L’Analyse Factorielle de Correspondances (AFC)

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L’environnement numérique de travail

Cet objet est l’outil TICE étudié dans ce travail. Afin d’en cerner ses caractéristiques, nous allons présenter un historique des TIC dans l’éducation, puis définir les caractéristiques de cet objet.

Les TICE et l’école

L’étude des TICE, au-delà de leurs particularités respectives, ne peut se détacher de l’étude du lien qu’entretiennent le système scolaire et l’informatique. En effet, ces outils ne sont pas apparus sur un terrain vierge mais ont été les instruments, ou les conséquences, de décisions institutionnelles concernant l’informatique.
Les professionnels (EPI1) et chercheurs (Baron, 1990; Harrari, 1996; Ratinaud, 2003) s’accordent sur l’arrivée de l’informatique dans l’enseignement secondaire français en mars 1970 avec le séminaire sur « L’enseignement de l’informatique à l’école secondaire » tenu au Centre de Recherche sur l’Innovation dans l’Enseignement (CERI). Les recommandations de l’OCDE2 d’introduire une discipline informatique dans l’enseignement secondaire sont reprises dans les textes officiels (BOEN, 1970)3 présentant déjà aussi bien les apports fondamentaux que représente l’apprentissage de l’algorithme : « Il [l’enseignement secondaire] doit profiter de la valeur formatrice de l’enseignement de l’informatique, de la rigueur et de la logique qu’elle impose » (BOEN, 1970, p. 1764), mais également les possibilités qu’il offrira comme outil dans les domaines professionnels : «Il doit faire apparaître la portée économique du phénomène et faire savoir ce que l’informatique peut apporter à la vie professionnelle » allant même jusqu’à pressentir l’omniprésence du numérique dans la société actuelle : « préparer au monde de demain dans lequel ceux qui ignoreront tout de l’informatique seront infirmes » (BOEN, 1970, p. 1764).
Cette volonté ambitieuse a donné lieu au plan 58 lycées4 (1970) qui a permis d’équiper certains établissements en ordinateurs. Ce matériel fut associé à la présence de quelque 500 enseignants préalablement formés sur une année chez les industriels de l’informatique présents dans le projet (Baron, Bruillard, & Pair, 1996). Si sur cette période les ateliers informatiques d’initiation à la programmation sont proposés dans les lycées ; ils reposent sur le principe du volontariat des élèves comme des enseignants et la création d’une discipline académique n’est pas encore envisagée.
Le plan qui suivra répond au nom des 10 000 ordinateurs, décrit dans la presse comme « le mariage du siècle : éducation et informatique », il s’intègre au plan national visant une compétitivité et une relance industrielle. Le versant éducatif de cette démarche donnera lieu en 1980 au déploiement des 10 000 ordinateurs mais également au rapport Simont qui souligne l’importance de l’enseignement de l’informatique pour tous, et surtout la question de l’informatique comme objet ou comme outil d’enseignement (Baron & Bruillard, 2011).
5 ans plus tard naîtra le plan « Informatique pour tous » inscrit dans une vision globale du système scolaire, il se démarquera des autres plans par sa généralisation à l’enseignement primaire. Interrompu par un changement de gouvernement un an après son lancement, il sera longtemps décrié et les témoignages d’enseignants l’ayant mal vécu se retrouveront dans les représentations de ce public 25 ans plus tard (Netto, 2011). Au-delà des ressentis des professionnels de l’éducation, ce plan marque la mise en place de moyens techniques (120 000 machines réparties sur 46 000 établissements), mais également humains grâce à l’initiation de 110 000 enseignants par leurs collègues déjà formés sur les plans antérieurs. Cette vague de formation, si elle couvrait le territoire, ne représenterait au total qu’une trentaine d’heures par individu parfois prises sur les congés scolaires (Marquet, 2004). Les textes officiels présentent dès lors des contenus disciplinaires, de l’école au lycée, sur les algorithmes, et institutionnalisent l’option informatique dans les lycées.
Avec l’interruption de ce projet, s’amorce le désengagement des budgets nationaux au profit d’une gestion matérielle locale. Seul le versant logiciel continuera d’être centralisé par la production de produits spécifiques ou la négociation de tarifs « éducation nationale » avec les industriels.
Si sur les dix années suivantes aucun plan numérique ne sera mis en place, cette décennie sera la manifestation d’aller-retour dans les décisions sur cette thématique. La « saga de l’option informatique » (Baron, 1994, p. 77) constitue un exemple de ces incohérences : l’option généralisée et institutionnalisée en 1985, sera officialisée en 1988 par la création d’une épreuve au baccalauréat, puis abandonnée en 1989, elle reviendra pour être définitivement arrêtée en 1994. La formation des enseignants, la politique logicielle et la maintenance des équipements ont également subi différentes mesures contradictoires.
Par ailleurs la société va voir se démocratiser l’informatique dans les foyers mais au-delà du simple équipement, l’informatisation du quotidien « s’infiltre dans une multitude d’activités et jusque dans la fabrication du lien social. La performativité devient partie de nos savoirs faire, de notre outillage mental et de nos valeurs. » (Jouët, 1990, p. 221).
C’est en 1997 dans un contexte de mise en place du PAGSI5 (Programme d’Action Gouvernementale pour la Société de l’Information) par Lionel Jospin (premier ministre) qu’est lancé le plan « Nouvelles technologies de l’enseignement » du ministre de l’éducation nationale Claude Allègre. Avec comme objectif global « l’entrée de la société française dans le XXIe siècle et gagner la bataille de l’intelligence » (Jospin, 1997). Le dessin est d’intégrer les NTIC dans « toute démarche pédagogique », présupposant que leur utilisation « constitue un facteur supplémentaire de réussite scolaire ». L’arrivée d’internet propose les possibilités d’échanges que l’informatique jusque là ignorait. L’enseignement par les TICE passe d’une visée constructiviste (produire avec le numérique) à socio-constructiviste (apprendre par l’échange).
Ce plan marque le tournant de l’utilisation du multimédia, des TICE, et l’oubli de l’informatique comme savoir. Il vise à moderniser l’enseignement afin de préparer l’entrée de l’école dans la société de l’information. L’informatique comme outil au service de l’enseignant quelle que soit sa discipline est définie dans une vision globale du système. Nous retrouverons donc les thématiques de formation des enseignants et d’équipement mais la notion d’inclusion de l’outil dans une autre matière posera la question des ressources. Ainsi dans le rapport décrivant sa mise en œuvre, le PAGSI se déclinait en 8 parties dont :
deux sur l’enseignement : enseigner avec les Tice dans une démarche éducative globale ; donner la priorité à la formation des enseignants et des cadres.
trois concernant le matériel et sa gestion : équiper les établissements scolaires ; assurer un développement cohérent et équilibré ; développer le partenariat actif avec les collectivités locales et les industries.
trois sur les ressources numériques : soutenir l’industrie du multimédia éducatif ; encourager la production individuelle ; favoriser leur diffusion.
