Le personnage éponyme :
Le nom du personnage semble avoir une grande importance puisqu’il reflète ses caractères qui dictent les actions qu’il mène à chaque événement. Le plus souvent, le personnage possède un nom qui peut revêtir un aspect symbolique comme le signale Roland Barthes : « […] qu’un nom propre doit être interrogé soigneusement car le nom propre est, si l’on peut dire, le prince des signifiants ; ses connotations sont riches, sociales et symboliques. ». Le nom du personnage est important à un point tel qu’il se présente parfois comme titre du roman ; on parle du personnage « éponyme » ou du « titre éponyme » qui prépare le lecteur dès le premier contact. Avant d’aller plus loin, il est utile de rappeler brièvement sa définition : éponyme signifie qui donne son nom à. Il est censé n’être utilisé que pour qualifier une personne ou un personnage dont le nom a directement inspiré le nom d’autre chose : œuvre, création, découverte, etc. Par exemple, Madame Bovary est le « héros éponyme » du roman de Gustave Flaubert (qui s’appelle donc Madame Bovary).
La fonction du titre éponyme est donc cataphorique, c’est-à-dire, il projette l’importance du personnage et programme en grande partie la lecture. Mais, parfois le nom du personnage reste complètement insignifiant et informe peu le lecteur sur le personnage et sur l’univers romanesque en général. Cependant, ce nom du personnage éponyme, qu’on juge insignifiant, peut véhiculer une conception particulière par ce qu’il connote ou ce qu’il désigne. Par ailleurs, le personnage éponyme n’est pas toujours considéré comme le personnage principal ou « héros » du roman. Nous pouvons citer comme exemple le roman d’Honoré de Balzac « Le père Goriot » dont le titre nous indique qu’il s’agit d’ une étude de la paternité sans doute parce que le titre invite à considérer Jean-Joachim Goriot comme le personnage principal, et que son patronyme est précédé de l’épithète père. Mais, en réalité le personnage principal du roman est le jeune ambitieux Rastignac.
Le titre éponyme Dounia attribue donc un rôle essentiel à ce personnage Dounia puisqu’il l’institue comme ce qui désigne l’œuvre et l’annonce. Un titre comme Dounia indique que l’intrigue va s’organiser essentiellement autour d’une figure féminine qui porte le même nom. En effet, quand le nom propre est employé comme titre, il est un signe pleinement opaque : comme nom propre, il n’a pas de contenu conceptuel, comme titre-seuil du texte, il n’a pas de référent identifiable, sinon par cataphore (c’est par la lecture du co-texte que le lecteur en saura plus sur le héros éponyme). Cependant, Cette réflexion ne s’applique pas, à tous les noms propres. Le prénom « Dounia » est la version féminine du prénom slave Dimitri, issu de Demeter (déesse grecque de la Terre), Dounia est également une traduction de l’arabe signifiant « le monde, l’univers et la vie». Dounia est un prénom classique au Maghreb. Il n’existe pas de sainte Dounia mais une sainte Demetria, chrétienne martyrisée à Rome au IVe siècle avec sa sœur et ses parents. La figure de Dounia fait prédire et admettre un dénouement fatal. Effectivement de son apparition à sa disparition dans le roman, s’élabore un univers mythique. Dès la première page du roman l’auteur évoque le petit mausolée « […] Il s’agit de la tombe d’un enfant, le fils d’un Bey, disent-ils, parti à la chasse aux papillons et attaqué par un lion il aurait troublé le sommeil ». Plus tard dans le roman, après la mort de Dounia, on saura que sa tombe devient également un mausolée où Ammi Menouer vient déposerdes asphodèles « Ammi Menouer y déposait une brassée d’asphodèles, ce sont les fleurs qui bordent les Champs-Elysées, là où reposent les âmes et puis les autres, tous les autres, jusqu’au berger innocent qui nous a conté l’histoire aujourd’hui. ».
