre celeste.
Par conséquent, Agrippa d’Aubigné, par le « stratagème de la belle » que lui impose son génie créateur, trouve l’ultime solution dans la faveur fatale. En s’accordant, en réalité, des faveurs qu’il n’est à mesure de refuser en tant que bon chrétien, il prône le pas en arrière vers l’utile source qui crée les conditions d’un profond retour et lui assure le bond véritable du futur propice :
Entre ceux dont l’esprit peut estre traversé
De l’espoir du futur, du loyer du passé,
Du bourg aura ce rang : son coeur pareil à l’aage,
A sa condition l’honneur de son courage,
Son esprit indompté au Seigneur des Seigneurs
Sacrifia son corps, sa vie et ses honneurs.
Le poète, par-là, pour consoler donc ses camarades protestants, veut faire savoir que la misère et la souffrance constituent deux éléments féconds et sérieux par lesquels le fidèle protestant peut apurer sa vertu pour imprimer à l’âme sa vérité propre:
De ton feu, repurge aussi de mesme feu
Le vice naturel de mon cœur viscieuz
De ce zelle tres- sainct rebrusle-moi encore,
Si que (tout consommé au feu qui me devore,
N’estant, serf de ton ire, en ire transporté,
Sans passion) je sois propre à ta vérité.
Par ailleurs, pour atteindre la vie en abondance, le croyant protestant devra, selon le poète, déployer des efforts propres convertis avec persévérance et endurance au sein d’une vie humaine remplie d’épreuves et de bonnes conduites où sera cultivée la valeur de l’éthique et de la morale en conformité aux décrets prescrits par la loi de la Parole Sainte :
Le prophete dompteur des lyons indomptés
Le nomme en ses escrits l’escrit des verites.
Tout y est bien marqué, nul humain ne l’explicque.
Ce livre n’est ouvert qu’à la troupe angelicque,
Puis aux esleus de Dieu, quand en perfection
L’ame et le corps goustront la resurrection.
Par contre, le rachat apparait alors comme une solide obligation qui, dans l’harmonie de l’esprit du poète, nécessite une entreprise de purification. Le processus de recréation et de revitalisation idoine à la quête d’une grandeur humaine conquise et retrouvée, passera forcément par une renaissance personnelle dont le poète, vivement soucieux, fait le constat du caractère contingent qui détermine le paradoxe de l’être en ces termes :
L’homme est si inconstant à changer de demeure,
La nouveauté lui plaist ; et quand il est au lieu
Pour changer cette fange à la gloire de dieu,
L’homme commun se plaint..
Sur ce, trouver d’autres voies à la vision de l’âme dans sa sainteté originale et originelle, ne serait alors favorable qu’à retrouver les sentiers légitimes et glorieux tracés par les Anciens dont l’état de leurs aspirations nécessite à la fois une humilité et une conjuration des démons et, en même temps, une haute dévotion car le poète note :
Le mal bourgeonne en moy, en moy fleurit le vice,
Un printemps de peches espineux de malices :
Change-moy, refay moy , exerce ta pitié
Rend moy en ce monde,oste la mauvaistié
Qui possede à son gré ma jeunesse première,
Lors je songeray songe, et veray ta lumiere.
Dans ce cas, pour d’Aubigné, il importe essentiellement de conjurer le mal qui dort en soi afin d’être apte à voir le monde avec le regard purifié et purificateur du poète inspiré. De ce fait, la posture éthique du poète, lui exige, en contrepartie, à rhabiller de nouveau son costume pour en magnifier la société autrement et pour y vivre autrement :
Je plains ce qui m’est ennemy,
Les monstrant j’ay pour eux gemi :
Car qui veut garder la justice,
Il faut hayr distinctement
Non la personne, mais le vice
Servir, non cacher l’argument.
Par conséquent, la mission présentement assignée par le poète, fait jaillir en principe une vue transcendante qui, d’une façon propre et prompte, déborde le cadre de cette vie terrestre et passagère faite d’injustice et de mensonge dans laquelle il s’agira indéfiniment de « naistre et de renaistre après net pollutions » , seule et ultime voie de salut pour échapper à l’oppression et à la damnation car le poète, avec prétention, clame avec voix forte :
Ces joyaux sont bien peu, l’ame a bien autre gage
De l’espoux qui lui donne un si haut mariage.
Ici, le thème baudelairien de la postulation vers l’Absolu trouve alors toute son importance, et devient ainsi le fruit d’une opération mystique profitable durant laquelle « l’ambition passionnelle de l’homo religiosus l’emporte sur les évidences rationnelles de l’homo sapiens » dont la prétention à l’idéal, justifie toute la volonté du poète à se débarrasser des souillures qui entravent la marche vers la vérité :
Il faut à ses yeux clairs estre net, pur et blanc,
N’avoir tache d’orgueil, de rapine, de sang.
