Langage oral et interactions en maternelle

Le langage comme main tendue

            Cet apprentissage passe par une distribution de la parole entre l’enseignant et l’élève, selon des modalités à équilibrer pour que les enfants puissent se saisir des propositions de l’adulte.
• Réception de la parole des autres : Le rôle de « l’écoute active » dans le développement du langage est souligné par les programmes en vigueur – écoute active du maître (décrite dans mon écrit 2018) mais aussi des autres élèves pour acquérir des modèles langagiers, des références culturelles, des normes de communication. Les moments de réception où les enfants travaillent mentalement sans parler sont des activités langagières à part entière que l’enseignant doit rechercher et encourager, parce qu’elles permettent de construire des outils cognitifs : reconnaître, rapprocher, catégoriser, contraster, se construire des images mentales à partir d’histoires fictives, relier des événements entendus et/ou vus dans des narrations ou des explications, dans des moments d’apprentissages structurés, traiter des mots renvoyant à l’espace, au temps, etc. Ces activités invisibles aux yeux de tout observateur sont cruciales. (MENE 2015) L’enjeu pour l’enseignant est ici de « rendre visible le langage », via des redondances dans sa propre expression, un souci de moduler ou de théâtraliser, des supports visuels, la reformulation des propositions des élèves avec relances, enrichissement (phrases complexes), feed-back positif. Mireille Brigaudiot (2015) souligne ainsi l’importance de la bienveillance et de l’écoute permanente pour la qualité des reprises, ainsi que la variété des outils à manipuler. Par exemple, pour faire comprendre une incorrection, l’enseignant peut utiliser le contraste, la focalisation, l’extension – avec une verbalisation toujours nécessaire. Les programmes vont également dans ce sens : Tout au long de l’école maternelle, l’enseignant crée les conditions bienveillantes et sécurisantes pour que tous les enfants (même ceux qui ne s’expriment pas ou peu) prennent la parole, participent à des situations langagières plus complexes que celles de la vie ordinaire ; il accueille les erreurs « positives » qui traduisent une réorganisation mentale du langage en les valorisant et en proposant une reformulation. Ainsi, il contribue à construire l’équité entre enfants en réduisant les écarts langagiers. (MENE 2015)
• Echanges informels : L’organisation de classe en maternelle favorise le développement de temps d’échanges plus informels, en relation duelle ou en petit groupe, avec les élèves qui s’expriment moins, qui manifestent moins de confort en classe. Les temps d’accueil s’y prêtent d’autant plus que c’est souvent là que se manifestent les pleurs, l’anxiété. La parole permet alors de resserrer les liens entre ces élèves et la classe (comme groupe et comme espace physique), par exemple en les intégrant aux différents espaces de jeu libre, en échangeant avec eux pour tendre des ponts entre la maison et l’école. Un intérêt des jeux d’imitation est de donner un support à ces échanges, ce qui permet d’amener certains à se confier. Ce sont aussi des moments où échanger avec les élèves qui présentent des comportements problématiques, rappeler les règles voire expliciter les sanctions. Ainsi, après une séance de motricité où trois élèves s’étaient montrés très dissipés (sans que ce soit la première fois), je leur avais dit que je ne les emmènerai pas au gymnase la semaine suivante si je ne voyais pas d’amélioration de leur comportement en classe. Je les ai rassemblés pour leur rappeler cette scène et ce que j’attendais sur le temps d’accueil du lundi suivant, la motricité étant prévue en fin de matinée. Une élève a fait preuve de bonne volonté et a donc pu venir au gymnase, les deux autres en revanche ont continué à montrer des comportements perturbateurs et ont été confiés à d’autres classes pendant la séance de motricité. Il me semble qu’il s’agit d’une sanction pertinente, ayant été anticipée et verbalisée – l’exemple de l’élève intégrée au groupe montrant qu’il ne s’agit pas d’une punition aveugle mais plutôt d’un contrat à respecter par chacune des parties.