Le gouvernement suivant en 2002 présentera le plan « Pour une république numérique dans la société de l’information », porté par le premier ministre Jean pierre Raffarin sous l’appellation « RE/SO 2007 ». Ce projet de politique générale vise à transposer les valeurs républicaines dans une société de l’information. Les objectifs généraux misent sur l’accès et l’appropriation des TIC par tous et sur l’impulsion par l’exemple des administrations de santé et scolaire. Un volet spécifique à l’enseignement sera développé par le ministre Xavier Darcos.
S’appuyant sur les structures déjà en place pour le volet matériel/ressource, il répartit les actions aux différents partenaires : le CNDP sera missionné pour la création et la promotion de ressources pédagogiques, les collectivités territoriales pour la dotation d’équipements. Ces dernières seront appuyées par le conseil territorial de l’éducation (créé à cette période). La réflexion sur la formation laissera son empreinte dans l’institution scolaire par la création des certifications informatiques : Brevet informatique et internet (B2I) pour les collégiens de troisième ; Certificat Informatique et Internet (C2I) optionnel pour les futurs enseignants. Enfin, c’est le 14 mai 2003 en conseil des ministres qu’il est fait mention du projet d’espace numérique de travail, prévoyant un accès personnel pour « chaque élève, chaque enseignant et chaque famille » (Darcos, 2003) d’ici 2007. Si cette ambition mettra bien plus de temps à devenir réalité, l’échéance de 2007 sera l’année du « plan de développement des technologies de l’information appliquées à l’éducation ». Initié par le ministre de l’enseignement Gilles de Robien, ce projet sort du périmètre de l’établissement scolaire, et de sa temporalité. Ce programme va ouvrir les TICE à la sphère privée de l’élève, en s’appuyant sur la circulaire parue un an avant sur « le rôle et la place des parents à l’école » (BOEN, 2006b) qui invitait les établissements à développer la communication avec les familles (Monceau, 2017). C’est ainsi qu’apparaît la généralisation des ENT dans le secondaire auquel s’adosse « un livret scolaire des compétences en langues vivantes », appelé « portfolio » pour les collégiens. Pour le primaire, si les ENT ne sont pas encore d’actualité, la caisse des dépôts porte le projet « Mon enfant à l’école primaire » offrant aux parents l’accès « à tout un ensemble de services utiles, comme l’inscription à l’école, au gymnase, et aux activités peri-scolaires offertes par les mairies » (De Robien, 2006).
Mais au-delà de la communication entre l’école et la famille, l’emploi des TICE apparaît également dans l’accompagnement scolaire. Un appel à projet est lancé pour la conception et mise en place de soutien scolaire à distance. Dans les projets retenus, le CNED est missionné pour une étude sur la mise en place d’une généralisation d’aide à la scolarité à distance.
Enfin, une sensibilisation aux TICE, pour les nouveaux enseignants, sort également des murs de l’école par l’attribution pour chaque professeur à sa sortie de l’IUFM d’une clé USB contenant « des productions numériques validées au plan national, mais aussi les ressources de chaque académie ».
En 2009 le ministre Xavier Darcos mettra en place le plan « école numérique rurale » permettant à
6 700 écoles de commune de moins de 2 000 habitants de toucher une subvention pouvant aller jusqu’à 9 000 € pour l’équipement numérique.
L’année suivante, en novembre 2010, Luc Chatel ministre de l’éducation nationale lance le « plan de développement des usages numériques à l’école » s’appuyant sur le rapport Fourgous (2010) le programme se décline en 5 points :
Favoriser l’accès aux ressources numériques de qualité, en établissant un référencement des solutions existantes publiques et privées. Les établissements bénéficieront d’un « chèque ressources numériques », ce projet devant impulser les usages d’applications numériques par destination (Puimatto, 2014).
Former et accompagner les enseignants dans les établissements en désignant un enseignant référent numérique par établissement, poste prévu à la fois comme formateur et conseil à la direction.
Généraliser les services numériques et les ENT avec une mise en avant du cahier de texte numérique.
Nouer les partenariats avec les collectivités locales pour le développement des usages du numérique. Sous cette appellation c’est la redéfinition des responsabilités en matière de déploiement mais aussi de maintenance du matériel qui sera réparti sur ces acteurs.
La refonte du B2I, ce certificat sera réécrit de façon à être en accord avec les technologies numériques utilisées par les élèves, s’ouvrant désormais la notion de danger des réseaux sociaux. En 2012 Vincent Peillon va proposer son grand plan pour « faire entrer l’école dans l’ère numérique ». Appuyant son projet sur des enquêtes d’opinions favorables au numérique éducatif, il inscrit sa démarche dans une vision globale du système scolaire. Ainsi, prônant le partenariat et la collaboration de tous les acteurs, le programme s’inscrit dans la continuité des projets déjà menés : La formation des enseignants (au numérique) prévue de façon initiale et continue sera mise en place dans les Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation (ESPE). Si elle repose sur la maîtrise des outils, elle montre l’ambition d’être au service des apprentissages et de la communication avec les familles. Pour se faire par le numérique, elle sera proposée dans une modalité à distance.
1. Les ressources pédagogiques : toujours en privilégiant l’accès à ces dernières, ce sont les pratiques déjà en place qui seront mises en avant par la création d’une plateforme de partage de productions pédagogiques par et pour les enseignants. Au-delà de ces catalogues, le soutien des industries du numérique éducatif est renforcé, leur développement constituant une opportunité économique sur le marché international.
Ce plan apportera de nouveaux outils de gouvernance pour les TICE. Au niveau national, un conseil au numérique éducatif sera ouvert, permettant une meilleure coordination des projets. Si les collectivités territoriales restent les financeurs, un renfort logistique leur est apporté afin de monter des dossiers de financement européen. Une Union de groupement d’achat public (UGAP) permettra aux municipalités d’acquérir du matériel sans avoir à souscrire de marché public.
Les derniers partenaires à faire leurs apparitions dans ce plan sont les chercheurs. Le projet affiche la volonté de travailler avec la recherche publique pour « répondre aux questions […] soulevées par le développement du numérique à l’école » (Peillon, 2012), mais également pour développer les outils et les programmes, ou encore évaluer l’impact de ces technologies. Ce partenariat devrait prendre la forme d’appels à projets et favoriser les rapports avec l’industrie.
Si ces grands axes s’inscrivent dans la continuité des plans précédents, apparaissent des outils à destination de la sphère familiale qui n’intègrent pas le corps enseignant. Une partie de ces outils concerne l’ensemble de la population sous forme d’activités complémentaires (de l’aide à l’apprentissage de la lecture, aux révisions pour le bac) mais la majorité des propositions s’oriente vers les élèves en difficulté (soutien scolaire, cellule décrochage, orientation handicap).

