Théorie des situations didactiques (TSD) de Guy Brousseau
La TSD repose sur deux types de situation : les situations didactiques et les situations nondidactiques. Les sitations non-didactique sont, par exemple, les situations de la vie quotidienne pour lesquelles il n’y a pas de volonté d’enseigner. Parmi les situations didactique, Brousseau s’est particulièrement intéressé aux situations adidactiques. Les situations didactiques et adidactiques sont organisées pour permettre un apprentissage. La différence principale entre les deux situations se situe au niveau de la position et du rôle des acteurs par rapport au savoir à enseigner.
Situation Brousseau détermine le terme « situation » comme « l’ensemble des circonstances dans lesquelles une personne se trouve, et des relations qui l’unissent à son milieu. » (Kuzniak, 2005)
Situation didactique Tel que résumé par Kuzniak (2005), la situation didactique de Brousseau « est une situation où se manifeste directement ou indirectement une volonté d’enseigner »(Kuzniak, 2005). Cette situation fonctionne sur la base d’un triptyque faisant interagir le système éducatif, le savoir scolaire et l’étudiant .
Situation adidactique Brousseau propose de mettre l’élève dans une situation d’apprentissage dans laquelle le professeur a « l’intention d’enseigner un contenu mathématique tout en laissant à l’élève la marge de manoeuvre et d’initiative la plus grande possible » (Kuzniak, 2005). Dans cette situation adidactique, le professeur se met en retrait et doit se donner pour objectif principal d’établir les conditions « les plus favorables à la mise en action de l’élève » (Kuzniak, 2005). Dans cette situation, la situation d’enseignement disparaît du point de vue de l’élève. De la même manière que pour la situation didactique, la situation adidactique repose sur un triptyque.
Le milieu Le milieu correspond à l’environnement préparé par l’enseignant et dans lequel l’élève évolue en situation d’apprentissage. Le milieu « doit réagir aux propositions de l’élève dans une perspective d’apprentissage. »(Kuzniak, 2005) Dans une situation adidactique, le milieu sert pour la validation de la situation et permet des rétroactions. D’après Chevallard (1986), « l’enseignant n’a pas pour mission d’obtenir des élèves qu’ils apprennent, mais bien de faire en sorte qu’ils puissent apprendre. Il a pour tâche, non la prise en charge de l’apprentissage, ce qui demeure par nature hors de son pouvoir, mais la prise en charge de la création de conditions de possibilité de l’apprentissage. »(Chevallard, 1986) Le milieu est essentiel dans ce type de situation car il permet la validation ou l’invalidation de la réponse de l’élève.
Type de situation adidactique Brousseau a introduit trois types de situations adidactiques qui « graduellement conduisent l’élève à préciser les connaissances utilisées pour résoudre un problème »(Kuzniak, 2005). Ces trois types de situations se nomment « situation d’action », « situation de formulation » et « situation de preuve » et se définissent comme suit :
Situation d’action : Dans ce type de situation, « le sujet est confronté à un milieu qui interagit avec lui. Agir consiste pour le sujet à choisir des états du milieu en fonction de ses propres motivations. »(Kuzniak, 2005) Kuzniak propose la représentation suivante des liens et interactions entre le milieu et l’élève :
Situation de formulation : Pour aller au-delà de la situation d’action, Brousseau propose des situations de formulation « souvent appuyées sur l’obligation faite à l’élève de communiquer avec un autre interlocuteur. La formulation des connaissances utiles pour maîtriser l’action met en oeuvre des répertoires linguistiques et facilite également leur acquisition. »(Kuzniak, 2005) La situation de formulation peut, par exemple, être mise en place avec deux élèves : un premier élève en guide un second qui agit sur le milieu selon les instructions du premier élève. Les retours du premier élève ou du milieu permettent une validation de la formulation.
Situation de preuve : Dans les situations d’action et de formulation se trouvent des corrections et des régulations empiriques du fait de l’interaction des élèves entre eux ou avec le milieu. Pour avancer dans la construction du savoir, Brousseau propose un nouveau type de formulation. Selon l’auteur, il ne s’agit plus simplement « d’échanger des informations mais de coopérer avec un partenaire pour rechercher la vérité »(Kuzniak, 2005). L’élève élabore des preuves de la validité et de la pertinence de son modèle d’action. Ses connaissances lui permettent de prouver et de convaincre un interlocuteur.
