LA REVUE CRITIQUE DES SOURCES ET DE LA LITTÉRATURE
La reconstruction des faits historiques dépend des sources disponibles. Pour le cas de l’Égypte, nous disposons des sources primaires et secondaires. Les sources primaires concernent les textes hiéroglyphiques publiés tandis que les sources secondaires sont les traductions des différents auteurs spécialistes de la philologie égyptienne. N’ayant pas à notre disposition des sources hiéroglyphiques, nous nous proposons de nous limiter aux différents auteurs anciens et modernes qui se sont intéressés à la problématique de l’eau, aux Egyptologues, Anthropologues et spécialistes de la religion africaine notamment. Partant de notre thème de réflexion « l’eau dans la vie culturelle et cultuelle des anciens Égyptiens et des Seereer (du Sénégal)», notre critique des sources et de la littérature s’intéresse donc à tout ce qui n’est pas dit pour élucider notre problématique.
S’intéressant à la question des rituels funéraires, Diodore de Sicile n’a pas expliqué de façon claire la place de l’eau dans ces pratiques. Il a plutôt décrit le comportement des femmes et des hommes, à l’annonce du décès, et les différents types de momifications.
Hérodote a abordé la problématique de l’eau dans les cérémonies de momifications comme nous venons de le voir avec Diodore De Sicile. Les représentations iconographiques montrent des prêtres qui versent de l’eau sur les défunts pour les purifier. Cette cérémonie devait se dérouler dans la maison de momification où officient les prêtres lecteurs et les autres prêtres de momification tels que les prêtres d’Anubis . Hérodote est resté muet sur les autres formes de pratiques cultuelles des Égyptiens anciens.
Parlant des cosmogonies égyptiennes, Alexandre Moret souligne qu’au commencement du monde, rien n’existait excepté l’abîme de l’eau primordiale, le Noun. En ce temps-là, disent les textes des pyramides, « il n’y avait pas encore de ciel, ni de terre, ni d’hommes, les dieux n’étaient pas encore nés, il n’y avait pas encore de mort » . Il poursuit en disant que « dans l’eau flottait l’esprit du dieu primitif, TOUM, il portait en lui la force génératrice des êtres et des choses » . Ces propos reproduisent la cosmogonie Héliopotaine qui est la plus ancienne de toutes les autres cosmogonies. À en à croire Moret, rien n’existait si ce n’est l’eau (le Noun) et l’esprit du dieu dans ce Noun.
Dès 1938, Speleers, de manière sommaire, met l’accent sur la propreté matérielle du mort , dans les offrandes culturelles et dans les rituels qui accompagnent le défunt pour la vie de l’au-delà.
C. Desroches –Noblecourt a mis en évidence l’importance de la tente de purification dans les rituels funéraires comme étape importante dans le processus qui mène à la résurrection du défunt. C’est ainsi qu’elle affirme que « dès le décès il semble qu’à cette époque la dépouille mortelle était transportée au seuil du nécropole dans un édifice sacré qui était la tente de purification. Là, une lustration d’eau mélangée à du natron était projetée sur le cadavre posé dans un grand bassin sur deux signes de vie (signe ankh)» . Elle n’aborde que la purification du défunt après la mort, comme Diodore de Sicile et Hérodote. Qu’en estil des autres rituels égyptiens comme le bain funèbre et les libations ? En Égypte, la toilette mortuaire était faite avant et après la momification. L’auteur passe sous silence tous les rituels cultuels.
Selon Mircea Eliade, dans la cosmogonie, dans le mythe, dans le rituel, et dans l’iconographie, l’eau remplit la même fonction, quelle que soit la structure des ensembles culturels dans lesquels elle est utilisée. Il avance la thèse selon laquelle dans l’eau tout se dissout et rien ne subsiste après une immersion. Il soutient que l’eau confère une nouvelle naissance ; elle guérit et assure la renaissance après la mort. Il admet que : « l’eau est génératrice, source de vie, sur tous les plans de l’existence » . Ainsi, « l’eau absorbe le mal grâce à sa puissance d’assimilation et de désintégration de toutes les formes » . De sa pureté, « l’eau confère une (nouvelle naissance) par un rituel initiatique, elle guérit par un rituel magique, elle assure la renaissance post mortem par des rituels funéraires ». Ces propos d’Eliade sont d’une grande importance pour la compréhension et l’avancée de notre thème de recherche. Mais on ne sent pas ici un développement très profond des symbolismes de l’eau bien qu’il en a énumérés quelques-uns. On s’attend à une étude plus approfondie de l’eau dans les ensembles culturels et dans le culte funéraire qui redonne naissance aux défunts.
James E. O., quant à lui, s’est intéressé à l’importance de l’eau dans les cérémonies de couronnement des rois, à l’installation solennelle du monarque dans son office et statut, lorsque le dieu le reconnaît publiquement comme son fils après l’avoir purifié par « l’eau de la vie qui est dans le ciel » . Il affirme ainsi que « dès sa prime enfance l’héritier présomptif était aspergé d’eau par les prêtres représentant Atoum et Thot ou bien Ré-Harakhté et Amon » . Le nouveau roi reçoit ses attributs d’un prêtre incarnant le dieu Yahes qui affirme : « je te purifie avec l’eau de toute vie et bonne fortune, de toute stabilité, de toute santé, de tout bonheur » . Cette cérémonie de purification par les prêtres assure au roi la régénération de ses forces vitales pour assumer le pouvoir. L’auteur s’est intéressé à l’utilité de l’eau dans les cérémonies de couronnement.
