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Idéologie, langue nationale et identité : croyances et limites
La Révolution de 1789 constitue un moment décisif dans l’imposition du français comme langue nationale (Boyer, 2012 ; Chevalier, 2003). Le français devient synonyme de liberté, de vérité et atteste de l’unité de la République : « Citoyens, la langue d’un peuple libre doit être une et la même pour tous.6 ». La courte période démocratique cède rapidement à la Terreur, c’est à ce moment-là que l’idéologie linguistique française se renforce. En 1794, le « caractère presque sacré » de la langue (Chevalier, 2003 : 2) conduit les membres de l’assemblée, dont l’Abbé Grégoire7, à condamner et pourchasser les patois et dialectes régionaux. L’objectif est double : il s’agit de conquérir les provinces mais aussi l’Europe. L’ensemble de ces évènements participe à l’émergence d’une politique linguistique de francisation qui se poursuit au XIXe siècle au moyen de la scolarisation obligatoire, gratuite et laïque8.
Pour la France, ce titre de langue nationale a été symboliquement acquis très tôt (sous la Révolution) pour le français, mais il n’entre vraiment dans les faits, en ce qui concerne l’extension géographique et sociale, qu’au début du XXe siècle, avec la généralisation de l’école obligatoire […] » (Baggioni, 1997 : 190)
L’école de la Troisième République va permettre de réaliser le projet rêvé par la Révolution, à savoir l’unification linguistique grâce à l’enseignement du français académique pour tous. Les programmes scolaires, basés sur la norme écrite établie, vont alors participer au renforcement et au maintien de l’idéologie monolingue, c’est-à-dire à la croyance en une langue qui assurerait la force et l’unité de la nation. En effet, depuis la Révolution de 1789, les fonctions symboliques et identitaires de la langue sont clairement mises en avant, et ce au détriment de la fonction9 communicative. Ainsi l’idéologie monolingue, comme toutes les idéologies linguistiques, a naturellement une fonction identitaire :
Les idéologies linguistiques ne concernent ainsi pas la langue seulement, mais plutôt différentes visions des liens entre les langues et l’identité (par exemple nationale), qui s’actualisent par le biais, notamment, des modèles de socialisation prévalents, des rituels religieux, de l’école, etc. »
Insertion, intégration11 et langue française
La volonté de favoriser l’unité par la langue conduit à la mise en place de politiques linguistiques ayant pour argument principal l’insertion de toutes les personnes résidant sur le territoire. Être légitime, reconnu comme locuteur du français, être inséré dans la société, telles sont les promesses véhiculées par la pratique du français. Avant d’expliquer pourquoi l’insertion par la maitrise du français s’impose comme un objectif fondamental, nous reviendrons sur la manière dont une notion sociologique est devenue un modèle politique qui témoigne également du rapport aux populations migrantes.
Nous recourrons ici au terme intégration parce qu’il correspond au modèle politique actuel. Nous verrons que ces termes ne sont pas des synonymes, ils offrent une vision différente du rapport aux autres et aux différences.
Retour sur une notion
Selon la tradition sociologique, l’intégration s’apparente à un projet de modernité des sociétés démocratiques. Très employée en sociologie, l’intégration constitue toute organisation sociale existante de la famille à la société, elle met en scène les relations entre la société et les individus et entend renforcer le lien social. Les travaux fondateurs d’É. Durkheim sur l’intégration démontrent que la division du travail conduit les individus à se spécialiser tout en ayant besoin des uns et des autres. Bien que les individus gagnent en autonomie, ils maintiennent un lien étroit avec la société. Pour désigner ce phénomène, l’auteur parle de solidarité organique ». L’analogie aux organes, tous différents mais indispensables au fonctionnement du corps, souligne l’interdépendance entre les individus et la société : Il en est tout autrement de la solidarité que produit la division du travail. Tandis que la précédente (la solidarité mécanique) implique que les individus se ressemblent, celle-ci suppose qu’ils diffèrent les uns des autres. La première n’est possible que dans la mesure où la personnalité individuelle est absorbée dans la personnalité collective ; la seconde n’est possible que si chacun a une sphère d’action qui lui est propre, par conséquent une personnalité. Il faut donc que la conscience collective laisse découverte une partie de la conscience individuelle, pour que s’y établissent ces fonctions spéciales qu’elle ne peut pas réglementer ; et plus cette région est étendue, plus est forte la cohésion qui résulte de cette solidarité. » (Durkheim, 1893 : 122)
Ces liens renforcent la solidarité ; ils sont facteurs de cohésion sociale. Dans la perspective durkheimienne, l’intégration allie la participation à la société à l’intériorisation des normes et des valeurs communes de la société. La notion d’intégration est également utilisée lorsqu’il s’agit de nommer l’entrée d’un groupe dans une collectivité. L’étymologie du verbe integrare (renouveler, rendre entier) renvoie à l’idée de « faire entrer une partie dans un tout » (Boucher, 2000 :37). La notion d’intégration s’oppose à celles d’exclusion, d’anomie et de déviance, lesquelles se révèlent être une menace tant pour l’individuel que le collectif (Schnapper, 2007).
