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Boucle phonologique et compétences langagières
Existence et fonctionnement de la boucle phonologique
Selon les auteurs (Baddeley, Gathercole et Papagno, 1998 ; Gathercole et Baddeley, 1993), les deux sous-composantes de la BP existent dès l’âge préscolaire, mais l’utilisation du processus de récapitulation articulatoire devient plus systématique et plus efficace seulement vers l’âge de 7 ans. La capacité de la BP se calcule au moyen d’épreuves d’empan, soit le nombre maximum d’éléments qu’un individu peut rappeler dans le bon ordre (Baddeley et al., 1998 ; Gathercole et Baddeley, 1993). Les items à répéter peuvent être par exemple des lettres, des chiffres, des mots ou des non-mots. Les épreuves d’empans de chiffres sont les plus couramment utilisées, car elles recrutent une charge sémantique limitée (puisque restreinte aux chiffres) par rapport aux empans de mots. La répétition de non-mots constitue également un matériel intéressant, considérée comme une épreuve plus « pure » et plus sensible pour mesurer la capacité de la BP. En effet les non-mots, contrairement aux mots, représentent un matériel étranger au sujet, ne possédant pas de représentations lexicales en mémoire à long terme. Ceci explique que les performances en rappel de mots sont généralement meilleures que celles des séries de non-mots (Hulme, Manghan et Brown, 1991, cités par Gathercole et Baddeley, 1993 ; Majerus et Van der Linden, 2001). De plus, cette épreuve constitue une tâche familière aux enfants, puisque, lorsqu’ils apprennent à parler, tous les mots du lexique leur sont inconnus (Gathercole et Baddeley, 1993). Par ailleurs, de nombreux travaux révèlent que les performances concernant les tâches d’empans de mots seraient améliorées par le haut niveau de fréquence et de concrétude de ces derniers (Majerus et Van der Linden, 2001).
La capacité de l’empan auditivo-verbal de la BP augmente considérablement au cours de l’enfance : l’empan de chiffres d’un enfant de 4 ans passe de trois à six à l’âge de 15 ans et son empan de mots évolue respectivement de deux à quatre éléments rappelés. La capacité de la BP double donc en quelques années (Gathercole, 2002). Cette croissance de la capacité de la boucle s’expliquerait notamment par l’augmentation de la vitesse de répétition subvocale, elle-même liée à une articulation plus rapide des enfants en grandissant (Gathercole, 2002 ; Gathercole et Baddeley, 1993).
En outre, Baddeley (1990/1992) démontre l’existence de la BP en détaillant différents effets présents lors d’épreuves d’empans. Par exemple, l’effet de similarité phonologique témoigne de l’intégrité du processus de stockage phonologique : un sujet aura plus de difficultés à rappeler une liste d’items si ceux-ci sont phonologiquement similaires. Par exemple, la série de lettres M R F T Q est plus facile à rappeler que D P G V B. L’effet de longueur, lui, dépend du bon fonctionnement du processus de récapitulation articulatoire : dans une série à répéter verbalement, les mots courts seront plus facilement rappelés que les mots longs. Le paramètre à l’origine de l’effet de longueur est davantage la durée de prononciation que le nombre de syllabes composant le mot. Ainsi, la sensibilité à ces différents effets atteste de l’intégrité fonctionnelle des composantes de la BP (Sanchez, Gonzalez et Ritz, 1999). La littérature démontre l’existence de la BP et sa mobilisation précoce par l’enfant. Les épreuves d’empans, basées sur la présentation d’informations verbales, permettent de quantifier sa capacité. D’ailleurs, comme mentionné précédemment, la BP bénéficie d’un système de reconversion des informations verbales en représentations phonologiques, qui sont les prémices fondamentales de son fonctionnement.
À l’origine de la boucle : les représentations phonologiques
Le langage de l’enfant se construit en interaction avec ses potentialités initiales (linguistiques, cognitives, sociales) et son environnement (Hage, 2006). En effet, doté « d’un équipement biologique et cognitif sophistiqué » (De Boysson-Bardies, 2005), le nouveau-né entendant est capable de percevoir, de discriminer et de catégoriser les phonèmes de sa langue. Ces différentes opérations pourront se mettre en place uniquement si l’enfant évolue dans des interactions langagières quotidiennes avec ses parents, qui lui apportent un « bain de langage » primordial pour son développement langagier (Manteau, 2004 ; Mazeau, 2005). Pour construire son langage, il est donc indispensable « que l’enfant entende parler » (De Boysson-Bardies, 2005). Ainsi, c’est au cours de leur première année, « période sensible » pour l’émergence du langage (Hage, 2005), que les enfants opèrent les premiers traitements linguistiques et se construisent des représentations phonologiques (Hage, 2006).
