Langue française et langue créole : place et représentativité au niveau régional, national et international
Pour cette partie nous nous sommes inspirée des travaux de Bolus (2009) et du site de J. Leclerc sur l’aménagement linguistique dans le monde.
Le français
La constitution de la langue française
Progressivement, à partir du XIème, l’usage de l’occitan se généralise : elle prend place dans le domaine juridique, administratif, commercial, scientifique et religieux. Au MoyenAge l’occitan était quotidiennement utilisé, y compris dans les textes les plus prestigieux. Le latin s’efface donc. Par la suite, dans le texte de l’ordonnance paru au XVIème siècle, l’article 111 signale que désormais seul le « langage maternel françois » sera admis pour la rédaction des documents. Ce texte signe la fin de l’âge doré de l’occitan et l’avènement du français.
A l’origine était le gaulois, puis est arrivé le latin dont a persisté quelques substrats du gaulois. La langue évolue aussi et tout particulièrement la langue orale du fait des invasions germaniques. Concernant la langue écrite, c’est le latin qui domine. L’ancien français, lui, a fait son apparition en 842. On en trouve les premières traces dans le Serment de Strasbourg de Charles le Chauve qui prête une alliance militaire à son frère Louis le Germanique et qui s’exprimait à lui en germanique. Après nous connaissons la scission de la France eu égard aux langues d’oï au Nord, qui rassemblent plusieurs dialectes dans lesquels oui se dit oï, et les langues d’oc au Sud et qui rassemblent plusieurs dialectes dans lesquels oui se dit oc. Il y avait une répartition géographique à peu près égale, à la différence que les langues d’oï étaient bien plus prépondérantes que les langues d’oc du fait de Paris, capitale des rois.
Le français est une langue indo-eurpéenne, au même titre que l’anglais, l’allemand, le sanscrit, le latin, le breton, le persan ou encore le russe. C’est aussi un dérivé du latin parlé.
Parmi les ancêtres du français figure également le gaulois dont persiste un substrat dans la langue française (caillou, ruche, mouton, chemin, dune, galet…). Le français a également bénéficié de certains emprunts à la langue normande.
Parmi les premiers textes d’ancien français (XIème siècle), on peut noter la chanson de Rolland, célèbre texte relatant quelques faits de chevalerie sous le règne de Charlemagne, ou encore les romans courtois. Comme le latin, l’ancien français comportait des déclinaisons.
C’est entre le XIII et le XVI que la langue française se modernise, les déclinaisons disparaissent pour laisser place à la forme sujet-verbe-complément. Parallèlement les textes qui étaient encore en latin commencent à être traduits en français.
Une des dates essentielles dans l’histoire de la langue française est sans aucun doute le 10 aout 1539, date au cours de laquelle François 1er signe l’ordonnance de Villers-Cotterêts. On peut noter l’article 111 qui stipule que tous les documents officiels doivent désormais être écrits en français. Soulignons également que l’ordonnance de Villers-Cotterêts a donné lieu à l’article 2 de la Constitution française de 1992 posant le français comme la langue de la République.
Ainsi cette rétrospective nous a permis de voir que :
– le français a pris naissance au contact des autres langues,
– le français faisait autrefois figure de langue basse par opposition au latin qualifiée de langue haute,
– le français a connu des changements et qu’il existait différents dialectes français (langue d’oïl et langue d’oc) et des déclinaisons,
– la langue française a été utilisée comme moyen unificateur du pays : un peuple, un pays, une langue. Ainsi la langue française, au prix d’une longue lutte obtient le statut de langue nationale avec pour but d’unifier le territoire français.
Nous pouvons maintenant tenter de comprendre ce que représente aujourd’hui, en France et de part le monde, la langue française. Ainsi nous verrons un panorama des pays francophones puis nous verrons les moyens mis en place pour étendre et favoriser le développement de la langue française, enfin nous tenterons de comprendre les enjeux liés à ce développement.
