L’approche de la psychologie socioculturelle
Cadre théorique
Nous précisons que ce chapitre présente des catégories différentes qui ne sont pas perçues comme étant dissociables, mais au contraire plutôt étroitement liées et que l’on retrouve dans des situations de difficultés d’apprentissage. i. Le problème des difficultés attentionnelles dans l’apprentissage a. Définition des difficultés d’apprentissage Les obstacles à l’apprentissage de l’enfant sont considérés comme des écarts par rapport à la norme et affectent les performances scolaires (Pain, 1985). Pain (1985) considère les difficultés d’apprentissage comme tout trouble affectant le déroulement normal de l’apprentissage, comportant des difficultés précises – par exemple sur le langage, la lecture ou encore le calcul – qui perturbent clairement l’apprentissage par rapport à une norme donnée. Bosse (2004, p.233) souligne l’importance d’une prévention des difficultés d’apprentissage, dont la dyslexie, par les logopédistes. Cependant, elle met également en évidence l’apport d’un travail pédagogique sur la dyslexie au sein de l’école. b. Le trouble de l’attention Les enfants étudiés dans le cadre de ce travail sont atteints tous deux de déficit d’attention, qui entravent leur parcours d’apprentissage. « Le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) » provient de l’expression en anglais « attention deficit hyperactivity disorder » (Bourgueil, 2007, p. 63). Pour pouvoir diagnostiquer ce trouble comportemental à un sujet, «les symptômes doivent se manifester à l’école mais également dans l’environnement familial et doivent avoir débuté avant l’âge de sept ans (Bourgueil, 2007, p.63)». Cette condition est valable pour les deux cas, car leurs difficultés d’attention se manifestent autant en classe que dans leur famille. Toutefois, les deux enfants ne sont pas sujets à l’hyperactivité, et sont donc atteints d’un trouble considéré comme déficitaire de l’attention sans hyperactivité TDA. Pour mieux comprendre les symptômes du déficit de l’attention, le neuropsychologue Bourgueil (2007, p.65) nous explique brièvement le rôle des fonctions attentionnelles dans l’apprentissage, qui servent à saisir cognitivement les informations pour les traiter ensuite à l’aide des fonctions exécutives. L’entourage de l’enfant, ses parents et ses professeurs peuvent décrire le comportement qu’ils observent chez le sujet et rapporter les difficultés d’apprentissage visibles. La motivation est en outre un facteur qui peut influencer la capacité à se concentrer de manière importante et durable ; si l’enfant est volontaire, il sera plus attentif (Bourgueil, 2007, p.65). 10 Il existe plusieurs types d’attention : l’attention soutenue « vise à maintenir son intérêt vers une source d’information pendant une période relativement longue estimée dans les épreuves expérimentales à dix minutes ou plus (Bourgueil, 2007, p.65)». Cette forme d’attention est requise dans les apprentissages en classe d’une durée de plus de trente minutes et à répétition dans une journée. Un trouble de l’attention comporte toujours une déficience cognitive au niveau de l’attention soutenue chez les enfants présentant un TDA/H et est source de difficultés dans le milieu scolaire et familial. La deuxième forme d’attention, appelée « attention sélective ou focalisée » (Bourgueil, 2007, p.65) se distingue de l’attention soutenue car elle consiste en une compétence « dont la capacité est plus limitée dans le temps ». L’attention sélective fonctionne comme un filtre parmi diverses informations exposées, et extrait certaines informations pertinentes en inhibant le reste. A nouveau, les enfants atteints de TDA/H ont tendance à être distraits, même lors d’une tâche courte, à cause d’une altération de l’attention focalisée (Bourgueil, 2007, p.66). L’environnement est riche d’éléments distracteurs, qui peuvent capter à tout moment leur attention, ce qui occasionne une « impression d’un enfant qui papillonne » chez les personnes témoins. Les difficultés d’apprentissage se ressentent car le sujet a de la peine à sélectionner les informations pertinentes dans la tâche qu’il est en train de réaliser à cause des stimuli de l’environnement et réalise fréquemment des erreurs (Bourgueil, 2007, p.66). Quant au troisième type d’attention, il se décline en attention divisée pour « traiter simultanément deux tâches », notamment dans des contextes d’apprentissage où le sujet doit « écouter l’enseignant en écrivant (Bourgueil, 2007, p.66) ». Les