L’ENT

Notre travail portant sur l’intégration d’un objet TICE dans la pensée enseignante, nous avons choisi l’objet ENT comme réflexion. Ce choix s’est établi en raison de certains critères que nous allons exposer dans la présentation de cet objet.

La définition de l’ENT

Sous l’acronyme ENT se cachent plusieurs déclinaisons possibles. En effet, si tout le monde s’accorde sur la signification des deux dernières lettres « Numérique de Travail », le E peut représenter les termes « espace » ou « environnement »6. Au-delà de la simple appellation, les ENT sont difficiles à caractériser. Cet outil représente une exception française (Bruillard, 2011; Kaplan, Pouts-Lajus, & Leccia, 2004) : si des outils proches peuvent se retrouver dans des établissements étrangers, seule la France a structuré le projet sur le plan national. Cette particularité, tout en ouvrant une richesse aux niveaux des expériences, traduit une définition empirique complexe. Les ENT ayant déjà fait l’objet de plusieurs thèses sur les dernières années (Costa Cornejo, 2013; Louessard, 2016; Schneewele, 2012; Voulgre, 2011b,etc). Dans les lignes qui suivront, nous nous emploierons à situer cet objet d’étude dans la recherche présentée. Ce choix laissera volontairement de côté les spécificités techniques en privilégiant une vision globale de l’outil et sa pertinence dans l’étude des TICE.
Le schéma directeur des ENT7 (SDET), véritable « base normative qui encadre ou doit encadrer le développement des ENT » (Cerisier, 2011), définissait dans sa première version (2004) les projets ainsi :
Un espace numérique de travail désigne un dispositif global fournissant à un usager un point d’accès à travers les réseaux à l’ensemble des ressources et des services numériques en rapport avec son activité. Il est un point d’entrée pour accéder au système d’information de l’établissement ou de l’école.
À ces quelques lignes s’ajoutaient des paragraphes présentant les publics concernés, les périmètres des projets et la volonté de mutualiser les ressources « inter-établissement avec les partenaires publics et privés » (MEN, 2004).
Dés 2006 une seconde version du document paraîtra et proposera une définition plus étoffée. Ainsi, le « point d’accès » à l’ensemble des ressources et des services deviendra le point d’accès unifié à l’ensemble des outils, contenus et services applicatifs, le système d’information deviendra « le système d’information de l’administration de l’établissement ou de l’école », relevant ainsi du domaine bureaucratique de l’administration scolaire (Laforgue, 2007). Il faudra attendre la quatrième version (2012) du document pour voir une véritable évolution de cette définition :
2012 :
Un espace numérique de travail désigne un ensemble intégré de services numériques, organisé, choisi et mis à disposition de la communauté éducative par l’école ou l’établissement scolaire. Il repose sur un dispositif global fournissant à un usager un espace dédié à son activité dans le système éducatif. Il est un point d’entrée unifié pour accéder au système d’information pédagogique de l’école ou de l’établissement.
Nous noterons ici que si l’outil ENT est défini dès les premiers textes comme un point d’accès à un système d’information, ce ne sera que 8 ans plus tard que cette directive prendra en compte l’aspect pédagogique. Caractérisé par le périmètre de l’établissement, cet outil est dans les premières années de généralisation centré sur l’administration de l’établissement. D’un point de vue légal, le proviseur (et /ou principal) sont les responsables des contenus publiés sur l’ENT, ils peuvent choisir les outils et modules actifs, cependant, ils n’ont aucun pouvoir sur la solution logicielle choisie pour l’ENT. En effet, la mise en place de ce projet répond à une organisation spécifique du système scolaire français. Dès 2011, Éric Bruillard expliquait comment « les ENT sont au cœur de tensions entre les différents acteurs institutionnels » (Bruillard, 2011, p. 104). De la même façon que le ministère impose les programmes ou gère les personnels ; les ENT et le cahier de texte numérique ont été impulsés, voire imposés, par cette autorité (Chaptal, 2007; Voulgre, 2011a). Cependant, les réformes successives ont doté les collectivités territoriales de la responsabilité des équipements scolaires dont les dotations informatiques (logicielles et matérielles) font partie. Ainsi le choix du prestataire et la gestion du projet incombent aux conseils départementaux et régionaux, reléguant les établissements à la liberté d’activer ou non certaines options (Genevois & Poyet, 2010).
L’ENT est donc officiellement un portail d’accès à des services numériques. Cette nouveauté dans le champ des TICE repose sur la création d’un annuaire permettant de définir pour chaque individu son rôle dans l’établissement (élève, enseignant, parent…). À partir de cette structure sont déterminés les droits d’accès aux outils ou contenus mais également les communications de masse et d’identification automatique à des abonnements extérieurs. Si les objectifs de l’ENT étaient de transformer l’école dans son architecture, dès leur conception ils sont modélisés sur la forme scolaire leur préexistant (Cerisier, 2011). Ainsi, chaque individu sera caractérisé par une fonction mais également une classe, voire un groupe de travail. Cette structure, définie par l’administration de l’établissement, génère un fonctionnement pédagogique calqué sur le format traditionnel.