La francophonie dans le monde : l’impact de l’usage du français au niveau économique et politique
L’utilisation des langues et les conditions dans lesquelles on les utilise ont une importance. Le recours aux langues permet les échanges, notamment économiques, et cela permet aussi d’instituer les rapports entre les peuples. C’est par exemple le cas au Tibet où les langues tibétaines sont bannies au profit des langues chinoises, eu égard à la domination de la Chine sur le plan politique. Dans un article intitulé Cette arme de la domination paru dans Le monde diplomatique de février-mars 2008, Bernard Cassen dit :
Langue et politique sont intimement liées. C’est ce que n’ont toujours pas compris certains linguistes qui croient à une sorte de « marché » naturel des langues. Il consigne la montée de telles d’entre elles et la disparition de telle autre manière dont les opérateurs suivent les hauts et les bas des cours de la bourse. La notion de politique linguistique les choque, car elle interfère avec la « main invisible » régulant ce « marché » qui constitue leur corpus de recherche.
Après lecture des habits neufs des ambassadeurs, article rédigé par Jean-Pierre Reymond, extrait de Paris World Wide, n°5, janvier et février 2015, nous pouvons mieux mesurer l’impact considérable de la langue française au niveau international. En effet, la France s’est toujours appuyée sur la langue française pour développer ou asseoir son influence économique. En effet, comme le souligne dans cet article Jean-Claude Crespy, directeur de l’Alliance Française de Bruxelle-Europe « chaque langue transmet par son simple usage, une vision du monde». Et il ajoute : « Notre lettre de mission est d’implanter le français parmi les institutions européennes ».
Afin de véhiculer la langue française, sa culture, son image et ses entreprises, la France s’est dotée du premier réseau culturel au monde avec 96 instituts et 384 Alliances Françaises.
Ainsi, la langue française est la deuxième langue la plus apprise au monde, comme le mentionne l’organisation internationale de la francophonie lors de son sommet à Dakar en novembre 2014.
Le créole
Suite au 15ème siècle, avec l’esclavage et la colonisation, la France étend ses frontières en étant présente sur les cinq continents par le biais de différents territoires que sont la Polynésie française, Wallis et Futuna, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre et Miquelon, Mayotte, la Réunion, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe (pour ne citer que les territoires actuels). Bien que français, ces territoires possèdent également leur propre langue, leur propre histoire, relèvent de statuts différents (COM : Collectivité d’Outre Mer ou DROM : Département et Région d’Outre Mer) et ont leurs us et coutumes. Nous nous intéresserons tout particulièrement à la Guadeloupe. Dans un premier temps, nous passerons en revue quelques éléments retraçant l’histoire de la Guadeloupe, la place et les représentations liées au créole.
Le créole ou les créoles ? Langues, patois ou dialectes ? Place et représentativité dans le monde
Le terme « créole » est un dérivé du mot portugais « criollo ». A l’origine ce terme était utilisé pour désigner les personnes nées dans les îles colonisées mais dont les parents ne le sont pas. Le terme est également utilisé pour désigner le parler employé dans ces contrées.
Les créoles sont apparus entre le XVI et le XVIIIème siècle avec les colonisations européennes. Selon M-C. Hazaël Massieux dans son entretien avec Marianne Payot parue dans l’Express, ils sont le fruit du mélange de différentes langues, telles que les langues européennes ainsi que des langues africaines. Ces langues ont été créées pour que les esclaves puissent communiquer avec leurs maitres et qu’ils puissent communiquer entre eux finalement. Précisons qu’à l’époque, il existait plusieurs variétés de français, que les esclaves provenaient d’horizons divers tels que l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique de l’Est (ce qui suppose de très nombreuses langues) et que les populations amérindiennes, malgaches, d’Asie du Sud ou de l’Ouest ont également contribué à la construction du créole.
Le créole a donc pris naissance loin de la France hexagonale. Il existe différents créoles : créole à base lexicale française, anglaise, espagnole, portugaise ou encore néerlandaise. C’est la raison pour laquelle, il serait plus juste de dire les créoles comme le souligne si justement M-C. Hazaeël-Massieux, responsable de l’institut d’études créoles francophones de l’université de Provence dans son livre intitulé Les créoles : l’indispensable survie (1999).