Retour sur un modèle politique qui s’est imposé à d’autres
Depuis les années 1970, plusieurs modèles politiques se sont succédés. Tous renvoient à des positionnements idéologiques vis-à-vis de la cohésion sociale, de l’égalité, de la citoyenneté du respect de la différence et de la langue française (Boucher, 2000 ; 2007).
Le modèle assimilationniste (1970)
L’assimilation représente le premier modèle politique destiné au maintien de la cohésion sociale dans une société de migration durable. D’après son étymologie (similis : semblable), le terme assimilation renvoie à la volonté de rendre semblable. Initialement, dans son acception juridique « assimiler » désignait un traitement à égalité (Costa-Lascoux, 2006). Au fur et à mesure de l’histoire, il apparait que l’assimilation ne signifie plus traiter d’égal à égal, mais reproduire à l’identique sans exception. La politique d’assimilation illustre les valeurs républicaines nées de la construction de l’État-nation où « il s’agissait de se fondre dans la population française en abandonnant ses spécificités et sa langue ou en les reléguant dans la sphère privée » (Wihtol de Wenden, 2003 : 23). Ce modèle, qui réaffirme le « contrat jacobin » (Boucher, 2007 : 25), fait l’objet de controverses. Dès les années 1970, l’école de Chicago12 dénonce l’assimilation comme « processus de destruction des relations ethniques » (Schnapper, 1998: 258). Les connotations négatives de la politique assimilationniste ont conduit à opter pour le modèle d’insertion. Cependant, la notion d’assimilation continue d’animer les débats liés à l’accueil des populations migrantes. À titre d’exemple, les auteurs du rapport gouvernemental13 sur les politiques d’intégration, intitulé « Vers une politique française de l’égalité » (Dhume, Hamdani, 2013), s’appuient sur les travaux de D. Schnapper pour décrire le concept de l’assimilation comme un mythe, dans la mesure où elle n’est jamais parvenue à gommer la diversité. L’assimilation serait un leurre, ou du moins une tradition dépassée. Cette « intégration à la française » ne serait donc pas opératoire. Si la politique d’assimilation n’est plus en vigueur, on remarque qu’elle s’invite encore dans les discours politiques et scientifiques. En outre, le terme assimilation demeure inscrit dans l’article 21-2414 du code civil pour l’accès à la nationalité.