D’ailleurs, l’âme humaine, installée dans sa déchéance et dans son engourdissement, et abandonnée par sa propre lumière originelle, compte percer subtilement les ténèbres alentours au moment où les miasmes terrestres taraudent et exacerbent à l’excès son angoisse maladive:
De qui la laide nuict cache le beau tourment :
Non que l’ambition y soit quelque salaire,
Le salaire est en Dieu à qui la nuict est claire ;
Pour beau l’instrument de qui l’exemple sert
A gaigner en mourant la brebris qui se perd.
En définitive, en pariant donc définitivement « pour Dieu» Agrippa d’Aubigné, dans la souffrance, fait le grand choix qui doit déterminer toute vie de la croyance humaine. Alors en prétendant prouver l’importance de la purification, il aménage une piste prometteuse, et montre avec clarté et clairvoyance les avantages que le fidèle protestant peut y tirer. Ainsi, la pratique a priori de la vertu dans l’endurance fait naitre la foi à travers laquelle agit la grâce salvatrice de Dieu.
La traversée périlleuse du désert
Le désert, lieu symbolique pour le calviniste, constitue l’endroit privilégié où se déroule le culte protestant. En réalité, si son intransigeance notoire aux assemblées protestantes lui a valu le fameux nom « Le bouc du désert », Agrippa d’Aubigné rejoint Kierkegaard dans la logique selon laquelle seul le chemin de la difficulté et des remords peut mener à la gloire de martyrs :
O desert, promesse des cieux,
Infertile mais bien heureux
Tu as une seule abondance,
Tu produis les célestes dons.
Sur cette lancée, le poète reste de prime abord conscient de la complexité de la traversée du désert même s’il est convaincu que Dieu l’a choisi pour le défendre lui et sa cause :
Le fardeau, l’entreprise est rude pour m’abattre,
Mais le doigt du grand Dieu me pousse à le combattre.
Par conséquent, dans cette traversée sulfureuse d’un « désert stérile où sanglotent les vents chauds porteurs des souffrances du poète et de ses coreligionnaires », Agrippa d’Aubigné qui apparait sous le visage de « vrai et franc huguenot », érige sa conduite en modèle de comportements dont l’approche éthique conforme à la morale chrétienne justifie volontiers la présence divine en lui :
Tu m’as donné la voix, je te louerai, mon Dieu,
Je chanteray ton los et ta force au milieu
De tes sacrés parvis, je feray tes merveilles,
Ta deffence et tes coups retentir aux oreilles
Des princes de la terre, et si le bas
Sçaura par moy comment les tyrans tu abas.
Par ailleurs, ne piétinant, en principe, ni l’honneur, ni le droit dans son ardente mission, le poète qui, allie exploits terrestres et signes du ciel, représente de fort et belle manière le symbole d’une figure éloquente de la parole donnée dont la ferveur et le courage face aux persécutions plaisent à la morale universelle et le consacrent chantre de dignité comme le montre la fermeté de sa détermination qui nourrit son ambition en ces vers :
Ayant fait cette paix avec ma conscience,
Je m’advance aux labeurs avec cette asseurance
Que, plus riche et moins beau, j’escris fidellement
D’un style qui ne peut enrichir l’argument.
Ainsi, l’aspiration permanente à la gloire de martyrs qui façonne et rayonne en puissance son ambition majeure exige d’Aubigné à porter jusqu’au bout « la palme de la vertu ». En réalité, pour faire admirer le caractère exempt et exemplaire des protestants dans la traversée périlleuse du désert, le poète exalte infiniment l’hymne de la béatitude de toutes ces figures prométhéennes vouées à la libération en leur faisant sucer fastueusement le miel de la terre promise :
O martyrs aimez! O douce affliction!
Perpetuel marque à la saincte Sion,
Tesmoignage secret que l’Eglise en enfance
Eust au front et à l’ein, à sa pauvre naissance,
Pour choisir du troupeau de ses bastardes sœurs
L’heritier du ciel au milieu des malheurs.
Sur ce, reprenant expressément les enseignements du Christ et ceux d’Epictète, le poète, en saluant, dans la souffrance toute la fermeté confessionnelle des vaillants martyrs, montre que le véritable bonheur ne se trouve nulle part ailleurs que dans la vertu. En principe, le poète cherche à faire comprendre que la paix de l’âme humaine n’est subséquente que par rapport au devoir de martyrs et une domination exercée par la volonté humaine sur les passions :
Ceux-là regnent vraiment, ceux-là sont des vrais rois!
Qui sur leurs passions establissent des lois,
Qui regnent sur eux-mesme, et d’une âme constante
Domptent l’ambition volage et impuissante.
Par ailleurs, dans la nécessité ambitieuse de rétablir l’ordre du bien en apparence ruinée sur terre, d’Aubigné demeure conscient que la tragédie du présent que caractérise la traversée du désert, se rattache indubitablement à la finalité du salut. Tout bon chrétien doit dès lors choisir au carrefour du vice de la vertu et préférer la « porte étroite », seul passage du ciel comme dans ces vers où le poète fait appel à la force divine dans sa sublime grandeur :
… O Dieu, double ma foi,
C’est par les maux aussi que les siens vont en toy
Je ne t’oublierai point, mais mon Dieu fay en sorte
Qu’à la force du mal je deviens plus fort.