L’ENT de notre terrain

Notre étude s’est déroulée exclusivement sur l’académie de Toulouse, l’objet sondé n’est pas le concept de l’ENT mais la concrétisation qu’il prend dans notre académie. Les deux projets déployés sont l’Ecollège, sur les collèges de la Haute-Garonne, et l’ENTmip, sur les lycées de la région et les collèges des autres départements. Bien que ces projets soient distincts politiquement, le prestataire de service, la solution logicielle et les ressources humaines permettant la mise en place de l’ENT sont identiques. Cependant, malgré ces points communs, quelques différences persistent :
Une entrée dans le projet différé : si le projet ENTmip est lancé en 2007 pour les établissements pilotes et termine sa généralisation en 2012, l’Ecollège31, lui, ne démarra qu’en 2011 et son déploiement se terminera en 2014.
2 projets = 2 contrats : si pour nos 2 ENT c’est la solution Kd’école qui est en place, les versions de l’outil diffèrent. Ainsi, quelques détails d’ergonomie mais aussi quelques options peuvent être distingués.
2 projets = 2 annuaires : L’annuaire d’un ENT est un élément central. En effet, il permet, quel que soit l’établissement sur lequel la connexion est faite, d’accéder à ses services personnels. Or, les deux structures ne partagent pas l’annuaire. Ainsi, un enseignant effectuant son service sur deux établissements aux projets différents ne pourra pas accéder aux cours ou aux ressources stockés sur son compte ENTmip lorsqu’il se connecte sur l’établissement dépendant d’Ecollège.

Les outils proposés

Dans cette partie nous présenterons les différents outils proposés aux enseignants. Notre étude ne portant que sur cette population, nous n’aborderons la présence des autres acteurs que sous forme de contextualisation. Cette présentation volontairement non exhaustive présentera les outils exprimés dans les résultats empiriques.

Des outils personnels

Cette première famille d’outils a la particularité de n’être visible que par l’enseignant, ils composent ce que l’on pourrait appeler l’espace personnel qui est accessible quel que soit l’établissement à partir duquel il se connecte (dans le périmètre du projet) :
espace de stockage : nous pourrions comparer cet outil à une clé USB virtuelle, l’enseignant peut y organiser le contenu sous forme d’arborescence ; ce dernier sera disponible dans les autres outils.
agenda : un agenda interactif, auquel il peut être superposé les agendas de groupes de travail, de l’établissement ou d’autres agendas.
classeur pédagogique : cet espace permet d’organiser les fiches de séances pédagogiques ou du travail à faire à destination du cahier de texte (voir infra). En fin d’année, c’est sur cet outil que seront archivées les séances publiées dans le cahier de texte.
La messagerie : sur cet outil, il ne faut pas confondre le mail professionnel que les enseignants possèdent, de l’adresse de messagerie qu’ils ont dans l’ENT. Ces deux outils distincts communiquent uniquement par une alerte postée automatiquement sur le mail professionnel, informant l’enseignant de la réception d’un message sur l’ENT. Une des différences fondamentales est l’accès à cette adresse de messagerie par les élèves et les parents.

Les outils pédagogiques

Dans cette catégorie nous recenserons les outils prévus pour l’interaction avec les élèves, il va de soi que leur utilisation peut être détournée pour l’emploi de travail collaboratif entre enseignants par exemple. Cependant, leur mise en place orientait leur utilisation dans un contexte de classe. Ces outils sont accessibles par les différents publics (selon leurs droits). L’enseignant peut choisir de masquer temporairement sa production mais la destination finale est d’être visible par les autres acteurs scolaires : élèves, direction d’établissement8, inspection et parents.
Le cahier de texte : c’est la réplique de son homologue papier qui faisait foi du travail effectué en classe ou demandé pour les séances suivantes. Depuis 2011 le format numérique est rendu obligatoire, il permet aux parents de le consulter, à la direction de l’établissement d’y apposer son visa (une fois cette démarche faite, l’enseignant n’a plus la possibilité de le modifier) et est ouvert aux inspecteurs les 15 jours précédents une inspection. Il sert également d’emploi du temps des classes. Lors de notre enquête les deux projets permettaient d’avoir l’emploi du temps réactualisé à la semaine. Cette dynamique était cependant récente. En effet, jusque-là la base utilisée par la direction pour traiter l’emploi du temps n’était pas reliée à l’ENT et demandait à la personne en charge de faire « remonter les services » à chaque modification. Il contient également des outils classiques de LMS9 : remise de devoir, possibilité de créer des sous-groupes de travail pour différencier les tâches…
Les rubriques : sous cette appellation nous désignerons l’interface d’édition de contenu. Les ENT, au-delà des services fournis, portent également la fonction de site internet classique.
L’outil permettant la publication des informations est identique quelles que soient les destinations. Représentant les éléments accessibles par le menu affiché à gauche de l’ENT, ils peuvent être ouverts à différents publics que ce soit pour la consultation, la rédaction ou la gestion. Chaque rubrique contient par défaut 5 outils pouvant être désactivés :
▪ une page fixe, le contenu présent ici étant statique
▪ un blog présentant les articles par ordre ante-chronologique
▪ un chat permettant la discussion synchrone
▪ un forum favorisant les discussions asynchrones
▪ un partage de documents permettant de stocker de façon collaborative les documents
Dans ces onglets, il existe une spécificité sur la partie classe. Les sous-rubriques contenues ici sont automatiquement générées chaque année sous la forme d’une sous-rubrique par classe ouverte dans l’établissement. Peuvent y accéder les élèves de cette classe, leurs parents, et leurs enseignants. Ces sous-rubriques ont une durée de vie d’une année scolaire, les contenus seront archivés10 à la fin de l’année.
Les questionnaires : l’outil Kd’école permet aux usagers11 de créer des questionnaires à choix multiples, les résultats sont stockés en format .csv. La correction automatique n’est pas proposée mais une application Excel® allant dans ce sens a été développée par un membre du rectorat.

Le métier d’enseignant

Notre volonté de départ étant d’étudier comment un objet TICE s’intègre dans la pensée enseignante, le schéma aurait été incomplet si nous n’avions pas recueilli les représentations des enseignants sur leur métier (Davidson & Desjardin, 2011; Netto, 2011; Paquay, Altet, Charlier, & Perrenoud, 2001). L’étude menée étant exclusivement orientée sur le secondaire, nous nous focaliserons sur les enseignants de ce niveau. Afin de contextualiser notre étude, nous présenterons une définition institutionnelle du métier en parcourant l’historique des changements intervenus dans les formalisations de la fonction.