Intégration, migration… tensions
Depuis le début des années 1980, le thème de l’intégration des migrants apparait régulièrement dans les débats publics. Selon G. Noiriel (2005), la même histoire est racontée depuis une trentaine d’années : « il était une fois des immigrés qui ne s’intégraient pas » (Ibid. : 9). Or, une telle mythification peut comporter le risque d’être perçue comme une évidence par tous les acteurs (y compris les « immigrés »). Ainsi, dans la mesure où le partage des valeurs communes est capital pour la société, la présence d’une population étrangère, porteuse de différences culturelles et linguistiques, devient problématique. Suite aux vagues migratoires et à l’installation des migrants sur le territoire, le terme « intégration » se charge d’un poids politique. Il est fondamental de s’intégrer, tant du point de vue culturel que structurel. Notons que pour D. Schnapper (2008), l’intégration culturelle est plus problématique et plus longue pour les personnes migrantes :
Dans ces diverses dimensions de la vie sociale, les modalités de l’intégration peuvent être décalées et même discordantes. Ainsi les migrants eux-mêmes venus au cours des « Trente glorieuses », élevés dans une autre société, étaient caractérisés par une faible intégration culturelle, mais ils étaient bien intégrés structurellement par leurs emplois dans les usines ou les mines, pour lesquels ils avaient été recrutés. Leurs enfants, en revanche, socialisés dans la société d’installation, donc intégrés culturellement, ont souvent une grande difficulté à entrer sur le marché du travail : leur intégration structurelle est difficile et parfois douloureuse. » (Schnapper, 2008 : 3)
Les discours des politiques renforcent l’idée que l’intégration concerne en priorité les migrants et les personnes issues des migrations. Il y a quelques années, dans un rapport16 relatif à la refonte de la politique d’intégration, les auteurs ont dénoncé le raccourci entre l’intégration et les migrations (2013). La connotation du terme va à l’encontre de la volonté d’intégration et conduit à stigmatiser les personnes. Le terme est également contesté par des sociologues qui perçoivent l’intégration comme « une injonction réservée aux immigrés, sommés de s’intégrer » (Costa-Lascoux, 2004 : 21). Les tensions induites s’expliquent en partie par la confusion entre la notion sociologique et la politique d’intégration consacrée par la création du Haut Conseil à l’Intégration en 1989. De plus en plus, il ne s’agit pas de décrire un processus, mais de se concentrer sur des résultats obtenus par les actions et les politiques publiques mises en place. Parler de l’intégration des migrants engendre des tensions puisque cela revient à questionner la capacité de la société à intégrer tous les membres qui résident sur le territoire.
Lire, écrire et former le citoyen
Par définition, alphabétiser une personne consiste à lui transmettre les rudiments de la lecture et de l’écriture. Cependant, l’alphabétisation est un processus social qui dépasse le contexte scolaire. De l’Antiquité à la réforme de l’éducation promue au XVIIe siècle par Comenius, le désir d’instruire tout au long de la vie a traversé les époques. Présentés au lendemain de la Révolution, les rapports de Condorcet (1791-1793) nous éclairent sur la volonté d’alphabétiser et d’instruire tous les citoyens, quel que soit leur sexe et leur âge. En témoignant de la volonté d’émancipation et d’égalité de tous les citoyens par l’accès aux savoirs, ces écrits sont devenus une référence incontournable dans le champ de la formation pour adultes.
Ainsi, par exemple, celui qui ne sait pas écrire, et qui ignore l’arithmétique, dépend réellement de l’homme plus instruit, auquel il est sans cesse obligé de recourir. Il n’est pas l’égal de ceux à qui l’éducation a donné ces connaissances ; il ne peut pas exercer les mêmes droits avec la même étendue et la même indépendance. Celui qui n’est pas instruit des premières lois qui règlent le droit de propriété ne jouit pas de ce droit de la même manière que celui qui les connaît ; dans les discussions qui s’élèvent entre eux, ils ne combattent point à armes égales. » (Condorcet, 1791 : 15)
Pour le philosophe et homme politique du XVIIIe siècle, l’ignorance de l’écrit est source d’inégalité, et la société se doit d’éclairer le peuple en œuvrant pour l’instruction, y compris au sortir de l’école : La puissance publique doit donc compter au nombre de ses devoirs celui d’assurer, de faciliter, de multiplier les moyens d’acquérir ces connaissances ; et ce devoir ne se borne pas à l’instruction relative aux professions qu’on peut regarder comme des espèces de fonctions publiques, il s’étend aussi sur celles que les hommes exercent pour leur utilité propre, sans songer à l’influence qu’elles peuvent avoir sur la prospérité générale. » (Ibid. : 18)
L’instruction vise à faire de chaque personne, quel que soit son âge, un citoyen actif capable de développer et de perfectionner ses connaissances. Au XIXe siècle, le projet éducatif de Condorcet se concrétise et s’étend grâce à aux lois19 rendant l’instruction laïque, gratuite et obligatoire. En outre, l’éducation populaire permet de poursuivre pleinement les idées du philosophe. Reposant sur la démocratisation des savoirs, cette éducation a pour objectif de former les citoyens (enfants et adultes) à travers des actions militantes et caritatives. L’alphabétisation fait partie des actions de l’éducation populaire, et nous verrons que plusieurs associations20 continuent de s’inscrire dans ce projet éducatif où citoyenneté et savoirs sont régulièrement associés.