Contrat didactique Brousseau nomme comme « contrat didactique » les accords implicites ou explicites passés entre l’enseignant et l’enseigné. Ce n’est pas réellement un contrat mais plutôt un accord tacite qui ressemble à un contrat : « Dans une situation d’enseignement, préparée et réalisée par un maître, l’élève a en général pour tâche de résoudre le problème (mathématique) qui lui est présenté, mais l’accès à cette tâche se fait à travers une interprétation des questions posées, des informations fournies, des contraintes imposées qui sont des constantes de la façon d’enseigner du maître. Ces habitudes (spécifiques) du maître attendues par l’élève et les comportements de l’élève attendus par le maître, c’est le contrat didactique. »(Brousseau, 1998) Le contrat didactique porte donc sur les habitudes d’enseignement mais ne précise pas la nature du savoir qui va être enseigné puisqu’au début de l’apprentissage, « l’élève ignore la nature réelle du savoir qu’on veut lui faire acquérir. »(Kuzniak, 2005) Le contrat est fortement didactique « lorsque l’enseignant se préoccupe de la bonne réception par l’élève de ce savoir »(Kuzniak, 2005). Le contrat didactique est indispensable dans l’équilibre de la situation adidactique. Dans ces situations, les interventions du professeur sont minimales. Le contrat entre le professeur et l’élève doit être défini avant pour que les attentes du professeur soient claires et pour que l’élève sache comment interagir avec le milieu et dans quel but. Au contraire, un contrat faiblement didactique peut être illustré par une conférence ou un cours magistral : le savoir est transmis du professeur vers l’élève sans que le professeur attende un posture particulière de l’élève autre que l’écoute.
La dévolution Le professeur a la responsabilité de construire la situation adidactique et de faire entrer l’élève dans cette situation. Il doit faire en sorte que la résolution du problème soit de la responsabilité de l’élève. La dévolution est « l’acte par lequel le professeur obtient que l’élève accepte, et peut accepter, d’agir dans une situation adidactique. Il accepte les conséquences de ce transfert, en prenant le risque et la responsabilité de ses actes dans des conditions incertaines. » (Kuzniak, 2005) La dévolution implique une posture particulière du professeur qui « s’efforce d’exclure de ses interventions celles qui ont trait à la solution »(Kuzniak, 2005). Une situation est dévolue à l’élève seulement dans le cas d’une situation adidactique.
Institutionnalisation Le processus d’institutionnalisation est le processus qui va permettre à l’élève de transformer sa connaissance acquise en un savoir universel et réutilisable. Selon Brousseau, « l’institutionnalisation est le passage pour une connaissance de son rôle de moyen de résolution d’une situation d’action, de formulation ou de preuve, à un nouveau rôle : celui de référence pour des utilisations futures, collectives ou personnelles »(Brousseau, 2011).
L’utilisation de la TSD dans ce mémoire Dans le cas présent, nous allons essayer d’approcher d’une situation adidactique qui servira d’objet d’étude. Le but recherché est d’immerger les élèves 1/dans une situation d’action, 2/dans une situation de formulation et 3/dans une situation de preuve. Nous utiliserons le jeu comme milieu rétroactif. De manière à étudier à posteriori le travail de l’élève et sa relation au savoir, nous donnons des supports de rédaction afin d’analyser les différentes situations décrites précédemment. L’institutionnalisation sera étudiée également.
Situation d’inspiration adidactique
Comme décrit plus haut, dans une situation adidactique telle que Brousseau la décrit, l’élève est dans une situation d’apprentissage dans laquelle le professeur a « l’intention d’enseigner un contenu mathématique tout en laissant à l’élève la marge de manoeuvre et d’initiative la plus grande possible ». L’objectif principal du professeur est d’établir les conditions « les plus favorables à la mise en action de l’élève » (Kuzniak, 2005). Nous cherchons à faire travailler les élèves sur le raisonnement. Certains apprentissages seront travaillés pendant la séance :
— L’apprentissage de la manipulation et du placement des pièces.