L’importance du titre « Dounia » rappelle que le récit évolue en fonction du personnage éponyme Dounia. Par ailleurs, le choix de Dounia, prénom d’une femme et titre du roman, n’est pas fortuit, mais il est prédicateur, pour le personnage éponyme, de sa destinée et de son identité héroïque, et pour l’œuvre, de son contenu. Ainsi, Fatima Bakhaï lorsqu’il a choisi les prénoms de ses personnages ce n’est pas par hasard, c’est encore pour donner de la vie ou « l’effet de vie » comme disait Vincent Jouve dans son ouvrage « L’effet personnage dans le roman », l’onomastique est : « une illusion de vie qui est d’abord lié au mode de désignation du personnage. Au-delà du cas particulier des personnages historiques, c’est bien tout nom propre, inventé ou non, qui suscite une impression».
Une fonctionnalité différentielle :
Le héros se définit par l’ensemble de ses actions. Cette différenciation s’applique souvent sur les oppositions suivantes :
-Personnage médiateur personnage non médiateur
-Constitué d’un faire constitué d’un dire ou par un être
-Victorieux de l’opposant en échec devant l’opposant
-Sujet réel et glorifié non-sujet ou sujet virtuel
-Reçoit des informations (savoir) ne reçoit pas d’informations
-Réceptionne des adjuvants (pouvoir) ne réceptionne pas des adjuvants
La fonctionnalité différentielle renvoie au fonctionnement du personnage dans la diégèse. Dounia va résoudre, par sa transgression des lois, non seulement les contradictions de la société algérienne dont la femme a été victime. Mais, elle va également lutter contre les soldats français qui sont venus à la ferme de son père pour voler ses chevaux et qui l’ont tué par la suite. Elle va réussir à venger son père en tuant le soldat qui a tiré sur lui et prend les armes aux côtés des hommes pour défendre son pays et ses terres. Au terme de sa quête, elle réussira à retrouver l’acte de propriété de la ferme et les terres de son père Si-Tayeb. Dounia est d’abord dotée d’un « faire ». La plus grande partie des actions lui revient ; sa présence aux moments marqués en témoigne. Ensuite, elle est constituée d’un « dire » qui se manifeste essentiellement sous forme de dialogue avec les autres personnages du roman. Grâce à cela, nous connaissons, entre autres, son portrait moral et nous nous rendons compte de sa personnalité, à la fois bonne et forte. Par sa force féminine, Dounia entraine l’enroulement romanesque, pousse à l’action, entraîne le mouvement, notamment lors de la résistance contre les envahisseurs français, elle éveille l’espoir et la force et attire l’attention et l’admiration des autres personnages du roman. Elle domine tout le monde romanesque et exerce ses pouvoirs à tous les niveaux de la création littéraire de Fatima Bakhaï. Ces importants pouvoirs dont jouit cette figure féminine semblent faire d’elle, d’un point de vue idéologique le symbole de la révolution, du renouveau et de l’espoir de revoir à nouveau la paix régner dans ses terres. Dounia n’a qu’un seul opposant majeur ; l’envahisseur français. Les opposants, ayant eu quelque temps le dessus, en envahissant l’Algérie, vont être vaincus. Ainsi, on peut dire que Dounia est victorieuse de l’opposant puisque les envahisseurs vont finir par quitter l’Algérie. « -Vous êtes sûr qu’ils s’en vont ?
-Absolument ! Le lion regagne sa tanière ! Ils ont plié bagages au petit jour, éteint leurs feux et rassemblé leurs chariots. »
L’analyse sémiologique du personnage selon Philippe Hamon :
Les travaux de Philippe Hamon reposent sur l’approche sémiologique et les approches poéticiennes, ils alternent la présentation descriptive et analytique des procédés discursifs de la construction du personnage. Selon lui, Le personnage est un signe linguistique qui désigne « Un système d’équivalence réglée, destiné à assurer la lisibilité du texte. »Ce n’est plus un « être » mais un « participant », donc c’est une construction associant l' »être » et le « faire » et « l’importance hiérarchique ». Dans son article « Pour un statut sémiologique du personnage », Philippe Hamon retient deux champs d’analyse :
L’être : Le personnage-acteur : Pour Hamon cité par Horvath20, l’être du personnage est la somme de ses propriétés à savoir son portrait physique et les diverses qualités que lui prête le romancier. Il conçoit l’être du personnage comme « le résultat d’un faire passé » ou « un état permettant un faire ultérieur ». Donc, son être est difficilement séparable des autres aspects du personnage: de son faire, de son dire, ou de son rapport aux lois morales.
