L’apprentissage du rythme du français par des apprenants sinophones

La notion de rythme : de la vie quotidienne à la parole

Dans ce premier chapitre, nous allons avant tout présenter la notion de rythme, ses définitions et particularités quand il s’agit d’un phénomène verbal, et puis nous allons aborder le rôle et la place de rythme en se situant dans la hiérarchie prosodique.
Le « rythme » en général est un phénomène tellement omniprésent dans la vie quotidienne de tout le monde qu’il passe inaperçu chez la plupart de personnes. En effet, le phénomène de rythme occupe une place prédominante dans la nature, dans la société et chez l’être humain, par exemple le battement cardiaque, l’alternance de saisons, l’art, la poésie, etc.
1, 2, 3 (entre autres, Lacheret-Dujour et Beaugendre, 1999 : 33 ; Fox, 2000 : 86 ; Di Cristo, 2003, 2013 : 120).
En ce qui concerne le rythme dans la parole, il peut, a priori, faire systématiquement référence à un ensemble de notions, parmi lesquelles figurent au premier rang « celle d’ordre, de régularité, d’accentuation, de proéminence, de battement, de groupement et de hiérarchie » (Di Cristo, 2003). D’un point de vue perceptif, le rythme verbal peut être considéré comme « un retour régulier dans la chaîne parlée d’impressions auditives analogues créées par divers éléments prosodiques, ou plus précisément, une impression de régularité dans le retour de temps marqués » (Lacheret-Dujour et Beaugendre, 1999 : 34). Le rythme verbal est « d’abord un phénomène psycholinguistique, mais également une construction linguistique » : « psycholinguistique », c’est parce que le rythme est non seulement un mécanisme fondamental biologique, mais aussi il a une dynamique qui le fait varier en fonction de l’individu, de l’émotion et de la pragmatique ; « une construction linguistique », c’est parce que le rythme assume une fonction de démarcation, qui segmente la chaîne de parole en groupes en fonctions de critères différents (syllable-timed, stress-timed et mora-timed, cf. infra.).

Le rythme dans la hiérarchie prosodique et sa modélisation

La prosodie englobe « des éléments non verbaux de l’expression orale, non coextensifs aux phonèmes, tels que l’accent, les tons, l’intonation, la quantité, le tempo et les pauses, que l’on qualifie collectivement de prosodème » (Di Cristo, 2013 : 21). Parmi tous ces éléments prosodiques, ils ne sont pas totalement indépendants 11 . Cela se manifeste, d’une part, phonétiquement, par le fait que certains éléments prosodiques partagent un même indice acoustique, par exemple, le ton lexical et l’intonation se basant tous sur la fréquence fondamentale (F0), l’accent se manifestant dans certains cas par la F0 (pitch) ou par la durée ; d’autre part, phonologiquement, par le fait qu’il existe des règles qui contraignent une ou plusieurs réalisation(s) prosodique(s). Mais au fond, il y a une organisation ou une hiérarchie qui mettent toutes les composantes prosodiques à l’ordre.
Pour parler de la hiérarchie prosodique, il est indispensable de mentionner la notion de phrasé prosodique. « Le concept de phrasé prosodique présente des analogies avec celui de phrasé musical, qui se rapport à la façon dont les notes d’une partition sont regroupées en mesures, conformément aux intentions des compositeurs et de leurs interprétations » (Di Cristo, 2016 : 77). Le phrasé prosodique est une notion indispensable quant à la hiérarchie prosodique du français . Di Cristo (ibid. : 80) a fourni une représentation exhaustive de la hiérarchie prosodique selon la phonologie prosodique. Les éléments présents dans cette hiérarchie ne sont pas censés être pris en compte dans n’importe quelle langue.