En définitive, comme l’enseigne André Baiche, ici, la vocation du fidèle protestant, et de d’Aubigné en particulier, doit être de « louer Dieu et de le servir en tout » en s’engager à « réveiller la vraie foi dans les cœurs assoupis aux chansons du mensonge » ». Dieu étant alors le seul refuge contre le Mal, le poète chante Sa miséricordieuse grâce afin de susciter l’ « espoir qui vit dans le cœur du croyant accablé ».
Le sauveur désiré de l’Eglise menacée
Dans une période de pure malaise religieuse où la parole divine reste ébranlée et les principes de l’Eglise bafoués par les ennemis jurés de Dieu, le camp protestant, en général, et le poète en particulier est interpelé à secourir à la faveur de l’Eglise persécutée et à sauver la vérité de la parole donnée que d’Aubigné, œuvrant au service de la cause divine, annonce dès la préface la mesure forte de son indemne soumission:
Tu es né legitimement
Dieu mesme a donné l’argument
Je ne te donne qu’à l’Eglise,
Tu as pour support l’equité,
La vérité pour entreprise
Pour loyer l’immortalité.
Sur cette lancée, le poète qui, est mandé par Dieu à « guerroyer la puante Ninive », affiche une haute et saine dévotion pour l’émergence du corps véritable de l’Eglise Reformée où Le poète calviniste, malgré sa détermination, reste totalement conscient de la complexité de la « vocation » qui peut lui valoir s’il le faut la peine même de la mort comme il le dit :
chascun de tes jours tende au dernier de tes jours
De qui veut vivre au ciel l’aise soit la souffrance
Et le jour de la mort celui de résurrecti.
Par ailleurs, Agrippa d’Aubigné se voit sous « la figure de Moise, le libérateur par excellence ». Sur ce, le poète huguenot, à l’image de ses camarades de camp, se sent appelé par les âmes des illustres martyrs reformés à s’associer à la libération de l’Eglise persécutée et à l’action de la vengeance divine promise même par les écritures saintes :
Mais dessous les autels des idoles j’advise
Le visage meurtri de la captive Eglise
Qui a sa delivrance (aux depens des hasards)
M’appelle, m’animant de ses tranchants regards.
Au regard de ces vers ci-dessus, les coreligionnaires de d’Aubigné de même que lui, auraient certainement reçu une allusion directe au texte de l’apocalypse. Ils seraient, en fait, souvenus de l’appel angoissé à la vengeance de la parole divine dont l’expression en termes explicites reste assurée par les vers suivantes :
Ames dessous, l’Autel victimes des idoles
Je preste à vos courroux le fiel de mes paroles
En attendant le jour que l’ange delivrant
Vous aille aux portaux du paradis ouvrant.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. PREMIERE PARTIE : L’INTERPRETATION CALVINISTE DE LA SOUFFRANCE
Chapitre 1: L’appel à la repentance
1. La purification
1.2 Le réconfort de la foi divine
1.3 L’action de la grâce divine
Chapitre 2 : le rôle de martyrs
2.1. La traversée périlleuse du désert
2.2. La sanctification
2.3. La participation à l’action de la vengeance divine
Chapitre 3 : Le signe de l’élection
3.1. La cible de l’Eglise persécutée
3.2. Le porte flambeau de la parole divine
3.3. Le sauveur désiré de l’Eglise menacée
II. DEUXIEME PARTIE : SENS ET SIGNIFICATION PROTESTANT DE LA MORT
Chapitre 4 : La fameuse résurrection des corps
4.1. La première résurrection
4.2. L’ascension des âmes bénies vers le ciel
4.3. La délivrance des âmes reformées
Chapitre 5 : La procuration de la justice divine
5.1. L’annonce La défaite certaine e l’Antéchrist
5.2 L’alliance dans la vengeance du sang des martyrs protestants
5. 3. L’entrée en vigueur des châtiments infligés aux ennemis infidèles
Chapitre 6 : Le rendez-vous du Grand Salut Divin
6.1. Le couronnement de la gloire des saints martyrs
6.2. La béatitude des âmes Réformées
6.3. Le règne de l’éternel
III. TROISIEME PARTIE : L’APPROCHE DU REALISME LITTERAIRE
Chapitre 7 : La théâtralisation de la violence physique et verbale
7.1. La poétique du tragique et de l’horreur
7.2. L’expression de la colère poétique
7.3. L’image du feu : de la fureur poétique à la lueur thérapeutique
Chapitre 8 : L’imaginaire de la fin des temps
8.1. L’appréhension de l’Apocalypse
8.2. La pensée poétique de la mort
8.3. La dimension mystique de l’écriture protestante
Chapitre 9 : La peinture de la guerre et des évènements marquants et contemporains
9.1. La scène miracle de Thalcy et ses antécédants
9.3. L’évocation de la Saint-Barthélemy
9.3. La peinture systématique de la guerre civile
CONCLUSION
Bibliographie
I. Œuvres de l’auteur
1. Corpus
2. Autres œuvres de l’auteur
II. Critiques sur l’œuvre
III. Critiques sur la littérature
IV. Web graphie
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