Discussion à visée philosophique : une expérience limitée

              A rebours de son déroulement chronologique, un premier enseignement porte sur cette discussion à visée littéraire et philosophique, concluant la séquence. Je me suis intéressé depuis l’année dernière à ce dispositif, suite à une conférence à l’ESPE de Patrick Tharrault et Sylvain Connac. Selon eux, la DVP comporte à la fois des objectifs philosophiques (questionnement, conceptualisation, argumentation) et des objectifs démocratiques (règles de prise de paroles, fonctions cf. pédagogie institutionnelle), avec des enjeux langagiers à chaque étape de son déroulement :
– proposer une question (issue d’une situation réelle, d’un album…) ;
– répartir les rôles et la parole pour débattre ;
– mener une analyse post-discussion sur la forme et sur le fond.
Sala & Meunier (2017) donnent l’exemple pour la maternelle d’un questionnement à partir des albums Les sœurs Taupe, pour aboutir à une prise de conscience de ce qu’est la philosophie. Encouragé par ces propositions d’introduire la DVP dès la grande section, j’ai souhaité aller dans cette direction en m’appuyant sur les premières expériences d’une part des « conseils de classe » pour la forme, d’autre part des séances décrites à la partie 1.1.2 pour le contenu langagier. Cependant, cette séance 6 de la séquence Veux-tu être mon ami ? n’a pas été aussi fertile qu’attendu. La discussion a pu s’appuyer sur l’explicitation des émotions ressenties par les personnages de l’histoire ; et sur un questionnement issu des restitutions : « pourquoi la souris cherche-t-elle un ami ? » ; élargi à l’expérience personnelle : « qu’est-ce que ça fait d’avoir un ami ? ». Cependant, le contenu du débat a été relativement pauvre, au contraire des échanges en petit groupe autour du même album, plus nourris. Le cadre formel, identique à celui du conseil de classe (bâton de parole, maître du temps) semble avoir nui à la spontanéité des interventions. Les phrases étaient courtes, la syntaxe simple, le contenu souvent répétitif d’un élève à l’autre. La plupart des élèves a participé, mais en donnant l’impression de le faire de façon un peu artificielle, seulement pour avoir dit une phrase dans ce cadre. Il y a eu peu d’interactions, de réactions aux interventions précédentes. Paradoxalement, les échanges préalables peuvent également avoir créé une certaine lassitude puisque des discussions d’interprétation y avaient eu lieu et avaient anticipé le questionnement du débat. J’en tire provisoirement la conclusion que ce dispositif doit, soit être réservé à des niveaux de classe supérieurs, soit être enraciné d’une manière que ma pratique de stagiaire ne permettait pas.

Quels objectifs pour les interactions langagières ?

            La recherche explicite ces enjeux, d’abord issus de la psychologie cognitive. La démarche du modèle d’apprentissage socio-constructiviste consiste à (d’après Charnay & Mante 2014) :
– s’appuyer sur les connaissances pré-existantes des élèves et provoquer un déséquilibre ;
– créer des conflits cognitifs internes ou des conflits socio-cognitifs entre les élèves pour remettre en cause leurs conceptions et leur permettre d’acquérir de nouvelles connaissances ;
– favoriser ce processus à l’aide de situations-problèmes.
Cette démarche converge avec les origines de la problématisation selon Fabre : d’une part une volonté de développer l’intérêt, l’activité, l’étonnement des élèves issue des pédagogies nouvelles ; d’autre part l’épistémologie bachelardienne faite de franchissements d’obstacle, de ruptures épistémologiques. « On connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites » (Bachelard, cité par Charnay & Mante 2014, p. 34). La situation-problème doit ainsi favoriser l’engagement de l’élève dans l’activité, la prise de conscience de l’insuffisance de ses conceptions et la construction et l’appropriation de nouvelles connaissances. Les phases de l’apprentissage socio-constructiviste induisent dès lors des situations de langage différentes, avec des interactions maître-élèves et entre élèves :
– dévolution du problème (données et conditions),
– dialectique de l’action sur le problème (qui peut être une recherche individuelle),
– dialectique de la formulation (échanges entre élèves induits par la situation, qui nécessitent de mobiliser des éléments de langage),
– dialectique de la validation, qui nécessite une argumentation,
– institutionnalisation.
En sus, cette démarche a un rôle dans le développement de « compétences transversales », particulièrement pour la socialisation, cruciale en maternelle (cf. première partie). Cela est à considérer en parallèle de l’introduction progressive du travail en groupe au cycle 1 : Charnay et Mante considèrent ainsi qu’il n’est adapté qu’à partir de la GS, en soulignant la place cruciale de cette année dans le développement des compétences sociales des élèves. Cependant, une déclinaison est possible en MS, par une démarche constructiviste au plan individuel, mais aussi par le « ruissellement » dans une classe à double niveau. J’ai ainsi veillé à développer un tutorat entre GS et MS et à assurer des temps d’échanges équilibrés en grand groupe.