Le rythme du français et le groupe rythmique

La hiérarchie prosodique du français

Le français était longtemps considéré comme une langue à isochronie syllabique. Cependant, la nature rythmique de cette langue suscitait depuis longtemps pas mal de polémiques. Il existe de plus en plus de chercheurs qui sont contre cette hypothèse : « Il devient difficile de proposer, aujourd’hui, une description des déterminants du rythme de cette langue (c’est-à-dire, le français) qui s’écarte des idées reçues » (Di Cristo, 2016 : 66). Selon Fox (2000 : 95), l’isochronie syllabique du français se retrouve plus facilement dans des énoncés relativement courts (exemples donnés par Fox (2000 : 94) : « Est-ce qu’elle est ici ? », «Je ne voulais pas vous le dire») alors que dans des énoncés qui contiennent plus d’un groupe accentuel, cette isochronie n’est plus valable . Wenk et Wioland (1982) ont aussi contesté la nature d’isochronie syllabique du français : selon eux, le phénomène rythmique est inséparable de celui d’accent alors que l’accent n’a pas été pris en compte dans la catégorisation présente qui ne prend que l’intervalle syllabique en considération. Il faut noter néanmoins que même si les expériences acoustiques n’ont pas abouti à la réussite pour démontrer l’isochronie syllabique, certains pensent que l’isochronie syllabique est une manifestation sous-jacente (phonologique) mais dans la surface (phonétique), à cause d’autres facteurs, qui interagissent au cours de la production langagière et qui modifient la longueur de la syllabe, l’isochronie syllabique ne pouvait être validée (cf. Fox, 2000 : 96).
Avant d’entrer dans la description détaillée du rythme français, il nous faut d’abord parler de la hiérarchie prosodique du français étant donnée la relation indissociable entre le rythme et d’autres composantes prosodiques dans la production langagière. Bien établir la place du rythme dans la hiérarchie prosodique du français nous permettra, dans la partie expérimentale de cette présente étude, de voir plus clairement les problèmes dans l’apprentissage du rythme français chez des apprenants sinophones.

Le groupe accentuel, le groupe intonatif et la structure rythmique du français

Dans cette partie, nous allons nous concentrer sur le rôle joué par le groupe accentuel dans le pattern rythmique du français. Beaucoup de chercheurs ont démontré son importance dans le français parlé. Son rôle important dans le rythme du français est aussi le point sur lequel nous nous appuyons dans notre partie expérimentale.
« Le modèle hiérarchique de l’intonation élaboré pour l’anglais (Hirst, 1983) et appliqué au français (Hirst et Di Cristo, 1984), postule qu’un contour intonatif est interprétable comme le résultat d’une linéarisation de deux séquences de segments tonals introduits, d’une part, au niveau de l’unité intonative (UI) et, d’autre part, à celui de l’unité tonale (UT), ces deux unités correspondant respectivement, pour le français, au groupe intonatif et au groupe accentuel, tels qu’ils ont été définis par Di Cristo (1978) et par Verluyten (1982) » (Di Cristo et Hirst, 1993 : 2). Partant du modèle phonologique de l’intonation du français, Jun et Fougeron (1995 ; 2002 : 150) ont aussi proposé ces deux unités prosodiques, mais avec une autre terminologie : syntagme accentuel et syntagme intonatif46. Ces deux unités, appelées aussi groupe accentuel (GA) et groupe intonatif (GI), sont considérées comme fondamentales pour le constituant prosodique du français (Di Cristo, 2016 : 111). Théoriquement, il existe deux unités accentuelles : l’accent final ou primaire et l’accent initial ou secondaire. Ces deux unités forment en général un arc accentuel. Mais ceci était mis en question par Di Cristo et Hirst (1993 : 5) : « Dans la première version du modèle, les unités accentuelles, qu’elles soient formées d’un accent initial ou d’un accent final, relèvent du même niveau hiérarchique de représentation et constituent une catégorie phonologique unique : celle de l’unité tonale, considérée elle-même comme une unité minimale de cohésion mélodique ou tonale. C’est précisément cette univocité qui nous paraît susceptible d’être mise en question. Il existe en effet des différences notables entre l’accent initial et l’accent final, qui tiennent à la fois à leur modalité fonctionnelle et à leur nature phonétique ». Selon eux, l’arc accentuel n’est pas le cas dans la chaîne de parole.

L’importance du rythme dans l’apprentissage d’une langue étrangère

Pour les apprenants qui étudient la langue française comme langue étrangère, l’appropriation du code oral du français constitue un défi considérable. On sait qu’une mauvaise prononciation ou un mauvais rythme peut entraver, voire bloquer, la communication (Wachs, 2011 : 185).
Dans le processus d’apprentissage de la langue étrangère, les apprenants sont confrontés à des difficultés et des problèmes tant sur le plan segmental que sur le plan suprasegmental. Tous les phénomènes dans la prononciation qui peuvent susciter des difficultés pour des apprenants étrangers au cours de l’apprentissage, que ce soient certains phonèmes particuliers, l’accentuation, le rythme ou l’intonation, gagneront à être étudiés, analysés et comparés des points de vue acoustique et perceptif, de sorte que nous puissions connaître les écarts de prononciation des apprenants, puis dégager des méthodes de remédiation pour les aider.
Il est aujourd’hui communément admis que la perception d’un accent étranger dans les productions d’apprenants de langues étrangères dépend de facteurs combinés tant au niveau segmental qu’au niveau prosodique (accentuation, rythme, débit, etc.). Baqué (2016 : 251) a indiqué que les difficultés au niveau prosodique ont des conséquences plus ou moins directes sur le caractère « naturel » et la « fluidité » des productions des apprenants, sur leur « intelligibilité », mais aussi sur leur capacité à segmenter le flux sonore qu’ils entendent en unités signifiantes et sur leur compréhension orale. Il en est de même pour le rythme, qui fait partie des éléments prosodiques d’une langue. Des études montrent que, dans l’interlangue, les écarts suprasegmentaux ont un effet plus défavorable conduisant vers l’incompréhensibilité et l’accent étranger, par rapport aux écarts segmentaux.