Selon ses études, M-C. Hazaël-Massieux (1999) estime à dix millions d’interlocuteurs s’exprimant dans un créole à base lexicale française. Cependant, elle précise que si ce nombre peut paraître conséquent, il ne faut pas oublier que tous ces locuteurs ne parlent pas le même créole et qu’il s’agit là de créoles très différents ne permettant pas à deux personnes unilingues dans deux créoles différents de se comprendre. Selon l’universitaire canadien J. Leclerc, sur son site intitulé L’aménagement linguistique dans le monde et M-C. HazaëlMassieux (1999), les créoles sont présents dans plusieurs territoires. Aussi nous pouvons reprendre le tableau proposé que M-C. Hazaël-Massieux dresse sur son site www.creoles.free.fr et dans son livre intitulé Les créoles : l’indispensable survie, pour en avoir une meilleure compréhension.
Situation sociolinguistique de la Guadeloupe
Ce texte nous permet de constater les différentes représentations de la langue créole, de prendre conscience des préjugés qui emprisonnent la langue et l’empêchent de donner toute sa mesure. D. Bèbèl Gisler évoque un des arguments suprêmes selon lequel si le créole occupe cette place dans les esprits, si on lui attribue ces représentations négatives, c’est en raison des politiques linguistiques, elles-mêmes élaborées avec la prise en compte des enjeux stratégiques et économiques. C’est une question que nous avons eu l’occasion d’aborder précédemment pour ce qui concerne la langue française qui se positionne par rapport aux autres langues, notamment l’anglais mais aussi par rapport à ses propres langues régionales.
Si nous avions encore quelques doutes sur la question nous pouvons également nous référer aux travaux de J. Leclerc, sur son site qui traite des aménagements linguistiques dans le monde. En effet, il distingue différentes politiques linguistiques, telles que les politiques d’assimilation, de non-intervention, de valorisation de la langue officielle, les politiques sectorielles, de statut juridique différencié, de bilinguisme (ou de trilinguisme), ou encore les politiques d’internationalisation linguistique.
En Guadeloupe, au même titre que les autres départements, collectivités et pays et territoires d’outre-mer, c’est une politique de la valorisation de la langue officielle qui est établie. Cette politique repose sur l’unilinguisme, c’est-à-dire que quelque soit les langues parlées sur ces territoires, c’est la langue française, qui est en vigueur dans les sphères politique, économique, juridique ou encore social. Dans les administrations, c’est le français qui est employé et c’est également la langue d’enseignement car la France est une et indivisible.
La Guadeloupe est un département et région d’outre-mer (DROM) comprenant 403000 habitants selon le recensement de 2013. Le chef lieu est Basse-Terre. La langue officielle est le français bien que 96,8% de la population parlent le créole guadeloupéen. D’autres langues telles que le créole martiniquais, le créole haïtien, le français ou encore l’anglais sont parlées sur le territoire en fonction des populations présentes (haitienne, martiniquaise, française (blanc), indienne, syrienne, libanaise, dominicaine ou encore dominiquaise). Selon le groupeJoshua Project et des ethnologues le créole guadeloupéen représente la langue maternelle pour 93 à 96% de la population. Le français est qualifié de langue seconde.
Le créole a maintenant le statut de langue régionale. En effet, c’est en 2008 et avec la modification de l’article 75-1 de la Constitution française que les langues régionales apparaissent dans la Constitution et « appartiennent au patrimoine de la France ». Il s’agit là d’un changement significatif certes mais l’adjectif régional de ces langues est à souligner par opposition au caractère national de la langue française, ce qui suggère des positions inégales, voire un caractère de subordination des langues régionales vis-à-vis de la langue nationale.
Didactique des langues
La question de l’apprentissage du créole nécessite de s’intéresser à la didactique des langues et plus précisément aux théories d’apprentissage et aux stratégies pédagogiques qu’un enseignant peut mettre en place.
La didactique des langues vise l’amélioration qu’il s’agisse des processus d’apprentissage ou des processus d’enseignement. En didactique des langues, on distingue différentes méthodes telles que les méthodes traditionnelles comprenant la méthode directe ou encore la méthode grammaire et traduction, les méthodes audiovisuelles et la méthode audioorale. Il y a aussi deux grandes approches : l’approche communicative et l’approche actionnelle.
