L’apprentissage implicite de régularités de l’environnement

L’APPRENTISSAGE IMPLICITE DES RÉGULARITÉS DE L’ENVIRONNEMENT 

Les travaux sur la perception de scènes visuelles montrent le rôle fondamental des connaissances relatives aux régularités de l’environnement dans les traitements perceptifs et notamment dans le guidage de l’attention. Comment ces connaissances sont-elles acquises au cours de l’analyse d’une scène visuelle ? L’hypothèse à l’origine de nos recherches est que des connaissances sur les régularités de l’environnement peuvent être acquises et récupérées de manière inconsciente et involontaire, i.e. de manière implicite. Dans cette perspective, trois questions faisant l’objet de débats fondamentaux autour du concept d’apprentissage implicite ont motivé nos travaux:

– Dans quelle mesure l’apprentissage implicite produit-il une connaissance inconsciente ?
– L’apprentissage implicite est-il un processus automatique, i.e. qui ne requiert pas d’attention ?
– L’apprentissage implicite peut-il conduire à des connaissances abstraites ?

Avant de présenter l’enjeu de ces questions pour la compréhension du fonctionnement cognitif, nous évoquerons très succinctement quelques situations expérimentales suggérant la mise en évidence d’apprentissages implicites.

L’apprentissage implicite de régularités 

Le domaine de l’apprentissage implicite a été unifié autour de trois champs de recherche puisant leur origine dans une littérature hétérogène (pour des revues, Cleeremans, Destrebecqz, & Boyer, 1998 ; Goschke, 1997; Perruchet & Nicolas, 1998). Le premier champ de recherche est celui de l’apprentissage des grammaires artificielles à états finis, développé par Reber (1967) à partir des travaux conduits dans les années 50 par Chomsky et Miller en linguistique et psycholinguistique. La deuxième source d’investigation renvoie aux travaux sur les systèmes dynamiques de contrôle menés par Broadbent (1977) à des fins d’applications ergonomiques. Le troisième champ de recherche porte sur l’acquisition des habiletés motrices dans des tâches d’apprentissage de séquences répétées (Nissen & Bullemer, 1987). Mais si ces trois champs de recherche sont vus comme les fondements du domaine qui nous intéresse ici, le paradigme d’indiçage contextuel (Chun & Jiang, 1998) et le paradigme d’apprentissage de régularités statistiques (Saffran, Aslin, & Newport, 1996) trouveront très certainement leur place dans les années à venir, au sein du domaine de l’apprentissage implicite.

De nombreuses autres situations expérimentales ont par ailleurs suggéré à leurs auteurs la mise en évidence d’un apprentissage implicite (pour une présentation de différentes situations d’apprentissage implicite, cf. Shanks, 2005). On pourra citer les travaux sur l’apprentissage de probabilité (Reber & Millward, 1968), la détection d’invariances statistiques (Lewicki, 1986), l’apprentissage perceptif (Cohen & Squire, 1980), le conditionnement classique (Weiskrantz & Warrington, 1979), l’apprentissage de signaux en mouvement cohérent (pour une revue, Seitz & Watanabe, 2005). Des effets d’apprentissage implicite à court terme ont également été mis en évidence dans le domaine de la perception visuelle, comme par exemple des effets d’inhibition de retour (Posner & Cohen, 1984) ou des effets d’amorçage pop-out (Maljkovic & Nakayama, 1994, 1996, 2000). L’ensemble de ces recherches mettent en exergue un phénomène que l’on peut désigner sous les termes d’« apprentissage implicite de régularités ». Ces recherches suggèrent que si le détail de l’information imprimée sur la rétine n’est pas consciemment retenu en mémoire, cela ne signifie pas une absence totale de persistance de cette information. Différents mécanismes peuvent permettre à l’information d’être préservée et de s’accumuler au cours des répétitions, biaisant notamment le déploiement de l’attention visuelle. Des traces en mémoire, non disponibles à la conscience, pourraient participer à ces mécanismes. Les importantes redondances visuelles qui existent dans l’environnement sont susceptibles de bénéficier d’un traitement mnésique à court terme et à long terme, même si elles dépassent largement les capacités de détection explicite.

Attardons nous à présent sur deux tâches classiques autour desquelles nos questions de recherche ont été les plus largement débattues, à savoir les tâches d’apprentissage de grammaires artificielles et les tâches d’apprentissage de séquences répétées.