— L’apprentissage du calcul du maximum.
— L’apprentissage de recherche d’une stratégie, l’identification des différents éléments de la stratégie :
— Le choix des pièces.
— L’identification des valeurs non-marquées.
— L’identification des dispositions qui permettent de marquer le plus de points.
Les trois apprentissages suivants peuvent être institutionnalisés :
1. Un ou des exemples ne suffisent pas à prouver.
2. Traiter tous les cas permet d’être certain d’obtenir le maximum (raisonnement par exhaustivité des cas).
3. Chercher une méthode permettant de traiter tous les cas (raisonnement heuristique).
Parmi ces trois éléments, il a été choisi d’institutionnaliser le premier : un ou des exemples ne suffissent pas à prouver. Nous cherchons à obtenir un bilan d’institutionnalisation relativement simple et marquant afin que les élèves puissent le retenir et le réutiliser facilement. Notre objectif est de faire travailler les élèves sur la recherche, le raisonnement, le calcul et la communication. Les élèves mettent en avant les arguments qu’ils peuvent avancer pour démontrer leur résultat. Nous plongeons l’élève dans une situation d’apprentissage où, dans la phase de recherche, le professeur n’intervient pas. Nous allons décrire ci-dessous les éléments qui nous rapprochent d’une situation adidactique.
Questions posées sur la situation avec 3 pièces
1. Quel score maximal pouvez-vous obtenir avec 3 cartes ? Dessinez comment vous obtenez ce score.
2. Êtes-vous sûrs que c’est le maximum ? Pourquoi ?
Les élèves d’un binôme répondent ensemble aux questions.
La première question nous permet de cibler le résultat obtenu par le binôme. La deuxième question est plus ouverte et vise à obtenir des informations sur le raisonnement et les arguments qui sont avancés.
Êtes-vous sûrs que c’est le maximum ? Pourquoi ?
26 « oui » et 2 « sans réponse ».
Voici les principales réponses données par les élèves :
— Oui, car on a mis à côté le plus de 5, le plus de 4 et le plus de 3 possible.
— Oui parce qu’on ne peut pas faire plus grand.
— Oui, nous sommes sûrs que c’est le maximum car nous pouvons avec trois dominos mettre seulement trois fois le même chiffre à côté (qui est le chiffre 5).
— C’est le maximum car le plus grand nombre est 5 et que l’on a multiplié 5 × 3 puis 4 × 2 et 3 × 2 (les plus grands nombres).
— Oui car on a utilisé les trois plus grands nombre : 3 × 5 + 2 × 4 + 2 × 3.
— Oui car avec trois cartes on ne peut faire toucher que trois fois le 5 ; 2 fois le trois et deux fois le quatre. Ce sont les plus grandes cartes du jeu. Avec trois pièces, il n’y a qu’un seul et unique centre, on ne peut donc pas faire toucher trois fois le quatre (par exemple).
Dévolution et situation adidactique
L’enseignant doit faire en sorte que la résolution du problème soit de la responsabilité de l’élève. L’enseignante n’est pas intervenue dans cette phase de jeu. Comme le montre l’enregistrement audio, les élèves se sentent responsables de trouver le résultat, ils sont engagés dans leur tâche. Les réponses d’actions données par les élèves montrent qu’ils ont réfléchi seul ou en binôme.Dans l’enregistrement vidéo, les élèves parlent de leurs nombreux essais autant au niveau de la disposition qu’au niveau du score. Brousseau propose de mettre l’élève dans une situation d’apprentissage dans laquelle le professeur a « l’intention d’enseigner un contenu mathématique tout en laissant à l’élève la marge de manoeuvre et d’initiative la plus grande possible » (Kuzniak, 2005). La réponse « Oui j’ai beaucoup réfléchi pour trouver un résultat » à la question « As-tu l’impression d’avoir cherché et réfléchi aujourd’hui en mathématiques ? Pourquoi ? » montre que l’élève a disposé d’une certaine marge de manoeuvre pour résoudre le problème. Dans l’enregistrement audio, nous constatons que les élèves sont entrés dans l’activité et semblent déterminés à résoudre le problème. Dans cette situation adidactique, le professeur se met en retrait et doit se donner pour objectif principal d’établir les conditions « les plus favorables à la mise en action de l’élève » (Kuzniak, 2005). L’enregistrement audio montre que les conditions semblent favorables car les élèves sont en action et autonomes. Ils ne sollicitent pas d’aide extérieure.La forte adhésion des élèves traduite par vingt-sept « oui » et un « non » en réponse à la question « As-tu aimé la séance ? » sous-entend que les conditions étaient favorables à la mise en action. La mise en action des élèves apparaît également dans la réponse à la question « Pourquoi as-tuaimé la séance » : « J’ai aimé car ça te force à travailler et c’est plus ludique. »La situation adidactique repose sur un triptyque qui fait interagir la connaissance, l’apprenti et le milieu. L’enregistrement audio montre que les « apprentis » et le milieu (principalement les pièces) interagissent.