En didactique des langues vivantes, on distingue trois façons d’apprendre une langue :
– la langue maternelle, également appelée langue première, s’apprend par imprégnation, dans les toutes premières années de la vie. Elle est fonction du « bain linguistique », c’est-à-dire la langue parlée dans la société dans laquelle l’enfant grandit et de la langue de ses éducateurs (famille). Cet apprentissage est dit naturel,
– le deuxième apprentissage est également naturel et se fait par immersion, généralement à un âge plus avancé, à l’adolescence ou à l’âge adulte,
– enfin il y a l’apprentissage dit artificiel, qui relève d’un apprentissage scolaire ou tout autre processus formatif.
Ces trois modes d’apprentissage caractérisent la langue qui aura le statut de langue maternelle, appelée encore langue première ou de langue seconde. Par rapport à la langue créole et à notre public, on peut d’ores et déjà s’interroger sur le statut de la langue créole pour les élèves d’origine antillaise. S’agit-il d’une langue première ou d’une langue seconde ? Comment l’enseignant et eux-mêmes la considèrent-ils ? Doit-on considérer cette langue, dans le cadre d’un enseignement, comme une langue vivante étrangère ou comme une langue vivante régionale ? Ces questions sont essentielles car des réponses afférentes dépendront l’enseignement mis en place.
Entretiens
Enfin la passation d’entretien. Nous avons réalisés 14 entretiens.
Nous avons choisi ce procédé afin de permettre aux répondants de s’exprimer de manière plus détaillée. Toujours avec cet objectif, nous avons choisi l’entretien semi-directif comme modalité. Dans ces entretiens, nous nous sommes attachés tout particulièrement à la mise en lumière des non-dits et des contradictions pour repérer les éventuelles marques d’insécurité linguistique. Nous avons mené les entretiens dans des salles de classe libre avec des apprenants et des non apprenants volontaires au cours de la deuxième période de mise en situation en milieu professionnel, soit au mois de mars. La durée des entretiens étaient variables. La durée minimale était de 21m22 et la durée maximale de une heure quatre minute et une seconde. Pour mener les entretiens, nous avons repris certaines questions du questionnaire en vue d’une exploration plus approfondie et installer un climat de confiance, puis nous nous en sommes rapidement détachés afin d’exploiter les matériaux livrés par l’entretien lui-même.
Résultats et discussion
Résultats
Observations
Au lycée Paul Eluard, il y a onze élèves en Seconde Générale et Technologique (SGT) et en première et six en terminale qui étudient le créole. C’est une particularité que nous pouvons noter car si le programme scolaire est le même pour les élèves de première et de terminale générale et technologique, il n’en n’est rien pour les classes de seconde générale et technologique et ceux de première générale et technologique. L’enseignant doit donc prendre en compte cet aspect dans la diffusion de son enseignement.
Au lycée Léon Blum, il y a cinq élèves en SGT, sept élèves en seconde professionnelle, sept élèves en première et sept élèves en terminale. Il y a aussi deux groupes de 20 élèves étudiant le créole par le biais du dispositif « langues inter établissements » (LIE) qui est un dispositif concernant les trois académies d’Ile-de-France.
Environ deux tiers des cours sont consacrés à l’oral. Les cours débutent par une évaluation diagnostique ou une synthèse des éléments passés en revue lors de la précédente séance et la fin du cours récapitule la séance réalisée le jour même. La synthèse de fin de chaque cours est réalisée à l’écrit et par les élèves : certains élèves font une synthèse orale, d’autres dictent et d’autres élèves écrivent en créole guadeloupéen et créole martiniquais.