(1) – Le nom et les dénominations dont il est l’objet (nom propre, prénom, patronyme, surnom) par le narrateur ou par les autres personnages.
(2) – Le portrait physique, la psychologie, …etc.;
(3) – La biographie (âge, état civil, hérédité biologique et sociale, un passé, etc.) Pour étudier un personnage, il serait préférable d’analyser cette construction, ce que nous allons faire dans ce qui suit.
Le nom : Le nom propre donné au personnage est un élément important pour l’individualisation de tout personnage car il s’agira du nom d’une seule personne bien précise ; c’est un instrument de « l’effet du réel », son absence risque de déstabiliser le personnage, de même que de le réduire parfois à un simple pronom, comme le signale David Lodge, dans L’Art de la fiction, « dans un roman les noms ne sont jamais neutres, ils signifient toujours quelque chose… Nommer un personnage est toujours une étape importante de sa création. ». Le nom de ce personnage « Dounia » a un effet réaliste de l’onomastique de l’époque ; le prénom de son père participe à la désigner,
« -Qui es-tu petite ?
-Dounia, la fille de Si-Tayeb. »
Dounia est un prénom arabe qui signifie « vie » et après la lecture du roman on se demande si ce nom est choisi seulement pour donner un faux indice de la destinée de ce personnage car il se montre complètement contradictoire avec sa tragique mort au printemps de sa vie. C’est le premier personnage à apparaître dans roman et il prend parole dans un monologue intérieur :
– Le muezzin du bey est un homme jeune et vigoureux se dit Dounia, l’autre doit être petit et vieux ; je suis sûre qu’ils ne doivent pas beaucoup s’aimer ; on sentait bien que le petit vieux en voulait à l’autre de l’avoir précédé !
Le portrait physique: En plus du nom donné au personnage, l’auteur le caractérise en lui attribuant un portrait. Ainsi, s’étendant sur plusieurs lignes, le portrait est présenté sous forme de description ; il privilégie des fonctions explicatives, évaluatives et symboliques ; nous verrons trois domaines : le corps et l’habit, la psychologie et la biographie. Le plus grand portrait féminin présenté dans le roman est celui de la femme qui a donné le titre au roman :
1-Le corps et l’habit : Contrairement aux autres personnages du roman qui ont généralement des yeux noirs et un teint mat, ce qui caractérise souvent les vrais arabes, la jeune Dounia avait des yeux verts et une peau très claire. Elle avait aussi un très joli corps et de très beaux cheveux qui attirent les regards. En lisant les descriptions minutieuses et vivantes sur ce personnage, on est surpris de trouver un portrait tellement moderne d’une jeune fille de l’époque, notamment en ce qui concerne sa façonde s’habiller. Dounia aimait beaucoup s’habiller en homme ; porter un pantalon, des bottes et des gilets brodés. Cependant, elle ne manquait pas de fierté des tenues traditions de la femme arabe qui représente pour elle la culture qu’elle a héritée de ses ancêtres. C’est pour cette raison qu’elle a décidé de mettre une robe traditionnelle et très originale le jour où elle est allée visiter le palais de Lalla Badra. « – Tu ne vas pas mettre cette robe de paysanne !
– Ce n’est pas une robe de paysanne, c’est une robe arabe ! Je suis une arabe et ce n’est pas parce que je vais chez des Tucs que je me sentirais obligée de m’habiller à leur mode ! » Elle a mis une « robe en tulle rose pâle, s’évasait jusqu’au sol et on devinait, sous l’étoffe ajourée, le jupon de satin brodé, d’un rose plus soutenu. […] Un caraco de velours noir, piqué de fleurs d’or s’arrêtait juste au-dessus de la taille. ».Comme bijou, elle avait choisi une lourde chaîne avec comme pendentif une Khamsa, quelques bracelets aux bras et une torsade d’or à chaque cheville. Pour sa coiffure, Mâ Lalia, sa nourrice, lui tressa une longue natte à partir du sommet de la tête. Elle a porté un simple voile de mousseline rose, retenu sur les côtés par deux barrettes d’or et de perles pour couvrir sa chevelure et son décolleté et comme toute femme arabe elle s’enveloppa d’un haïk.