Métier ou profession

Un des premiers choix requis dans notre étude fut celui de l’expression « métier d’enseignant ». Cet objet est non seulement questionné mais constitue également la contextualisation professionnelle aux autres objets. Cette omniprésence dans notre recueil de données, nous a amené à nous questionner sur les différences entre les expressions « métier d’enseignant » et « profession d’enseignant ».
La professionnalisation des enseignants est un sujet de tension dès lors que l’on traite de la formation de ces acteurs (Bourdoncle, 1990, 1993). La création des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) au début des années 1990 en constitue un exemple en recherchant une « professionnalité globale » (Bancel, 1989, p. 3) ; cette action sera renforcée par le recrutement au niveau master des professeurs et la création des ESPE. La question reste d’actualité dans les discours politiques (Dulot, Bonneau, Colombani, Forestier, & Mons, 2012; OCDE, 2016) et de nombreux travaux universitaires portent sur ce processus (Altet, 2010; Bailleul & Bodergat, 2015; Bourdoncle, 1993; Broyon & Changkakoti, 2008; Fabre & Lang, 2000; Michel & Bertone, 2017; Paquay et al., 2001; Wittorski & Briquet-Duhazé, 2008 ;etc). Si ces recherches révèlent des changements cognitifs chez les enseignants, interroger ces derniers sur leur « profession d’enseignant » inscrirait la professionnalité non pas comme objet d’étude mais comme « savoir naïf » (Jodelet, 2003a) (chap 3.2.1). Dans cette optique, nous examinerons les termes « profession » et « métier » selon les définitions d’un dictionnaire usuel :
Le dictionnaire « Trésor de la Langue Française »12 (TLF) définit les objets « métier » et profession selon plusieurs aspects .

La définition du poste enseignant du secondaire

Un historique

Si notre étude porte sur l’acte d’enseigner, le choix de notre terrain restreint notre population aux professeurs du secondaire. Cette particularité nous demande de nous attarder sur la profession d’enseignant du secondaire. En effet, le terme « enseignant » regroupe aujourd’hui la totalité des personnels transmettant leurs savoirs à la nouvelle génération13. Cependant cette généralisation n’apparaît que dans les années 1960 (Hirschhorn, 1993), historiquement les corps de métier étaient cloisonnés dans leur niveau d’exercice (primaire, secondaire…), mais également dans leur fonction comme la définissait leur formation initiale : au sortir de la guerre, les enseignants du primaire étaient formés dans les écoles normales orientant leur métier sur la transmission « non seulement des connaissances mais aussi des valeurs » (Compagnon & Thévenin, 2001, p. 263). Par contre, Les « professeurs » (enseignants du secondaire) initialement formés dans les universités, attendirent 1952 pour intégrer les centres pédagogiques régionaux (CPR) où, pour la première fois ils reçurent un enseignement pédagogique (Prost, 2014). Dans les années 1980, sur la fin des CPR ce volet sera davantage développé bien que souvent décrié et avec une mise en place hétérogène selon les centres (Tixeront & Leselbaum, 1987). Ce cloisonnement des lieux de formation était à l’image de la différence faite entre les deux professions. Ainsi, les enseignants du primaire se définissaient comme « des éducateurs du peuple », alors que les enseignants du secondaire étaient des « hommes cultivés, grâce à l’étude approfondie d’une discipline » (Bourdoncle, 1990, p. 58).
La création des IUFM en 1990 va marquer la fin de cette séparation. Ces instituts vont être lancés dans une conjoncture de mutation du champ éducatif. En effet, sous l’effet conjugué de la démocratisation de l’enseignement secondaire et des futurs départs en retraite d’une partie du corps enseignant, l’État doit repenser le mode de recrutement et de formation des enseignants. L’évolution du public, concerné par l’enseignement secondaire, fait émerger une nouvelle problématique dans ce domaine : l’hétérogénéité des collégiens (et plus tard des lycéens). Dès la naissance de ces instituts, les formations des deux corps d’enseignants (primaire et secondaire) sont rassemblées sur une même structure dépendant des universités. Cette démarche cherchait à créer une identité commune à tous les enseignants. Pour cela elle incluait la formation de « haut niveau scientifique » (Jospin, 1991) du personnel du primaire, mais également la « maîtrise de la transmission et de sa traduction pédagogique » (Jospin, 1991) pour ceux du secondaire. Cette rupture s’illustre dans l’extrait du discours de Lionel Jospin (ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports) :
« Les enseignants – c’est particulièrement vrai pour ceux du second degré – ne sont pas préparés, durant leur formation, à répondre à ce qui sera pourtant une de leurs préoccupations majeures tout au long de leur carrière : savoir enseigner à des élèves très différents. »(Jospin, 1991)
Les IUFM seront dans un même temps la cible d’une forte polémique dans le corps enseignant ou la société en général (Robert & Terral, 2000) mais également l’objet de nombreux travaux de recherches visant à dresser un bilan (Altet, 2010; Bourdoncle, 1990; Robert & Terral, 2000) ou étudiant plus précisément les modifications professionnalisantes qu’apporte cette structure (Bourdoncle, 1993; Charles & Clément, 1997; Fabre & Lang, 2000; Lang, 1995; Paquay et al., 2001). Après plusieurs tentatives de modifications, la réforme dite de « masterisation » de 2008 marque un tournant dans le recrutement des enseignants. En effet, depuis cette période, ces personnels sont recrutés à Bac+514. Les IUFM seront démantelés aux profits des ESPE en 2013. Ces écoles, toujours intégrées aux universités, proposent une offre de masters métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF), à la suite desquels les étudiants peuvent postuler aux concours de recrutement du corps enseignant. Ces formations se veulent ouvertes sur le champ professionnel, cumulant des périodes de stages et de formation. Les étudiants présents dans ces parcours en supplément de cette alternance, effectuent un mémoire de recherche tout en préparant le concours de recrutement, ils doivent ainsi répondre à une « triple préoccupation éthique » (Pachod, 2016).
Lors de notre recueil de données (2014 et 2015), la question du recrutement et de la formation des enseignants revenait sur le devant de la scène. La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la république (2013) a rétabli une formation initiale pour les enseignants. Elle s’exprime par une alternance à mi-temps entre l’ESPE et l’établissement d’affectation lors de la première année d’exercice. Ce statut de stagiaire rémunéré et formé avait disparu de 2010 à 2013, sur cette période, les étudiants postulaient aux concours après la validation de leur master et s’ils devenaient également « enseignants stagiaires », ils effectuaient directement un plein temps. Ces modifications ont entraîné une rupture dans les formations et dans le sentiment d’efficacité des jeunes enseignants (Perrault, 2013).

La communication et l’information dans le métier d’enseignant

L’objectif de notre travail étant d’étudier l’intégration d’un objet TICE dans la pensée enseignante, nous avons souhaité questionner la représentation de l’information et de la communication dans le métier d’enseignant. Comme évoqué précédemment, sonder les enseignants sur ce qu’ils pensent de ces objets dans leur métier inscrit ces derniers non pas dans un savoir scientifique mais dans un savoir de sens commun. Nous présenterons donc, dans une visée explicative, les différents sens que peuvent rencontrer ces termes pour, ensuite, présenter les différentes modélisations théoriques pertinentes dans notre étude. Si nous présentons ici ces deux notions ensembles, c’est qu’il existe une forte proximité tant dans leurs définitions courantes que dans leurs modélisations scientifiques.