Quand les élèves entrent dans la classe, ils s’installent, sortent leurs affaires en discutant entre eux en français. Ils font de même, lorsqu’il y a des petits temps morts, par exemple lorsque l’enseignant cherche le document informatisé sur lequel il souhaite travailler avec eux. Quand cela se produit, soit à chaque séance, l’enseignant ne les empêche pas de s’exprimer mais les invite à le faire en créole. Dès lors que l’enseignant émet cette demande, les élèves se taisent et manifestent à priori des signes de gêne, de timidité. Pour autant, selon le contexte les réactions ne sont pas systématiquement les même lorsque les élèves sont invités à s’exprimer en créole. Ainsi, lorsque l’enseignant pose des questions ou lorsqu’il invite les élèves à faire une synthèse du cours actuel ou du cours précédent, les réactions sont diverses : certains lèvent la main pour répondre, certains regardent l’enseignant et demandent ainsi à être interrogés, d’autres baissent la tête, cherchent ou écrivent quelque chose.
Il semblerait que l’insécurité linguistique soit renforcée dans la première situation.
Ces situations différentes nous permettent de constater que prendre la parole n’est pas forcément aisé et que cette prise de parole est impactée par le contexte. Aussi peut-on s’interroger sur ces attitudes. Comment peut-on les interpréter ? Pourquoi les élèves sont-ils réticents à prendre la parole en créole ? Peut-on y voir un signe d’insécurité linguistique ?
Certains éléments nous invitent à penser que c’est l’une des causes qu’on peut attribuer à ce phénomène. En effet, il arrive que les élèves répondent en français, donc on ne peut supposer une timidité ou une méconnaissance sur la question posée. De plus, il nous a également été donné d’observer les hésitations et les temps de latence assez importants entre deux mots.
L’enseignant, Monsieur Mango, s’exprime majoritairement en créole avec la totalité des classes sauf une classe de seconde professionnelle avec laquelle il recourt davantage à la langue française. De même avec cette classe, l’emploi du français est toléré dans une plus large mesure. Par contre, pour ce qui est des autres classes, les élèves sont très largement incités à prendre la parole en créole autant que faire se peut, qu’il s’agisse d’échanges formels ou informels. Ces éléments d’observation soulèvent bon nombre d’interrogations d’ordre didactique. De nouveau, on peut s’interroger sur la définition d’une langue maternelle. On peut également se demander le statut de la langue enseignée : est-ce une langue vivante régionale ou une langue vivante étrangère ? Comment enseigner et prendre en compte un public constitué des niveaux très diversifiés au sein d’un même groupe classe ?
Concernant l’observation de la classe de seconde pendant le cours d’anglais, sansdévoiler nos hypothèses de travail, nous avons eu l’agréable surprise de constater qu’une large partie de la séance portait sur la production orale. Au départ l’enseignante ne s’exprimait qu’en anglais puis a aussi parlé en français. L’enseignante posait des questions sur la un document sonore étudié lors de la précédente séance, les élèves levaient la main et répondaient aux questions. Elle tient à la main son cahier et un stylo et prend ostensiblement des notes. Les élèves les plus bruyants sont menacés d’heures de retenue. Les élèves, tout du moins environ la moitié, de la classe participaient activement. Un court entretien avec l’enseignant à l’issue du cours nous autorise à dire qu’elle note les productions orales afin que les élèves participent. Nous constatons qu’y compris en anglais, la production orale n’est pas spontanée. Cependant, nous ne pouvons pas, pour autant, dire que c’est parce que les élèvessont en situation d’insécurité linguistique.
Discussion
Quelques pistes de réflexion
Dès le départ notre objectif était de mener une étude longitudinale auprès d’une population : les élèves d’origine antillaise apprenant le créole en Ile-de-France. En effet, le premier trimestre consiste à bien des égards en une phase d’adaptation pour les élèves de seconde ou les nouveaux apprenants. Une étude longitudinale avec trois phases d’observation, à savoir une dès la rentrée de septembre, une lors de la reprise au retour des vacances de Noël et la dernière à la fin du troisième trimestre nous aurait probablement permis de recueillir d’autres éléments et de fait d’avoir une analyse plus fine,
Cependant nous nous sommes heurtée à plusieurs difficultés. En effet, étant donné les particularités liées à notre période de mise en situation en milieu professionnel, nous avions besoin d’autorisation pour le déroulement de ces dernières. Un certain temps de maturation afin d’élaborer un projet de stage et de mémoire nous étant nécessaire, c’est seulement dans les tous premiers jours du mois de septembre, de l’année de master deuxième année, que nous avons pu soumettre nos projets aux enseignants ainsi qu’au directeur de l’ESPE. Bien que nous ayons présenté nos projets dès le début de l’année et que la décision d’accorder un avis favorable à notre demande s’est faite dans un temps assez court, il n’en reste pas moins que nous ne pouvions être dans le même temps dans l’Hexagone afin de mener notre étude. De plus et pour des raisons indépendantes de notre volonté, nous ne pouvions quitter le département avant le mois de janvier 2015.