Selon Alegria et Leybaert (2005), « la représentation phonologique d’un mot est une collection de traits abstraits qui permettent de le distinguer des autres mots de la langue ». Ces représentations seraient capitales pour l’organisation de la MdT (Denys et Charlier, 2006).
Boucle phonologique et compétences lexicales
L’hypothèse de l’influence de la BP sur l’apprentissage du vocabulaire provient initialement de recherches effectuées sur une patiente cérébro-lésée : la patiente P.V. (Comblain, 2003 ; Gillet, Hommet et Billard, 2000). P.V. souffre d’une aphasie de conduction et présente un empan à deux en mémoire phonologique à court terme (Baddeley, 1990/1992 ; 2003). Dans leur étude, Baddeley, Papagno et Vallar (1988) (cités par Baddeley, 1990/1992 ; 2003 ; Gathercole et Baddeley, 1993) tentent de faire apprendre à la patiente des paires de mots composées d’un mot italien (sa langue natale) très fréquent et d’un non-mot dérivé de la langue russe. Les non-mots russes lui sont donc étrangers et leur apprentissage est impossible. Baddeley (1990/1992) suppose donc que la BP joue un rôle non seulement pour l’apprentissage d’une seconde langue, dont les formes phonologiques des mots sont inconnues (Gillet et al., 2000), mais aussi dans le développement langagier du jeune enfant. En effet, l’apprentissage d’un nouveau mot pourrait nécessiter de construire une représentation phonologique nouvelle, à partir de l’enregistrement provisoire de sa forme sonore (Gillet et al., 2000). Ce lien entre BP et acquisition du vocabulaire chez l’enfant a d’ailleurs été exploré par Gathercole et Baddeley en 1989 (cités par Baddeley, 1990/1992 ; Gathercole et Baddeley, 1993). Par le biais d’une étude longitudinale, les auteurs se sont aperçus que les scores aux tests de répétition de non-mots chez des enfants de 4 et 5 ans étaient corrélés avec leur niveau de vocabulaire réceptif (Majerus et Poncelet, 2004). De plus, les enfants de 4 ans qui avaient les meilleures performances aux tâches de répétition de non-mots étaient ceux dont le niveau de vocabulaire était le plus élevé à 5 ans (Gillet et al., 2000). Les performances de la mémoire phonologique à court terme constituent donc un prédicteur efficace des futurs scores en vocabulaire chez ces enfants (Gathercole et Baddeley, 1990). De multiples études ont également été réalisées auprès d’enfants souffrant de troubles spécifiques du langage (TSL) pour analyser l’influence des défaillances de la BP sur leurs déficits langagiers, touchant notamment le développement lexical. Par exemple, Gathercole et Baddeley (1990) montrent, au moyen d’une épreuve standardisée de répétition de non-mots évaluant la BP, qu’un groupe d’enfants, âgés d’environ 8 ans et souffrant de TSL, présente un retard d’environ trois ans par rapport à leur âge. En outre, leurs performances en répétition de non-mots sont également plus faibles que celles du groupe contrôle d’enfants de 6 ans (appariés selon le même niveau de développement langagier en vocabulaire et en lecture). Par conséquent, les auteurs supposent que les performances déficitaires de la BP peuvent avoir un impact majeur sur le développement langagier de ces enfants. Une BP déficitaire aurait donc un effet négatif sur le développement langagier de l’enfant, notamment au niveau de l’acquisition du vocabulaire. Cette question a été largement étudiée, notamment à travers les performances d’enfants dysphasiques, dyslexiques (pour une revue de la question, voir Gillet et al., 2000 ; Majerus et Poncelet, 2004 ; Mazeau, 2005). Les enfants sourds peuvent également présenter des déficits au niveau de leur BP, mais les recherches concernant les difficultés mnésiques de cette population semblent moins nombreuses que celles consacrées aux enfants ayant des troubles du langage oral ou du langage écrit.
Surdité et boucle phonologique
Surdité de l’enfant
La surdité, déficit sensoriel le plus fréquemment observé chez l’enfant (Dumont, 2008), atteint près de mille nouveau-nés par an (Institut national de la santé et de la recherche médicale [Inserm], 2012). Les surdités peuvent être classées de manière quantitative. Le Bureau International d’Audiophonologie (BIAP, 1997) propose notamment une classification, qui calcule la perte auditive totale « à partir de la perte en [décibels] dB » à différents seuils de fréquence. Ainsi, l’audition est normale ou subnormale lorsque la perte auditive n’excède pas 20 dB. Pour la surdité légère, la perte auditive est comprise entre 21 dB et 40 dB : la parole à voix basse est difficilement perçue. La perte auditive de la surdité moyenne se situe entre 41 et 70 dB : l’interlocuteur est obligé d’élever la voix pour être compris. La personne sourde s’appuie davantage sur la lecture labiale (LL) pour comprendre. Une personne atteinte de surdité sévère, dont la perte est comprise entre 71 et 90 dB, perçoit les bruits forts et la parole quand elle est prononcée proche de l’oreille à voix forte. Concernant la surdité profonde, la « perte tonale » se situe entre 91 et 119 dB : une personne souffrant de ce type d’affection ne peut entendre que des bruits extrêmement puissants.