Communication : définitions courantes

Le dictionnaire TLF renvoie pour le mot communication à 4 domaines définis ainsi :
action de communiquer quelque chose à quelqu’un : le résultat de cette action action de communiquer avec quelqu’un ou quelque chose ce qui permet d’établir une relation entre deux lieux, deux ou plusieurs personnes éloignées dans l’espace manière de communiquer, mode de communication.
Ce qui ressort de ces déclinaisons est une polysémie du terme qui se décline en processus (ou actions), en objets (résultats), ou encore en qualificatifs. Nous pourrions également le compléter par les définitions supplémentaires d’un dictionnaire courant comme le Larousse :
fait, pour une personnalité, un organisme, une entreprise, de se donner telle ou telle image vis-à-vis du public mise en relation et conversation de deux correspondants par téléphone ou par un autre moyen de télécommunication.
Ces derniers points apportent une pluralité de publics et de supports mais, au-delà de ces contextualisations pragmatiques, nous retrouvons les deux grands axes du partage et de la transmission. Pour comprendre cette dualité il faut reprendre le terme à sa racine. Étymologiquement, « communication » vient du mot latin communicare, définit par « partager, mettre en commun » (Winkin, 1994, p. 355).
Historiquement, le TLF fait remonter ce terme à la fin du XIIIe siècle où il désignait une « manière d’être ensemble, le commun ». Proche de son cousin « communion », c’est avant tout l’idée de partage qui prédomine ici. Ce sens restera de nombreuses années ; en 1370 c’est une définition de
« relation entre les hommes, relations sociales » qui est donnée par Littré. Ce ne sera qu’en 1507 que ce terme entrera dans le domaine de l’interaction avec une définition intégrant les termes « discussion, pourparlers » répertoriée par l’IGLF18. Au XVIIe siècle la notion se déclinera en trois champs spécifiques :
celui de la transmission d’information, avoir communication de quelque chose (IGLF) la communication avec Dieu (IGLF) la mise en relation « la citadelle à communication avec la ville par un pont » (Miège)
En 1753, apparaîtra un usage dans le domaine de la physique comme transmission d’une caractéristique : communication du mouvement.
Si chez les anglo-saxon, la racine communicare a vécu une évolution semblable, au XXe siècle le terme « communication » commence petit à petit à désigner les industries médiatiques (presse écrite, radio, cinéma, télévision…). Ce concept s’établira également en France, aboutissant à une définition élargie de la communication à « l’ensemble des réseaux et des systèmes de transmission d’information » (Winkin, 1999, p. 53).

Information : définitions courantes

Venant du verbe latin informare (action de former, de façonner), il est utilisé durant le moyen âge  sous deux acceptations, l’une portant sur un aspect immatériel (spiritualité ou connaissance) ou matériel (poterie, modelage) (Capurro & Hjørland, 2003). Dans sa définition moderne, le dictionnaire TLF nous donne 2 champs19 sémantiques du terme information, le premier est centré sur l’action d’informer ou de s’informer : action d’une ou plusieurs personnes qui font savoir quelque chose, qui renseignent sur quelqu’un, sur quelque chose action de s’informer, de recueillir des renseignements sur quelqu’un, sur quelque chose ensemble des activités qui ont pour objet la collecte, le traitement et la diffusion des nouvelles auprès du public.
Le second champ est celui de l’information journalistique :
faits, événements nouveaux, en tant qu’ils sont connus, devenus publics fait, événement d’intérêt général traité et rendu public par la presse, la radio, la télévision ensemble de connaissances réunies sur un sujet déterminé élément de connaissance susceptible d’être représenté à l’aide de conventions pour être conservé, traité ou communiqué
Dans le contexte d’action d’information (premier champ), nous retrouvons les trois modalités déjà relevées par Griveaud et Guillaume (1983) : « s’informer (soi) puis informer (vers une autre personne, un public) et enfin vers l’information « contenu » » (Gardiès, 2012, p. 88).
Comme évoqué plus haut, la communication et l’information renvoient l’une à l’autre dans leur définition commune. Cette relation est illustrée par la modélisation de proxémie proposée par le logiciel PROX sur ces deux mots20 (Gaume, 2004; Gaume, Duvignau, & Vanhove, 2008). Ces graphes synthétisent les liens qu’entretiennent les dictionnaires de synonymes des mots (base de données du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNTRL). Nous pouvons observer sur les illustrations 5 et 6 que si les deux formes ne sont pas synonymes (pas de lien direct) elles sont reliées par de nombreux éléments.
Cette proximité se retrouvera dan les représentations des enseignants (chap. 6.2.4) mais également dans les théories qui fondèrent les sciences de l’information et de la communication.

Les théories de l’information et de la communication

Bien plus qu’un répertoire de concepts, modèles ou théories, l’appellation de Sciences de l’information et de la communication fait appel à une discipline. Cette institutionnalisation récente et son émergence spontanée constitue une difficulté à circoncire son origine, ses champs d’études, et ses méthodes (Boure, 2006, 2007, 2008). L’exposé que nous présentons ici, ne se voudra pas une présentation exhaustive des apports de ces sciences, mais un parcours des différentes théories permettant la compréhension des résultats présentés en seconde partie du document.

Une origine commune

Afin de débuter notre itinéraire théorique des concepts propres aux SIC, nous choisirons la théorie mathématique de la communication comme point de départ (Shannon, 1948). Ce choix se fonde sur la singularité de son titre : « il ne comporte par le mot information, celui de communication ayant eu la préférence de l’auteur mais l’un et l’autre sont utilisés indifféremment pour désigner cet œuvre » (Senié-Demeurisse & Couzinet, 2011) .
Mise au point par le mathématicien Shannon appuyé par l’ingénieur Weaver (1975) au sein des laboratoires Bell, elle avait comme problématique la modélisation (et l’optimisation) de la transmission des messages par télégrammes. Elle peut être considérée comme « Le modèle de la communication en sciences sociales, tant aux États-Unis qu’en Europe » (Winkin, 1981, p. 21). Son symbole le plus répandu reste le schéma mettant en forme la transmission du message passant de la source au destinataire par un émetteur, un canal et un récepteur (illustration 7). Cet outil modélise le bruit émis par le canal et le principe d’encodage et décodage nécessaire au transfert et réception de l’information. La simplicité de la structure et sa capacité à être appliquée en de nombreuses situations fut, selon certains auteurs, la raison de son succès. Cependant, cette vision se limitait à une image unilatérale de la transmission d’information et dépouillait cette dernière de son sens.