De plus, nos lectures nous permettant de savoir que William Labov avait élaboré un test mesurant l’insécurité linguistique, nous avons cherché à nous le procurer et avoir de plus amples renseignements sur les résultats de son enquête, seulement nous n’avons trouvé aucune trace de ce test. En fonction du contenu du test, nous avions l’idée d’utiliser ce dernier dans notre recherche afin de comparer nos résultats à ceux de William Labov.
Contrairement à ce que nous pensions au départ, nous avons eu quelques difficultés à mener notre étude auprès des élèves non apprenants. En effet, notre emploi du temps nous a difficilement permis de nous entretenir avec un nombre plus important d’élèves non apprenants en semaine et en journée.
– Nous avons par exemple constaté lors de l’observation de la classe en cours d’anglais que les élèves levaient la main et participaient. Les élèves avaient des points bonus en fonction de leur participation et de leur réponse. Un échange avec l’enseignante nous a appris qu’elle interrogeait régulièrement les élèves afin qu’ils s’expriment. Le procédé peut être intéressant car gagner des points bonus peut être une motivation supplémentaire et le fait de se sentir « obliger » peut permettre à l’élève d’acquérir des habitudes de travail et donc des automatismes.
– Toujours par rapport à notre stage et nos expériences en tant qu’élève et en tant qu’étudiante, nous retenons l’importance d’un bon climat de confiance. En effet, nous avons pu constater du respect et même une forme d’attachement des élèves à l’égard de leur professeur et nous avons constaté entre les élèves beaucoup de respect, de soutien ainsi qu’une bonne capacité à réfléchir et produire ensemble. Eu égard à leur maturité intellectuelle, les élèves nous ont parfois très agréablement surprise. Concernant les élèves, être ponctuel et attentif, apporter son matériel, poser des questions et participer aux cours contribuent également à un bon climat de confiance. Concernant l’enseignant, dispenser un cours attrayant, s’assurer de la bonne compréhension des élèves par une présence et une écoute réelle ou encore rappeler, si besoin régulièrement, les règles de bon fonctionnement d’un groupe permet également d’établir un bon climat de confiance.
– Un travail avec les associations antillaises peut aussi être envisagé.
– Un travail avec les familles afin de favoriser les échanges intergénérationnels en créole. Là encore les échanges pourront porter sur le quotidien. Ils pourront également interroger la dimension culturelle. Mais aussi et surtout parce que cela risque de ne pas être systématique (nous avons vu dans certains entretiens que malgré la volonté de certains parents de recourir à la langue créole dans les échanges avec leurs enfants une difficulté à matérialiser cette volonté), le travail autour d’un projet recueillant l’adhésion des uns et des autres pourrait être important. Cette idée est née à partir de deux éléments : un forum des métiers, que nous avons organisé en tant que conseillère d’orientation-psychologue, pour lequel nous avons souhaitez que ce soit majoritairement les parents qui, en tant que professionnels, échangeraient sur leur métier avec les élèves. Même si certains objectifs étaient différents de ceux que nous pouvons envisager dans ce nouveau contexte, nous pensons néanmoins que dans les deux cas que le travail autour d’un projet commun peut favoriser les liens intergénérationnels et pour le projet culturel qui nous intéresse plus particulièrement, nous pensons que cela peut bien entendu contribuer à agir sur les représentations et réduire l’insécurité linguistique. Le deuxième élément qui nous conduit à faire cette proposition est un travail que T. Mango a proposé à ses élèves. En effet, à l’approche des fêtes de fin d’année, il a proposé à ses élèves d’écrire une carte de vœu, en créole, et si possible à un de leur proche demeurant en Guadeloupe ou en Martinique. Nous jugeons ce travail intéressant en vue de réduire l’insécurité linguistique car il pourrait permettre de lutter contre certaines transmissions intergénérationnelles.
