L’apparat de l’enceinte domestique au service de l’institution sociale antique du banque

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L’ANDRON, SCÈNE DOMESTIQUE DU BANQUET GREC

L’/Oikos/, la maison grecque, est le théâtre d’un des rituels les plus importants de la société antique grecque : le banquet. Le banquet domestique se déroulait au sein de l’/ Andrôn/ (ἀνδρών / andrốn), une pièce dédiée exclusivement aux hommes, les femmes n’ayant pas le droit d’assister aux festivités à l’exception des esclaves et des prostituées.
Ces pièces dédiées à ce rite social du banquet étaient d’une surface relativement invariable et pouvaient accueillir entre 7 et 14 convives. On note toutefois quelques exceptions avec des Androns pouvant accueillir jusqu’à 30 convives. L’aménagement des Androns grecs était essentiellement régit par un système de micro-zoning au sol que l’on rencontrera par la suite dans les Triclinium romains d’une manière plus sophistiquée : la composition graphique des tapis de mosaïques.
/. Les tapis de mosaïques, des éléments ornementaux exceptionnels structurant de l’agencement de l’Andron grec
Dans la Grèce Antique, les mosaïques étaient réservées principalement à l’ornementation domestique en recouvrant le sol des Androns de grands demeures notables dès la fin du Vème siècle av. J.-C. Ces revêtements de sol étaient d’une grande rareté du fait de leurs coûts de réalisation. En ce sens, elles constituaient l’élément principal du programme décoratif d’une maison grecque.
Ces mosaïques avaient cette première fonction hygiénique en protégeant les sols de l’humidité par leur propriété imperméable et en se nettoyant à grandes eaux à la fin des banquets. Cependant, elles avaient aussi une fonction ornementale et indicative afin de signifier l’usage des pièces de la maison. Les mosaïques étaient avant tout présentes dans les pièces d’apparat et particulièrement dans l’Andron qui n’est parfois que la seule pièce à en disposer. Les mosaïques étaient réparties en deux tapis qui ordonnançaient et standardisaient l’agencement de l’Andron dans les Oikos. Un premier tapis principal à la fonction ornemental venait recouvrir la partie centrale de la pièce. Cette mosaïque s’étendait jusqu’à une bande d’un revêtement de sol moins raffiné qui longeait les parois de la pièce et qui pouvait être surélevé dans certains Androns. Cette bande permettait de signifier l’emplacement des klinés, les banquettes grecques accueillant les convives.
Grâce à ce système les décors du tapis principal étaient dégagés de tout entrave visuelle et s’offraient à la vue des convives afin d’alimenter les conversations. La bande, et de ce fait les kliné, étaient de la largeur d’un second tapis, le tapis de seuil, qui ornait l’entrée de l’Andron et accueillait les convives.
De plus, selon l’aisance financière du propriétaire de l’Oikos, un vestibule orné d’un autre tapis de mosaïque pouvait précéder l’accès à l’Andron afin de sacraliser un peu plus la fonction d’apparat de cette pièce.
Ces différents tapis étaient réalisées avec de petits galets polychromes et formaient des décors figurés entourés de frises aux motifs géométriques et végétaux. La représentation de Dyonisos, dieu du vin, de la fête et des plaisirs, n’y est paradoxalement pas le sujet de prédominant au sein des mosaïques des Androns grec. On note plus largement des compositions mettant en scènes des bêtes mythologiques telles que des griffons, des centaures ou des sphinx, des animaux sauvages évoquant le registre du combat et de la chasse, ou encore des scènes marines représentant des personnages mythologiques, des monstres et des animaux marins.
Ces différents mosaïques permettaient ainsi d’incorporer cette notion de récit dans le dispositif ornemental de l’Andron et de fait au sein du rituel du banquet.

L’aménagement de l’Andron standardisé par le rituel du banquet hellénique.