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Table des matières
I Cadre théorique et problématique
1 Cadre théorique
1.1 Théorie des situations didactiques (TSD) de Guy Brousseau
1.1.1 Situation
1.1.2 Situation didactique
1.1.3 Situation adidactique
1.1.4 Type de situation adidactique
1.1.5 Contrat didactique
1.1.6 La dévolution
1.1.7 Institutionnalisation
1.1.8 L’utilisation de la TSD dans ce mémoire .
1.2 Le jeu
1.2.1 Les critères de jeu de Brougère
1.2.2 Les jeux sérieux
1.3 Raisonner
1.3.1 Définition
1.3.2 Les attentes curriculaires
2 Problématique
II Corpus, méthodologie, analyse à priori et recueil de données
3 Le jeu utilisé : Match point
3.1 Présentation du jeu
4 Situation étudiée : comment atteindre un score maximal ?
4.1 Description générale de la situation
4.1.1 Situation avec 3 pièces
4.1.2 Situation avec 5 pièces
4.2 Ce que l’on cherche dans ces situations de jeu
5 Analyse à priori de la situation
5.1 La situation et le cadre didactique
5.1.1 Situation d’inspiration adidactique
5.1.2 Situation d’action et interaction avec le milieu
5.1.3 Situation de formulation
5.1.4 Situation de preuve
5.1.5 Institutionnalisation
5.1.6 Critère de jeu
5.1.7 Les principales variables didactiques
5.2 Résolution de l’activité avec 3 pièces
5.2.1 Choix des pièces
5.2.2 Calcul du score maximal
5.2.3 Choix de la disposition
5.3 Preuve de l’obtention du maximum avec 5 pièces
5.3.1 Quelques principes généraux
5.3.2 Pentaminos
5.3.3 Disposition en « I »
5.3.4 Disposition en « L »
5.3.5 Disposition en « P »
5.3.6 Disposition en « V »
5.3.7 Disposition en « F », en « N », en « T », en « U », en « W », en « X », en « Y » et en « Z »
5.3.8 Conclusion de la preuve
5.4 Ce que l’on attend des élèves
5.5 Difficultés envisagées
6 Recueil de données
6.1 Recueil écrit
6.1.1 Questions posées sur la situation avec 3 pièces
6.1.2 Questions posées sur la situation avec 5 pièces
6.1.3 Questions posées à la fin de la séance
III Résultats, analyse et perspectives
7 Données recueillies
7.1 Recueil oral de données
7.1.1 Retranscription de l’enregistrement audio d’un binôme et phase de jeu
7.2 Questions posées à l’écrit
7.2.1 Question sur le raisonnement
7.2.2 Question sur le ressenti
7.3 Recueil vidéo de données
7.3.1 Retranscription de l’enregistrement vidéo de la conclusion en classe entière
8 Interprétation de la situation, des résultats et mise en perspective
8.1 Interprétation
8.1.1 La TSD
8.1.2 Le jeu
8.1.3 Le raisonnement
8.2 Synthèse
8.3 Ouverture sur le caractère « groupé »
Bibliographie
A Un exemple d’activité de la brochure de Match Point
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