L’utilisation du jeu à l’école reste pour beaucoup incompatible avec les objectifs de travail de l’école. Le jeu est encore aujourd’hui trop régulièrement considéré comme vide de rentabilité et simplement lié à un seul objectif ludique, de plaisir. L’intégration des connaissances et des savoir-faire par le jeu reste encore largement discutée malgré les multiples travaux prouvant son efficacité ainsi que son intégration dans les programmes d’enseignement tout au long de l’école primaire.
Pourtant la déclaration des droits de l’enfant de 1959, établi à ce titre, selon le 7e principe, que « L’enfant doit avoir toutes possibilités de se livrer à des jeux et à des activités récréatives, qui doivent être orientés vers les fins visées par l’éducation; la société et les pouvoirs publics doivent s’efforcer de favoriser la jouissance de ce droit. ». Symbole de la non-dissociation du jeu et de son impact en termes de développement, de construction de savoirs, savoir-faire et savoir-être, cette nécessité d’accès au jeu est associée dans ce principe au « droit à une éducation qui doit être gratuite et obligatoire au moins aux niveaux élémentaires ».
De plus, l’école se retrouve aujourd’hui confrontée à un défi d’adaptation à une société en perpétuel mouvement. L’arrivée en France aux alentours de 2013 d’un phénomène japonais aujourd’hui encore en développement, interroge à juste titre le monde de l’enseignement. Ce phénomène semble en effet devenir une préoccupation importante pour une poignée d’enseignants persuadés de son impact positif dans l’acquisition du savoir, des savoir-faire et savoir-être. Cette arrivée, c’est celle de l’escape game.
Partie théorique
La démarche d’apprentissage en histoire
Afin de justifier le choix de l’escape game lors d’une séquence d’Histoire, il est nécessaire que celui-ci s’inscrive dans une démarche pertinente pour l’élève. Ainsi entend-on souvent dire qu’il est indispensable que les élèves « fassent de l’Histoire ». Mais « faire de l’Histoire » qu’est-ce que c’est ? Pour Alain Dalongeville, enseigner l’Histoire ce n’est pas raconter l’Histoire, ce n’est pas donner des documents, des questions et énoncer une vérité sur le passé à des élèves simplement récepteurs de l’information. Non, bien au contraire, l’élève doit être au cœur de l’apprentissage. Mais pas seulement.
Le sens
Le sens tout d’abord, pour Dalongeville c’est grâce à lui que l’on retient. Il serait la condition de l’intégration d’une notion chez les élèves, d’un évènement. Il serait aussi un important levier en ce qui concerne l’intérêt des élèves pour cette notion. Mais pour Dalongeville ce sens n’est possible qu’à la seule condition d’une prise de conscience de la part des élèves de la rupture que ce fait marque dans le cours des évènements. Pour faire sens, il est nécessaire de faire ressentir aux élèves l’enjeu de l’évènement. Ce sens est également, selon Benoit Falaize, un élément fondamental de l’enseignement en histoire. Pour faire sens il faut pour lui comprendre l’histoire, comprendre qu’elle est un changement de point de vue permettant des comparaisons. Il faut pour cela leur faire intégrer la nécessité de comprendre le présent, la nécessité d’agir dessus. Pour Marc Bloch, « faire de l’histoire, c’est s’inscrire résolument et collectivement dans les problématiques du présent ». C’est l’intégration de cette nécessité qui permet aux élèves de mettre du sens sur l’Histoire. Pour Gerard Pinson, le sens est lui conditionné par la construction de savoirs pertinents et par la mise en place d’une démarche qui suscite l’intérêt des élèves. Il sera donc important de ne pas occulter cette notion tout au long de la séquence, que ce soit lors des séances précédant ou suivant l’escape game. Pour Dalongeville, il faut intéresser les élèves, les surprendre dans leurs représentations, et pour cela il faut s’intéresser à ce qu’il (l’élève) pense, sa façon dont il conçoit le monde. Il faut que les questions que nous cherchons à faire émerger deviennent siennes. Il est donc nécessaire de « choisir, en fonction du public, les ruptures que l’on va retenir » (Dalongeville, 1995).
Mettre en situation de recherche
Lorsque l’on pense une séance escape game, il est nécessaire donc de s’interroger sur ce sens, mais également sur la manière dont les élèves vont être mis en recherche. Puisque, comme le démontre Alain Dalongeville, il est possible de faire de la recherche en histoire, cela afin de rompre avec la pratique de «l’histoire récit », et l’escape game ne doit pas déroger à la règle.
Pour cela il est essentiel de sortir des sentiers battus, oser questionner les documents avec les élèves, mettre les élèves en situation-problème, remettre en cause leurs préjugés, leurs idées, celles du groupe afin de résoudre le ou les problèmes. Il faut fouiller les zones d’ombres de l’histoire, interroger les évidences puisque l’histoire ne doit pas être une suite d’évènements logiques. Ces évènements ont lieu sous l’influence de multiples aspects, de multiples forces, intérêts qu’il faut souligner, comparer, trouver. La nécessité de sens à encore ici un rôle déterminant à jouer puisqu’elle est la condition d’une réelle implication des apprenants ainsi que d’un réel questionnement de leur part, sans quoi l’activité n’a plus de sens.