Les théories de la communication

La même année que la publication de Shannon paraissent les travaux sur la cybernétique de Wiener (1948) et la notion de Feed-back. Le récepteur jusque-là passif, endosse la double fonction de récepteur/émetteur lors de l’interaction. La communication devient un processus complexe, sans pour autant prendre en compte le contexte social de la situation.
Cette notion fut implémentée par le modèle de Riley et Riley (1959) qui intègre le groupe primaire et le contexte social pour le communicateur et le récepteur. Il marque l’analyse de la communication comme un « processus social » (Picard, 1992, p. 71).
Sur un autre versant théorique, le contexte devient dans les travaux de Jakobson une des trois notions supplémentaires à la chaîne destinateur/messages/destinataire. Le modèle est amené à 6
« facteurs inaliénables de la communication verbale » (Jakobson, 1963, p. 214). L’objectif ici est d’étudier les structures linguistiques dans la situation communicationnelle d’origine (Bachmann, Duro-Courdesses, & Simonin, 1979). Ces 6 facteurs et les fonctions qui leur sont associées, montrent la complexité des éléments constitutifs de l’interprétation. Synthétisés dans l’illustration 9 ils prennent en compte aussi bien les intentions et états sentimentaux des protagonistes (fonction émotive, conative), la forme du message et son média (fonction poétique et phatique) et pour finir le contexte d’émission et le code dans lequel il est partagé (fonction référentielle et métalinguistique).
Si ces visions se veulent plus englobantes, elles se limitent pourtant à une sphère langagière. Une autre école va s’émanciper de cette modalité par la prise en compte d’autres moyens verbaux ou non. Qualifiés de « collège invisible », ces chercheurs appréhendent la communication comme un tout intégrant ces deux modalités. Au-delà du médium, c’est une vision orchestrale qui s’amorce, s’opposant à la structure allant exclusivement du destinateur au destinataire, inspiré des travaux sur le Feed-back. Dans ce cas, « chaque individu participe à la communication plutôt qu’il n’en est l’origine ou l’aboutissement » (Winkin, 1981, p. 25).

Les théories de l’information

Comme nous l’avons évoqué, les travaux de Shannon, initialement publiés sous l’égide de la communication, traitent de l’information dans une perspective techniciste. La limite de ce modèle dans le champ disciplinaire des SIC consiste en une vision de l’information comme produit dépourvue de sens ; l’objectif premier de cette modélisation se situant dans une recherche d’efficacité de la transmission (Attallah, 1991).
L’information, depuis, est un objet mobilisé par de nombreuses disciplines sous des aspects et préoccupations différentes (informatique, génétique…). Les SIC se distinguent en spécifiant ce concept par le sens qui lui est donné : « c’est par le sens attribué qu’une information se distingue d’une donnée ou d’une série de données[…] Ce sens n’est pas une propriété intrinsèque de l’objet connu, il lui est attribué par une opération mentale » (Meyriat, 1983, p. 67). Dans les travaux de cet auteur, l’information, si elle reste inconditionnellement liée à la communication, lui préexisterait par son existence latente, qui ne deviendra activée qu’après sa transmission. « L’opération mentale » évoquée ci-dessus ouvre le champ de la subjectivité dans l’interprétation de l’information, mais différents travaux élargissent cette partialité à sa sélection, ou simplement à son accès.
Se rapprochant du domaine de la psychologie, les travaux de Quéré prennent l’information ou plutôt son sens comme un élément d’un système complexe mêlant propriétés du message, propriétés de son contexte (ou environnement) et propriétés du récepteur. Il s’appuiera sur le concept d’affordance développé par (Gibson, 1979 in Quéré 2000), pour glisser de la transmission, à la perception. Cette vision écologique considère l’information comme un élément d’un objet, d’une situation ou d’une communication, invitant ou exhortant à une action dans le contexte où se déroule l’interaction. Mais la rencontre entre l‘information et celui qui la perçoit s’ancre dans une situation et un historique mental : « la valeur informative d’un message dépend des connaissances (toujours changeantes), des attitudes propositionnelles et des attentes du récepteur [le message] induit des croyances et des pensées très différentes selon ce que sait ou ne sait pas, croit ou ne croit pas, pense ou ne pense pas, attend ou n’attend pas, imagine ou n’imagine pas […] le lecteur du journal. » (Quéré, 2000, p. 342).
Au delà de cette vision d’information connaissance, Buckland (1991) dénombre deux autres déclinaisons : les objets (qui véhiculent le message- ressources documentaires) et les processus (qu’ils soient en amont, permettant de trouver l’information, ou en aval, lors de la communication ou diffusion de la connaissance détenue).
Ces éléments de réflexion introduisent à la complexité d’une définition théorique de l’information. Toutefois, au-delà de sa place dans le processus de communication, l’Information dans le domaine des SIC revêt de nombreux territoires. Les pratiques informationnelles, l’étude des médias, des documents ou encore la société de l’information, ne constituent qu’un exemple des courants se partageant et échangeant sur les diverses acceptions de l’information. Nous nous attarderons, dans les parties qui suivront, sur deux champs de recherche qui nous apparaissent pertinents dans l’interprétation des résultats de notre terrain. Ces deux points sont : la société de l’information et la culture informationnelle.