– Enfin, nous sommes d’avis que les institutions européennes ainsi que les pouvoirs publics français peuvent contribuer au changement de ces représentations.
Avec ces différentes propositions nous avons la volonté, grâce à un apprentissage scolaire, de dépasser le cadre d’un apprentissage artificiel pour aller vers des situations authentiques comme la perspective actionnelle le préconise. Telles sont les propositions de travail que nous aimerions mettre en place afin de construire et d’enrichir notre identité professionnelle d’enseignant. De plus, la mise en œuvre de ces pratiques ainsi que les connaissances empiriques pourront nous conforter dans le maintien de ces actions ou nous conduirons au contraire à les abandonner au profit de nouvelles.
CONCLUSION
Cette enquête nous a permis de travailler sur l’impact de l’apprentissage du créole sur l’insécurité linguistique. Nous avons pour cela travaillé sur deux hypothèses. Aussi, nous pouvons dire, d’après nos observations et recueil de résultats, que les élèves d’origine guadeloupéenne inscrits en cours de créole et demeurant en Ile-de-France sont en insécurité linguistique. Par contre, nos résultats ne nous permettent pas d’aller dans le sens d’une disparition de ce phénomène par le seul biais de l’apprentissage. Nous avons certes observé des attitudes allant dans le sens d’une diminution de celle-ci mais pas de sa disparition. En effet, les élèves parlent un peu plus entre eux en créole lorsqu’ils sont invités à le faire, pour autant ils ne parlent pas spontanément en créole. De même, les marques d’hésitation que ce soit dans leurs discours directs ou encore métalinguistiques sont encore présentes.
En revenant sur nos interrogations de départ, nous avons souhaité avoir un échange avec nos camarades d’enfance pour avoir accès à leur vécus après coup ainsi que leurs représentations, y compris concernant les échanges qu’ils ont actuellement avec leurs parents.
A notre grand étonnement, nous avons constaté que le recourt à la langue de migration n’est si spontané que cela. Certains éléments de discours nous amène à formuler l’hypothèse de la présence d’un phénomène d’acculturation. Dans les entretiens réalisés, il nous a semblé que l’usage de la langue d’immigration n’était pas interdite par les parents et était parfois même encouragé par souci de préserver la culture. Du côté des camarades antillais, le recourt à la langue n’était pas encouragé voire interdit de manière plus ou moins formelle dans un souci d’assimilation culturelle (la communauté apprend une autre langue, puis devient bilingue, puis n’utilise que la deuxième langue). Il semblerait qu’on puisse parler de processus de conversion linguistique dans le sens où la communauté antillaise abandonnerait progressivement sa langue maternelle au profit d’une autre langue, soit la langue française. Si, contrairement au créole de Rama Cay, au créole de Berbice, au créole de Javindo, au créole pecok, au créole panaméen, au créole de Palenque, au créole de San Andrés, au créole de limòn, au créole de Mosquitia, au créole de Ngatik ou encore au créole des Iles-de-la-Baie, le créole guadeloupéen n’est ni en danger ni en situation critique selon les données contenues dans l’atlas UNESCO (organisation des nations Unies pour l’éducation, la science et la culture) des langues en danger dans le monde (http://www.unesco.org/languagesatlas/index.php ), il nous semble qu’une certaine vigilance est nécessaire si l’on prend en considération certains éléments telles les représentations liées à la langue, conscientes ou inconscientes. Nos échanges avec nos amis mais également notre observations et entretiens avec les élèves et les familles, issus de notre expérience professionnelle nous permet de constater que les volontés endogènes et exogènes ne s’inscrivent pas forcément dans la même direction.
Nous voyons là combien la question de l’identité culturelle est présente.
Dans notre partie théorique, nous avons passé en revue les représentations liées à la langue créole. Nous avons vu que nombreuses étaient celles négatives. Néanmoins, les représentations liées au créole évoluent positivement au fur et à mesure que le temps passe.