Alphabétiser pour émanciper
Selon G. Budach et H. Bardtenschalger (2008), l’alphabétisation a toujours été « un sujet d’investissement idéologique majeur » dans la mesure où elle constitue « une étape essentielle de socialisation dans « la » langue/culture nationale du pays » (2008 : 148). Savoir lire et écrire est une condition sine qua non pour participer à la société (Viché, 2009), par conséquent l’absence de maitrise du code écrit conduit à exclure celles et ceux qui ne le maitrisent pas. Pour nommer ces personnes, et pour mieux cerner ce qu’est l’analphabétisme, l’UNESCO21 propose en 1958 une définition : « Une personne est alphabète/analphabète si elle peut / ne peut pas à la fois lire et écrire, en le comprenant, un énoncé simple et bref se rapportant à sa vie quotidienne. »
Depuis, l’analphabétisme est considéré comme une entrave au développement personnel et professionnel. Au cours de cette période, la perspective émancipatrice, déjà énoncée dans les rapports de Condorcet, a été repensée dans les actions d’alphabétisation destinées aux adultes. Cette perspective transforme ce que serait l’alphabétisation, elle s’inspire notamment de travaux menés dans des sociétés dans lesquelles ces questions étaient cruciales pour tous au quotidien. Pour le pédagogue brésilien P. Freire, dont les travaux visent à émanciper les plus pauvres dans un pays particulièrement fragilisé par les inégalités sociales, l’alphabétisation ne se réduit pas à outiller les personnes pour qu’elles puissent lire et écrire : l’éducation des adultes doit se concevoir comme une « pratique de la liberté » (Freire, 1964). Il s’agit de revendiquer l’alphabétisation comme un instrument libérateur. Le concept essentiel de l’approche défendue par P. Freire est la conscientisation. À la différence d’une approche traditionnelle, il s’agit de comprendre ce qui est lu et d’écrire ce qui est compris. Une des ambivalences de l’alphabétisation étant de savoir s’il s’agit de lire pour lire (déchiffrer) ou de lire pour comprendre (Sayad, 1995). Selon P. Freire, la conscientisation consiste à amener les adultes analphabètes à se rendre compte de leur situation, des injustices qu’ils subissent en tant qu’opprimés-dominés. Partir de leur vécu, de leurs expériences vise à pallier un manque de confiance en soi et à regagner leur pouvoir d’expression. Un des intérêts de la conception défendue par ce pédagogue est qu’il reconnait et affirme l’existence de connaissances chez les personnes analphabètes. Dès lors, la pédagogie de P. Freire exclut les outils pédagogiques clés en main qui visent à empiler des connaissances. Ces méthodes seraient dotées d’une conception bancaire » (1974 : 51) de l’éducation où les oppresseurs ont toujours une emprise sur les opprimés. Selon le pédagogue, la personne en situation d’analphabétisme doit être l’acteur du processus d’alphabétisation en développant un regard critique sur les objets d’apprentissage : Le savoir ne s’acquiert que dans l’invention, la réinvention, dans la recherche tendue impatiente, permanente que les hommes font dans le monde, avec le monde et avec les autres hommes »
De l’éducation à la formation
Entre les années 1960 et 1970, le champ de la formation pour adultes se transforme. Les réflexions développées par des penseurs nord-américains sur la spécificité des publics adultes participent à l’élaboration d’une conception de l’éducation des adultes de plus en plus corrélée à l’économie et au besoin d’insertion.
