L’apparition et la fréquence des formes d’agressivité au cours du développement
Méthode
Participants
Les données utilisées sont issues d’une étude longitudinale québécoise effectuant un suivi annuel du développement d’une cohorte de jumeaux à partir de l’âge de 5 mois. L’Étude des jumeaux nouveau-nés du Québec (ÉJNQ; Boivin et al., 2013) cible 1324 jumeaux (soit 662 familles) recrutés à la naissance entre novembre 1995 et juillet 1998 dans la grande région de Montréal. Pour ce faire, l’accord des différents hôpitaux de la grande région de Montréal a été obtenu afin de proposer l’étude à toutes les mères accouchant de jumeaux durant cette période. Par la suite, deux critères de sélection étaient requis parmi les familles intéressées à participer à l’étude : la famille devait utiliser le français ou l’anglais comme langue principale et les enfants devaient être nés sans complications médicales majeures. Le consentement des familles a été obtenu lorsqu’elles rencontraient tous ces critères. L’attrition était en moyenne de 9 % par année entre le premier temps de mesure et la fin du la période scolaire (12 ans), soit de 1996 à 2008, la taille des échantillons varie donc selon les mesures spécifiques et l’âge des enfants. Un examen des données manquantes ne permet pas de conclure que ces données sont manquantes complètement au hasard. Toutefois, ces données sont plutôt manquantes au hasard. Une partie des données manquantes semblent être attribuable à des questionnaires non complétés par des enseignants à différents niveaux scolaires. Au plan langagier, les enfants étaient évalués dans la langue qu’ils maitrisaient le mieux (82% francophone et 18% anglophone). Tous les enfants pour lesquels au moins deux mesures d’agressivité physique et d’agressivité indirecte sont disponibles durant la période scolaire sont inclus. L’échantillon retenu selon ces critères est de 803 enfants, soit 395 garçons et 408 filles.
Mesures
Agressivité physique et agressivité indirecte. Le comportement était évalué à l’aide d’une liste de 37 à 84 énoncés selon l’âge de l’enfant à l’aide du Questionnaire de comportements sociaux (QCS : (R. E. Tremblay, Desmarais-Gervais, Gagnon, & Charlebois, 1987)). L’enseignant devait évaluer la fréquence de comportements cibles chez l’enfant, soit « jamais » (score de 0), « parfois » (score de 1) ou « souvent » (score de 2). Six items référaient à l’agressivité physique et trois items référaient à l’agressivité indirecte en maternelle, 1ère, 3e, 4e et 6e année. Pour l’agressivité physique, les professeurs devaient indiquer la fréquence à laquelle l’enfant « a attaqué physiquement les autres », « s’est bagarré », « lorsqu’on le taquinait, a réagi de façon agressive », « a frappé, mordu, donné des coups de pied à d’autres enfants », « lorsqu’on lui prenait quelque chose, a réagi de façon agressive » et « lorsqu’on le contredisait, a réagi de façon agressive ». Pour l’agressivité indirecte, les professeurs devaient indiquer la fréquence à laquelle l’enfant est « devenu ami avec un autre enfant lorsque fâché », « lorsque fâché contre quelqu’un, a dit de vilaines choses de celui-ci
» et « entrainer d’autres à détester un enfant ». Une moyenne des items a été calculée pour chaque forme d’agressivité à chaque âge. Les alphas de Cronbach étaient acceptables à chaque âge pour l’agressivité physique (α = .90 en maternelle, α = .89 en première année, α = .90 en troisième année, α = .89 en quatrième année et α = .87 en sixième année) ainsi que pour l’agressivité indirecte (α = .80 en maternelle, α = .77 en première année, α = .84 en troisième année, α = .83 en quatrième année et α = .81 en sixième année).
Langage. Avant l’âge de 3 ans, les vocabulaires réceptif et expressif ont été évalués par une version officielle du McArthur Communicative Development Inventory-Short-Form (MCDI : (Fenson et al., 2000)) chez les anglophones et une adaptation de cette liste pour les francophones comprenant 77 mots à 18 mois et 100 mots à 30 mois. Les parents devaient indiquer si leur enfant pouvait comprendre le mot, le dire ou ni l’un ni l’autre. La grammaire réceptive à 18 et 30 mois était évaluée selon la réponse de l’enfant à 12 commandes simples (simple traduction pour la version francophone), tandis que la grammaire expressive à 30 mois était évaluée sur une échelle en trois points où le parent devait dire si l’enfant ne combine pas de mots (score de 0), s’il combine parfois des mots (score de 1) ou s’il combine fréquemment des mots (score de 2).