Comme expliqué précédemment, l’Andron était agencé et meublé en fonction du dessin des tapis de mosaïques sur le sol. On venait ainsi disposer des klinés, les banquettes grecques, sur la bande de sol dépourvue de mosaïque, le long des parois de la pièce. Ces banquettes agrémentées de coussins pouvaient accueillir un à deux convives chacune.
Des guéridons étaient disposés attenants à ces klinés afin de recevoir les plats et la grande variété de vases nécessaires au bon déroulement d’un banquet tels que des coupes de vin ou des rhytons qui étaient des vases à boire en forme de tête humaine ou animale. On note aussi la présence de vases plus proéminents tels que les cratères qui étaient utilisés pour diluer le vin pur dans de l’eau. Ces pièces de vaisselles étaient très ouvragés et ornementées de décors figurés reprenant des thèmes semblables à ceux des tapis de mosaïques au sol. De plus, les convives pouvaient apprécier après avoir sustenté leur soif la vue des fonds de coupes et de vases qui étaient eux aussi décorés de scènes d’ébriété, des scènes de combats mythologiques ou encore des scènes érotiques.
Les murs, quant à eux, étaient équipés d’éclairage et pouvaient être ornementés de fresques murales. On pouvaient aussi dans certains Andron noter la présence de statues et de différentes pièces de textile.
Ces mosaïques et ces éléments de mobilier participaient ainsi à la mise en oeuvre d’un processus de sophistication du rituel du banquet avec l’instauration de conventions esthétiques et d’une certaine enveloppe narrative ressassant cette culture mythologique grecque en plein foisonnement à chaque cérémonial. S’est ainsi mis en place un certain processus de spectacularisation de ce décorum de l’Andron, l’hôte ou Amphitryon participant à une compétition sociale et financière consistant à offrir un degré de luxe et de confort toujours plus important à ses invités, influant ainsi sur une production artistique et artisanale au niveau de la qualité figurative et thématique des mosaïques ou de la facture du mobilier toujours plus raffinée et onéreuse.

LE TRICLINIUM, SCÈNE DOMESTIQUE DU BANQUET ROMAIN

A l’issue des conquêtes des contrées orientales de la méditerranée et des royaumes helléniques, les Romains opèrent un certain jeu d’influences culturelles en disséminant son mode de vie et réciproquement en assimilant certains savoirs et pratiques issus de l’héritage culturel des sociétés conquises.
Ce jeu d’influence fut mis en oeuvre lors de la conquêtes des royaumes helléniques par l’Empire Romain au IIème siècle av. J.-C. La société romaine va alors s’imprégner de l’héritage culturel grec, et notamment au niveau de la culture du banquet, influant de fait l’aménagement des espaces de réception tel que le Triclinium.
Au sein de l’espace domestique de la Domus, les romains vivent dans des pièces sombres, l’apport principal de lumière naturelle étant apporté par l’atrium et le jardin entouré de son péristyle. L’éclairage utilisé est d’une faible qualité et se résume à des torches, des chandelles, des candélabres à tiges longues et des lampes à huile en terre cuite ou en bronze. Celles-ci sont alimentées par de l’huile d’olive, de noix ou de ricin additionnée de sel pour éviter toute surchauffe et éclaircir la flamme. De plus, l’équipement en mobilier de la Domus reste sommaire. L’ornementation des murs, des sols, des plafond et des voûtes constituent alors un élément déterminant dans la stratégie des patriciens romains d’exposer leur statut social et leur aisance financière.
Les tapis de mosaïques, un héritage culturel hellénique standardisant l’aménagement du Triclinium romain sur le modèle de l’Andron grec.
Les mosaïques sont un élément prédominant du programme ornemental du Triclinium romain. Cette technique se répand au sein l’Empire Romain à l’issue de l’annexion de Carthage lors des guerres puniques, au IIème siècle av. J.C.
Les Domus patriciennes vont ainsi se parer de sols raffinés démontrant les attributs intellectuels et financiers du maître de maison à ses invités lors des soirées de banquets.
Ces revêtements de sol sont réalisés avec des matériaux durs et sélectionnés par des artisans spécialisés pour leurs propriétés chromatiques : on note que les romains utilisaient notamment le grès, le calcaire, le marbre ou encore des pierres semi-précieuses. Ces matériaux permettaient l’élaboration de tapis de mosaïques selon trois techniques de réalisation courantes :
. /Opus tesselatum/ ; cette méthode utilise des tesselles d’environ 8 à 10 millimètres de côté. Avec une certaine rapidité d’exécution du fait de la dimension de ces tesselles, cette technique est utilisée afin de réaliser de grandes surfaces de mosaïques.
. /Opus vermiculatum/ ; cette méthode utilise des cubes de 5 millimètres de côté. Par la précision rigoureuse qu’elle demande, cette technique est réservé pour des oeuvres d’une grande qualité figurative. Elle permet d’obtenir un résultat semblable à la peinture par sa grande finesse plastique et la multiplication des couleurs des pierres. Ainsi, son coût d’exécution est plus élevé que pour la technique de l’opus tesselatum et est réservée aux salles d’apparat des domus telles que le Triclinium ou aux palais impériaux.
. /Opus Sectile/ ; cette méthode utilise des fragments de pierre calcaire et de marbre aux couleurs variées. Elle se distingue de la technique de la mosaïque par son émancipation du format de la tesselle en mettant en oeuvre des morceaux de pierre de format beaucoup plus important.
Au sein du Triclinium, ces tapis de mosaïques ont comme en Grèce Antique cette fonction hygiénique en imperméabilisant des sols. Elles cumulent aussi des fonctions beaucoup plus déterminantes dans la bonne tenue du banquet romain. En effet, ces mosaïques ont aussi le rôle d’ornementer et d’agencer la pièce du Triclinium selon les normes du banquet en vigueur dans la Rome Antique et d’animer les conversations entre les convives.
Les romains ont parfait d’optimiser formellement cet héritage grec avec une mise en place d’un certain schéma de rationalisation de l’organisation de ces différents tapis de mosaïque. Le revêtement de sol en mosaïque d’un Triclinium romain suit un schéma d’imbrication de deux types de tapis en forme de T+U : un tapis de mosaïque en forme de U va venir s’imbriquer dans un autre tapis de mosaïque en forme de T.
Ce schéma de mosaïque standardise ainsi l’aménagement des Triclinium au travers de l’Empire et permet au besoin de d’adapter ce schéma à des superficies supérieures et par conséquent à un nombre de convives supérieur. Ce schéma s’est répandue au fur et à mesure des conquêtes romaines dans les demeures aristocratiques des provinces helléniques et orientales.
Le tapis de mosaïque formant un U détermine l’agencement des banquettes du Triclinium. Celles-ci sont dimensionnées de manière standardisée avec une longueur moyenne de 2,25 m à 2,80 m, pour une largeur variant entre 1,20 m pour les plus étroites à 1,50 m. Ces banquettes pouvaient ainsi accueillir près de 3 convives chacune. En ce sens, un banquet pouvait accueillir jusqu’à 9 convives. Ces convives s’installaient sur des matelas de plumes appelés / culcita/, chacun étant séparé de l’autre par un coussin, le / pulvinar/. Une hiérarchie des convives devait être respectée au niveau du placement sur les banquettes : ainsi le /lectus imus/ ou lit bas accueillait le maître de maison, le /lectus médius/ ou lit médian accueillait les invités de marque et dont le plus important était placé à gauche. Le /lectus summus/ ou lit haut accueillait, quant à lui, les invités de moindre importance. Ces banquettes étaient légèrement inclinées afin de permettre aux invités de trouver une position confortable tout en bénéficiant de la vue sur les jardins, l’entrée des Triclinium donnant le plus souvent sur cette partie extérieure de la Domus.