Gerard Pinson met lui aussi en avant la nécessité de problématiser. Il s’appuie sur les travaux de François Fluret pour énoncer les étapes de la problématisation qui passent nécessairement par une conceptualisation des faits du passé, la mise en relation de ces faits (construction de réseaux de signification) et la comparaison afin de faire ressortir les particularités de ce passé par opposition à celles du présent. Pour problématiser, il faut une problématique comme l’indiquait le BOEN du 5 février 1987 « Il n’y a pas en histoire de leçon sans problématique » mais celles-ci paraissent parfois, d’après Pinson, étrangères aux propres préoccupations des élèves, à leurs intérêts. Il faut donc chercher à mettre en place des situations problèmes qui vont être dépendantes des intérêts et préoccupations ainsi que des obstacles épistémologiques des élèves. La situation devient alors un véritable problème dont s’imprègne l’élève.
La problématisation à un impact sur la manière dont les savoirs doivent être envisagés en histoire. Ceux-ci ne doivent plus être envisagé « comme le résultat de la résolution d’un problème construit par ailleurs et selon une dimension strictement propositionnelle du savoir (savoir que…) » mais plutôt « comme étant liés à des problèmes et faisant état de nécessités (savoir qu’il ne saurait en être autrement) » (Cariou, 2013). Il faut amener les élèves, par la formulation d’hypothèses, à comprendre les choses, mais également à comprendre pourquoi elles se sont passées ainsi et pas autrement. L’escape game ne doit pas se contenter de n’être qu’un simple contrôle de connaissance ludique, il doit mettre les élèves en situation de recherche, les inciter à se questionner, à comprendre, à remettre en cause. En effet, l’escape game peut rapidement donner l’illusion de recherche de la part des élèves, puisque l’essence même de cette activité repose dans la recherche de réponses aux questions, énigmes posées par le jeu. Les élèves peuvent finalement rapidement se retrouver dans un objectif de recherche de la réponse attendue par le professeur sans réelle compréhension de leur part. Or pour comprendre, il est nécessaire de s’imprégner de la notion, de comprendre son sens, de l’interroger. L’enseignant devra alors veiller à mettre les élèves face à des situations-problèmes, des situations contradictoires, surprenantes qui vont les déstabiliser et les faire rentrer dans une véritable posture de recherche.
Le procédé d’enquête
La mise en place de la problématisation en histoire implique donc la nécessité de saisir les étapes que vont par la suite entreprendre les élèves afin de répondre à leur problématique. Il sera ensuite intéressant de vérifier que celles-ci ont bien lieu lors d’une activité escape game afin de confirmer l’adéquation entre les objectifs d’acquisition du savoir historique au sens de Cariou et les réelles acquisitions des élèves lors de l’activité. Sylvain Doussot et Anne Vézier s’intéressent alors au processus d’enquête qui suit cette problématisation. Le processus se modélise ainsi :
Les élèves se posent une question initiale qui est mise en relation avec une hypothèse, une solution, qui repose nécessairement sur une explication ainsi que sur une ou plusieurs données. Ces éléments sont confrontés à d’autres données qui viennent confirmer ou invalider la ou les hypothèses. Si la solution est invalide, l’enquête se poursuit. Celui-ci s’opère selon leurs observations de différentes manières. Le processus peut tout d’abord s’inscrire dans un registre qu’ils nomment « chronocausal » où les élèves contrôlent leurs hypothèses par la chronologie des évènements.
|
Table des matières
Introduction
1. Partie théorique
1.1. La démarche d’apprentissage en histoire
1.1.1. Le sens
1.1.2. Mettre en situation de recherche
1.1.3. Le procédé d’enquête
1.1.4. Quelle pédagogie ?
1.1.5. Quelle organisation ?
1.1.6. La trace écrite
1.1.7. Les enjeux de l’histoire
1.2. Les différents modèles d’apprentissage
1.2.1. Le modèle transmissif
1.2.2. Le modèle behavioriste
1.2.3. Le modèle constructiviste
1.2.4. Le modèle socio-constructiviste
1.3. Le jeu en général à l’école
1.3.1. Les raisons de sa remise en question
1.3.2. Les différents types de jeux
1.3.3. Les finalités du jeu
1.4. L’escape game à l’école
1.4.1. Les cinq E
1.4.2. Un escape game ? Pourquoi faire ?
1.4.3. Ne pas oublier le debriefing !
1.4.4. Ce qu’en disent les enseignants
1.4. Conclusion
2. Analyse
2.1. Analyse d’une première séance
2.1.1. Intérêts
2.1.2. Limites
2.1.3. Conclusions de la séance et pistes d’amélioration
2.2. Analyse d’une seconde séance
2.2.1. Intérêts
2.2.2. Limites
2.2.3. Conclusions de la séance et pistes d’amélioration
Conclusion
Bibliographie
Annexes