À 5 ans et en 1èreannée, l’Échelle de vocabulaire en images de Peabody-III (EVIP : Dunn, Dunn & Thériault-Whalen, 1993) a été utilisée pour évaluer le vocabulaire réceptif.
L’EVIP comprend 170 items avec quatre dessins où l’enfant doit pointer l’objet nommé. Pour les besoins de l’étude, la passation a été adaptée pour évaluer aussi le vocabulaire expressif à 5 ans chez les francophones seulement en demandant d’abord à l’enfant de nommer l’image cible sur la carte, puis une fois le critère d’arrêt atteint, en revenant sur les items échoués pour lui demander de pointer l’objet nommé. La passation du test était interrompue après six erreurs en huit items et les items réussis ont été additionnés pour constituer un score brut.
En maternelle et 1ère année, le langage expressif a été évalué à l’aide de six items du Early Development Instrument (EDI : (Janus & Offord, 2007)). Cette échelle évaluait 1) son habileté à utiliser correctement le français, 2) son habileté à relater un fait vécu, 3) sa communication avec autrui en français, 4) son habileté à articuler clairement les mots, 5) son habileté à raconter une histoire, 6) sa capacité à communiquer ses besoins de façon compréhensible. En 4e et en 6e année, le langage expressif a été évalué de façon sommaire avec deux questions qui demandaient à l’enseignant d’indiquer la capacité de l’enfant à s’exprimer de façon orale et écrite sur une échelle allant de 1 (nettement sous la moyenne) à 5 (nettement supérieur à la moyenne).
Les scores de langage ont été corrigés pour l’âge gestationnel de l’enfant pour les mesures préscolaires (18 et 30 mois, 5 ans) et pour l’âge chronologique à partir de la maternelle puis transformés en scores Z. Une moyenne des scores Z a été calculée aux âges où plus d’une mesure de langage étaient disponibles.
Covariables. Le QI non verbal a été évalué avec le sous-test Dessins avec blocs du Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence à 5 ans (Wechsler, 1989). Lors du test, l’enfant doit reproduire des motifs, qui augmentent en difficulté en utilisant des cubes avec des facettes rouge et blanc à l’intérieur d’un délai prescris. Le statut socioéconomique a été dérivé d’un indice de pauvreté calculé sur la base de l’écart (non = 0, oui = 1) entre le revenu du ménage quand les jumeaux avaient 5 mois et le seuil de pauvreté pour le type de ménage, la région géographique et l’année civile (Québec, 2006).Le quotient intellectuel non verbal est utilisé comme covariable car Benasich et ses collègues (1993) ont obtenu une association entre une baisse du quotient intellectuel et des problèmes de comportements chez des enfants avec un retard langagier. Aussi, le statut socioéconomique a été associé à plusieurs reprises avec des comportements agressifs (Estrem, 2005; Vaillancourt et al., 2007) et plusieurs études l’utilise comme covariable (Benasich, Curtiss, & Tallal, 1993; Piel, 1990; Stattin & Klackenberg-Larsson, 1993).
Procédure
À 18 mois, la visite a été effectuée en laboratoire alors qu’à 30 mois la visite a eu lieu au domicile de la famille. Chaque fois, le QCS et le MCDI (ou son adaptation) d’un jumeau étaient administrés durant la rencontre et ceux de l’autre jumeau étaient complétés deux semaines plus tard pour éviter un effet de contraste entre les jumeaux. À 60 mois, l’EVIP et le QI non verbal ont été évalués par un examinateur différent pour chaque jumeau d’une famille lors d’une visite en laboratoire. En maternelle, 1ère, 3e, 4e et 6e année, les questionnaires incluant le QCS étaient donnés en main propre ou par la poste aux enseignants qui acceptaient de participer. En 1ère année, l’EVIP a été complété avec l’enfant à son école et l’EDI a été rempli par les enseignants. En 4e et en 6e année, les deux questions ont été posées aux enseignants dans un questionnaire général sur le comportement et le rendement de l’enfant cible.Avant chaque collecte, les parents et les enseignants donnaient un consentement éclairé. Les familles recevaient 20 $ par enfant pour l’ensemble des questionnaires complétés lors des visites à la maison ou en laboratoire, en plus du remboursement des dépenses reliées au transport le cas échéant. Les enseignants recevaient 25 $ pour chaque questionnaire complété.