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Table des matières

INTRODUCTION
. PARTIE I LE RITUEL DU REPAS AU SERVICE DE L’APPARAT SOCIAL
. Chapitre I Les décors du banquet antique
. L’apparat de l’enceinte domestique au service de l’institution sociale antique du banquet.
. Chapitre II Le spectacle des banquets médiévaux
. La spectacularisation du rituel du banquet au service de la légitimation du pouvoir féodal.
. Chapitre III Les raffinements de la table moderne
. L’avènement de la salle à manger et la sophistication des rituels de table.
. Chapitre IV Vers une révolution gastronomique
. La révolution du restaurant et l’avènement des institutions gastronomiques parisiennes.
. Chapitre V La médiatisation de l’espace gastronomique
. Le restaurant gastronomique à l’origine de la mise en oeuvre d’un processus de starification des designers et des chefs cuisiniers.
. PARTIE II UNE DÉFINITION CONTEXTUELLE DU RESTAURANT GASTRONOMIQUE
. Chapitre VI Les codes & rituels d’une institution française
. Les codes et rituels du restaurant gastronomique contemporain.
. Chapitre VII La signature gastronomique
. L’affirmation du statut d’un restaurant gastronomique en tant qu’espace de représentation artistique pour une expérience synesthésique et holistique.
. Chapitre VIII La conception du restaurant gastronomique
. Le restaurant gastronomique sous le joug des designers
. PARTIE III LE REPAS GASTRONOMIQUE, UNE EXPÉRIENCE DES SENS
. Chapitre IX Une société de l’image et de l’expérience
. Entre vulgarisation de la critique gastronomique et compréhension des mécanismes cognitifs :
quand l’image et la science se placent au service de l’expérience gastronomique.
. Chapitre X Le restaurant comme terrain d’expériences
. L’évolution de l’expérience gastronomique vers une événementialisation contextuelle et la sollicitation des sens du convive.
. PARTIE IV UN AVENIR COMMUN AUX ARTS ET AUX FOURNEAUX
. Chapitre XI Des chefs cuisiniers & des artistes
. La performance artistique comme moyen d’innovation dans univers gastronomique
toujours plus événementiel.
. Chapitre XII Le banquet immersif contemporain
. Quand les designers culinaires immergent leurs convives dans une réinterprétation contemporaine du banquet.
. Chapitre XIII Pour un art baroque du service en salle
. Le serveur-comédien : La revalorisation de l’art du service par le biais des arts vivants.
. CONCLUSION
. ANNEXES
. BIBLIOGRAPHIE
. CREDITS PHOTOGRAPHIQUES

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