ressources de l’attention divisée sont meilleures si « l’une des tâches est automatisée », et si le sujet est capable d’inhiber des informations pertinentes. De plus, « les modalités auditives ou visuelles […] sont toujours globalement déficitaires dans le TDA/H (Bourgueil, 2007, p.66)». Après avoir décrit les fonctions attentionnelles, précisons que les fonctions exécutives jouent également un rôle adaptatif dans les situations d’apprentissage, en analysant les informations initiales, participant aux ressources attentionnelles par des processus de planification, d’inhibition et de coordination des tâches (Bourgueil, 2007, p.66). Les fonctions exécutives sont liées étroitement aux fonctions attentionnelles, car elles servent à « maintenir puis […] déplacer l’attention d’un objet à un autre grâce aux mécanismes d’inhibition et de flexibilité cognitive (Bourgueil, 2007, p.66) ». Un aspect important que relève Bourgueil (2007, p.67) concerne les conséquences de ces troubles cognitifs sur l’apprentissage, notamment pour des problèmes de lecture («omissions de lettres ou de mots, substitutions de mots […] sauts de ligne qui vont altérer la compréhension du texte»). Les enfants atteints de TDA/H ont souvent des troubles de type dyslexique (Bourgueil, 2007, p.67)», comme nous le verrons plus tard au sujet du deuxième cas. En outre, les difficultés d’apprentissage peuvent se manifester dans les activités d’écriture, par exemple en recopiant, en raison de défauts de coordination motrice et d’un dysfonctionnement de l’attention soutenue (Bourgueil, 2007, p.67). Cette 11 hypothèse a été vérifiée dans le réseau de soutien du même enfant, comme l’analyse des entretiens avec le père le confirmera. Au sujet des sciences, les mathématiques et le calcul peuvent également poser problème aux enfants TDA, car la mémorisation est freinée par un déficit au niveau de la mémoire de travail. Pour finir, des troubles du langage précoces viennent entraver la fluidité de la parole et sont rapidement remplacés par un langage impulsif « sur des sujets sans aucun rapport avec la tâche à effectuer (Bourgueil, 2007, p.67)». Les troubles cognitifs occasionnent trois répercussions sur le comportement du sujet atteint (Bourgueil, 2007, p.67-68): « difficultés à maintenir un effort au travail (attention soutenue), à centrer leur énergie sur une tâche (focalisation de l’attention) et à se mettre au travail et à s’organiser (planification) ». Les deux enfants étudiés dans le cadre du présent rapport sont concernés par les deux premiers aspects, mais ne présentent pas de difficultés de planification.
L’approche de la psychologie socioculturelle
Lev Vygotsky (1980) est un socioconstructiviste qui suggère que l’apprentissage s’opère par un échange, et notamment par le concept de la médiation : un sujet s’approprie des connaissances à travers des rapports sociaux – influencés par un certain langage et une culture donnée – et peut être étayé grâce à la zone proximale de développement (ZPD). Celle-ci constitue un espace d’apprentissage développé par Vygotsky, qui fournit de l’aide, par le biais d’une tierce personne, à un individu dans le besoin. 12 En effet, dans le cas d’une « situation problématique » ou « problem situation », l’enfant rencontre des difficultés à résoudre une tâche spécifique de manière autonome, et nécessite ainsi une collaboration (Zaretskii, 2009, p.77) avec un adulte (ou un enfant) plus expert (Zaretskii, 2009, p.74). L’élément qui pose problème à l’apprenant dans son cursus d’apprentissage fait référence au concept de « problem epicenter (Zaretskii, 2009, p.88)», par exemple se sentir incapable de faire quelque chose, ou avoir un trouble de l’attention qui le déconcentre lors de son exercice. Lorsque l’enfant parvient à surmonter cet obstacle, avec l’aide d’un adulte dans le cadre d’une ZPD, ses progrès dans l’apprentissage peuvent fournir de ressources pour son développement général. Ceci se réfère à l’idée vygotskienne de « one step in learning may mean a hundred steps in development” (Zaretskii, 2016, p.149). La collaboration entre l’adulte et l’apprenant peut être fournie sous plusieurs formes : une démonstration, une explication ou une simplification d’une tâche complexe en de nombreuses parties pour un travail approfondi (Zaretskii, 2009, p.76). Un processus de collaboration est réussi si l’enfant peut réaliser une tâche avec l’aide d’un adulte, ce qu’il n’arrivait pas à faire tout seul. Le type d’étayage que l’adulte donne à