Les enjeux langagiers du récit

                A la fois pour préciser les enjeux de ces situations et pour construire des outils d’analyse, je me suis appuyé sur les travaux de Claude Le Manchec (2005). Ceux-ci soulignent notamment la dimension collective de l’expérience narrative, qui n’est pas seulement langagière. Elle constitue une « activité à dominante socio-affective », transversale, qui nécessite de créer un « rapport d’entente » dans le groupe (Le Manchec 2005, p. 45), ce qui renvoie à la première partie de cet écrit. Mais au-delà et comme le conte (cf. Suzy Platiel [Ena 2013]), le récit contribue à la constitution d’une culture commune déclinée en identité de chacun. Il est à la fois une expérience individuelle et interpersonnelle, subjective et intersubjective. En se mettant dans la position d’un émetteur de récit, l’élève prend conscience de la diversité des identités. Répéter des récits d’un même album, de même qu’observer des albums différents pour la même histoire, met en évidence que chacun raconte à sa façon. Confronter des expériences subjectives fait émerger un vécu singulier, puisque le récit est toujours reconstruction d’une expérience par un auteur, mais aussi partagé, et qui devient commun à l’échelle d’une classe. Pour décliner sur un plan plus didactique cette démarche consistant à construire l’expérience du récit, la recherche souligne la nécessité de passer par la construction d’images, mentales mais aussi matérielles. Il est ainsi précieux de s’appuyer sur des visuels (marottes, images séquentielles…) et des supports variés (enregistrements audio, gestuelle…). Il me semble notamment que ce sont les orientations de la méthode Narramus de Sylvie Cèbe et Roland Goigoux, mais je n’ai pas eu l’occasion de l’expérimenter en classe. En revanche, j’ai suivi ce type de démarche pour l’exploitation des albums présentés ici, et notamment d’albums en syntaxe adaptée. Philippe Boisseau, initiateur de la collection Oralbums, décrit également les enjeux langagiers du récit en maternelle (Boisseau 2005), ce dont je me suis inspiré dans mes observations :
– à 4-5 ans : articulation, syntaxe correcte de la phrase simple, connecteurs logiques, acquisition de la négation, de l’interrogation, du futur avec aller, découverte d’une utilisation ludique du langage ;
– à 5-6 ans : construction de phrases complexes plus correctes, variété du lexique, apparition d’une curiosité métalinguistique.
Les instructions officielles rappelle la progressivité de ces acquisitions, qui permettent d’aller vers l’apprentissage du langage d’évocation et de la communication explicite. [Les] situations d’évocation entraînent les élèves à mobiliser le langage pour se faire comprendre sans autre appui, elles leur offrent un moyen de s’entraîner à s’exprimer de manière de plus en plus explicite. Cette habileté langagière relève d’un développement continu qui commence tôt et qui ne sera constitué que vers huit ans. Le rôle de l’enseignant est d’induire durecul et de la réflexion sur les propos tenus par les uns et les autres. (MENE 2015) Enfin, ces démarches combinant découverte progressive d’un album et restitutions variées permettent de différencier les pratiques. Des petits parleurs peuvent bénéficier d’étayages langagiers complémentaires, avec l’adulte ou en autonomie, notamment par l’écoute des enregistrements. Ainsi, la réussite de l’élève B3 lors de la restitution de La moufle (ci-dessous) est sans doute liée à une écoute préalable, sur un temps d’autonomie. Une autre modalité de différenciation s’inspirerait de la recommandation d’André Tricot pour les élèves les plus en difficultés : « donner à l’élève le problème résolu et lui demander d’étudier la solution » (Tricot 2017). Il s’agit ici de proposer à certains élèves d’observer les productions des autres et de les analyser ; l’expérience que j’ai faite (partie 1.2) m’a montré qu’ils remarquent davantage la forme que le fond des interventions.

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Table des matières

Introduction : la démarche suivie
Première partie : Le langage structure le « savoir-être élève » et les interactions en classe
1.1. Enjeux du langage en maternelle et apprentissage du métier d’élève
1.1.1. Le langage comme main tendue
1.1.2. Le langage pour faire avancer
1.2. Apprendre le langage dans des situations collectives
1.2.1. Cadre théorique : en maternelle, des interactions et de l’oral
1.2.2. En classe : la mise en place d’outils
Analyse de séquence – 1, aspects formels
Deuxième partie : Échanger favorise le développement langagier
2.1. Réfléchir ensemble dans des activités diverses
2.1.1. Quels objectifs pour les interactions langagières ?
2.1.2. Quelles situations pour les interactions langagières ?
2.2. Pratiquer le récit individuel et collectif
2.2.1. Les enjeux langagiers du récit
2.2.2. Productions d’élèves en situation de récit
Analyse de séquence – 2, contenu langagier
Conclusion : des limites stimulantes
Bibliographie et références
Engagement de non-plagiat
Remerciements
Annexes
Résumé, mots-clés
Sintesi, parole chiave

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