Amade Faye nous a fait part de l’importance que l’eau joue dans les cérémonies funéraires et dans le rituel de veuvage . Il a affirmé que « la rupture du veuvage (à ñawtax) débute à l’aube, hors de la maison, à la croisée des chemins par un bain lustral à ṕagax.la patiente se soustrait de l’influence dangereuse du défunt en même temps qu’elle enterre les impuretés dont elle était porteuse tout au long de cette période expiatoire » . Il ajoute que le: « rite de réintégration, la ñawit ou ñawtax est une renaissance, une réhabilitation déculpabilisante après les contraintes d’un code social qui élève la fidélité, la gratitude et l’affection en vers les morts au rang de valences » . Ses propos sont l’une des réalités dans vie des Seereer. Mais Amade Faye ne s’est pas intéressé au début de ce veuvage. Il y a d’abord le rituel de purification avant de commencer la retraite.
S’intéressant particulièrement à l’incarnation, Marguerite Dupire nous fait savoir qu’après la mort d’un Ancêtre, celui-ci peut se réincarner dans la vie d’un bébé . Ainsi, il est de coutume en milieu seereer de procéder à des libations d’eau mélangée avec le sable sur la tombe : « du sable pris sur la tombe est mélangée avec de l’eau lustrale » . Cette eau est versée sur le bébé qui est frotté et balancé trois fois ou quatre fois selon le sexe. L’eau tombant enlève la maladie du bébé. Ces propos de Dupire sont d’une importance capitale pour la compréhension du thème dans le processus de l’incarnation. Mais ce rituel de libation n’est pas accompli par le plus vieux ou la plus vieille mais par ceux qui s’y connaissent, surtout les plus vieux de la famille de l’incarné, c’est-à-dire les plus concernés. Car il faut que l’ancêtre soit identifié. Il y a des cas où la personne ciblée n’est pas l’incarné. De ce fait, l’enfant ne peut pas être délivré. En milieu seereer, ce rituel de libation d’eau mélangée à du sable est d’une grande importance pour l’enfant réincarné. Il le délivre, le libère et le guérit.
L’EAU DANS LA CRÉATION
« Le concept même de cosmogonies, en tant que récit de la formation de l’Univers, va au-delà du seul discours théologique et l’englobe. En l’occurrence, il vise à rendre compte du commencement de toute chose existante, et d’abord de la naissance de l’Univers ». Dans la mythologie égyptienne et seereer l’eau est l’élément primordial de la création. Toutes les cosmogonies sont unanimes à affirmer que l’eau est à l’origine de la création de l’univers. D’après toutes ces cosmogonies, particulièrement les cosmogonies égyptiennes et seereer, il y a eu de tout temps et avant toute chose une immensité liquide (le Noun et le marécage initial), incréée, qui n’a ni début ni fin, dans laquelle se renferment toutes les potentialités de la création. La présence de l’eau dans la création de l’univers égyptien et seereer est incontestable.
En effet, même les sources égyptiennes et traditionnelles nous apprennent que rien n’a existé si ce n’est le Noun ou le marécage initial. La symbolique de l’eau comme origine dans la création est aussi force vitale et fécondante. L’eau est le Verbe générateur, la lumière et la parole. Ainsi, « l’eau vive, l’eau de la vie se présente comme un symbole cosmogonique. C’est parce qu’elle purifie, guérit, rajeunit qu’elle introduit dans l’éternel » . Pour les Égyptiens comme pour les Seereer, le monde est sorti d’une grande masse liquide. Le monde est un désert océanique où le Créateur flotte sur la nappe aquatique. Conscient de lui-même, il commence la création. Tout vient de lui car rien n’a existé avant lui dans cet océan. L’eau fait partie de l’histoire de tout cosmos.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE :L’APPORT DE LA DOCUMENTATION ET DES MYTHES COSMOGONIQUES
CHAPITRE I : LA REVUE CRITIQUE DES SOURCES ET DE LA LITTÉRATURE
ETAT DE LA QUESTION
CHAPITRE II : L’EAU DANS LA CRÉATION
1) LA COSMOGONIE ÉGYPTIENNE
2) COSMOGONIE SEEREER
DEUXIÈME PARTIE :L’EAU ET SES SYMBOLISMES
CHAPITRE III : DANS LES RITUELS COUTUMIERS
1°) DANS LE RITUEL DE NAISSANCE
2°) DANS L’INITIATION MASCULINE
CHAPITRE IV : DANS LES RITUELS FUNÉRAIRES
1) TOILETTE MORTUAIRE
2) RITUEL DE LIBATIONS DANS LES PRATIQUES FUNÉRAIRES
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAHIE
TABLE DES MATIÉRES