l’enfant ainsi que sa méthode pédagogique influencent le cours de l’interaction, son orientation, et la dynamique de la ZPD auprès de l’enfant. Vygotsky (cité par Zaretskii, 2009, p.71) distingue en effet plusieurs zones de développement de l’enfant, dont l’espace concernant ce que l’enfant peut réaliser de manière autonome, et celui nécessitant l’aide d’un adulte. L’enfant moins expert n’est peut-être pas capable de réaliser une action d’apprentissage sans l’aide d’une tierce personne ; toutefois, s’il le fait dans la « zone of proximal development » en coopérant avec un adulte plus expert, il transite de la « zone of insurmountable difficulty » à la « zone of actual development (Zaretskii, 2009, p.80) ». En d’autres termes, la « zone of actual development » qui se réfère à l’espace d’apprentissage dans lequel l’enfant peut réaliser une action de manière autonome, s’oppose à la « zone of proximal development », dans lequel l’enfant nécessite la collaboration d’une tierce personne (Zaretskii, 2009, p.80) ». Zaretskii (2016, p.150) traite du concept vygotskien de la ZPD comme étant «an area of action where the child-adult collaboration may bring about the beneficial developmental outcomes ». Les défis dans un contexte d’apprentissage, dont les erreurs, les difficultés, les malentendus, les incapacités individuelles et les échecs académiques, peuvent constituer en des « ressources de développement» (Zaretskii, 2016, p.154-155). Si la tâche peut être soutenue dans une zone proximale de développement, il y a six conditions à respecter, selon la « Reflective and Activity Approach» (RAA), pour que l’adulte puisse soutenir l’enfant en collaboration : un contact émotionnel et significatif avec l’enfant (protection, support, acceptation); l’enfant adoptant une position d’agent actif surmontant les difficultés et ayant une posture réflexive sur son comportement ; une interaction collaborative enfant-adulte ; le développement résultant de l’activité autonome de l’enfant et de sa réflexion grâce à l’aide de l’adulte ; l’internalisation par l’enfant des modes d’action appliqués en collaboration avec l’adulte ; un développement à travers une activité conjointe dans 13 plusieurs dimensions, telle que la personnalité et les compétences cognitives entre autres (Zaretskii, 2016,
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Table des matières
1. Introduction
i. Plan du travail
2. Cadre théorique
i. Le problème des difficultés attentionnelles dans l’apprentissage
a. Définition des difficultés d’apprentissage
b. Le trouble de l’attention
c. Stratégies contre l’inattention
ii. L’approche de la psychologie socioculturelle
a. La zone proximale de développement
b. Le processus d’internalisation
c. La théorie du conditionnement opérant
d. Ethnothéories parentales
e. Sphères d’expérience et capital culturel
f. Educational Self
g. Culture de l’école et culture de la famille
iii. Sociomatérialité
a. Psychologie de l’activité
b. Interactions sociomatérielles
c. Interdépendance du social et du matériel
3. Problématique et questions de recherche
4. Méthodologie
i. Cas étudiés et participants
ii. Récolte des données
a. Entretien d’explicitation guidé et travail de réflexion sur la verbalisation
b. Le concept de la subjectivité et son application empirique
c. Entretien biographique-centré sur un problème
d. Observation
e. Entretien réseau
iii. Réflexion éthique
5. L’analyse des données
i. Transcription
ii. Méthode d’analyse
6. Présentation des résultats
i. Julien
a. Manifestations des difficultés d’apprentissage
b. Stratégies pédagogiques d’étayage
c. Stratégies contre l’inattention
d. Fonctions sociomatérielles des objets
ii. Louis
a. Manifestations des difficultés d’apprentissage
b. Stratégies pédagogiques d’étayage
c. Stratégies contre l’inattention
d. Fonctions sociomatérielles des objets
7. Discussion
i. Synthèse des résultats
ii. Regard réflexif sur le travail
8. Conclusion et ouvertures
9. Bibliographie
10.Annexes
i. Grilles de transcription
a. Transcription de l’entretien d’explicitation
b. Transcription de l’entretien de réflexion
c. Transcription de l’entretien biographique-centré sur un problème
d. Transcription de l’entretien réseau
e. Transcription de l’observation
ii. Grilles de codage
a. Codage de l’entretien d’explicitation
b. Codage de l’entretien de réflexion
c. Codage de l’entretien biographique-centré sur un problème
d. Codage de l’entretien réseau
e. Codage de l’observation
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