La société de l’information

Cette expression ne prend pas son origine dans les modèles théoriques mais s’est imposée par les discours médiatiques et politiques. La consultation de la base de donnée Europresse nous permet d’observer l’évolution du nombre d’articles contenant cette chaîne de caractères dans la presse quotidienne nationale (illustration 10) ce graphique nous fait apparaître une concentration de ce terme entre les années 1995 et 2010.
Ce syntagme prend ces racines dans la notion de « société postmoderne » à la sortie des années 1960. Les auteurs Touraine (1969) et Bell (1976) posent les modifications structurales de la société comme les indicateurs d’une phase de transition et s’interrogent sur la place de l’information dans cette mutation (Labelle, 2007). Si l’expression même de société d’information naît au Japon au tout début des années 1970 (Mattelart, 2003 in Proulx, 2007), c’est à partir de 1995 qu’elle sera « universellement utilisée […] moins en raison d’une particulière cohérence théorique du concept, mais bien plutôt du fait de la dissémination de son usage par les principaux gouvernements des sociétés industrialisées. » (Proulx, 2007, p. 152). Dans cette dynamique, nous avons déjà mentionné les plans numériques porteurs de ces images (chap 2.1.1) : le PAGSI de 1997 se voulait « gagner la bataille de l’intelligence », le RE/SO de 2002 s’affichait « pour une république numérique dans la société de l’information ».
La société de l’information, qui se voulait une anticipation du futur, est aujourd’hui vécue comme une réalité. À la suite de l’ère agricole, durant laquelle les richesses appartenaient aux propriétaires terriens, puis à l’ère industrielle, durant laquelle les patrons d’industrie étaient les premiers bénéficiaires de l’économie, succède l’ère de l’information, où les richesses profitent aux détenteurs de l’information. L’emploi massif de cette image, associé à la prolifération des TIC, porte dans un même temps les utopies positivistes des progrès que peut amener cette nouvelle structure économique et sociale, et les craintes d’une forte inégalité dans leurs accès techniques mais aussi culturels. C’est sur ce dernier point que se pose la question de la culture informationnelle.

La culture informationnelle

Face aux enjeux de la société de l’information, s’est construite, dans le même temps, la notion « d’information literacy ». Une polémique reste encore présente sur la traduction de ce phénomène (culture informationnelle, de l’information, recherche d’information…). Travaillant sur les représentations sociales et donc un savoir naïf, nous resterons sur une traduction de culture informationnelle. La réunion des professionnels de l’information tenue à Prague en 2003 proposait cette définition : un domaine économique : historiquement l’usage de l’information (prélevée ou diffusée) est une préoccupation industrielle dès les années 1970
un domaine bibliothécaire : cet aspect est celui étant le plus étudié. Prenant racine dans les études sur l’instruction bibliographie, il s’étend à l’étude de l’information véhiculée dans les réseaux.
un domaine citoyen : ce versant de la culture de l’information22, s’exprime aussi bien sur l’emploi et l’accès aux informations, que sur la création de ces dernières. Il est également fait mention de la nécessité d’agir pour appartenir à la société de l’information à laquelle s’ajoute le droit de bénéficier des ressources de cette dernière.
La démocratisation des TIC a peu à peu introduit dans les discours publics une superposition entre culture informationnelle et pratiques numériques (Couzinet, 2008), terrain sur lequel les jeunes générations peuvent sembler autonomes. Or cette fausse avancée masque, par des rapidités d’utilisation, des lacunes sur les fonctions cognitives sur lesquelles repose la culture informationnelle. Pour illustrer cette rupture, nous citerons Serres :
« Mais depuis quand l’autonomie technique entraînerait-elle par miracle l’autonomie intellectuelle ? La question de la formation des élèves à pouvoir repérer, identifier, discerner, évaluer l’origine, la fiabilité, la qualité et la pertinence d’une information est ainsi devenue, en quelques années, l’un des défis les plus cruciaux de l’école, qui n’est malheureusement pas bien armée pour cette tâche. Et s’il ne fallait qu’une seule raison à la nécessité d’une culture informationnelle, elle pourrait être trouvée là, dans cette urgence (à la fois citoyenne, éducative et méthodologique) à devoir former les élèves et les étudiants à l’évaluation de l’information » (Serres, 2007, p. 4).
La problématique exprimée dans cet extrait, renvoie au champ de l’éducation, aux médias et à l’information (EMI). Nous avons déjà rencontré cette thématique dans le référentiel des compétences des enseignants (chap 2.2.2), elle est une spécificité des professeurs documentalistes et constitue une partie de leur identité professionnelle (Kerneis, 2015b, 2015a; Kerneis & Lanhers, 2015).

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Table des matières

1 Introduction
1.1 Positionnement théorique
1.1.1 SIC et SED
1.1.2 Et la psychologie sociale ?
2 Définition des objets questionnés
2.1 L’environnement numérique de travail
2.1.1 Les TICE et l’école
2.1.2 L’ENT
2.2 Le métier d’enseignant
2.2.1 Métier ou profession
2.2.2 La définition du poste enseignant du secondaire
2.3 La communication et l’information dans le métier d’enseignant
2.3.1 Communication : définitions courantes
2.3.2 Information : définitions courantes
2.3.3 Les théories de l’information et de la communication
3 Cadre théorique
3.1 L’étude des objets TIC
3.1.1 La sociologie des usages
3.1.2 Études sur les usages
3.2 Les représentations sociales
3.2.1 Définition
3.2.2 Les représentations de nos objets peuvent-elles exister ?
3.2.3 Naissance vie et dynamique d’une RS
3.2.4 Fonction des RS
3.2.5 École des représentations sociales
3.2.6 Représentations professionnelles
3.2.7 Attitude et représentations sociales
3.2.8 Pratiques et représentations
3.2.9 Relations entre représentations sociales
3.2.10 Les représentations de nos objets
4 Problématique(s)
4.1 Positionnement du chercheur et construction de l’objet de recherche
4.1.1 Naissance de l’objet d’étude
4.1.2 Naissance de l’objet de recherche
4.1.3 Implication du chercheur
4.2 Problématiques
4.2.1 Problématique dans le champ des SIC
4.2.2 Une problématique psycho-sociale
5 Méthodologie
5.1 Les outils de recueils de données
5.1.1 La constitution des corpus
5.1.2 Le questionnaire d’enquête
5.2 Les outils de traitements de données
5.2.1 Le Chi2 d’indépendance
5.2.2 L’Analyse Factorielle de Correspondances (AFC)
5.2.3 L’analyse factorielle des correspondances multiples
5.2.4 La méthode Reinert
5.2.5 Exploration des temps verbaux
15.2.6 La distance de Labbé
5.2.7 L’analyse prototypique
5.2.8 L’analyse de similitude
6 Résultats
6.1 Le contexte social des TICE
6.1.1 Le discours institutionnel
6.1.2 Le discours de la presse
6.1.3 Le corpus de la concertation sur le numérique éducatif
6.1.4 Croisement des corpus, permanences et différences
6.2 L’inscription de l’ENT dans la pensée enseignante
6.2.1 Description de la population
6.2.2 La catégorisation des données
6.2.3 Les attitudes
6.2.4 Les représentations
7 Discussion
7.1 Du discours social aux représentations professionnelles
7.2 Les attitudes
7.3 Les représentations professionnelles en système
8 Conclusion 
9 Bibliographie

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