2- La psychologie : Malgré son jeune âge, Dounia jouissait d’un esprit tolérant et très ouvert. Etre musulmane ne lui a pas été un obstacle pour s’ouvrir sur la différence des autres. Elle voulait en quelque sorte remodeler les idées reçues dans la société. Le fait qu’elle côtoie des gens de différentes religions en était la preuve. Elle avait hâte de se retrouver au cœur de la ville, là où ses yeux seraient éblouis par la multitude fébrile et colorée. Un monde d’hommes surtout, riches et pauvres, Arabes, Juifs, Turcs, étrangers aussi dont les costumes étriqués et les chapeaux volumineux apportaient une note étrange parmi les larges pantalons froncés, les turbans et les amples burnous blancs. Son amie et sa confidente d’enfance Naïma était d’origine juive, mais cela n’a pas empêché de créer entre elles une solide amitié. Dounia lui confiait ses secrets, alors que les juifs étaient mal vus dans la société algérienne de l’époque ; « Cette Naïma et sa mère, ce sont des juives, mais que Dieu les protège, se dit-elle, elles ont rendu le sourire à ma fille. ». Par ailleurs, elle a connu Ammi Menouer, un des Espagnols qui ont choisi de rester à Oran après le tremblement de terre qui a ravagé la ville. Ammi Menouer est un chrétien, et les chrétiens on les traite dans la société algérienne de l’époque de mécréants, mais Dounia s’entendait parfaitement avec lui car elle a choiside bien connaître sa personnalité en dehors de ses préférences religieuses. Elle se rendait compte de la différence culturelle et religieuse des gens et elle a appris à ne pas les juger à partir de cette différence, mais elle l’a plutôt acceptée, chose qui lui a permis de vivre en harmonie avec tout le monde.
3-La biographie : Fille d’un grand commerçant, Dounia était une jeune fille de dix-huit ans. Orpheline de mère, elle vivait avec son père Si-Tayeb, fils du Agha de la tribu des Zmélas, et sa nourrice Mâ Lalia quil’avait toujours aimée et protégée comme si elle était sa mère. Malgré son jeune âge, Dounia était intelligente, rêveuse et très ambitieuse, et ce grâce à l’instruction solide qu’elle a reçu à la Médersa, alors que l’éducation de la femme était inhabituelle à cette époque. La Médersa avait changé sa vie, elle avait un regard sur le monde différent de celui des femmes marginalisées par la société à cause de leur soumission aux traditions accablantes. Elle voulait rivaliser l’homme qui avait le pouvoir, la force et la liberté qu’elle n’en avait point. A l’âge de vingt-ans, Quelques mois après, elle assista à la naissance de son petit frère Tadj-Eddine. Quelques temps après, un jour du printemps, Dounia fut alliée à « Mohamed Abdallah, le neveu de l’Agha Ben Ismaël par sa mère. Elle menait une vie douce et paisible jusqu’au jour où les français ont débarqué à Sidi-Ferruch. Ce jour, le 14 Juin 1830, a bouleversé la vie de Dounia et de sa famille. Son père sera très vite tué au cours d’un combat armé contre des français venus piller ses chevaux. Assistant à la mort de son père, Dounia décide de se venger. Elle prend les armes aux côtés des femmes pour défendre ses terres, mais elle sera tuée à sont tour par des soldats français. Malheureusement, elle subit une finsanglante comme celle de son père : « Dounia est étendue sur les dalles du patio. […] Elle tient à la main un parchemin roulé : c’est l’acte de propriété de la ferme et des terres de Si-Tayeb. »
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : L’étude du personnage principal du roman
I-Dounia, héroïne ?
I-1-Le personnage éponyme
I – 2- Application de la grille de Philippe Hamon
II- L’analyse sémiologique du personnage selon Philippe Hamon
1- L’être
2- Le faire
CHAPITRE II : L’étude des personnages secondaires du roman
II – 1: La représentation des personnages féminins du roman
II-1-1 : l’étude des personnages du premier-plan
II-1-2 : l’étude des personnages d’arrière-plan
II – 2: La représentation des personnages masculins du roman
II-2-1 : l’étude des personnages du premier-plan
II-2-2 : l’étude des personnages d’arrière-plan
Conclusion générale
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