Ainsi, le Conseil Général organise chaque année au mois d’octobre « le mois du créole », manifestation qui a pris naissance à partir de la journée internationale du créole. De même, l’Education nationale organise également la semaine créole. Enfin n’oublions pas les manifestations de 2014 autours du créole destinées à rendre hommage à Sylviane Telchid.
Toujours dans cet élan positif et pour contrebalancer avec ceux tenus précédemment, nous pouvons reprendre les propos de M.C. Hazaël Massieux (1977, p73) selon laquelle la minoration d’une langue n’est pas définitive et qui cite en exemple le Québec.
Nous sommes d’avis que l’apprentissage et la pratique d’une langue sont liés aux représentations conscientes ou inconscientes mais aussi à une dimension affective et au bain linguistique dans lequel est plongé l’apprenant. Dit autrement, ce qu’on pense consciemment ou inconsciemment d’une langue (mais allons plus loin, ce que pense également l’environnement familial) a un impact sur l’apprentissage et sur l’utilisation de cette dernière.
Mais il y a aussi le contexte familial (les représentations de la famille par rapport à la langue, le fait que la langue soit ou non parlée dans le contexte familial, l’usage qu’il est fait de cette langue), sociétal (les représentations de la société par rapport à la langue) et les caractéristiques de la langue (langue nationale, langue vernaculaire, langue véhiculaire…) a également un impact sur l’apprentissage et l’utilisation d’une langue. Les éléments que nous évoquons renvoient également à la manière dont s’effectue l’apprentissage d’une langue.
Pour Alain Coïaniz, apprendre une langue n’est pas une simple opération d’apprentissage de règle de grammaire. Cela « représente toujours une aventure cognitive, culturelle, sociale, affective, tant l’entrée dans un système cognitif remet profondément en cause la relation que nous entretenons au monde par l’organisation différente de celui que tout système linguistique impose parfois en profondeur ». On peut supposer que c’est une des raisons pour lesquelles, l’apprentissage seul ne peut suffire à réduire l’insécurité linguistique.
|
Table des matières
REMERCIEMENTS
LISTE DES ABREVIATIONS
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
I/ L’insécurité linguistique
A/ Quelques concepts : bilinguisme, diglossie et insécurité linguistique
B/ Langue française et langue créole : place et représentativité au niveau régional, national et international
1/ Le français
a/ La constitution de la langue française
b/ La francophonie dans le monde : l’impact de l’usage du français au niveau économique et politique
2/ Le créole
a/ Quelques repères historiques
b/ Le créole ou les créoles ? Langues, patois ou dialectes ?
Place et représentativité dans le monde
c/ Les représentations liées à la langue créole
d/ Situation sociolinguistique de la Guadeloupe
II/ Didactique des langues
A/L’enseignement des langues régionales de France
B/ L’enseignement du créole
1/ L’enseignement du créole en Guadeloupe
2/ L’enseignement du créole dans l’Hexagone
III/ Problématique et hypothèses
DEUXIEME PARTIE
I/ Terrains de recherche et de stage
A/ Présentation du lycée Paul Eluard
B/ Présentation du lycée Léon Blum
II/ Méthodologie
A/ Observation
B/ Questionnaire
C/ Entretien
III/ Résultats et discussion
A/ Résultats
1/ Observations
2/ Questionnaires
3/ Entretiens
B/ Discussion
1/ Quelques pistes de réflexion
2/ Propositions relatives à l’insécurité linguistique
CONCLUSION
REFERNCES BIBLIOGRAPHIQUES ET WEBOGRAPHIQUES
ANNEXES
Annexe A. 1 : Fie synthétique de présentation du lycée Paul Eluard
Annexe A. 2 : Fiche synthétique de présentation du lycée Léon Blum
Annexe B : Notre emploi du temps
Annexe C. 1 : Questionnaire d’étude
Annexe C. 2 : Dépouillement des questionnaires
Annexe D. 1 : Grille d’entretien
Annexe D. 2 : Retranscription d’entretiens
Annexe E : Portfolio Européen des Langues
RESUME
Télécharger le rapport complet