Analyses statistiques
Les analyses statistiques ont été effectuées à l’aide des programmes SAS 9.4 (SAS Institute Inc, 2014) et SPSS 24 (IBM, 2016). Pour le premier objectif, des trajectoires d’agressivité physique et d’agressivité indirecte ont été réalisées à l’aide du module Proc Traj dans SAS (Nagin, 1999). Les trajectoires ont été obtenues avec une analyse semi-paramétrique qui permet d’assigner chaque sujet à l’une de plusieurs trajectoires reflétant le nombre optimal de patrons développementaux observables. La méthode minimise l’effet de l’attrition en permettant d’estimer des trajectoires en l’absence de certains points de mesure. Le nombre optimal de trajectoires a été déterminé en comparant différents modèles et en identifiant le modèle avec le plus petit Bayesian Information Criterion (BIC) en valeur absolue parmi les modèles évalués. Cet indice de vraisemblance reflète l’adéquation entre le modèle estimé et les données observées. Les trajectoires ont été établies séparément pour chaque type d’agressivité (physique, indirecte). Pour avoir été inclus dans les analyses de trajectoire, un sujet devait avoir des données pour au moins trois temps de mesure sur les cinq ciblés. Lorsque la répartition des garçons et des filles dans les trajectoires obtenues était inégale, des trajectoires distinctes selon le sexe ont été identifiées. Le sexe de l’enfant est utilisé comme variable médiatrice car Vaillancourt et ses collègues (2007) ont identifié que des facteurs associés à l’agressivité indirecte étaient différenciés selon le sexe.Une fois les trajectoires d’agressivité identifiées, des analyses de variances (ANOVA) ont été utilisées pour évaluer si des différences d’habiletés langagières (variable dépendante) à tous les âges sont présentes entre différentes trajectoires et selon le sexe. L’ensemble des scores de langage obtenus aux différents temps de mesure ont été transformés en score Z pour ces analyses. Ces derniers ont été regroupés en une seule mesure de langage pour chaque temps en effectuant une moyenne. Les ANOVA ont été effectuées pour les deux types d’agressivité séparément avec le sexe de l’enfant comme modérateur. Le test de Tukey a été utilisé comme test post hoc pour décomposer les interactions significatives le cas échéant. Les ANOVA ont d’abord été réalisées sans covariables et ensuite avec le quotient intellectuel non verbal et le statut socioéconomique comme covariables, tout en gardant le sexe comme modérateur.
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Table des matières
Introduction
L’apparition et la fréquence des formes d’agressivité au cours du développement
Le développement de l’agressivité physique et indirecte
Les facteurs associés aux comportements agressifs
L’association entre le langage et les formes d’agressivité
Objectifs
Méthode
Participants
Mesures
Agressivité physique et agressivité indirecte
Langage
Covariables
Procédure
Analyses statistiques
Résultats
Objectif 1 : Les trajectoires développementales
Agressivité physique
Agressivité indirecte
Objectif 2 : Les différences de langage selon les trajectoires
Agressivité physique.
Agressivité indirecte
Discussion
Les associations langage-agressivité
Les trajectoires développementales
Conclusion
Tableau 1
Moyenne et Écart-type d’agressivité physique et d’agressivité indirecte selon le sexe
Tableau 2
Corrélations entre les scores de langage et l’agressivité physique selon le temps de mesure
Tableau 3
ANOVA entre l’appartenance à une trajectoire d’agressivité physique, le sexe de l’enfant et les habiletés langagières
Tableau 4
Corrélations entre les scores de langage et l’agressivité indirecte selon le temps de mesure
Tableau 5
ANOVA entre l’appartenance à une trajectoire d’agressivité indirecte, le sexe de l’enfant et les habiletés langagières
Figure 1
Modèle à 3 trajectoires pour l’agressivité physique
Figure 2
a. Modèle de trajectoires d’agressivité physique pour les garçons
b. Modèle de trajectoires d’agressivité physique pour les filles
Figure 3
Modèle à 3 trajectoires pour l’agressivité indirecte
Bibliographie
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