Les problèmes et les difficultés chez des apprenants sinophones

D’une manière générale, la recherche sur l’apprentissage des aspects prosodiques dans l’apprentissage de langues étrangères était toujours un domaine un peu négligé86. Contrairement à l’abondance de références sur l’apprentissage du niveau suprasegmental de l’anglais par des apprenants sinophones, les études concernant les Chinois apprenant la prosodie du français sont très rares, sans parler de celles qui sont spécialement consacrées à l’apprentissage du rythme. En ce qui concerne les difficultés et les problèmes de prononciation chez des sinophones, on accorde une plus grande attention aux problèmes du niveau segmental qu’à ceux du niveau suprasegmental : citons par exemple la thèse de Landron (2017) consacrée à l’acquisition des consonnes occlusives par des locuteurs taïwanais ; en outre, dans l’ouvrage Guide pratique de prononciation française pour des apprenants chinois rédigé par Kockaert et Li (2008), les voyelles et les consonnes du français prononcées respectivement par des sinophones et des francophones natifs sont mises sous l’analyse expérimentale contrastive tandis que l’aspect suprasegmental n’est pas profondément creusé. Ce n’est que dans l’ouvrage récent La prononciation du français dans le monde : du natif à l’apprenant (Detey et al., 2016) les problèmes de prononciation au niveau suprasegmental chez les sinophones sont mis en évidence.
Le problème de rythme est souvent examiné en parallèle de celui de l’intonation. En général, ce qui est mentionné par la littérature, c’est que les apprenants sinophones ont des difficultés à respecter le modèle prosodique du français en ce qui concerne les montées de continuation et les allongements finaux des groupes prosodiques (Landron et al., 2016 : 199). Mais nous n’avons pas davantage d’explications plus précises sur comment les allongements finaux se manifestent chez des apprenants sinophones. Les descentes finales des phrases déclaratives sont réalisées mais de façon très abrupte sur la ou les dernière(s) syllabe(s) d’une phrase (ibid.).

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Table des matières

Introduction
Partie théorique 
Chapitre 1. Définitions de « métrique » et de « rythme » 
1.1 La notion de rythme : de la vie quotidienne à la parole
1.2 Le rythme dans la hiérarchie prosodique et sa modélisation
Résumé du chapitre 1
Chapitre 2. Typologies rythmiques du chinois mandarin et du français 
2.1 La typologie du rythme
2.2 Le rythme du chinois mandarin
2.3 Le rythme du français et le groupe rythmique
Résumé du chapitre 2
Chapitre 3. Méthodologie de mesure du rythme 
3.1 Les paramètres quantitatifs pour modéliser le rythme
3.2 La mesure quantitative dans la production du rythme chez l’apprenant de langue étrangère : limites et perspectives
Résumé du chapitre 3
Chapitre 4. Transfert rythmique de la langue maternelle dans l’apprentissage d’une langue étrangère 
4.1 L’hypothèse du crible dans le transfert prosodique
4.2 Les problèmes et les difficultés dans l’apprentissage du rythme français chez des apprenants sinophones du Français
Langue Étrangère (FLE)
Résumé du chapitre 4
Partie expérimentale
Chapitre 1. Problématique et hypothèses
Chapitre 2. Méthodologie
2.1 Locuteurs
2.2 Corpus
2.3 Procédure d’enregistrement
Chapitre 3. Étude acoustique sur l’allongement final
Chapitre 4. Discussion générale
4.1 L’isochronie, ∆V, ∆S et pause
4.2 Le pattern rythmique du groupe accentuel : un problème de F0
4.3 L’implication didactique
4.4 Limites et perspectives
Conclusion 
Références bibliographiques

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