L’éducation des adultes
Les actions d’alphabétisation sont incorporées à l’éducation des adultes, champ d’étude récent qui s’est construit autour de la notion « adulte apprenant », et dont la dimension économique est capitale. En Amérique du nord, l’émergence de ce champ a donné lieu à l’invention du terme « andragogie », dont le sens se rapporte à « l’art d’enseigner à des adultes » (Bourgeois et Nizet citant M. Knowles, 2005 : 10). Développée dans les années 1970, l’andragogie désigne une démarche d’enseignement qui repose sur trois grands principes :
La prise en compte des besoins de l’apprenant dans la planification de l’action en formation, l’accent sur le caractère signifiant des activités d’apprentissage, la participation active de l’apprenant dans la régulation du processus de formation » (Bourgeois et Nizet, 2005 : 13) L’andragogie vise à se distinguer de la pédagogie par la recherche de méthodes de formations adaptées aux publics adultes et à leurs besoins (Schwartz, 1968). Or, cette opposition à la pédagogie présente plusieurs limites dont celle de vouloir dissocier des spécificités qui seraient uniquement attribuées aux publics adultes. Ce terme est souvent délaissé par les communautés scientifique et professionnelle, et ce au profit de l’expression « éducation des adultes ». Cette expression, qui est également un champ d’étude et d’intervention sociale, recouvre deux acceptions : la profusion d’accès aux savoirs et la déficience de scolarisation (Hasan, 1997).
L’éducation des adultes s’inscrit alors dans une démarche de « seconde chance » et de « sécurisation des parcours professionnels » (Lescure, 2011). Outre la promotion sociale, à travers l’accès aux savoirs, le lien avec l’économie conduit à une promotion de fonction, c’est-à-dire à la possibilité de s’adapter à un nouveau métier (Schwartz, 1968). L’insuffisance de scolarisation et/ou de qualification a servi à légitimer la dimension économique. Dans cette optique, l’éducation des adultes et les formations qui en résultent s’entendent comme une réponse aux aléas de la vie économique, telle la reconversion professionnelle.
Dès 1971, la loi24 sur la formation professionnelle appuie la direction donnée à l’éducation des adultes, l’emploi des termes « formation » et « professionnelle » conforte le lien avec l’économie. Toutefois, comme il est écrit dans l’article 1er, le volet social n’est pas totalement exclu : [il s’agit de] favoriser la promotion sociale par l’accès aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle et leur contribution au développement culturel, économique et social. » (Loi 71-575, art. 1er)
Cette loi marque le passage d’une éducation humaniste à une éducation à visée économique. Dès lors, l’alphabétisation des migrants, travailleurs ou non, s’affirme comme un outil au service de l’insertion sociale et professionnelle.
Les formations de base : nouveau paradigme ?
Au lendemain de la loi de 1971, les formations pour adultes se substituent à l’éducation des adultes. Ce changement terminologique modifie la finalité des actions éducatives destinées à l’ensemble de la population adulte, migrante ou non. La formation n’est pas de l’éducation, comme le souligne L. Tanguy (2008) :
L’éducation ainsi que le lieu où elle s’accomplit, l’École, se sont constituées, en France, au terme de conflits politiques qui lui ont imprimé des marques de neutralité politique et de laïcité, lesquelles sont toujours objet de mobilisations sociales pour défendre des points de vue contre d’autres. La formation est une activité où se réalise l’accord, où la coopération entre acteurs s’opère sans heurts importants. Cet accord s’est construit, partiellement, dans le malentendu mais aussi dans une acception de l’intérêt général associé à la définition d’une économie compétitive, d’une modernisation de la société, de la mise en place d’institutions de participation et de dialogue social dans un contexte de recherche de réduction des conflits sociaux et Loi n° 71-575 du 16 juillet 1971 relative à l’organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente politiques. À la différence de l’École qui a été une affaire d’État, la formation a progressivement été élaborée comme l’affaire des « partenaires sociaux », mais sous l’impulsion et le contrôle constants de l’État. » (Tanguy, 2008 : 34)
Il s’agit officiellement de former dans l’optique d’insérer les adultes, en particulier du point de vue économique. Dans ses travaux sur la formation, M. Fabre (1994) précise que la personne est formée à quelque chose par quelque chose et pour quelque chose. De cette manière, il est possible de distinguer trois logiques qui définissent la formation :
Didactique (former « à ») ;
Psychosociologique (former « par ») ;
Socio-économique (former « pour »).