En France, 40% des nouveau-nés sourds naissent avec une surdité sévère à profonde qui risque d’avoir un impact considérable sur leur futur développement langagier. L’incidence de la surdité différera selon l’étiologie, la localisation de l’atteinte auditive ou l’âge d’apparition de la déficience (Dumont, 2008). Concernant les causes des déficiences auditives, 70% des surdités sont d’origine génétique (isolée ou syndromique), 25% sont liées à des facteurs externes (pathologies consécutives à la grossesse, infections, conséquences d’une prématurité ou d’une méningite, etc.) et 15% restent inexpliquées. La topographie de l’atteinte différencie deux types de surdité : la surdité de transmission et la surdité de perception. Les surdités de transmission touchent l’oreille externe et moyenne et peuvent être légères ou moyennes (elles sont souvent causées par des otites séreuses). Les surdités de perception (ou neurosensorielles) atteignent l’oreille interne ou les voies auditives et sont à l’origine d’une perte auditive conséquente et de distorsions. En ce qui concerne le moment de survenue de la surdité, l’atteinte peut être congénitale ou acquise. Les surdités apparaissant dès la naissance sont celles qui sont susceptibles d’avoir le plus de conséquences sur les compétences langagières de l’enfant sans une intervention précoce. Dans le cas des surdités acquises, il existe une distinction entre les surdités dites pré-linguistiques (qui apparaissent entre 8-9 mois et 2 ans), les surdités péri-linguistiques (entre 2 et 4 ans) et les surdités post-linguistiques (après 5 ans). Les conséquences sur le langage seront différentes en fonction de l’âge d’apparition de la surdité. Toutes ces particularités participent à l’hétérogénéité caractéristique des personnes atteintes de surdité (Haute Autorité de Santé [HAS], 2009) et, selon le Dictionnaire d’Orthophonie, sont à l’origine de multiples conséquences, dont une « absence ou [un] retard de langage » (« Surdité », 1997).
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE THÉORIQUE
I. Mémoire de travail
1. Le modèle de Baddeley
2. Boucle phonologique et compétences langagières
2.1 Existence et fonctionnement de la boucle phonologique
2.2 À l’origine de la boucle : les représentations phonologiques
2.3 Boucle phonologique et compétences lexicales
II. Surdité et boucle phonologique
1. Surdité de l’enfant
2. Enfant sourd et développement langagier
2.1 Difficultés observées
2.2 Représentations phonologiques : à l’ origine des difficultés des enfants sourds
III. Langue Parlée Complétée et boucle phonologique
1. Fonctionnement
2. LPC et perception
3. LPC et compétences cognitives et langagières
PARTIE EXPÉRIMENTALE
I. Problématique, objectif et hypothèse générale
1. Problématique
2. Objectif et hypothèse générale
II. Méthodologie
1. Description de la population
2. Matériel utilisé
2.1 Les épreuves d’empans de chiffres (condition « Chiffres »)
2.2 Les épreuves d’empans de mots (condition « Mots »)
2.3 Les épreuves d’empans de non-mots (condition « Non-mots »)
3. Déroulement et conditions de passation
4. Hypothèses
5. Méthodologie d’analyse statistique
III. Résultats
1. Hypothèse opérationnelle : effet de la LPC sur les performances
2. Hypothèse 1 : une condition se démarque des deux autres dans la modalité LPC
2.1 ANOVA de Friedman (test non paramétrique pour plusieurs échantillons appariés)
2.2 Test de Wilcoxon (test non paramétrique pour échantillons appariés)
3. Hypothèse 2 : effet de l’âge de début d’exposition et de la durée d’exposition à la LPC sur les résultats
3.1 Corrélation entre l’âge de début d’exposition à la LPC et les résultats (« empans » et « indices ») des différentes conditions
3.2 Corrélation entre la durée d’exposition à la LPC et les résultats (« empans » et « indices ») des différentes conditions.
4. Hypothèse 3 : effet de l’âge sur les résultats
5. Analyses statistiques supplémentaires
DISCUSSION
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
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