L’apprentissage de grammaires artificielles (AGL) 

Le terme « apprentissage implicite » a été utilisé pour la première fois par Reber en 1967 pour décrire certains processus d’acquisition en jeu dans ses travaux portant sur les grammaires artificielles à états finis (pour des revues, Nicolas, 1996 ; Pothos, 2007). Une tâche standard d’apprentissage de grammaire artificielle (AGL : « Artificial Grammar Learning ») met en œuvre des protocoles expérimentaux se déroulant en deux phases. Dans la première phase, il est présenté au sujet naïf plusieurs séries de lettres dont l’ordre de succession est régi selon des règles complexes arbitraires établies par l’expérimentateur (pour un exemple de grammaire artificielle, cf. Figure 8). Dans la recherche initiale de Reber (1967), il était demandé au participant d’apprendre des séries de consonnes. Dans d’autres versions de la tâche, il lui est simplement demandé d’observer attentivement les séries de lettres. Durant la deuxième phase, succédant immédiatement à la première, le sujet est informé que les séries de lettres qu’il vient d’étudier étaient construites à partir de règles formelles. Il est alors exposé à de nouvelles séries de lettres dont certaines respectent les règles de la grammaire artificielle et d’autres les violent. Le sujet a pour consigne de porter un jugement sur ces nouvelles séries en termes de respect ou de non respect des règles de construction. A l’issue de cette deuxième phase, les sujets parviennent généralement à classifier les chaînes grammaticales et non grammaticales avec un taux de réussite supérieur au hasard, sans pour autant être capables de verbaliser les règles sur lesquelles leur jugement semble être fondé ou encore de justifier leurs décisions. Sur la base de cette dialectique entre la performance de classification supérieure au hasard et l’incapacité des sujets à verbaliser les règles, Reber conclut que ces derniers ont acquis de manière incidente et automatique des connaissances inconscientes sur la structure abstraite de la grammaire artificielle. Selon Reber (1989, p. 226), la connaissance implicite acquise au cours d’une tâche d’AGL est “deep, abstract, and representative of the structure inherent in the underlying invariance patterns of the stimulus environment”.

L’apprentissage séquentiel (SRT)

Les situations d’apprentissage séquentiel (SRT : « Serial Reaction Time ») mettent en évidence des effets d’apprentissage sensori-moteur suite à la pratique d’une tâche qui consiste classiquement à pister une cible se déplaçant sur un écran d’ordinateur. Dans la tâche initiale développée par Nissen et Bullemer (1987) et dans de nombreuses études ultérieures, les participants sont exposés à de nombreux essais au cours desquels la cible apparaît dans l’une ou l’autre des quatre positions (1-4) alignées en bas de l’écran. La tâche du sujet est d’appuyer le plus rapidement et correctement possible sur la touche du clavier désignée au préalable comme correspondant à la position occupée par la cible. La réponse du sujet fait immédiatement apparaître l’essai suivant. Pour certains sujets, et ce à leur insu, les cibles apparaissent selon une même séquence répétée au sein d’un bloc (e.g., 3-4 2 1-2-4-3-1-2-3, les chiffres désignant les positions de gauche à droite), alors que pour un groupe contrôle, les cibles apparaissent selon une séquence aléatoire. Les résultats révèlent que les TR des sujets entraînés sur une séquence répétée diminuent davantage et plus rapidement que pour ceux entraînés sur un matériel aléatoire. Et pourtant, cet apprentissage ne semble pas être associé à une prise de conscience de la répétition du matériel. L’amélioration des performances semble précéder la prise de conscience possible si une pratique suffisante leur est accordée. Ici encore, l’amélioration des performances dans le test indirect de mémoire (i.e. la tâche de pistage de cible), en dépit d’une incapacité des sujets à verbaliser qu’une même séquence est continuellement répétée, a été répliquée de nombreuses fois avec différentes versions de la tâche de SRT. Par exemple, si la séquence répétée est remplacée par un matériel aléatoire au cours de la tâche, la suppression du patron séquentiel provoque un allongement des TR (e.g. Shanks & Channon, 2002).