Même si la mise en place des formations s’inscrit dans un objectif de lutte pour l’accès au savoir ou à l’écrit, la formation apparait clairement au service des besoins politiques et économiques de la société ainsi que des dirigeants qui la gouvernent. L’augmentation des dispositifs, en tant qu’organisations où se déroulent des activités pratiques et définies par des institutions, témoigne du passage de l’éducation aux formations des adultes. Désormais, pour accéder à ces formations, les migrants sont de plus en plus sélectionnés selon des critères liés l’insertion professionnelle et la conception instrumentale des formations est de plus en plus présente. Les formations sont perçues comme des solutions aux problèmes économiques (chômage, faible niveau de qualification, reconversion professionnelle) et elles sont élaborées en fonction des transformations du monde du travail. Dès lors, la dynamique d’institutionnalisation des actions de formations pour adultes conduit à l’instauration de la formation de base, laquelle s’adresse exclusivement aux adultes peu qualifiés et peu scolarisés. Selon V. Leclercq (2007), entre 1971 et 1974, la formation de base concerne surtout les migrants, les femmes, les jeunes et les handicapés. Le (triste) point commun de ces catégories étant la difficulté à s’insérer dans la société française.
Les objectifs de la formation de base sont triples, ils visent à :
Compenser et remédier à une faible scolarisation ;
Développer l’employabilité des personnes ;
Réduire l’exclusion.
Si ces visées rejoignent les principes de l’éducation permanente, elles témoignent également du lien entre la formation et l’insertion socio-économique. La perspective de se former tout long de la vie semble être rattrapée par une conception économique et pragmatique de la formation. Ainsi, la démocratisation du savoir est reléguée au second plan et la formation de base constitue une première étape dans un parcours de formation-insertion des adultes.
L’illettrisme
La fin des années 1970 est marquée par l’apparition d’une nouvelle problématique en lien avec l’accès au savoir par des adultes. En 1977, le Père J. Wresinski lance un cri d’alarme concernant les adultes « illettrés25 ». Fondateur du Mouvement ATD Quart-Monde26, le père J. Wresinski est à l’origine du néologisme « illettrisme » qui permet de définir la situation d’adultes ayant été scolarisés, mais qui éprouvent des difficultés à lire et à écrire. Au regard du combat mené par J. Wresinski, l’illettrisme est perçu comme étant la cause et / ou la conséquence des inégalités. Une personne ne maitrisant pas le code de l’écrit est marginalisée, exclue et peine à exercer des emplois correctement rémunérés. Cette approche de l’illettrisme participe fortement à la construction d’un problème social dont l’opinion publique s’empare officiellement en 1984 lors de la publication de l’étude menée par V. Espérandieu (et al.), « Des illettrés en France. Rapport au Premier Ministre ». L’année suivante le terme « illettrisme » fait son entrée dans le dictionnaire. Le Groupe Permanent de Lutte contre l’Illettrisme (désormais GPLI), créé à cette même période, vise à institutionnaliser un ensemble d’actions qui va de la prévention chez l’enfant à la formation chez l’adulte.
La lutte contre l’illettrisme s’inscrit dans la formation de base car les objectifs de ces actions se rejoignent dans la lutte contre l’exclusion sociale et culturelle, le combat contre les inégalités et l’accompagnement des mutations industrielles. En outre, la conception déficitaire (manque de compétences scolaires) et managériale (l’absence de compétences freine l’entrée dans la vie économique) de la lutte contre l’illettrisme figure également dans le projet des formations dites de base. Selon Y. Johannot (1994), les solutions proposées pour remédier à l’illettrisme sont en majorité des stages de formation et d’insertion professionnelle qui permettent d’allier « la lutte contre l’illettrisme à la lutte contre la non-insertion économique c’est-à-dire contre le chômage » (Johannot, 1994 : 129).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE INTERROGER DES EVIDENCES
Chapitre 1 L’apprentissage du français par des adultes migrants en France
Chapitre 2 Les publics migrants : de qui parle-t-on ?
Chapitre 3 Une recherche dans les formations linguistiques de l’agglomération rouennaise
DEUXIEME PARTIE CONFRONTER LES PERCEPTIONS
Chapitre 4 Produire des observables
Chapitre 5 Être en formation linguistique pour « apprendre bien le bon français »
Chapitre 6 Expérimentation et réflexivité
TROISIEME PARTIE PROPOSER DES ORIENTATIONS
Chapitre 7 Détourner ou se confronter à l’incontournable
Chapitre 8 Repenser l’urgence et l’essentiel
Chapitre 9 Laisser les adultes migrants s’approprier le français
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
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