L’apprentissage implicite : un débat terminologique

De par son origine hétérogène, l’apprentissage implicite est loin de recouvrir une définition faisant l’objet d’un consensus. Dans une revue de question, Fresch (1998) énumère pas moins de onze définitions de l’apprentissage implicite. Pour bien des chercheurs, l’apprentissage implicite est synonyme d’apprentissage inconscient. Dans ce cadre, l’apprentissage implicite fait référence à l’acquisition de connaissances sur les relations structurelles entre les stimuli, sans que l’individu ne prenne conscience de la connaissance qui en résulte (Berry & Dienes, 1993 ; Dienes & Perner, 1999). Mais d’autres auteurs préfèrent associer le terme implicite à celui d’intentionnalité plutôt qu’à celui d’inconscient. Par exemple, Perruchet et Nicolas (1998, p. 15) définissent l’apprentissage implicite comme un « mode d’adaptation dans lequel le comportement d’un sujet apparaît sensible à la structure d’une situation, sans que cette adaptation ne soit imputable à l’exploitation intentionnelle de la connaissance explicite de cette structure ». Selon Whittlesea et Dorken (1993), plutôt que de se focaliser sur l’absence de « conscience », les recherches sur l’apprentissage implicite devraient davantage chercher à déterminer des critères mesurant le rôle de l’intention durant l’apprentissage ou la congruence entre les demandes de la tâche durant l’apprentissage et l’utilisation ultérieure de la connaissance. Frensch (1998) insiste quant à lui sur certains aspects de l’acquisition de l’information. Il propose d’envisager l’apprentissage implicite comme une forme d’apprentissage dans laquelle les connaissances sur les relations structurales entre les objets ou les évènements sont acquises de manière non intentionnelle, incidente ou automatique. La nature consciente ou inconsciente de la connaissance acquise ne doit, selon lui, faire l’objet du concept d’apprentissage implicite. Cependant, Destrebecqz (2000) souligne la nécessité de définir le caractère conscient ou non conscient des connaissances acquises. Meulemans (1998) met également l’accent à la fois sur l’aspect incident de l’apprentissage implicite et sur le degré d’accès à la conscience des connaissances acquises, qui restent, selon lui, à un niveau inconscient. En outre, le problème fondamental soulevé dans ce corps de recherche n’en reste pas moins de savoir si des changements dans les comportements peuvent émerger sans être corrélés à un changement de l’expérience subjective et de déterminer la nature des traitements « cognitifs » non conscients. Aussi, nous définirons l’apprentissage implicite comme un processus d’adaptation par lequel le comportement d’un individu devient, de manière incidente, sensible à une structure, sans que la connaissance qui en résulte ne soit rapportable verbalement, voire accessible à la conscience.

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Table des matières

INTRODUCTION
Chapitre I : La perception de scènes visuelles complexes
1. Les représentations visuelles
1.1. Des représentations visuelles éparses et volatiles vs. des représentations visuelles stables et détaillées
1.2. Arguments apportés par les données empiriques
1.3. La perception implicite : quel rôle dans les représentations visuelles ?
2. La sélection attentionnelle lors de l’exploration d’une scène visuelle
2.1. Le rôle de l’attention sélective sur le traitement de l’information visuelle
2.2. Guidage ascendant vs. guidage descendant de l’attention
2.3. Précocité des influences sémantiques sur la capture attentionnelle
2.4. Interaction entre traitements ascendants et traitements descendants au cours de l’analyse de scènes visuelles
3. Le rôle des régularités contextuelles dans la perception visuelle
3.1. Le contexte facilite la reconnaissance et l’identification des objets
3.2. La construction du contexte
3.3. Le rôle du contexte dans le guidage de l’attention
4. Conclusion et perspectives
Chapitre II : L’apprentissage implicite de régularités de l’environnement
1. L’apprentissage implicite de régularités
1.1. L’apprentissage de grammaires artificielles (AGL)
1.2. L’apprentissage séquentiel (SRT)
2. L’apprentissage implicite : un débat terminologique
3. L’apprentissage implicite produit-il une connaissance inconsciente ?
3.1. Méthodes subjectives à la première personne
3.2. Méthodes objectives à la troisième personne
4. L’apprentissage implicite est-il un processus automatique, qui ne requiert pas d’attention ?
4.1. L’apprentissage implicite consomme-t-il des ressources attentionnelles ?
4.2. L’apprentissage implicite requiert-il une attention sélective ?
4.3. L’attention est-elle requise pour l’apprentissage implicite et/ou pour l’expression de la connaissance résultante ?
5. L’apprentissage implicite peut-il conduire à des connaissances abstraites ?
5.1. L’apprentissage implicite de règles abstraites
5.2. Les traitements implicites basés sur des régularités sémantiques
6. Conclusion et perspectives
Chapitre III : L’indiçage contextuel
1. Arguments en faveur du caractère implicite de l’indiçage contextuel
1.1. Les tâches directes d’accès aux connaissances
1.2. L’indiçage contextuel persiste au cours du temps et résiste aux effets d’interférence
1.3. L’indiçage contextuel spatial requiert-il une attention visuelle sélective ?
1.4. L’indiçage contextuel et le syndrome amnésique
2. Comment les régularités contextuelles facilitent-elles la recherche visuelle ?
2.1. Le contexte guiderait l’attention de manière efficace
2.2. Cependant
3. Portée des effets d’indiçage contextuel dans des environnements arbitraires
3.1. Indiçage contextuel spatial
3.2. Indiçage contextuel basé sur l’identité spécifique des éléments contextuels
3.3. Indiçage contextuel temporel
4. L’indiçage contextuel dans des scènes du monde réel
4.1. Indiçage contextuel dans des scènes systématiquement répétées
4.2. Pourquoi les performances sont-elles différentes dans les scènes du monde réel?
5. L’indiçage contextuel reflèterait une automatisation de la recherche visuelle
6. Perspectives
CONCLUSION

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